Dire que la vie est une pute serait un peu stupide. J’ai toujours eu tendance à dire que la vie préférait s’acharner sur certaines personnes plutôt que sur d’autres. Ça ne veut pas dire que je suis plus intelligent qu’un adolescent enragé ou que je prends ça avec légèreté. Disons que dans le monceau de défauts composant mon être, il y a avait parfois des étincelles de lucidité. Certes, c’était aussi rare qu’une éclipse lunaire, mais c’était en moi. Ca puis la fureur qui me prenait suffisamment aux tripes pour avoir envie de tuer la première personne qui me tombait sous la main et la folie qui squattait mon esprit, mon cerveau. Comment ça t’as des courses à faire ? Attends, je ne suis pas un méchant... Je ne suis pas un gentil garçon non plus cela dit. Je représente à moi seul ce que l’Homme a de plus mauvais en lui.
Qu’est-ce que t’attends pour me couper la tête ?
Plus jamais ça
Toute mon adolescence, j’ai pensé que rien n’était prédéfini sur cette planète. Que ma vie pouvait être autre chose qu’une course folle qui finirait très mal. J’osais espérer que ma vie ne serait pas une galère sans fin, une putain d’impasse. Ouais, j’étais assez naïf à l’époque pour penser qu’on pouvait échapper à cette vie qui se dessinait beaucoup trop facilement dans l’horizon. J’ai cru que je pourrais être mieux que mes parents. Les parents… Ils sont censés être la lumière qui éclaire les sentiers trop sombres. Ils sont censés nous tenir la main pour nous permettre de trouver la sortie du labyrinthe. Ils sont censés te propulser au sommet de ta vie. Les miens m’ont complètement noyé. Ils se sont appliqués à bien maintenir ma tête dans l’eau, manière d’être sûrs que je finisse par sombrer.
Je suis un vrai New Yorkais mais attention, je ne parle pas des petits minets de l’Upper East Side qui ont pollués vos esprits d’ignorants. New York n’est pas seulement faite de dorures. Il y a de la merde aussi. Des pauvres. Des SDF. Bref, la misère quoi. J’ai toujours fait partie de ce clan-là. Tout petit, mes parents et moi vivions dans un appartement minable, en colocation avec des cafards. Les murs étaient imbibés d’eau et tapissés de moisissures. Ils étaient si fins qu’il m’arrivait parfois de tenir une conversation avec ma jolie voisine. A la limite, l’absence de confort matériel ne m’aurait pas tant dérangé si au moins j’avais eu droit à de l’amour de mes géniteurs. Au lieu de ça, ma mère n’arrêtait pas de me hurler dessus parce que je passais mon temps à la fatiguer – désolé d’avoir voulu te prendre dans mes bras – et mon père passait son temps à boire et à nous foutre sur la gueule une fois le pas de la porte passé. J’ai passé mes dix-neuf premières années de vie à avoir peur de rentrer chez moi. Quoi que je dise ou que je ne dise pas, quoi que je fasse ou que je ne fasse pas, ça n’allait pas. Alors je mangeais des coups. J’accumulais les blessures physiques et psychiques. J’accumulais une rage folle. Je voulais me casser d’ici seulement j’en avais pas les moyens. Et au final, je n’en aurais jamais mais ça je m’en rendrais compte bien plus tard.
Ma vie était un réel enfer. Les vieux se tapaient dessus, me tapaient dessus. Je n’étais pas mauvais à l’école mais j’étais ce qu’on appelle un « enfant à problèmes » - sans blague. J’étais défiguré H24 et pourtant, personne n’a daigné appeler les services sociaux. On m’a abandonné à ces monstres. Comment était-il possible que je sorte saint d’esprit dans de telles conditions ? Bref. J’ai fini par tout lâcher. Je tenais encore à ma vie à cette époque. Je pensais mériter bien mieux que de me faire tabasser à longueur de temps. Je ne voulais plus être cet abruti qui se laissait faire. Je voulais devenir un homme, un vrai, capable de se défendre et de subvenir à ses propres besoins. Le souci c’est qu’il y a toujours ce putain d’écart entre ta réalité et
la réalité. Je pensais pouvoir squatter chez une de mes tantes le temps que de passer mon diplôme. Je me suis retrouvé comme un con quand elle m’a gentiment claqué la porte au nez. J’ai chialé. Comme une fillette. Comme un chien abandonné, j’étais démuni de tous repères. Je ne croyais plus en la famille, en ma vie. J’allai croupir comme une merde. Seul et malheureux. Seulement si j’arrivais à passer la nuit parce que j’étais à la rue sans un rond. J’étais fini.
Il suffit parfois d’un petit rien.
J’ai erré dans la ville telle l’âme en peine que j’étais. Je n’étais qu’un putain de gamin lâché dans la fosse aux lions. J’étais seul et désespéré, plongé dans mes pensées. J’étais à des années lumières de tout. De moi. Les lumières de la ville n’arrivaient pas à atteindre mon fort intérieur. Tout était noir. Je me voyais déjà SDF, alcoolique à combattre le froid sous un amas de cartons et d’ordures. Le pire dans tout ça, c’est que j’ai réellement fini comme ça. Mais bon là aussi, je m’en rendrais compte bien trop tard.
Le problème des grandes villes, c’est que les gens vous passent à côté sans même vous adresser un regard. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que ça implique. Tu peux crever à la vue de tous sans qu’on ne fasse rien pour toi. Si, au meilleur des cas on daignera enjamber ta carcasse plutôt que de la piétiner. Sauf que là, j’aurais vraiment voulu qu’une personne jette un coup d’œil sur moi, constate ma perdition imminente et me propose de boire un chocolat chaud – ouais, à l’époque j’étais plus chocolat que vin chaud. Une main tendue n’aurait pas été de trop. Me dire que j’allai m’en sortir n’aurait pas été superflu. Mais évidemment, je n’ai pas eu droit à ça. Enfin… Disons que j’ai eu droit à quelque chose de…. Différent.
J’ai fini par décrocher de mes pensées, parce que me torturer ne me menait ni à une solution miracle, ni à une réponse universelle à toutes mes questions. Cela ne faisait juste que me blesser un peu plus. Me rendre fou de rage. Contre tout et tout le monde. Contre moi aussi. Surtout contre moi. Mais j’ai croisé le regard de ce mec et, avant même de lui parler, je savais que lui et moi, ce serait quelque chose de formidable. Parce qu’il avait l’air aussi paumé que moi. Parce qu’il était aussi jeune que moi. Parce que j’avais cette horrible impression de voir mon reflet dans le miroir, la dégaine de clochard en plus. Ce mec, c’est Slimane. C’est le frère que je n’ai jamais eu. Non, en réalité, c’est tellement plus. Ce que je ressens envers lui c’est puissant, de telle sorte à m’anéantir jusqu’au plus profond de mes entrailles. Ouais, je l’aime comme un dingue ce con. Disons qu’il représente à lui seul tous mes repères. J’étais tranquille à ses côtés. J’étais bien. On a partagé tellement de trucs ensemble : des franches rigolades, des conneries en tout genre. J’avais trouvé mon alter égo. Mon acolyte pour la vie. Pour moi, notre amitié valait tout l’or du monde et j’aurais été capable de tuer pour éviter de perdre Slim.
Mais je crois que c’était ça le problème. Y avait un truc louche entre nous. Ce truc rendait notre relation puissante mais affreusement destructrice. C’était sombre. C’était dégueulasse mais c’était bon putain ! C’était ça qui rendait le tout cohérent, vivant. C’était ça qui donnait un sens à ce « nous » que nous formions avec Slim. C’est vrai qu’on se foutait très souvent sur la gueule sans raison apparente et qu’on a failli se tuer l’un et l’autre plus d’une fois. Mais ça devait se passer comme ça, sinon à quoi bon ? Les amitiés plan-plan, ce n’était absolument pas notre came. Et c’est clair qu’on ne serait pas resté aussi longtemps si on avait été normaux. On saignait et on aimait se saigner l’un l’autre. Certains trouvent ça fou ; je trouve ça beau.
Vertige de l’amour
Seulement toutes les belles histoires ont une fin. Je ne sais pas trop comment je me suis foutue dans une telle situation. Je ne comprends toujours pas, même après coup. Je sais juste qu’à la fin, je me suis pris un mur, que j’ai bouffé mes dents et que je suis resté seul, comme un con. Comme toujours.
Tout le monde connait cette fameuse citation qui dit qu’ « un seul être vous manque et tout est dépeuplé » et tout le monde s’est dit que c’était foutrement cliché. Que ce n’était pas possible et irrationnel de réagir ainsi pour une seule et unique personne. On nait seul et on crève seul, alors pourquoi se prendre la tête avec les gens ? Et pourtant, je me suis bel et bien senti très seul quand Slim et Siham sont partis. D’ailleurs, je me suis barré de New-York après ça, dans l’optique de devenir un homme et meilleur et tout ça – tu sais, le délire du mec qui veut se repentir. Je me suis barré à Miami, pensant que la mer de tristesse présente dans mon cœur s’évaporerait sous un soleil de plomb. Evidemment, ce n’était qu’une foutue utopie. Il n’y avait que l’ivresse qui pouvait me faire sentir léger l’instant de quelques heures. Mais ce n’était pas assez alors j’ai préféré vivre avec une bouteille d’alcool greffée à la main, manière d’être constamment bourré. Manière de ne plus repenser à tout ça. Mais là aussi j’ai essuyé un énième échec. Je te vois déjà te demander pourquoi j’ai touché le fond. Alors comme je suis dans un bon jour, je vais te le dire.
Tout se passait pour le mieux entre Slim et moi. A notre façon, certes. Mais tout allait bien. Enfin à mes yeux du moins. Puis y a eu cette fille. Je vais m’abstenir de la décrire dans ses moindres détails parce que j’y passerai des jours entiers sans même m’en lasser. Et puis décrire la perfection c’est juste impossible. Dès le premier coup d’œil, j’ai su que c’était avec elle que je voulais finir ma vie. Bon, c’est vrai que je n’étais pas le meilleur parti du coin mais pour elle, j’aurais tout et n’importe. J’ai fait tout et n’importe quoi. Siham… Deux syllabes d’espoir à elle toute seule. Ouais, sauf qu’elle ne m’a pas choisi. Je n’avais pas le côté sympathique et pathétique de Slim. Je n’étais pas attendrissant comme Slim. Je ne croyais pas aux supers héros comme Slim. Je n’étais pas Slim donc je ne pouvais pas être avec Siham. Je ne pouvais que les voir heureux ensemble. Sans moi. Je ne pouvais qu’être rongé par cet énième abandon et cette affreuse envie de les tuer tous les deux. Pourquoi je ne pouvais pas avoir un frère et une femme ? Pourquoi je devais me laisser assommer par leur amour dégueulasse ? Je n’avais droit qu’à ça moi. Voir les autres heureux et puis ça ne faisait rien si on me poignardait en plein. Beh non, ce n’était que Sid après tout, une petite merde parmi tant d’autres. J’avais vraiment la sensation d’avoir été manipulé.
Et là, tout s’est très vite compliqué. Slim avait fini par me tourner le dos pour Siham. Siham ne me calculait presque plus. Ils se sont mariés, j’ai été témoin de ça, et puis ils ont vécu leur vie. Et ça m’a bousillé de telle sorte à ce que j’en devienne vraiment fou. J’ai eu un énorme passage à vide après tout ça. C’était dur à encaisser. Beaucoup, beaucoup trop dur. J’étais terrassé par mes propres sentiments. J’aimais Slim plus que tout mais il m’avait volé ma femme, ma vie. Et je le voyais négliger cette Perle et j’avais rien le droit de dire. Parce que ce n’était pas mon couple et que je respectais Slim. Mais je le détestais plus que tout aussi. J’étais fou de jalousie, parce qu’il était loin de moi et parce qu’il avait éloigné tout espoir avec Siham. Et le pire, c’est qu’il a réussi à me mettre le coup grâce en se barrant du jour au lendemain sans donner de nouvelles.
A côté de ça, y avait Siham qui, bien au courant qu’elle ne me laissait pas de marbre, ne s’est pas gênée pour compenser le manque de Slim avec moi. J’ai été un lot de consolation, un choix par dépits. Elle m’avait sous la main et elle savait que je ne refuserai jamais de lui venir en aide. Alors elle m’a utilisé. Durant un an et demi. C’est long un an et demi. Suffisamment long pour me faire changer, me faire rêver et reprendre gout à la vie. J’ai tout fait pour elle : j’ai été à ses petits soins sans être trop collants parce que les femmes n’aiment pas les hommes collants, mais elles aiment être au centre des attentions, j’étais là pour satisfaire le moindre de ses désirs de femme enceinte – une nuit, j’ai dû traverser tout New-York pour lui trouver une crème glacée spéciale qui était servi que dans un établissement- j’ai été là quand pour l’aider quand elle pouvait plus travailler et j’ai été là pour l’aider à élever Sohan. Alors peut-être que j’étais été con de croire que je pouvais avoir une place dans leur vie mais c’était vraiment la sensation que j’avais. Sauf que du jour au lendemain, tout ça faisait partie du passé. J’ai été rayé de la carte sans trop de difficultés. C’est après ça que je me suis exilé au soleil.
On ne se débarrasse pas du passé d’un revers de main.
J’ai longtemps ruminé tout ça, sans arriver à passer à autre chose. J’avais beaucoup trop de regrets que je tentais de noyer dans l’alcool, la drogue et le sexe. Je suis devenu un mec dégueulasse. Entre clochard et connard. Entre folie et envie de mourir. Je navigue entre deux eaux, balançant d’un côté puis de l’autre sans même vomir, je tente de trouver un sens à mon présent tout en arrêtant de croire que demain sera meilleur. Je ne suis qu’un mort vivant à la quête de réponses introuvables.
J’ai eu un appel de Siham un jour, alors que je bossais – oui, ça m’arrive. Elle m’a dit qu’elle était en France, à Paris, qu’elle avait retrouvé Slim. Le soir même je m’étais payé un billet pour les rejoindre, eux qui étaient ma vie. Ça fait un mois que je suis dans la capitale française et je ne suis allé voir personne encore. J’ai besoin de temps. De courage. Je vis de petits boulots, je vis dans la rue. A croire qu’au final, il n’y a qu’elle qui veut bien de moi.