intro. Aube fait partie de ces filles qu’on touche avec les yeux pour ne pas les abîmer. Beauté fluette, apparence délicate, et tout le tralala. On n’ose pas l’approcher. Jusqu’à ce qu’on n’ose trop l’approcher. Aube fait partie de ses filles qu’on piétine et qu’on déchire, qui les rend fous, dès qu’elle les laisse entrer. Beauté marquée, apparence dure à cuire, qu’elle veut se donner. Aube, sans le savoir, elle allume des étoiles dans les yeux des idiots qui croient qu’ils ne sont pas dignes d’une fille pareille. Qu’elle est trop bien pour eux. Et elle allume un feu brûlant dans le bas-ventre des sales types qui veulent rien que son cul, et elle, c’est eux qu’elle voit.
Alors elle titube.
Elle se trompe.
Elle aime trop.
Et puis pas assez.
Elle demande rien.
Elle reçoit quand même.
Elle voudrait bien, qu’on l’aime.
La vérité, c’est que, Aube, c’est encore une gamine, c’est toujours une enfant, même si elle joue la maligne pour faire comme les plus grands.

un. Deux ans de prépa.
De travail acharné.
Ça a jamais été son fort, à Aube, mais elle a géré.
Avec succès.
Aube est entrée à HEC en septembre. « T’es une AD ? » elle a secoué la tête en signe de négation. « J’ai fait deux ans au Lycée Carnot » elle a levé les yeux vers lui en l’entendant pouffer. Mais ça l’a pas étonnée, c’est pas une très bonne prépa, Carno, y a même pas 2% de leurs élèves qui entrent à HEC. Mine de rien, Aube, elle s’en félicite, du coup. Il a rigolé pendant longtemps, comme si c’était une blague vraiment marrante, elle a attendu qu’il se calme ; et puis, quand il s’est calmé alors, elle l’a entendu lui dire « C’est pas ton monde, hein ? »
Non.
Non, c’est pas son monde, à Aube.
Le fric, les fringues, l’apparence. Être un bon orateur, savoir duper le monde, avoir du charisme et la thune qui va avec. Être faux, pour se faire un réseau, tout ça pour être sûr de gagner au moins 5000€ par mois à la sortie. C’est pas son monde, et pourtant elle a toujours vécu là-dedans. Papa, c’est ça, Maman, c’est ça. C’est l’argent, l’argent à tout prix, avant la famille, et puis Aube, ça l’a dégoutée. Elle a jamais aimé ça. Elle aurait pu dévié, faire la Rimbaud, conquérir les routes de France, sans un sous en poche, mais à la place, elle a continué à faire ce qu’on voulait d’elle, sans s’avouer que c’était ce qu’elle voulait aussi. Elle se dit qu’elle a pas eu le choix.
Alors ce mec, ce mec de deuxième année à qui elle a parlé dès son premier jour, elle l’a plus quitté. Il l’a tout de suite cernée. Il lui a proposé un job. La crème de la crème, il lui a dit. Tu sais, comme le film, là. Aube, c’est ça qu’elle fait maintenant. Avec lui et sa copine, Aube, elle gère un réseau de proxénètes, maintenant, Aube la gamine qui veut être dans le commerce, elle commercialise du sexe. Sans jamais en faire elle-même.

deux. Papa et Maman sont riches, on l’a déjà dit. Raphaël Desnuits et Amélie Deauclaire se sont rencontrés dans un hôtel, à Ravello, en Italie. Typique. Cliché. Dégoulinant de romantisme, presque à en vomir. Il y était pour affaires, elle était en vacances, avec ses parents. Coup de foudre. Coup de rein. Le mariage, le bébé. « Aube », ils ont osé. Elle a eu de la chance, personne se moque de son prénom, ils trouvent ça trop joli, en général, et puis quand ils aiment pas, ils l’appellent « Desnuits », juste Desnuits.
C’est la lune qui s’efface quand le soleil ascend.
Aube sans famille, Aube sans parents.
C’est pas vrai, Aube elle le sait, une famille elle en a une, mais elle veut pas l’appeler comme ça.
Maman et Papa se sont séparés.
Déchirés.
Détestés.
Maman est partie, Papa s’est remarié.
Avec un homme.
Le père Renard.
Aube a une sœur, une vraie.
Et puis deux demis : Timo et Anna Renard. Timo, c’est trop tard, c’est trop tôt. Timo le petit être avec sa tête de puceau qui les fait toutes fondre, Aube elle le déteste d’être son frère ; elle se déteste de penser ça. Alors elle dit rien, elle se tait, elle sait bien qu’elle a pas le droit de l’aimer. Et puis Anna, Anna la beauté, Anna la déglinguée. Elle, elle l’aime bien, Aube, mais ça non plus, elle le dit pas. Elle est pas très sympa avec elle, elle lui parle pas.
Elle aime pas être chez les Renard, Aube.
Ça la tiraille, ça la tue.  

conclusion. Aube Desnuits, fille d’ivresse, fille de luxure. Fille de paresse et de blessures. On la délaisse à ses brulures, on la presse de conclure. Elle se rappelle encore le soir où elle l’a vu pour la première fois. Il caressait sa mère comme on caresse un trésor ; il mentait bien. « Tu l’aimes bien, chérie ? » Elle était restée silencieuse, elle se souvient. Qu’est-ce qu’on répond quand un seul “non” peut briser une vie. Elle avait hoché la tête, en diagonale. Pour pas dire oui, pour pas dire non. Elle avait relevé la tête, elle avait fait semblant de sourire. « Et toi, Maman, tu l’aimes bien ? » Silence. Elle l’aimait pas bien, sa mère. Elle était folle de lui. Son nouveau copain était devenu la raison de ses bonheurs et de ses éclats de rire. On ne déçoit pas une mère heureuse, Aube le sait. Alors la mère avait sourit très grand. « Beaucoup. »
Quand il est parti Maman a pleuré, et Aube peut-être encore plus.
Pourtant, Aube, elle le savait qu’il partirait.
Elle le savait, qu’il l’aimait pas.
Pas comme elle l’aimait.
Pourquoi elle se sent si bien, Aube, quand elle le voit encore aujourd’hui, pour lui parler de tout, de rien ? Un père, elle en a déjà un ; mais maintenant, en plus, elle a lui. Et pourquoi elle se sent si coupable, en même temps, de ne pas le dire à Maman.

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