Famille : Une famille est une communauté de personnes réunies par des liens de parenté. Le dictionnaire est bien pauvre, le dictionnaire est bien thématique, trop thématique. Amas de définitions sans âme et sans cœur, il oubliait l’essentiel : l’amour. Une famille sans amour n’est qu’une communauté d’individus. L’amour fait le lien de parenté, l’amour fait qu’on se sent intégré dans cette « famille. » Et Dieu sait à quel point Kacey en a reçu de l’amour, de la part de ses deux parents. Dès sa naissance, les ribambelles de baisers et de caresses affluaient sur son petit corps. La première fille de la famille, l’aînée, celle qui allait être le modèle des suivants, de la suivante. Elle se devait d’être parfaite pour s’harmoniser avec ce couple parfait. Andrea Cooper et Nolan Cooper. Un couple jalousé depuis leur adolescence. Trop idyllique ? Probablement, certainement même, et au final ce sont, eux, les enfants qui allaient en faire les frais, bien malgré eux. Elle ne se souvenait pas de sa naissance, mais nombreuses sont les fois où on lui a raconté. Des parents heureux, une jeune femme en souffrance sous les contractions et un jeune homme, à la fois désarmée face à la douleur de sa compagne et excité à l’idée de devenir père. Il n’avait pourtant que dix-neuf courtes années derrière lui, mais il semblait déjà prêt à accueillir cette petite fille depuis des années. Le sang de son sang, la chair de sa chair, le fruit d’un amour qui avait commencé dès le collège et qui continuait encore à s’accentuer. Est-ce qu’ils allaient s’en sortir tous les trois ? Est-ce qu’un nuage quelconque allait pointer le bout de son nez ? Une tâche au tableau ? Quand Nolan coupait le cordon reliant son enfant à la mère, personne ne l’aurait deviné, personne ne s’en serait douté. Ils semblaient tous tellement heureux, le bambin y compris, particulièrement calme.

Les premières années de sa vie furent probablement les meilleures de son existence, jusque-là en tout cas. Son père était là pour elle, sa mère était de nouveau enceinte et les premières années à l’école se passaient à merveilles. A la naissance de Joelyn cinq ans après la sienne, rien ne semblait arrêter cette famille soudée jusque dans les pires épreuves. Celle qui marquait alors la vie de la jeune fille, ce fût le jour de ses six ans. Courant après le chiot de la famille dans l’espoir de pouvoir jouer avec lui et l’emmener partout avec elle comme une véritable poupée, quelques mètres en courant avaient suffit pour lui couper les ailes. Inerte, c’est comme ça que ses parents l’ont retrouvée quelques minutes après sa chute dans la pelouse du jardin, alerté par les couinements du chiot qui léchait le visage de la petite. Un faux pas ? Un mouvement de trop ? Non, une insuffisance cardiaque. Le hurlement déchirant d’une mère en détresse avait réveillé le voisinage tôt ce matin-là, occasionnant une petite foule de curieux autour de la maison. Son père, quant à lui, avait eu le meilleur des gestes malgré sa fille d’un an dans les bras : appeler les secours. Confiant Joelyn à sa mère, il avait instinctivement sauvé la vie de sa fille en lui prodiguant un massage cardiaque jusqu’à l’arrivée des pompiers qui prenait alors le relais. Nolan, un père digne de ce nom. Son père, son héros.



New York City, Big Apple, la promesse d’une vie meilleure, plus stable. Connerie ! Kacey venait à peine de se réveiller. Quelques cartons jonchaient encore sur le sol de sa chambre. Du haut de ses douze ans, elle ouvrait les yeux sur la photo de sa famille posée sur sa table de nuit fraichement installée. Est-ce que ses parents avaient dit vrai ? Est-ce qu’ils auraient une meilleure vie ? Kay bénissait Dieu d’avoir baigné dans deux langues différentes depuis son enfance : le français et l’anglais. Petite Française aux origines anglo-saxonnes se trouvait être bien perdue dans cette grande ville. La France n’avait pas de ville comme celle-ci, même Paris semble minuscule à côté. New York, New York, elle en avait rêvé ! L’Amérique, quel Français digne de ce nom ne rêve pas d’y mettre les pieds au moins une fois ? Là, elle avait les deux dans le plat. Et peut-être qu’il aurait mieux valu qu’elle ne les ai pas du tout. Paris était comme un cocon douillet, bien connu de la famille. New York c’était l’inconnu, mais c’était surtout un nouveau travail pour son père. Malgré les mois qui séparaient cet instant de leur arrivée dans la ville, la jeune fille ne s’était pas décidée à sortir toutes ses affaires. L’espoir de repartir bientôt ? Probablement. Qui aurait pu croire que la situation s’aggraverait une fois arrivés ici ?

La photo qu’elle observait datait de Paris. Sa sœur cadette devait avoir deux ans, peut-être trois tout au plus. Ils étaient heureux à ce moment-là, rien ne pouvait les arrêter, l’avenir leur tendait les bras grands ouverts. Déglutissant difficilement, elle sortait de son lit, réveillée par les oiseaux et les premiers rayons du soleil. Sans un bruit, elle descendait les escaliers, la maison dormant encore. C’est du moins ce qu’elle croyait lorsqu’elle entendit le bruit spécifique d’une clé tournant dans une serrure. La porte d’entrée s’était ouverte pour la première fois de la journée à 6h49, laissant un homme à l’allure de souillon masculine passer son seuil. Son père. Un héros éteint qui s’enfonçait lentement dans son travail et dans d’autres addictions peu recommandables. Sans même s’en rendre compte, il se trainait jusqu’au canapé, laissant sa cravate pendre vulgairement autour de son cou, sous les yeux de sa fille qui ne pouvait que constater les dégâts. Il se tuait au travail, il mourait à petit feu sans faire quoi que ce soit contre l’échéance qui l’attendait. Comment pouvait-elle le vivre autrement que comme un échec familial ? Il ne dormait plus avec sa femme, il rentrait tard dans la nuit ou très tôt le matin. Il sentait l’alcool à plein nez, une nouvelle fois. Il prétexterait encore une soirée entre collègues pour fêter un bon placement. Regardant son père gémir contre le canapé, cherchant le sommeil, tout ce qu'elle voyait était un homme loin de sa famille, de sa femme, de ses enfants. Creuser un fossé entre lui et eux, c’est ce qu’il était en train de faire, de jour en jour. C'était le début de la fin...



Elle aurait tant aimé pouvoir lui dire, pouvoir l’aider en dehors d’un simple cachet d’aspirine pour calmer sa migraine carabinée après une cuite. Le père qu’elle avait tant aimé, celui avec qui elle partageait tant de choses s’était tout simplement envolé. Elle ne voyait plus en lui un père, elle ne voyait qu’un inconnu qui habitait – de temps à autre – la même maison que sa famille. Elle pensait que le retour à Paris serait propice à une réconciliation familiale. Après tout ils retrouvaient le cocon douillet d’autrefois, quand ils étaient heureux, alors pourquoi ne pourraient-ils pas recommencer tout début ? Simplement parce que celui qui se prétendait être le père de la famille se faisait de plus en plus absent. Le boulot ? Oui, mais pas que. Kacey n’avait pas de preuve, elle ne voulait pas savoir espérant peut-être garder un peu d’estime pour son père, mais elle le sentait. Son travail n’était pas la seule cause de son absence. Est-ce qu’elle allait fouiller plus en profondeur au risque de détruire une famille déjà bien fragile ? Ou allait-elle se complaire dans le mensonge ? Choix cornélien qu’elle se refusait de faire concernant son père. Alors elle s’était rabattue sur sa sœur, l’unique personne qui, selon elle, était digne d’avoir son attention. Sa mère déjà bien encombrée par une troisième grossesse se trouvait être de plus en plus fatiguée. Kacey faisait alors son possible pour prendre soin de sa petite sœur. C’est d’ailleurs elle, jeune fille de quinze ans, qui trouvait étrange que sa sœur bute autant sur certains mots pourtant si simples. Elle en avait informé ses parents, mais qui écoute une gamine de quinze ans ? Personne, et pourtant c’est ce que l’institutrice de Joelyn avait confirmé. Après des tests il s’est trouvé que la cadette de la famille souffrait de dyslexie. Impuissante face à cette maladie, Kay fait de son mieux pour l’aider, espérant voir des résultats un jour.

Prise d’assaut par l’échec de sa famille, Kacey s’est refermée sur elle-même, cherchant probablement à se réconforter dans un autre monde. Un autre monde qu’elle avait axé sur le sport, sur un sport : la boxe. Sport de garçon, sport violent, il se trouvait être le seul moyen pour exprimer sa colère, l’extérioriser, sans que ça n’atteigne sa famille. Se dépenser, frapper, ne pas réfléchir, frapper, choisir, frapper, aimer, frapper encore et encore… Aimait-elle ? Idylle d’une gamine de quinze ans ? Amourette pour un homme, un vrai ? Fort, intense, mais surtout interdit. Mineure, pauvre mineure mise de côté et pourtant lui se souciait d’elle, lui il l’a comprenait, il l'écoutait. En sa compagnie elle était elle-même, jeune mais pourtant si mature. Déçue, son réconfort c’était lui. Lui et sa façon de la regarder, lui et sa façon de la toucher, de l’embrasser, de lui faire sentir qu’elle existe malgré tout. Un homme, un vrai, deux fois plus vieux mais qui irait s’en plaindre ? Son père probablement. Mais lui qui n’aimait plus sa femme serait pourtant le premier à pouvoir le comprendre. On dit souvent que l’amour n’a pas d’âge, mais lorsque l’amour est une passion dévorante, dangereuse, que la loi réprime, prend-t-on vraiment le temps de se dire que cet homme n’est pas coupable ? Prend-t-on vraiment le temps de voir, d’observer la situation et de confirmer que seul le cœur parle, organe incontrôlable ? Dans ses bras elle se blesse, des blessures à panser mais qui laisse croire qu’elle est en vie. Mais pour combien de temps encore ?