Wonderland abject, ruelles désenchantées, sourires amers. J'ai les yeux complètement explosés, le coeur en ébullition, le sang gelé dans mes veines. Je sens le béton sous mes pieds, la terre, le froid de l'hiver. Le bruit de mes pas se mêlent au siens, déchirent le silence, il n'y a que nous dans cet endroit que je ne reconnais même pas. Je m'étouffe sur une énième cigarette, crache mes putains de poumons. L'euphorie est violente, bordel, j'vais réellement crever de rire. Une colombe flâne et s'éclate. Bam. Des larmes rances, une flaque vermeille tâche le bitume. Douces hallucinations. Esprit atomisé ; ne surtout pas freiner la déchéance. J'm'en vais à mon rendez-vous avec la faucheuse, j'synthétiserais une porno song avec elle avant de me vendre au Diable. L'infini m'appartient. Bad trip cosmic. Les mots s'échappent de ma bouche sans que je ne puisse les en empêcher. No control. « Tu as la bite molle, bâtard » J'comprends pas la moitié des phrases que je dégorge, la lucidité m'a laissé en plan. Salope. « Je vais quand même gagner, sale pute. » Un rictus acide s'étire sur mes lèvres alors que j'essaie de déchiffrer le sens de ses paroles. Avec plus de coke dans les narines que de sang dans les veines, même la phrase la plus simple te semble tout droit sorti de Question pour un Champion. Il se marre, j'ai envie de lui faire ravaler son putain de sourire d'un coup de poing dans la face, mais je me ravise. Plutôt crever que de me retrouver seul dans ma misère, ouais, je l'entraînerais dans ma chute si je dois réellement toucher le fond. On flinguera les frontières du réalisme, c'est un gang-bang qui nous attend aux portes de l'enfer. Mes jambes se gondolent, je titube en avant, à peine capable de foutre un pied devant l'autre. Véritable déchet humain, rien qu'un autre cadavre à l'abandon, un corps mal ficelé prêt à se décomposer. Dead. Mon cerveau est sur le point d'imploser, mais je m'en branle copieusement. Je recouvre les kilomètres de rails que nous avons parcouru, essaie de me remémorer le cours de ma journée. J'me suis réveillé à huit heures, j'ai baisé l'inconnu à mes côtés, j'ai rejoint Morgan et le trou noir s'installe. Un véritable déchet humain ouais. La rage m'envahit, j'ai comme une envie de tout foutre en l'air, j'veux dégringoler, me fumer une dernière clope avant de baiser les astres, frôler la voûte céleste du bout des doigts, me placer juste à côté de la lune qui me nargue. Je brandis mon doigt à la gueule de l'astre avant qu'un rire déjanté ne me secoue. J'veux fister le président de la République, me faire enculer jusqu'à la prostate par Satan, abandonner mon corps et mon âme au seul homme sur cette planète qui fait battre mon coeur. Amen. Un sentiment dégueulasse me prend au tripe, me donne envie de gerber. L'amour, ou peut-être la haine, quelle différence de toutes façons ? Félicitation Joshua, t'as touché le fond cette fois-ci. Pas de retour en arrière possible, j'ai plus qu'à me flinguer. Ha, si seulement j'en avais les couilles. Même pas foutu d'en finir une bonne fois pour toute. Je m'écrase dignement au sol, l'univers s'écroule comme un vulgaire château de carte autour de moi, mes yeux se posent sur mon compagnon d'infortune. Nouvelle vague d'hilarité qui agite mon corps décharné. Il a l'air de rien, on dirait qu'il est sorti tout droit d'une pub pour le McDonald avec ses chaussures déchiquetés et sa gueule de clodo'. Nous sommes tout de même les fils de putes les plus chanceux de ce monde. Orphelins de cette société, nous n'avons rien. Liberté totale. Confrontés à la vie d'adulte bien trop tôt, on se complaît dans cette insouciance juvénile, cette innocence terrifiante. Il perd patience, m'attrape par le col et me relève avant de me secouer comme une vulgaire poupée de chiffon. « Crevard ! Tu veux qu'on repousse p't'être ? Putain d'faible Josh ! » Avec les quelques forces qu'il me reste, je lui assène un coup de genoux dans les parties. Il me lâche, se plie en deux et je le regarde comme s'il venait de poser la question la plus absurde de la galaxie. Si on se retrouve à longer ses putains de rails, c'est qu'on est dimanche et le dimanche ne se repousse pas. Qu'on ait mal, qu'on souffre, qu'on ait peur, qu'on soit sur le point de crever, on repousse pas. Il se vit, pas d'exceptions. « Va chier. » On continue d'avancer pendant dix, quinze, vingt minutes, qu'est-ce que j'en sais ? Morgan finit par m'annoncer qu'on est arrivé au lieu choisi. Habituellement, c'est moi qui le fait, mais ce soir, mon paradis ne se trouve que dans mon lit en compagnie d'un autre pauvre type rencontré au détour d'une ruelle ou dans une chiotte mal nettoyé. Il sort son portable de sa poche, le balance au sol, je fais de même. Il vérifie l'heure, nos regards se croisent. « Prêt ? » J'hoche la tête, il semble satisfait de ma réponse et commence le décompte. Dix. Neuf. Un bruit résonne dans la nuit. Huit. Mes jambes se mettent à trembler, ne portent plus mon poids. Sept. Je contracte les abdos pour ne pas gerber. Six. Cinq. Mes doigts se crispent sur sa main, histoire qu'il le fasse avec moi. Trois. Le son me crève les tympans, la lumière me brûle la rétine. Deux. Il ne bouge pas. On va crever. Un. Bordel de merde. « SAUTE ! » Je m'élance sur le côté, l'entraînant dans ma chute. Zéro. Le train passe. J'braille comme un clébart éventré, animé par une panique survoltée, ça m'prend au tripe. L'adrénaline court toujours dans mes veines, orgasme transcendant. « PUTAIN DE MERDE ! J'T'AI DIT DE SAUTER ESPÈCE DE CON ! » J'donne des coups dans l'espèce de bâtard qui se tord de rire, agité de spasmes. Ça m'rassure de voir qu'on est deux à avoir touchés le fond. Son sourire brille dans la nuit, il se retourne vers moi, imperméable à mes insultes et aux coups. « J'ai gagné. »