tu dors pas. ta fenêtre ouverte alors qu'il fait six pauvres degrés dehors, tu dors pas. ça fait un moment que tu réfléchis en fait. genre t'as mis longtemps à retrouver cette fille. et puis on t'as dit, elle est en maison de repos. alors t'as un peu respiré. parce que ouais, au moins là-bas elle risquait pas de faire une connerie. tu te dis, je serai pas toujours là. puis après tu penses, elle a pas que moi dans la vie cette fille. conneries, passe à autre chose. c'est ce que tu fais. mais en fait... enfin, depuis que tu sais où elle est, t'as envie d'aller là voir. lui dire, éh ça va ? orane, elle s'appelle, on te l'a dit. t'es encore ébloui d'avoir réussi aussi vite à la retrouver en fait. mais tu t'en fous. tu vas te recoucher.
le lendemain, tu te dis, si j'y vais pas, ça va jamais s'arrêter. alors tu fourres tes marlboros dans ta poche de jean, t'attrapes une veste et tu files vers la bouche de métro la plus proche. quand t'arrive devant de batiment, t'as envie de gerber. comment sortir vivant d'un truc aussi déprimant ? « bonjour, je voudrais voir mademoiselle orane dutronc. » « vous êtes de la famille ? » « son frère. » tu réponds du tac-o-tac. sinon, ça va lambiner pendant des heures et tu détestes attendre. elle te dit un numéro de chambre, mais dans le doute, elle t'accompagne. comme si t'allais te cacher pour rester ici pour toujours. tu lèves les yeux au ciel. « mademoiselle dutronc, vous avez de la visite. » par chance, elle a pas dit, votre frère est venu. parce que tu sais pas, mais bon y'a une chance sur deux pour qu'elle ai pas de frère. et ton karma n'est pas génial... l'infirmière part. tu rentres. tu souris, un peu. elle est jolie, t'avais déjà remarqué ça. elle a l'air toute chétive. elle a de beau yeux. des yeux qui disent, qui t'es toi ? tu réponds, alors qu'elle a rien dit. « théo. je suis... enfin, c'est moi qui t'ai retenu. » tu préfères dire comme ça. ça fait un peu moins dramatique.

tu te trouves tout con. c'est vrai, ça coutait quoi d'arriver avec une boite de chocolats ? ou des fleurs. t'es vraiment un con quand tu t'y mets... tu te collerais bien des baffes là tout de suite. elle reste silencieuse, la poupée de porcelaine. tu te dis que jamais de ta vie tu la toucheras parce, que... parce que avec des grosses mains pas habiles, t'es capable de la casser en mille morceaux. et puis à la voir, elle a l'air déjà bien assez amochée comme ça. un peu comme toi, sauf que toi tu te caches derrière tes conneries, tes sourires à la con et puis tes tatouages. ça ouais, ça sert bien. tu bouges pas. voilà, t'aurais eu des chocolats, t'aurais pu bouger pour lui donner. merde. « pourquoi? je veux dire, d'abord, pourquoi tu m'as empêché, et ensuite, pourquoi t'es venu? » alors là... quelle réponse conviendrait ? aucune certainement. ouais c'est vrai qu'est-ce que tu fous ici. tu hausses les épaules sans rien dire. et puis tu t'approches de la fenêtre. dehors il fait beau, mais à travers ces vitres aucun rayon ne passe. c'est triste cet endroit. pourquoi tu l'as empêché ? t'aurais pu sortir un truc bidon, genre t'étais trop jolie pour ça. mais bon. tu l'avais même pas encore vu quand tu l'as retenue. « ben je sais pas. disons que j'aime pas tellement que des gens meurt sous mes yeux. » tu dis. c'est tout ce que tu trouves. « t'as pas envie de faire un tour dans le parc, là. il fait beau. et puis, je culpabilise un peu, je t'ai même pas amené de chocolats, ç'aurait été plus poli... » tu expliques. mais tu te dis, qui pourrait me suivre ?

« c'est pas grave. je n'aime pas trop les chocolats. » tu souris. bon, au moins ça t'as évité un refus, d'oublier tes saloperies de chocolats. tu la vois soudain qui enfile des chaussures et qui s'empare d'une veste. elle semble être sur le point de te suivre en fait. « je suis d'accord. ca fait longtemps que je ne suis pas sortie. » elle dit alors. tu hoches la tête. tu préfères même pas demander depuis quand elle est pas sortie. t'es sur que ce serait capable de t'angoisser. toi tu peux pas passer une journée dans aller trainer dans les rues. même si tu bosses pas (quoi, c'est rare que tu bosses pas) il faut que tu bouges, même sans but. alors tu pourrais faire une crise de panique si elle te disais que ça fait des semaines qu'elle est pas sortie. tu préfères que ça reste dans le doute. tu sors de la chambre en sa compagnie, tu la suis. tu vois qu'elle te fuit un peu du regard. bon c'est vrai que t'es pas en hyper confiance non plus. surtout qu'une question te ronge : pourquoi ? mais t'as pas envie de la poser, parce que t'as pas envie qu'elle réponde. les questions sérieuses sur la mort et tout ça... c'est vraiment pas ton truc.
quand vous arrivez dehors, tu te jettes sur ton paquet de marlboro qui attendait bien sagement dans ta poche, depuis trop longtemps. « tu en veux une ? » tu proposes, en lui tendant ton paquet. enfin bon, peut-être qu'elle fume pas. peut-être que ta clope, ça va la gêner. merde, t'as vraiment envie de fumer pourtant.

quand t'arrives dehors, l'air frais s'engouffre en toi. comme une bombe. c'est vrai que t'es pas très à ton aise ici. déjà qu'à la base les hôpitaux c'est pas du tout ton délire... dans des conditions pareil, pour venir voir une fille qui voulait se foutre en l'air... y'a rien pour te détendre. mais d'un autre coté, tu peux t'en prendre qu'à toi même. personne t'a forcé à venir ici. surtout pas elle et tu comprends bien qu'elle se demande ce que tu fous ici.
mais d'un autre coté, elle t'a suivi dehors. comment elle s'appelle déjà ? orane. voilà. c'est pas commun t'aime bien. t'as trop l'habitude des camille, marie et autres claire. quand tu dealais dans les coins un peu huppés, t'étais envahi de marie-charlotte (macha) et d'anne-sophie (anne so). comme si y'avait une règle, bref orane t'en connaissais pas, si bien que tu pouvais pas dire que ça te rappelais une salope ou quoi que ce soit. c'était juste elle, orane. orane.
elle accepte ta clope, t'es un peu rassuré, tu vas pouvoir fumer. après avoir allumé la sienne, elle te tend un briquet avec lequel t'allumes à ton tour ta marlboro. « c'est sympa d'être venu. y a pas grand monde qui vient. j'espère que tu me prends pas pour une malade, hein, je.. j'avais des raisons de faire ça... enfin tu sais. » tu hoches la tête et tires force sur ta cigarette. ouais, elle est pas malade. on est tous un peu malade, quand tu regardes bien... « non je sais pas. » tu peux pas t'empêcher de dire. ouais, c'est vrai tu sais pas. ces trucs là, ça te passe jamais par la tête à toi. « mais tu sais, ça me regarde pas. ça me concerne juste un peu parce que je t'en ai empêché. mais t'as pas de compte à rendre, à moi. » tu expliques un peu. t'as pas envie qu'elle croie que tu t'en fous, c'est pas forcément vrai. mais t'as pas non plus envie qu'elle croie que tu veux des détails, t'es pas sur de les vouloir...