d'un vieux pote ▲ Elle t’a invité chez elle une fois. Un appart’ tout p’tit sous les toits de Paris. « c’est cosy » qu’t’as dit. Elle t’as servi un verre, t’as pris tes aises, vous avez parlé. Tu l’avais pas remarqué au début, t’étais serein. Et puis t’as senti un truc frôler ta jambe. « t’as un chat ? » qu’t’as demandé. Elle t’a dit non et a fini son verre. T’as pas relevé. Et puis une deuxième fois, t’as senti un truc contre ton mollet. Tu t’es dit qu’elle s’était foutu de ta gueule. T’as tendu la main pour caresser son chat. T’as crié. Elle a ri. Porte tes couilles mec, de quoi t’as peur ? Ce jour là quand t’es parti, tu t’sentais con. Béa c’est pas une meuf à chats, au fond tu l’savais. Béa elle dort avec son Iguane. Elle l’a appelé Gastro.  du voisin de palier ▲ Tu ne l’as jamais rencontrée, pas encore en tous cas. Pourtant elle habite la chambre de bonne à côté de la tienne. Tu l’entends quand elle ramène ses potes, ses mecs, ses meufs parfois. Tu l’entends quand elle met la musique à fond mais tu t’en fous parce que t’es jeune toi aussi. Hier quand tu bossais tes cours, tu l’as entendue s’énerver toute seule, t’as pas compris de quoi il s’agissait mais elle criait toute seule. Et c’est là que t’as sursauté : quand t’as entendu le coup frappé dans le mur. T’as su tout de suite que c’était pas un bouquin balancé, c’était son poing, son poing à elle, contre le mur. Béa se met vite en colère, Béa frappe et elle préfère taper les murs plutôt que les gens. Les poings de Béa sont toujours pleins d’ecchymoses, écorchés, en sang. Béa est une dure à cuire. Enfin elle aimerait bien. du frère ▲ C’était un dimanche matin au Bois de Boulogne. Vous faisiez ça souvent, aller faire du sport le week-end. Aujourd’hui c’est plus rare, vous avez moins le temps. Ta mère a la flemme alors elle et ton père sont resté boire un verre sur la pelouse. T’as enfourché ton vélo et t’as rattrapé ta sœur qui était en rollers. Elle t’écoutait pas, elle roulait au rythme de son IPod. Tu l’as poussée, elle a gueulé. Tu l’as dépassé, elle a râlé. « fais pas l’malin, forcément t’es plus rapide, t’es en vélo » qu’elle t’as dit. T’as ri. Elle a grogné. Béa ne sait pas faire de vélo. Béa s’est taulée une fois, et elle n’est plus jamais remonté en selle. du père ▲ Un jour tu l’as emmenée à Versailles et elle n’a plus parlé que de ça. Le soir tu lui lisais l’Odyssée et elle se rêvait guerrière de Troie. Souvent pour lui faire peur, tu lui racontais l’histoire de la grande peste noire, et elle y a prit goût. T’es certainement sa plus grande inspiration, t’es l’homme qui lui a fait découvrir ses passions. Béa elle t’aime et tu l’aimes. Béa t’es fière d’elle même si elle crie un peu trop. Béa elle marcherait presque dans tes traces. Tu sais qu’elle travaille beaucoup même si elle n’en a pas l’air. Tu sais qu’elle se donne à fond pour y arriver. Elle voulait tenter les Chartes et Normale et tu t’es dis pourquoi pas. Maintenant elle s’lance dans l’art, tu t’dis why not. T’es sûr d’une chose dans ta chienne de vie, Béa elle te décevra pas. d'une amie ▲ Ca fait quelques temps que tu la connais. Vous n’êtes pas extrêmement proches, vous vous voyez pas très souvent mais t’aimes te dire que tu la connais assez bien. Béa tu l’as jamais vu pleurer. Jamais. Même quand elle se fait mal, elle reste stoïque. Et aujourd’hui t’es là, chez elle, tu fais défiler ta timeline facebook en buvant le thé qu’elle t’as préparé, et elle pleure. Tu la vois parcourir ce bouquin des yeux et les grosses larmes s’écraser contre le papier. Tu l’entend renifler. Et puis elle pose le bouquin pour sangloter avant d’le reprendre. Béa tu l’as jamais vu pleurer, sauf aujourd’hui. Un nouveau livre, une nouvelle vie, Béa s’implique corps et âme dans ce qu’elle lit. d'un cousin germain ▲ Tu l’avais pas vue depuis longtemps, depuis le dernier mariage dans la famille. Tu t’étais souvent demandé ce qu’elle devenait parce qu’elle t’avais plu. T’avais aimé ton sourire et la façon qu’elle avait de danser. T’aurais adoré la prendre dans tes bras et la cajoler comme une petite sœur. Mais t’as jamais pu être son grand frère parce qu’elle en a déjà un. Arthur son chevalier servant. Tu peux pas rivaliser avec lui. Tu les regardes assis à la table d’à côté et tu soupires parce que toi aussi tu veux une sœur, ça a l’air tellement cool. Tu les vois se parler, tu sens leur complicité et tu veux en être. Béa et Arthur sont de la même trempe et ils s’adorent. Ils inversent leurs rôles parfois, c’est tes parents qui te l’ont dit, de temps en temps on sait plus trop lequel est le plus âgé. Et toi t’es presque jaloux de ce qu’il ont. Parce que Béa et son frère sont comme deux doigts de la main.  d'un inconnu ▲ L’autre jour, tu passais devant le Planet Sono de ton quartier. T’as maté les Gibson, t’as maté des platines. Les lasers d’exposition te lacéraient d’éclairs verts. T’avais probablement rien à faire, t’étais peut-être curieux, si ça se trouve t’aimes la zizique ; t’es rentré. T’as fait l’tour avec le vendeur sur les talons. Dans l’fond tu l’as vue. Avec son pull trop court et ses cheveux en bataille. Elle était derrière la DrumCraft et elle frappait la caisse claire de toutes ses forces. T’as kiffé son jeu de baguettes. T’as frappé du pied sur son beat. T’es passée devant elle, elle t’as souri derrière sa cymbale. Béa est batteuse. Elle a appris au magasin, elle joue au magasin. d'un serveur en boîte ▲ Tu finis par la reconnaître Béa. Peut-être même par la connaître carrément. Elle était v'nue deux trois fois quand elle passait son bac. Silence radio pendant un an. Lachage en khâgne. Et puis maintenant elle passe d'temps en temps. Tu l'aimes bien, elle fait pas sa poufiasse comme tant d'autres. Elle vient, elle danse, elle boit, elle parle, elle paye et c'était une soirée sympa. Une fois elle t'as d'mandé ton meilleur shot et tu lui as offert parce qu'elle souriait. Au fond elle a cet effet là Béa, elle est mignonne, elle sait mettre les gens en confiance et on lui donnerait le bon dieu sans confession. A raison. d'elle-même ▲ A ce que je sache, je suis pas allergique à quoi que ce soit. Je fume pas mal, ça c’est vrai. J’fume des clopes de gonzesse, des Malboro convertibles et souvent j’oublie de clipser la bille. J’ai jamais aimé la rhubarbe et je fais croire que je suis intolérante au café ce qui est totalement stupide mais qui a le mérite d’empêcher les gens de m’en offrir un tous les quatre matins. Ma mère a eu de l’asthme quand elle avait mon âge et parfois j’me demande si j’en ai pas aussi parce que parfois je m’essouffle en montant au premier étage à la fac. J’prends la pilule et mes règles ne durent que deux jours. J’ai subi une appendicectomie et depuis j’ai une petite cicatrice en forme d’arête de poisson en bas du ventre. Parfois quand je réfléchis à l’avenir j’me dit que si un jour j’devient grosse et que je songe à la liposuccion, j’dirai aux médecins de passer par cette petite cicatrice comme ça je pourrai le cacher à tout le monde. Avant de vouloir m’arracher l’cul dans les études, j’voulais être tueuse à gages. J’ai le niveau deux en lange des signes et j’passe de temps à temps à l’IVT pour prendre des nouvelles. J’ai de l’arthrite au poignet droit et j’peux prévoir la pluie. de n'importe qui ▲ Tu la connais depuis longtemps. Tu la connais depuis deux jours. Peu importe. C'qui compte c'est qu'béa, forcément, elle t'intrigue. Parce qu'elle joue des points malgré son pauvre mètre soixante-neuf. Parce que sérieux, elle a un iguane quoi. Parce qu'elle sait pas faire la bouffe mais qu'il y a toujours des gâteaux chez elle. Parce que parfois elle écoute la boulette et paris latino et qu'elle te fait quand même la morale si tu as pas écouté le nouveau arctic monkeys. Parce qu'elle s'évertue à lire Nietzsche sans rien comprendre. Parce qu'elle déteste le café, sérieux, qui déteste le café ?