Cela faisait une bonne dizaine de minutes que Sylvain observait ses doigts. Ces derniers avaient malencontreusement virés au bleu, un peu comme s’ils étaient recouvert d’hématomes. Le médecin lui avait demandé de l’appeler si ça arrivait car c’était un signe d’anoxie, c’est-à-dire de mauvaise oxygénation. Mais, Sylvain décida de ne pas le faire. D’ailleurs, il préféra passer un coup de fil à Marie, qui se trouvait en internat militaire, afin de prendre de ses nouvelles. Il savait qu’elle avait une heure de pause à ce moment de la journée, alors il voulait en profiter. Il parla avec elle une bonne vingtaine de minutes, ce qui lui fit louper un autre appel. Lorsqu’il raccrocha, un sms l’avertit qu’Annabelle avait tenté de le joindre et qu’elle avait laissé un message vocal. Il appela donc son répondeur et la voix inquiète de son amie le fit frissonner. Elle avait vraiment l’air mal en point, à la limite des larmes… Si son visage n’était pas déjà envahi de milliers de larmes…Avec cette vision à l’esprit, Sylvain tenta de la rappeler, mais en vain. Son répondeur se branchait sans cesse. Voilà bien de quoi inquiéter notre jeune père hypra protecteur.

Sans hésiter davantage, il échangea son pyjama contre des vêtements de ville et enfila sa veste. Certes, il était déjà tard, mais il avait passé presque la quasi-totalité de la matinée à dormir, enroulé sous sa couette. Cardamine travaillait, il ne pouvait pas la voir, et il était en arrêt maladie, alors il se contentait de errer dans l’appartement. Il sentait bien que ses forces n’étaient plus rien. D’autant plus que cela le fatiguait de faire semblant, de cacher à ses proches sa maladie. Mettre du fond de teint, se cachant dans la salle de bains commençait à l’énerver. Il ne savait pas encore combien de temps il pourrait tenir à ce petit jeu.

Pour le moment, Sylvain n’y pensait plus, il n’avait qu’une obsession en tête : Annabelle et sa santé. Que lui arrivait-il ? Un rebondissement avec Raphaël ? Une nouvelle histoire d’amour qui coule ? Il se devait d’aller la réconforter, comme il l’avait toujours fait, en digne ami. Il se hâta comme il pouvait vers la station de métro la plus proche. En moins d’une vingtaine de minutes, il se retrouva devant l’immeuble où vivait Annabelle. Malheureusement, l’ascenseur était en panne. Autant dire qu’il fit un effort surhumain pour monter les escaliers. Là, il se cala un instant contre un mur, reprenant sa respiration comme il le pouvait, avant de ne finalement frapper à la porte de l’appartement de son amie et ex-amante.
Lorsqu’elle apparut dans l’embrasure de la porte, il lui envoya un simple sourire. « Je suis là. » fit-il doucement.

Sylvain entra dans l'appartement le sourire aux lèvres, très calmement, bien loin de se douter de la nouvelle que souhaitait lui annoncer sa meilleure amie. Toutefois, il sentait la nervosité palpable de celle-ci, tout comme il comprenait qu'elle venait de pleurer. Son teint et ses yeux étaient rougis par les larmes. Il avait la sensation qu'elle était prête à exploser directement, devant lui. Pourtant elle restait tranquille pour le moment, comme guidée par une étrange volonté. Sylvain ne doutait pas un instant qu'elle allait de nouveau lui parler des papiers de divorce et du fait que cela se passait vraiment très mal avec son mari. Certainement retenterait-elle de le pousser à rendre les dits documents à Raphaël car elle ne parvenait pas à le faire elle-même. Il savait pertinemment qu'il tenterait de la raisonner jusqu'à ce qu'elle finisse par prendre une décision concrète, les choses ne pouvant pas durer ainsi, s'immobiliser d'une telle manière indéfiniment. Lorsque la demoiselle lui souffla qu'elle n'avait plus de portable, il arqua un sourcil. Visiblement, son cellulaire était cassé. Étrange.

Ce fut pourtant l'esprit confiant que le jeune homme s'installa sur le canapé du salon, toujours le sourire aux lèvres. Son amie le rejoignit avec hâte et dès qu'elle fut assise à ses côtés, elle lui tendit un objet. Ou plutôt elle le lui brandit devant les yeux. « Qu'est-ce que c'est ? » demanda Sylvain. Il était comme la plupart des êtres humains : toujours à demander avant de réfléchir sérieusement et de comprendre par soi-même. Finalement, après avoir jaugé l'objet, il comprit qu'il s'agissait d'un test de grossesse, qui plus est, un test positif ! Son regard se posa sur Annabelle, avant de ne revenir sur l'objet. « C'est le tien ? » demanda-t-il subitement, dans un sursaut. Une question stupide, bien évidemment qu'il s'agissait de celui d'Annabelle, de qui cela pouvait-il être d'autre ?
Sylvain n'était pas bête et il conclut indubitablement quelque chose. Quelque chose qui ne lui plaisait pas du tout. Une idée horripilante. Pourtant, elle se mêlait à des tonnes de scénarios probables... mais l'image de leurs ébats sexuels dans les toilettes du bar lui revenait sans cesse à l'esprit, le harcelant. Il se souvînt qu'ils n'avaient utilisé aucune protection et peut-être qu'Annabelle n'avait pas pensé à prendre une quelconque pilule par la suite. Et mince. Il y avait de cela cinq années, ils avaient souvent eu des relations intimes et jamais cela n'était arrivé. Et là, un seul petit écart et il avait fallu que cela tombe sur le bon moment des cycles ovarien et utérin de la jeune femme.
Quelle poisse ! Sylvain aimait Cardamine et non pas Annabelle ! Il en était certain ! Jamais il ne pourrait repousser la professeure d'anglais, combien même une autre femme, quelle qu'elle soit, porterait son enfant. Annabelle était une grande, excellente amie. Sa meilleure amie, mais cela en restait là. De plus, cette dernière était mariée, sur le point de divorcer, mais mariée tout de même et paraissait beaucoup tenir à son futur ex-mari ! Comment pourraient-ils gérer une telle situation ? Comment ?
Le jeune conducteur de bus tenait le test entre ses doigts faibles et bleutés par le manque d'oxygène, imaginant qu'il pouvait bien être père une deuxième fois. Pourtant, il osa tout de même poser la question fatidique, celle qu'Annabelle semblait attendre : « Si tu me montres ça, c'est parce que....je suis le père ? »

Il haussa les sourcils, le cœur battant, pâle malgré son fond de teint. Il avait l'impression qu'il allait perdre toutes ses forces d'un coup alors qu'il ne lui en restait que très peu.

Sylvain gardait espoir en attendant la réponse de son amie. Si cela se trouvait, elle n’était aucunement enceinte de lui, mais de son mari ou du meilleur mi de celui-ci. Après tout, peut-être l’avait-elle appelé car c’était toujours ce qu’elle faisait en cas de douleur et de doute, Sylvain étant son meilleur ami et confident. Pourtant, et malheureusement, le couperet tomba lourdement lorsqu’elle prit la parole après un instant de silence. 90 pourcents de chance, autant dire qu’elle en était certaine. Il était le père de l’enfant qu’elle portait. Si cela était arrivé il y avait de cela des années, certainement les choses auraient été différentes, certainement auraient-ils tous deux été heureux. Mais cela se produisait maintenant, dans un moment pas du tout propice à la grossesse d’Annabelle.

Aussitôt une question se bouscula dans l’esprit du jeune chauffeur de bus. Désirait-elle le garder ? Avait-elle fait un choix quant à l’avenir du fœtus ? Il n’eut même pas à la poser car son amie répondit directement. Elle s’y attendait, c’était prévisible. Il l’observa un instant, sans broncher. Il lui fallait ingurgiter la nouvelle paisiblement, sinon il risquait de faire une crise, que ce soit d’épilepsie ou d’anoxie.
« Tu n’as pas être désolée. » finit-il par annoncer purement. « On doit être deux pour faire un enfant, j’ai autant de responsabilité que toi dans cette histoire. »
Il poussa un soupir. Le plus dur restait à dire. En effet, Annabelle ne savait pas qu’il sortait avec Cardamine. Elle n’était même pas au courant qu’il lui avait annoncé ses sentiments, bien qu’il lui en ait parlé rapidement. Il s’installa davantage dans le canapé, tentant de se mettre à ses aises. Bien que cela lui soit vraiment difficile vu l’atmosphère planant dans les lieux. Il respira un bon coup, poussant un nouveau soupire. « J’ai quelque chose à te dire… je ne suis plus seul maintenant. » oh la la, comment allait-elle réagir ? Non pas que Sylvain pense qu’elle était amoureuse de lui (même si cette idée ne serait pas totalement folle), mais elle en devait tout de même pas se douter qu’il était en couple… Et cela aurait certainement une immense retombée sur sa future décision quant au bébé, leur bébé… Si seulement, c’était arrivé plus tôt !

« Tu te souviens de la prof d’anglais de ma fille…Mlle Landry. Je t’avais dit qu’elle me faisait un effet monstre… Et bien, je lui ai dit…Et c’était réciproque. Je l’aime et elle m’aime… On est ensemble maintenant, ça va faire un mois… »
Voilà c’était dit. Sylvain fit une moue délicate. Et dire qu’après avoir couché ensemble, Annabelle et lui avaient plaisanté à propos des enfants qu’ils auraient pu avoir !