on change pas les habitudes. putain, j'suis trop faible. il est revenu, il m'a dit des mots gentils, des mots sales, m'a frappée un peu, et on est en route pour le grec. comme si de rien n'était. en fait, nassim, si t'étais jamais parti, on en serait quand même là aujourd'hui.
c'est fou. les choses changent jamais.
j'crois que les gens changent jamais.
surtout pas toi.
surtout pas moi.
j'avance sur mes grands talons, la tête haute, les mains dans les poches de mon bomber à trois cent balles. c'est quand tu veux, nassim, que tu tires ma main hors de ma poche pour la prendre. quand tu veux, ou jamais même.
mais on arrive bientôt, là, alors décide-toi.
vite, avant que je change d'avis et que j'fasse demi-tour.

t'as taré, un peu. t'as bien pris ton temps. j'étais à eux doigts de me sortir une cigarette pour avoir la main occupée. ouais j'trouve quand même le moyen de râler.
je lève un peu la tête pour te regarder (même sur mes talon j'te domine pas vraiment en hauteur). t'as l'air détaché. tu l'es pas tant, pourtant. moi, ça me fait sourire, un peu. ren qu'un peu. ça me fait resserrer mes doigts autour des tiens, aussi. m'lâche pas.
- tes parents sont venus te voir en taule?
non attends, en vérité, j'veux savoir si une pute est venue te voir, une de celles qui se sont toujours permises de t'appeler bébé alors que j'devrais être la seule à t'appeler comme ça.

et si oui, j'ai vraiment envie de parler de ça, il s'passe quoi?
crie pas, comme ça. t'énerve pas comme ça. j'aime pas beaucoup ça. tu sais pourquoi?parce que ça m'fait baisser les yeux un peu. c'est toi qui m'fait baisser les yeux, t'es le seul à pouvoir faire ça et ça m'enrage un peu. la vérité c'est que j'veux pas vraiment m'prendre une droite, encore.
- non pas vraiment. excuse-moi.
j'avais essayer d'être une gentille fille maintenant. j'vais fermer ma gueule. au moins pour ce soir.

on rentre et j'me sens bien, bien mieux. avec tous leurs regards de chiens affamés sur mon cul, sur mes seins. j'reprends le pouvoir. fais gaffe nassim, un seul faux pas et j'ai dix gars prêts à me raccompagner chez moi. restes donc sur tes gardes.
- ouais, la même mais sans sauce.
quoi m'dis pas que t'as pas fait gaffe que j'ai pas pris un gramme? c'est pas grâce au saint-esprit.
je m'assieds en plein milieu du restau miteux. j'veux que tout le monde me voit, j'veux briller. j'enlève mon bomber. ouais, ouais, allez-y, bavez. c'est permis c'est même conseillé.
assieds-toi en face de moi que j'te bouffe des yeux. tu m'as manqué.

t'as vu comme tu me bouffes des yeux? ça m'fait tout chaud, j'suis presque à mouiller ma culotte. ça faisait trop longtemps qu'on m'avait pas regardée comme ça, personne n'a sur moi le regard que toi tu as.
et moi j'te le rends bien. j'te dévore du regard, j'me mords même la lèvre, mon menton un peu posé sur ma main. putain c'que t'es beau, nassim.
ta voix m'fait frissonner. j'sais pas si c'est la résonnance de ta voix grave ou le léger compliment que tu me fais.
- j'suis toujours à la fac, tu sais. j'ai eu mon année.
et j'suis plutôt fière de moi tu sais, parce que tu m'connais j'fais pas grand chose.

ouais ok d'accord. t'as qu'à te balancer en arrière, aussi. dis-le, si ça t'emmerde d'être là avec moi. t'as vu comme tu te tiens? t'es obligé de faire ça constamment? putain, j'déteste ça. tu sais pas te tenir normalement un peu. au moins faire semblant de t'intéresser à ce qu'il y a en face de toi : moi.
je me redresse, bien droite. j'regarde toujours dans la même direction mais plus loin, derrière toi. y a des gens qui m'prêtent attention derrière toi. c'est pas ton cas. tant pis.
j'croque un bout. j't'attends pas pour manger. tout en grande classe. même un grec à la main j'reste sexy, j'y peux rien. j'lèche mon pouce.
réagis nassim.
réagis, putain.
- même ceux qui sont pas intelligents peuvent réussir dans la vie.
regarde-toi nassim. non, attends, toi t'es un mauvais exemple ; t'es con, et tu t'es écrasé.

fais pas le malin comme ça putain. malin tu l'es pas. la fac tu sais même pas ce que c'est alors calme-toi un peu. en plus y a une différence entre être instruit et être intelligent. toi, mon pauvre nassim, t'es ni l'un ni l'autre.
- tous les peintres, sculpteurs, les musiciens et chanteurs aussi. ils peuvent bien être con, un artiste a pas besoin de ça pour réussir.
ça te va comme ça, nassim?
j'pose mon kebab, j'ai même plus faim. j'demande un grand verre d'eau. avec une paille.
j'allume une clope. j'm'en balek que c'est interdit, ce grec pourrait être une chicha tellement tout le monde y fume.

pourquoi tu dis ça tout près de moi? t'as honte, t'es gêné de m'proposer ça?
moi ça m'étonne même pas. j'suis qu'une pute de toute façon, pas vrai? j'suis bonne qu'à ça.
j'te souffle ma fumée à la figure.
- chacun chez soi. bonne soirée.
attends, t'as quand même pas cru que j'allais rentrer avec toi? pas après c'que tu m'as fait.
j'me lève, enfile mon bomber, prends mon sac et file quelques billets au type du grec.
le repas est au compte de figaro ce soir, c'est lui qui régale.
j'vais finir ma clope dehors.

évidemment que tu vas me faire une scène. je m'y attendais hein, je savais bien que tu m'laisserais pas partir comme ça
mais c'est beau d'essayer, non?
vas-y là, lâche mon bras. lui aussi tu veux qu'il soit marqué de bleu?
j'lève les yeux au ciel.
- déjà tu m'as pas invitée j'ai payé, ensuite, attends, t'as pas cru que juste parce que tu prends ma main dans la rue j'vais rentrer avec toi? donne-moi une seule bonne raison de le faire, nassim.
et épargne-moi les pseudo sentiments, merci.
puis j'tire sur mon bras pour essayer de le faire lâcher. en vain.

pourquoi j'suis là déjà? pourquoi j'suis avec toi depuis le début, même? on l'avait dit de faire gaffe avec toi mais j'ai pas écouté. faut voir où j'me retrouve maintenant. t'as gâché ma vie, c'est ta faute si je suis comme ça maintenant. t'es la cause de tous mes malheurs, enculé d'fils de chien. t'es un moins que rien et tu m'as tirée vers le bas avec toi.
non j'en meurs pas d'envie. c'est plus fort que ça en fait, t'imagines même pas. j'te jure. tu pourras jamais deviner à quel point j'le veux, à quel point j'en rêve de m'endormir dans tes bras.
- tu m'as rêvée mon pauvre. c'est toi qui bande rien qu'à l'idée d'rentrer avec moi.
attends, non, j'ai par fini encore de te provoquer et te repousser.
peut-être bien que j'fais ça parce qu'au fond, ça m'plait quand tu me remets à ma place (gentiment), quand c'est toi qui commande. peut-être que j'aime bien être ta soumise.
ou peut-être que c'est un essai mal lancé pour sauver ma peau de femme battue.
sans doute un peu des deux.

c'est bon j'suis foutue là. sale con. tu m'sors tes mots de dragueur tout pourri mais putain tu le sais que c'est ça qui l'fait craquer. quand tu fais le pseudo sensible comme ça. presque le fragile. ouais, ouais, j'ai déjà presque totalement craqué. avec tes mots d'amour. c'est ça les mots d'amour à la nassim. un truc maladroit, qui veut rien dire, qui ressemble pas à grand chose. un truc con qui m'donne envie de sourire comme une gamine.
et tu frottes ton nez, tout gêné. on dirait un môme. le môme ajghighe. et la gamine poupard qui peut pas s'en empêcher de sourire un peu, la conne.
- sale taulard, c'est toi le fragile, ouais.
j'passe le bout de mes doigts sur ta joue, j'sais pas pourquoi. parce que t'as l'air d'un bébé un peu. un peu mon bébé.
ollie si elle voyait ça elle me tuerait.
ce soir j'm'en balek d'ollie. j'pense juste à nassim que j'dois garder avec moi pour pas qu'il aille baiser ailleurs en plus de risquer de m'le faire payer.
ce soir, j'le veux mon taulard. et qu'il me rattrape bien son année sans baiser.

putain mais y a quoi, encore? pourquoi tu tires encore la tronche? c'est quoi ton problème?
- j'suis gavante? excuse-moi? répète ça pour voir.
sale con. j'arrive pas à te suivre. t'es jamais content, jamais satisfait. tu trouves toujours matière à râler. j'range mes mains dans mes poches, j'tire la tronche moi aussi, on est deux comme ça.
sérieusement. j'te dis non, t'es pas content. j'te dis oui, t'es pas content. dis-moi un peu c'que j'dois faire pour te satisfaire, à part écarter les jambes? j'en ai ras-le-cul de ton cinéma, nassim.
t'es insupportable.
- quand t'auras arrêté ta crise de nerf de gamin, tu m'préviens.
rappelle-moi de plus te dire oui. de plus faire d'efforts, non plus. de plus rien faire du tout.
t'façon, j'en ai marre, j'me casse.

t'es vraiment un con, nassim. tu comprends rien à rien. t'es borné, entêté, buté. t'es chiant. j'te supporte plus. tu sais quoi, en fait, j'étais bien quand t'étais pas là. j'étais tranquille, tu m'prenais pas la tête. j'faisais ma vie, on me traitait comme une princesse sans passer par la case 't'es qu'une moins que rien' comme toi tu le fais.
alors casse-toi, j't'en prie. va voir ailleurs, j'm'en tape complètement. fais ta vie.
- c'est moi qui pète des plombs? tu t'fous de ma gueule? c'est toi qui est jamais content, même quand j'te dis oui tu râles et on bouge même pas de ce putain de trottoir. mais tu sais quoi, j'm'en bats les couilles de ta vie, tu m'trouves chiante? bien. j'ai pas besoin de toi. y en a des tas qui savent m'apprécier à ma juste valeur.
pas comme toi.
j'fais demi-tour et puis j'm'en vais, la tête haute, un pied devant l'autre.
y en a des tas pour moi, bien mieux que toi. et c'est toi qui t'en mordras les doigts.