- On a pas envie. Autre chose à faire.
Il est un peu déçu pour le coup. Son corps se ramollit. Ils avaient dit qu'ils iraient. Tous les trois. Ils font toujours les choses tous les trois. Alors là, il se sent un peu comme des chaussures sans leurs lacets. Une porte sans poignée. Un œil sans pupille. Une montre sans aiguilles. Un stylo plume sans encre. Un livre sans pages. Un ciel sans oiseaux.

Bref, il se sent bien seul.

Mais tant pis.

C'est pas à Ondine et Félix de lui dire quoi faire. D'ailleurs, ils lui ont jamais ordonné de rester avec eux. Donc il ira. Comme ça, ils pourront faire leurs affaires tranquillement, sans lui pour regarder. Ça fera du bien à tout le monde.

Mais du coup, c'est qu'il sait plus pourquoi il y va.
À l'origine, il était question pour Félix de se bourrer la gueule avec l'alcool des participants. Et Ondine et Théotime de suivre le mouvement.
Et cette occasion en or pour Théotime : sortir dans la rue et faire comme les autres.

Alors le voilà. Au milieu de la foule. Faisant comme tout le monde.
Sauf que ça se voit qu'il est pas habitué à faire comme les autres. Il est encore un peu gauche dans sa manière de faire comme tout le monde. Il est là, au milieu des gens, il suit. Le mouton.

Ce serait sympa de croiser un copain. Azaïs, Dolce, Sephora, Alfonce, Bébé. Peut-être Nausicaa. Ou peut-être pas. Manquerait plus qu'il la salue d'un baiser sur les lèvres - il en est cap, l'idiot.

voilà. te voilà dans la gay pride, au milieu de tout un tas de gars comme toi, des gars qui aiment d'autres gars. tu sais pas trop pourquoi t'es là. t'as juste eu envie de voir des gens qui ... bah, sont comme toi. tu trouves cette ambiance pesante et pourtant tu t'éclates. tu chantes, tu danses, tu te frottes à des beaux mecs. tout va bien. t'as pas l'habitude de ce genre d'effusion en pleine ville. surtout dans paris. surtout en tant que gay. t'es ouvert à toute proposition aujourd'hui, open bar. ca fait trop longtemps que tu t'es pas tapé quelqu'un. t'as des fourmis, t'es en manque. c'est con. très con. le célibat ne te réussi pas. tu  pensais que ça allait être le moment de te taper tout un tas de mecs, tous les soirs. mais le frisson de la tromperie n'est plus. tu n'as plus cette crainte qu'elle te surprenne. c'était plus drôle de la tromper. donc voilà, t'es là. t'es à la gay pride et tu te déhanches en bon gay que t'es. tu lances des regards aguicheurs et tu bois. vive la gay pride.

C'est la gay pride y paraît. Moi j'suis pas du genre à m'intéresser à ce genre d’événement. J'ai tendance à croire que les gay sont plus intelligents. Ou plus compréhensifs. Parce qu'ils en ont prit plein la gueule au fil des siècles. Je me dis que ce serait sympa. De sortir dehors. De voir du monde. De passer du temps avec des gens intelligents. Je sors de chez moi en short. Avec un haut de couleur flashy. J'me fondrais dans la masse au moins. J'arrive au lieu de rassemblement. Tout un tas de personnes. Des femmes. Des hommes. Des personnes qui se déguisent. Des amoureux du genre humain. J'observe. J'apprends. Je tolère. J'admire. Ils ont l'air de bien s'éclater dans leur monde de fou. Je sors une clope. Je la cale entre mes lèvres pincées. J'allume. Je tire. Des gens viennent me demander du feu. J'allume une dizaine de clopes à la suite. Un sourire sur les lèvres. Sincère. Je les aime. Je les comprends. J'expire longuement la fumée soit-disant toxique. Je ferme les yeux. Sent l'air empli de bière, d'herbe et de sueur. Les gens dansent, crient. Font la fête pour célébrer leur côté unique. J'aime bien qu'ils soient uniques. Ils sont comme moi. Différents. Ils aiment cette différence. C'est peut-être ça que j'aime le plus chez eux. Ils sont différents.

C'est un joli bordel.
Un mélange de vrais gays, de gens qui se retrouvent là sans savoir comment, de couillons qui veulent boire, de joyeux lurons qui veulent voir la vie et vivre la vie, un instant.

Il y a ce mec par terre. Tu sais pas comment, tu sais pas pourquoi. Il y a cet autre mec, près de celui qui est par terre, à moitié policier, à moitié à poil. Il y a cette fille, qui brandit une pancarte free hugs. Il y a Alfonce mais ni l'un ni l'autre ne se reconnaissent.

Il y a Théo.
Théo, il sourit comme un bienheureux. C'est pas si mal, de se fondre dans la foule et de se contenter de suivre son mouvement. C'est pas si mal.

Et il y a Nausicaa.
Elle est pas jolie. On peut dire ça d'elle que quand on l'embrasse. Là, elle est vraiment belle. Pleinement elle.
Quand elle apparait dans ses yeux, elle fume. Elle sourit un peu, mais surtout elle fume. Normale Nausicaa. Fume, petit sourire, pas jolie.

Comment ça se passerait si c'était toujours comme avant ?
Il irait la voir timidement et ils parleraient (pas forcément des nuages - à croire qu'il y arrivera jamais) et Nausicaa rabaisserait Théo et Théo dirait à Nausicaa d'arrêter de fumer et Nausicaa continuerait de fumer et Théo se contenterait de sourire.

Comment ça se passe maintenant que c'est plus comme avant ?
Ça se passe pas.
Le Théo s'arrête en plein milieu de la route, indécis. Un peu comme dans un film : Théo, parmi la foule agitée, le regard perdu, de la musique dramatique. Et la fille blonde, qui fume.

- Salut.
Ça fait plus trop film, du coup.
Ça fait con Théo, ça fait con. (Au moins tu l'as pas embrassée.)

la Môme, elle se sent gênée. tout autre. au milieu de tout ce monde grouillant. il lui fait perdre la tête. elle frémit, s'enivre de l'air, piètrement alcoolisé. c'en est presque si elle sourit. on pourrait presque dire qu'elle est jolie, candide, avec sa mine nostalgique, contemplatrice. elle se laisse bercer par la bassesse humaine. lui dépeint quelques maigres qualités, que bébé, la jolie môme, exacerbe dans le désir de se plaire. de demeurer un peu en ces lieux, sans terminer noyée de dégoût.

le regard d'une femme sur son corps, fait rougir la prude qui sommeille en elle. ses joues s'empourprent, ses idées se bousculent. l'attrait que l'on lui porte, la laisse tantôt indifférente, tantôt, il s'agit d'un véritable drame. la vulgarité de sa tenue, n'y certainement pas pour rien. la blonde môme arbore un soutien-gorge tout de clous pointus recouverts, invitant allègrement une main s'y planter. une jupe patineuse en cuir, affreusement courte. jambes maigrelettes se balançant de droite à gauche, à la manière de cannes d'oiseaux. de grands échassiers. un perfecto sans manche, recouvert de clous, lui-aussi. elle a des sandales à talon, à lanière, du style sm comme qui dirait. une spécialiste vous dirait à la mode versace. sans doute les a-t-elle dérobée. elle a tenté d'être comme les tapettes - sans offense - qui chantent, sous savez, les lettres avec les bras. ymca, quelque chose du style, elle suppose. elle les aime plutôt bien. malgré la ringardise. au moins, c'est désuet.

elle remarque une type affublé à la manière d'un policier. de manière sexy. presque nu. elle sent quelques fantasmes naitre, qu'elle refoule, comme une envie qu'on remet à plus tard. puis, elle aime personne, faut pas oublier, qu'en plus, les hommes ça sert à rien. peut être, elle aime les filles, elle en sait rien. y a aussi une jolie fille. encore plus attirante. elle est hilare à l'idée de la déshabiller du regard. elle le fait, c'est marrant. elle se laisserait bien prendre au jeu, de l’ambiguïté juste quelques heures. elle relègue son côté misanthrope, sa haine viscéral, à un autre jour.

Tiens. Le poulpe est là. Quand j'parle de poulpe, c'est généralement Time. C'est surtout parce qu'il a tendance à être totalement inerte et à observer. Ca me dérange pas tellement qu'il soit inactif. Vu que quand il fait des choses, c'est la plupart du temps des conneries. La dernière en date à été de m'embrasser. Chose inutile. Qui a réveillé mes pires démons. Ceux dont j'ai le plus peur. J'voulais pas être une fille normale. J'voulais être la merde que je suis. Jusqu'à crever. Comme j'suis destinée. J'observe donc l'amorphe se mettre en mouvement vers moi. Un sourire vaguement dessiné sur mes lèvres alors que j'apporte la clope jusqu'à celles-ci. Je tire. Il dit « Salut ». Depuis qu'il m'a embrassé il est encore pire qu'avant. Je hausse les épaules. Le regarde dans les yeux. Expire. « Salut ». Ouais, j'fais pas dans l'originalité mais j'en ai rien à foutre. Les gens s'éclatent ici. Ils profitent. Moi j'observe. Je décide de revenir à Théotime. Le pauvre. Il va finir par réellement me haïr. « Je savais pas que tu t'amenais dans ce genre d’événement. T'embrasses pas que les filles comme moi ? » . Ouais, on avait pas encore eu le temps d'en parler. Alors moi. Je lui en mettait plein la gueule. Jusqu'à ce qu'il daigne expliquer son geste. J'lai même pas compris. Il s'est barré comme un connard. Je soupire. Tire. Expire. « Tu veux bien m'expliquer pourquoi tu m'as embrassée et pourquoi t'es parti comme ça ? ». Haussement de sourcil. Il était temps d'avoir une explication. Au moins, j'voyais pas sa rousse dans le coin.

En tout cas soc’ qui se respecte, je me suis barré du boulot, normal. Je me sentais pas de devoir une justification à qui que ce soit, et encore moins à mon patron con comme un manche à balais. Si je n’avais pas tant besoin d’oseille, je lui aurais foutu ses putains de tour Effel miniature dans le cul. A la place, je me suis contenté de lui foutre mon poing dans sa gueule. Ok, j’étais toujours dans la merde parce qu’en plus d’être dans la rue, je venais de me faire virer, mais il faisait beau et chaud. La vie est belle.

J’allais rejoindre mon « chez moi » – comprendre un tas d’affaires entreposé dans un coin de rue – quand j’ai entendu de la musique suffisamment proche pour m’interpeller, mais pas assez pour me renseigner sur ce qu’il se passait. Curieux, je montai sur mon skate pour voir ça d’un peu plus près. Et là, je suis tombé nez à nez avec une marée humaine. Des drapeaux arc-en-ciel, de la musique à fond, des gens « déguisés » - tout le monde était limite à poil en fait – de l’alcool. Le rêve. Faut croire que ma journée n’allait pas être si merdique que ça en fin de compte.
Bref, il ne m’en fallait pas beaucoup plus pour que je me rue dans la foule. Je chantais, dansais, matais les nanas que je me ferai un plaisir de sauter d’ici peu.

Gay pride à Paris. A côté de ce cortège, la fête de la musique passait pour une soirée d'adolescents dans un garage. Et bien sûr, dès qu'il y avait une fête, je me devais d'être de la partie. C'est pourquoi j'avais répondu à l'annonce d'un type un peu étrange, avec des dents du bonheur, qui proposait de faire un groupe de Village People. J'étais arrivée alors qu'il ne restait plus qu'un costume disponible, celui du cow boy. Mais en cherchant les revolvers en plastique, j'étais aussi tombée sur un costume de banane, tellement hilarant que j'hésitais à le porter. Après plusieurs jours de tergiversation, j'avais fini par décider de mixer les deux. Je me retrouvais donc avec un magnifique jaune poussin, coiffée d'un chapeau digne de Calamity Jane, des bottes aux pieds et une jupe équipée des fameux revolvers en plastique. Sur le char des YMCA avec Leho, Bébé, Théo, Lilith et Aloïs, j'avais l'air un peu idiote, mais tant pis. Je sautillais sur place comme une puce surexcitée. Le char tremble tellement que Leho est obligé de s'approcher de moi pour me saisir le bras et m'obliger à me calmer. Tu veux pas nous chanter quelque chose, Jo' ? Fais honneur à ton costume... Il me tend le micro relié aux enceintes avec un clin d'oeil. Et je ne peux pas résister. J'ai l'impression d'être abonnée aux chants improvisés Je vérifie la bonne marche du micro et entonne une chanson qui se prête plus que bien à ma tenue. I'M A BANANA ! I'M A BANANA ! I'M A BANANA ! J'entends avec plaisir les gens tout autour reprendre en choeur la chanson. Je me mets alors à agiter les bras comme une folle pour les encourager tous à chanter plus fort. Ah, j'adore les fêtes publics comme celle là !

Je tourne la tête à droite. Puis à gauche. De nouveau à droite. Je me retourne, aussi. Pour être sûr. Mes bras se referment nerveusement autour de l'animal tandis que j'accélère le pas. La peinture à peine sèche coule sur mon torse lui aussi peint aux couleurs de l'arc-en-ciel. Ouais, j'ai pensé bon qu'en recouvrant Fauve et moi même de peinture multicolore, les flics ne soupçonneraient pas de ce que je détiens entre mes bras. C'est tellement discret. Un animal de plus de un mètre avec des crocs plus grands que mes doigts. La foule se referme autour de nous. La musique résonne et panique légèrement l'animal, pourtant, impétueux, je continue d'esquiver les gens. Ok, je manque de me casser la gueule deux ou trois fois jusqu'à ce que le visage de la fille aux belles cuisses apparaissent dans mon chant de vision. « Enlève ton déguisement, cette fois j'ai pris Fauve sur place. J'crois qu'elle en a marre de la bouffe de supermarché. Y a trop d'OGM, les animaux, ils sentent ce genre de choses t'sais. » vêtu d'un simple short je me recule finalement en laissant l'animal au sol. « Garde la j'vais voir si je trouve quelqu'un de mieux que toi. Il m'semble que t'as mis un peu de graisse depuis la dernière fois. J'veux pas d'un alligator obèse. » Je sais pas si la blonde m'écoute. Certainement pas, elle a l'air à fond dans son trip mais c'est pas grave. Je me baisse et pose un baiser sur le crâne de l'animal avant de me relever pour partir à la recherche des cuisses parfaites.

Ça faisait même pas cinq petites minutes que je m’étais fondu dans la masse que j’étais déjà au taquet. C’était la fête, j’étais heureux. Je l’étais tellement que je n’ai même pris pas la peine de m’énerver contre le mec derrière moi, déguisé en marin, qui n’arrêtait pas de me malaxer le cul comme je sais pas quoi. C’est qu’il me faisait presque bander le con. Puis franchement, je serais stupide de gâcher la fête. Il y avait de très jolies minettes, très peu vêtues qui me faisaient de l’œil depuis quelques minutes déjà. Je me décollai alors du mec trop entreprenant –   je me suis quand même amusé à lui jeter un regard lubrique en partant – pour rejoindre le troupeau de dindes qui m’attendaient de pied ferme. Seulement, j’ai vite regretté mon choix. Plus je m’avançai, plus je constatai avec déception qu’il n’y en avait pas une pour rattraper l’autre niveau gueule. Il n’y avait que des thons de compétition dans le lot. C’est alors que, sans pitié aucune, je changeai brusquement de direction.

Je continuais à danser, tranquillement, mais mon estomac m’a très vite rappelé à l’ordre. Ca faisait un petit moment que je n’avais pas mangé et j’avais les crocs. Je pouvais bouffer un ours là. Par chance, y avait une nana devant moi avec un grand sac. Qui dit grand sac dit femme prévoyante donc, avec un peu de chance, la bonasse devant moi avait amené de quoi bouffer. En plus, cette idiote avait un sac à dos... Le voler allait être un vrai jeu d'enfant. Je sortis mon canif de ma poche et, sans même avoir besoin de distraire ma victime – merci l’effet de foule – je coupai les lanières du sac. Je me suis vite tirée loin de la bonasse, manière de pas me faire choper et j’ai commencé à fouiller mon butin. Y avait de tout, mais surtout du n’importe quoi – genre une peluche dégueulasse, à croire que la nana n'avait pas décollé de l'enfance – sauf de la bouffe. J’étais dégouté. Du coup, j’ai balancé le sac.

Ah la gay pride, le seul moment de l'année ou tu peux rouler des pelles à des inconnus dans la rue sans qu'on te reproche quoi que ce soit. La belle vie quoi. Et moi, j'avais pas trouvé meilleure idée que de me déguiser en poulet, et à me peindre un arc en ciel sur le visage. Je réussis rapidement à monter sur un char, où il y a une fille qui chante I'm a banana, coïncidence surnaturelle, dans le clip débile de cette chanson, y avait un poulet. Je me rapproche et attrape le micro des mains de la fille et me met à me dandiner devant les village people. « I'M A CHICK CHICK CHICKEN ! » Je chauffe la foule un peu plus, puis rends son micro à la fille, tout sourire. Je redescends du char aussi vite que j'y suis monté, et au bout de quelques minutes à me promener dans la foule en donnant des high five aux gens qui m'avait vu sur scène, je tombe né à né avec... un reptile. Je le reconnais, ouais, de cette taille et aussi peinturluré, y en a qu'un qui peut être assez fou pour emmener son alligator au beau milieu de la gay pride. Je maudis Slim silencieusement tandis que la bête se montre très menaçante envers moi. « Gentille Fauve, gentille, c'est moi, Vadim... » Comme si elle allait me reconnaître et se jeter dans mes bras. Tout ce qu'elle voit, c'est un poulet géant et très appétissant. Il ne me reste plus qu'une chose à faire, courir. Au bout de quelques mètres, une fille se place au milieu de mon chemin et me propose des graines. Je sais pas si elle se moque ou quoi, j'ai pas vraiment le temps de décider. Seulement elle me tient la jambe. « Tu crois que j'ai vraiment le temps pour... OH PUTAIN » Je sens soudainement un léger courrant d'air effleurer mes  fesses. Je me retourne et vois Fauve avec un morceau de mon costume, et de mon caleçon fétiche, un vieux truc dont l’élastique ne tient plus, et couvert de dessins de chats plus ridicules les un que les autres, entre les dents. « Nooooooon, mon caleçon porte bonheur! » je m'écrie, les larmes aux yeux. Mais je reprends ma course, les fesses à l'air, essayant de sauver ma peau comme je le peux.

Et même dans cette foule, je suis incapable de trouver une personne potentiellement dévorable par Fauve. Trop gros, trop maigre, trop poilu, trop roux. Ouais, les roux, ça cause des indigestions, à ce qu'il paraît. Légèrement paumé, mes yeux balayent les alentours sans réelles convictions. J'ferais peut-être mieux de retourner en arrière et surveiller l'alligator. On peut pas vraiment dire que Joséphine soit quelqu'un de confiance. Surtout vu son état. Le jaune lui va pas du tout, en plus. J'prendrais le temps de lui dire, un jour. Égaré au milieu du monde, une voix caresse mes tympans. Je tourne légèrement la tête, sans plus. Nan, parce que dans tout ce bordel, le truc multicolore peut-être n'importe quoi. Alors, j'y prête pas vraiment attention. Du moins, jusqu'à ce qu'un type se plante devant moi, l'air de rien. Sur le coup, je recule d'un pas, d'abord surpris. Merde un flic. Ça y est, j'vais finir en taule pour possession illégale d'alligator. Au passage, ils trouveront ma plantation d'herbe dans mon placard à balais. Puis aussi toute ma farine. Ah putain, j'me vois derrière les barreaux déjà, j'ai envie de me mettre à genoux et le supplier de me laisser ma liberté. J'ai envie d'un tas de choses mais je le fais pas. Non je bouge pas. Parce qu'il doit avoir un taser pas loin, de toute façon. Je relève un sourcil à ses paroles, d'abord perplexes. Si c'est un piège pour m'amadouer, ça prend pas. Fin juste un tout petit peu, j'en sais rien. Le flic demande à me toucher. Merde. « euh … ouais allez-y. Mais j'ai rien sur moi. » Et le voilà qui pose ses mains sur mon torse. Mes yeux fixent ses doigts, pour mieux suivre ses mouvements. C'est quand même vachement sensuel pour une fouille au corps. Peut-être une nouvelle méthode. Sa main effleure mes tatouages. Il me parle d'un gars, j'le connais même pas, ni lui d'ailleurs. « Vous en avez pas, vous, des tatouages ? » ses genoux touchent le sol. Si mes souvenirs sont bons, c'est bien la première fois qu'un flic se retrouve dans une telle position pour chercher de la drogue. Mes yeux se plantent dans les siens, une nouvelle fois. Et s'il procède à une analyse d'urine ici ? Non, j'sais pas pisser en public, moi. « Non ça va, vous faîtes votre boulot. » ouais, la règle numéro un est bien sûr celle de respecter les autorités. J'ai l'air d'un gamin prêt à donner toute sa vie pour ne pas finir derrière les barreaux.

Veste et short à motifs camouflages. T'es une bien belle militaire, avec ta veste ouverte sur toute la longueur, laissant même de l'air à ton nombril. Une ceinture en cuire enserre le tout et à tes pieds, des Doc Martens, parce qu'autant faire les choses à fond. Tu as réussi à récupérer un sac à dos "us army" dans un surplus américain et faut dire que t'es plutôt fière de tout ton attirail. Avec toi, Leho le gendarme est plus que beau... Et torse nu. Alors oui, il t'excite. Parce que c'est autant le déguisement que le bonhomme, qui sont excitants. Et puis en bon gendarme qu'il est, pour rétablir l'ordre au sein de la population, Leho tend la main à un mec assit par terre. Non parce qu'on ne gêne pas comme ça la circulation sous peine d'amande... Il l'embarque du coup, et t'as comme l'impression d'être juste une prisonnière de guerre. Il vous emmène où, comme ça ? T'en sais rien, mais tu vois Leho se retourner vers vous, vous lâcher et vous abandonner là, en disant qu'il va revenir, bientôt. Tu le vois s'éloigner, tu restes près de l'autre prisonnier, sans un mot. Tu le vois qui commence à discuter avec un mec, qui a des tatouages et paf, il se met à genou. Ton pote de future cellule te souffle : « Il.. il ne va pas... ? », ce a quoi tu réponds directement : « Pas en public.. » T'espère, quand même. C'est la gay pride, vous avez le droit de vous rouler des pelles, mais pas de faire des fellations en pleine rue, faut pas abuser non plus. Et puis, tu passes ta main sur ton épaule, sur laquelle il n'y a plus de sac. T'as senti les hanses glisser et dans un geste machinal, tu as voulu les retenir. Tu te retournes brusquement, apperçois un mec qui s'éloigne et qui semble occupé à fouiller dans un sac semblable au tien. « EH ! » tu cours, saute sur le dos du mec qui vient de balancer ton sac. « Tu touches pas à Nounou ! » dis-tu en passant ton bras autour de son cou, exerçant une pression importante contre celle-ci. Et quand t'estime que ça ne sert à rien, tu descends et cours pour chercher ton sac. « NOUNOU, NOUNOU ! » et t'as beau chercher de tous les côtés, ton sac a bel et bien disparu. Et là, le mec va te le payer. Avec tout ça, t'as à moitié les seins à l'air, mais t'en as rien à foutre. « Tu vas mourir. » dis-tu, en retournant vers le mec. Ton poing vient se loger dans le ventre du type, ça sert pas à grand chose, ça a pas grand effet mais tu t'en fous. Tu passes à sa joue, sur laquelle tu assènes une claque. « Eh ! Regardez, c'est Frigide Barjot ! » entends-tu derrière toi, mais t'es trop occupé à essayer de frapper ce mec, les larmes aux yeux, prêtes à couler. « T'AS RIEN DE MIEUX A FAIRE ? QUE DE TRAUMATISER DES PAUVRES PIRANHA ? QUEL CONNARD ! » Les larmes roulent et rapidement, on te sépare du mec. Et finalement, tu vois des gens qui te regardent fixement et d'un oeil mauvais. « Qu'est-ce qu'elle fout là ? » « Putain, mais c'est Frigide Barjot ! Elle a fait de la chirurgie ? » Et tu te retrouves à courir, parce qu'il faut retrouver Nounou et parce qu'il faut échapper à tous ces gays qui ne peuvent pas supporter Frigide Barjot. T'es pas cette folle, mais il pour le leur prouver, bonjour. Les larmes coulent toujours sur tes joues, rendant ta course horriblement difficile au niveau de la respiration et te rendant terriblement aveugle, incapable de retrouver Nounou.

Dégouté de n’avoir pas trouvé ce que je cherchai, j’étais sur le point de passer à autre chose – de voler un autre sac. Ouais, je suis une saloperie mais j’avais faim. C’était plus important que tout le reste. Seulement j’ai pas tellement eu le temps de me tourner que je sentis un poids sur mon dos. Je crois que je venais de me faire gauler. La fille braillait, me tapait. D’ailleurs, son poing dans mon ventre m’a surpris et sa main dans ma gueule m’a un peu assommé. Elle avait de la chance que je sois de bonne humeur, sinon je lui aurais fait bouffer le bitume sans aucun scrupule. Mais bon, on nous a vite séparés et elle s’est très rapidement barrée. Joie.

Je pensais pouvoir reprendre la fête là où je l’avais laissé, mais c’était trop beau pour être possible ça. Il y a eu un énorme mouvement de foule, des cris. Je n’ai pas trop compris ce qui se passait, d’autant plus qu’un énorme poulet cul nu m’a violemment poussé au sol. C’était quoi son putain de problème à ce mec ? Je ne me suis pas gêné pour insulter ce connard mais j’ai senti un truc froid et rugueux me frôler, ce qui a complètement coupé mes ardeurs. Pourquoi avais-je la sensation que le pire était derrière moi ?

Je tournai la tête et je me retrouvai nez à nez avec un alligator qui a trainé trop près des pots de peinture. Qu’est-ce qu’un alligator foutait en plein Paname ? Bref, deux choix s’offraient à moi : soit je restai là comme un con au risque de me faire bouffer, soit je me la jouais superhéros. J’étais plus tenté par la deuxième possibilité.

« Que tout le monde reste calme, je m’en occupe ! Lançai-je à la foule. »

Je commençai alors à m’amuser avec la bête super effrayée – et vu l’ambiance, ça pouvait se comprendre – pour la fatiguer et je lui sautai sur le dos au moment opportun, lui maintenant la gueule fermée.

« Hey toi là ! Plutôt que de rester planté comme un con, trouve moi un truc pour lui maintenir la gueule. Rapidement de préférence. »

Il a dit bêtement salut. Elle répond ironiquement salut. Voilà voilà. Ça va faire avancer le schmilblick tout ça.

Nausicaa fume et Théotime observe. Pas si mal au final. Les choses sont comme elles devraient être. Il a eu peur. Après sa fuite de l'appartement. Peut que quand ils se retrouveraient, elle lui sauterait dessus comme une amoureuse, joindrait leurs bouches, le toucherait partout. Il avait peur de ça et il voulait pas de ça. Il voulait Ondine, il veut Ondine, il voudra Ondine.

Mais à quoi tu penses Théo ? Tu te prends pour qui ?

- Je savais pas que tu t'amenais dans ce genre d’événement. T'embrasses pas que les filles comme moi ?

Il hausse les épaules avec un mince sourire.
Malgré l'allusion à un baiser, il sent pas un ton d'accusation, ni de colère, et encore moins de déception.

Et puis.

- Tu veux bien m'expliquer pourquoi tu m'as embrassée et pourquoi t'es parti comme ça ?

Soupir.
Rebelote !

Il croyait avoir expliqué. Ses mots exacts : je voulais juste te donner un peu de mon bonheur - mon bonheur, parce que moi qu'ai rien, on dirait des fois que je suis plus heureux que toi.

Mais le départ. Il a pas expliqué le départ. Et sans l'explication du départ, le baiser n'a plus aucun sens.

Il ouvre la bouche, la parole coupée par des cris. Le souffle par le passage d'un alligator.
Instinctivement, il saisit Nausicaa, il la serre contre lui - instincts protecteurs de super héros.

Le danger est vite maîtrisé, Nausicaa rapidement relâchée. Et Théotime, plus gêné que jamais :
- Putain j'suis désolé. Je fais que de la merde avec toi. Je fais le con.

Eh bien eh bien.

Je comprend rien. Ce mec est comme une bête curieuse pour moi. Impossible de comprendre pourquoi il est comme ça. Impossible de savoir s'il compte rester comme ça toute sa vie. Il me fait peur. Il sait changer la donne. Il sait tirer sur la corde sensible. Il m'attire vers lui. Je suis perdue. Je respire son odeur. Je soupire. Ma clope m'échappe des mains. Tombe au sol. Quelqu'un l'écrase déjà en passant. J'me retourne autant que je peux. Bloquée par les bras de Time. J'le connais ce crétin qui fait du rodéo avec un alligator. « OH PUTAIN C'EST QUOI CE TRUC ?! ». J'suis réellement sur le cul là. Time me relâche et je regarde le truc. J'comprend rien. J'me demande comment ce connard de Sid fait pour faire joujou avec un alligator. J'me le taperai bien ce soir. Si il pouvait ôter son attention du tueur sanguinaire j'lui aurai dit. Tant pis. J'lui enverrai un message pour lui proposer. Mon attention revient vers Time. J'ai entendu que dalle à ce qu'il vient de dire avec le brouhaha général. « T'as dit quoi ?! ». J'me met à hurler histoire qu'il m'entende déjà un peu mieux. Je souris péniblement. C'est un peu la honte d'être avec quelqu'un mais de même pas l'entendre. J'le regarde. Quelqu'un de terrifié passe derrière moi. Me cogne la tête. J'tombe contre Time. Grogne. J'retiens toute mes forces pour pas lui en foutre une. J'ai envie de l'assassiner. Oh ouais. J'me retourne. Le regarde. « Putain apprends à marcher connard ! ». Je soupire. J'décide de revenir à Time. Le pauvre. Il prend cher avec moi. Il souffre toujours avec moi. J'suis pas quelqu'un qu'on aime. De toute façon il m'aime pas. Il aime Ondine. Il aime cette saloperie d'Ondine... Je haie Ondine. J'ai envie de l'assassiner. Littéralement. Lui casser la gueule. A coup de pelles... « De toute façon tu t'en fous de moi... T'as Ondine. Y'a que Ondine. T'aurais du embrasser Ondine. Ca t'aurait apporté moins de problème... On s'en fout que je ressente quelque chose. ». Je prends mon courage à deux mains, commence à m'écarter. Me dirige dans la foule. J'veux pas ressentir quelque chose. Je veux danser. Je me fond dans la masse. Commence à me déhancher. Soupire. Passe une main dans mes cheveux.

La gay pride. Ton père adoptif te tuerait s'il te voyait là. Genre vraiment. Les hommes ne peuvent pas aimer les hommes, et les femmes ne peuvent pas aimer les femmes, qu'il disait. Pourtant t'étais certain de l'avoir choppé en train de mater un mec, une fois. M'enfin, bref, ça n'a pas d'importance. Tu te retrouves à Montparnasse, où tout à lieu. T'as rien à faire aujourd'hui. T'aurais bien foutu la merde avec Leho, mais ce petit con préfère crier haut et fort qu'il préfère les hommes. Du coup, t'as décidé d'aller le retrouver, parce qu'il faut dire que tu te fais chier. Tu ne lui as pas demandé si Lilith irait avec lui, mais t’espérais vraiment qu'elle ne serait pas là. Ca devait maintenant faire six mois que vous n'étiez plus ensemble, mais pourtant tu pensais toujours autant à elle. Malgré qu'il y ait eu d'autres femmes, hm. En parlant du loup, quelqu'un se heurte contre toi pendant que tu marches. et ce quelqu'un, c'est Lilith. Ton coeur rate un battement. Tu ne sais pas vraiment si t'es content ou non de la voire. Tout ce que tu sais, c'est que tu fronces les sourcils. Certes, elle pleure. (après trois ans de relation, tu savais bien que mademoiselle pleurait pour tout et n'importe quoi. Même si ça te faisait toujours autant mal de la voir dans cet état.) Mais ce n'est pas pour ça que tes sourcils se froncent. Sa tenue. Ses seins à l'air. Même les prostituées ne se promenaient pas avec seulement 10cm² de tissus sur eux. Et tu en savais quelque chose. Non mais, comment est-ce qu'elle pouvait rester crédible, après ça ? Elle te disait dans son message qu'elle voulait que tu reviennes, et quand tu la vois, elle fait tout pour aguicher les mecs en s’exhibant pour pécho tu ne sais qui. Tout ce qu'elle t'avait dit dans ce message était des mensonges, et tu en avais la preuve en face de toi. La femme que tu aimais était une pleurnicheuse et une menteuse. « Tu devrais carrément enlever le haut, ça serait plus pratique. » que tu lances froidement. Qu'elle se mette toute nue, voilà. C'était le but recherché de toute manière, non ? Même si tu appréciais la vu, tu n'appréciais pas du tout, du tout, que d'autres personnes en bénéficient.

Tu cours, tu cours, tu tentes d'y voir quelque chose, de trouver Nounou... De trouver ton sac. Mais rien, rien de rien. Tu comprends pas où ton sac a bien pu atterrir, tu te dis que c'est perdu, fini... Fini de Nounou, qui est resté dedans et que tu ne retrouveras jamais. Jamais. Un mot qui résonne dans ta boite crânienne. T'as mal au coeur, t'as mal de crâne, t'as mal à la gorge, ça brûle, ça pique. Et bam, un obstacle arrête ta course. Tu lèves les yeux et tu vois le visage de Doggy, ses cheveux roux, ses yeux, sa bouche... Il te manque, énormément et tu t'en rends encore plus compte maintenant qu'il est devant toi. C'est la première fois que tu le vois depuis le message vocal auquel il n'a jamais répondu. Ton cœur bat la chamade à sa vue, une boule se forme dans ton ventre, les larmes coulent encore et pour une raison de plus. Tes mains prennent les bords de ta veste et tu tentes de remettre tout ça de façon à ce que ta poitrine soit cachée. Mais Doggy a bien vu que tu avais les seins à l'air, sans que ce soit prémédité, d'ailleurs... Et il ne peut s'empêcher de balancer un « Tu devrais carrément enlever le haut, ça serait plus pratique. » qui te fend le cœur. Tu fais ce que tu peux pour remettre ta veste dans ton short et en profite pour boutonner un bouton. « C'était pas voulu... » dis-tu, parce que c'est vrai, t'y peux rien si ton haut s'est fait la malle. « Les gens me prennent pour Frigide Barjot, j'ai perdu Nounou... j'sais pas où est Leho... » dis-tu, comme pour te justifier. « Et puis, t'es là... T'arrive toujours au moment où il faut pas. » dis-tu finalement en baissant la tête. Les larmes continuent de couler sur tes joues et tu ajoutes finalement dans un sanglot : « J'veux retrouver Nounou... » c'est définitivement la seule chose qui pourrait te calmer, cette perte est horrible, totalement horrible.