Bonheur apparent. Pensée noires et obscures. Danse désarticulée d'une macchabée dans sa chambre vintage sur un fond de musique illusoire. Grâce incarnée côtoyant les anges sur les planches. Douce blonde inspirant la création suprême, telle une muse. Minables cheveux d'or qu'elle voudrait mettre à brûler dans le firmament de son existence. Pandore est la glace et l'envie de filtrer avec le feu. Une implosion. Une putain de bombe à retardement. ❝ Pandore, tu es un bel oxymore. ❞ La gamine n'est qu'une vagabonde dans les rues de Paris. Elle déambule, joue à la parisienne modèle, crie, pleure, ment, virevolte au gré du vent. Puis elle succombe et lâche prise. Avant d'enfiler ses chaussons et de tournoyer dans les airs, jusqu'à ce qu'on lui dise : ❝ Tu es parfaite, poupée. ❞ Elle adule cette phrase, veut l'entendre encore, encore et encore. Jouir des mots. Jouir de sa gloire. Puis, l'euphorie éphémère de cet instant s'efface pour toujours. La fin arrive, et tue Pandore. Une perle d'eau traverse sa joue lorsqu'on lui susurre doucement à l'oreille qu'elle interprètera le rôle de Blanche neige lors du ballet. Son âme se meurt, et torture l'expression de son doux visage enfantin. Elle incarnera parfaitement toute la candeur et l'insouciance du monde, ils le savent, elle le sait, ils en parlent, elle se tait. Jolie ballerine piégée dans ce rôle. Elle qui rêvait d'enfiler sur sa maigre carcasse le corset noir aux plumes dorées de la méchante sorcière. Elle proteste, supplie, s'explique et abandonne même sa fierté dans un coin lugubre de son âme. Mais personne ne l'entends. ❝ Non, Pandore. Tais-toi. Tu n'obtiendras jamais un rôle aussi noir. Regarde-toi. Tu n'es pas faite pour cela, ma belle. ❞
Cris désespérés d'une poupée qui s’appelait Pandore.

Fais-moi rêver, Pandore.

« Petite fille sage, deviendras-tu une meurtrière ? » songeai-je furtivement en étirant délicatement mon corps longiligne et sans fin, ce corps répugnant et avide de passion. Mon tee-shirt sans taille flottait presque sur mes côtes, soulignant mon âme vide, contournant mes formes presque inexistantes. Les yeux mi-clos, je m'abandonnais à une longue réflexion sur mon existence. Embrumée dans le noir, n'entendant que la respiration saccadée de Calie. Putain, elle reste jolie même lorsqu'elle dort. Caliopee, mon alter-ego, une part obscure de moi-même s'était endormie dans mon lit, nos mains entrelacées. Elle est frêle, elle est belle, mais elle m’effraie, ma Calie. Elle se tue à petit feu, elle nous tue à petite feu. J'ai toujours tenté de la sauver, même lorsque l'alcool me l'arrachait comme une voleuse. J'ai toujours été là, lorsque certaines substances illicites s'étaient emparées d'elle. Je prends les choses en main lorsque notre père est à bout, quand il regarde sa plus jolie fille s'en aller se prostituer aux rues parisiennes sans rien dire. Mais moi, personne ne me sauve. Ma vie sociale n'est qu'une mascarade, un théâtre faussement joué. Des ballerines en soif de reconnaissance, des pianistes aveuglés par la gloire, et un chorégraphe qui me considère comme un jouet, qu'il peut travailler comme il le souhaite, je suis l'éternel pantin de ses nuits. « Pandore, ma fille, tu es tellement captivante quand tu danses. » Papa, j'aimerai te croire, j'aimerai boire tes mots et les sentir traverser chaque centimètre de mon corps. Mais tout n'est que mensonge avec toi. Absolument tout. Tu n'es jamais, ô grand jamais, venu me voir à une seule de mes représentations. Tu étais trop occupé à tenter de sauver Caliopee, celle que tout le monde aime regarder, celle qui sait user de son charme à la perfection. Mais je comprends, tu sais. Parce que moi aussi, je tuerai pour elle papa, je tuerai cent hommes pour Calie.

Notre présence mutuelle annihilait pourtant notre douleur commune et bien que profondément blessée et en théorie vouée au spleen pour l’éternité, je me surprenais à me sentir heureuse. Assise à une table isolée de ce bar parisien délabré, un café encore brûlant entre mes doigts gelés. Bonnie, ballerine terriblement torride au point qu'elle me donnerait presque envie d'être lesbienne, m'a payé ce foutu café, alors, en échange je fais mine de m'intéresser à ce qu'elle me raconte. Elle me parle de garçons. Qu'elle baise, qu'elle veut baiser, qu'elle a baisé. Je l'écoute débiter son flot de paroles incompréhensibles et érotiques sans sourciller. Je montre la plus jolie facette de mon être. Une Pandore dans la décadence, amusée, détachée. Une Pandore comme Calie. Alors qu'en réalité, je ne suis qu'un tas de poussières, assassiné et oublié par ses illusions. Bonnie parle. Elle s'arrête. Elle boit sensuellement une gorgée de sa bière. Reçoit un appel, se lève, me regarde, me chuchote sensuellement quelque chose du genre : Bouge pas poulette, c'est encore l'autre connard d'Henry. Je l'entends, au loin, avec sa voix de catin de luxe, qui fait mine d'être dans un état d'indignation profond. Je l'admire dans son short zadig et voltaire, elle possède une allure de dingue. Puis, je jette un coup d'oeil furtif à mon reflet à travers la vitre du bar. Boum. Je m'effraie, mon corps squelettique de gamine tombe littéralement en ruine. Je me revois alors sur les planches, lors du ballet, dans l'âme torturée de blanche neige, fébrile et pâle, tous les regards d'admiration braqués sur moi. Puis mon corps qui s’effondre sur la scène. Le néant. Mes yeux qui se ferment. Et que je n'aurai jamais, jamais, non plus jamais, voulu rouvrir. J'avais échoué.

Les souvenirs de cette soirée m’étouffent et m’oppressent. J'ai de la peine à respirer, j'ai chaud, mes poumons veulent s'échapper de mon corps. Je ne peux plus rester là. D'un mouvement qui ne m'appartient plus, je renverse ce café infâme sur la table, avant de courir. Courir au loin. Je flâne à toute vitesse dans ces ruelles qui me paraissent si sombres. Ma tête tourne, une vague nauséeuse s'empare de moi. Je succombe, je lâche prise, et je tombe. Je me relève, du sang s'écoule de ma lèvre, il faut que je m'arrête. Je m'écroule sur un banc, dans un parc étrangement désert. Mon portable vibre. C'est Bonnie. Elle peut aller se faire foutre. Ils peuvent tous aller se faire foutre. Tout est foutrement faux dans cette ville, même la véritable nature des sentiments. Capitale de la débauche et de la cruauté humaine. Mascarade incessante qui nous pousserai volontiers au suicide psychologique.

« Alors, Prude, qu'est-ce que tu fous ici ? Tu devrais rentrer chez toi, cet endroit est plein de grands méchants loup, tu sais. » Boum. Cette voix, ces mots, cette arrogance malsaine et purement agaçante. J'éclate littéralement en millions d'étoiles. Eliott, le parfait petit branleur, fantasme incarné de ces damoiselles. Je le hais. Je me hais. Je hais cette journée de taré qui ne veut m'achever afin de m'envoyer valser avec les courbes du diable. Prude, Prude, Prude. Ce mot que l'on m'associe étroitement et qui écorche une partie de moi à chaque fois que je l'entends. Prude. Pandore. La sainte ni touche du pays. La seule parisienne encore vierge au sein de la capitale. Une des rares qui ne boit pas jusqu'à ce que le monde tremble sous ses pieds. Un mythe. « Va te faire foutre Eliott, et arrête de m'appeler Prude, merde. » Explosion instantanée. Faussement surjouée. Mensonges innocents. Simple comme bonjour, complexe comme un départ. Je finir par crever de rage ce soir, c'est certain. Mais avant, j'irai m'engouffrer dans la cuisine, manger jusqu'à n'en plus finir, et déverser, à l'aide de mes deux doigts, le flot péstide de ma haine. Damn.