CHAPITRE 1 ;
« Les garçons… arrêtez… » disait la voix faiblarde de Lisa. Mais les jumeaux n’y firent pas attention. Âgés alors de quatre ans, ils devenaient de plus en plus turbulents. Et aujourd’hui, Joan avait piqué la voiture de course de Thomas et l’avait jeté par-dessus le balcon. Thomas avait essayé de se venger en arrachant un bras à l’Action-Man de son frère mais ce dernier avait répliqué en tapant Thomas avant le corps démembré de son Action-Man. Et maintenant, Thomas était en train de pleurer tout en envoyant tous ses jouets par terre et Joan riait d’un air machiavélique et courait dans le salon. « Fermez-la putain ! » Répéta à demi voix Lisa. Parfois, elle se demandait comment elle avait fait pour les porter dans son ventre, dans son ventre d’une maigreur d’anorexique. Elle n’avait que seize ans à l’époque. Enceinte sans trop savoir de qui, elle ne l’avait appris que trop tard pour espérer avorter. Alors elle avait essayé de s’en débarrasser autrement, tapant sur son ventre, buvant à outrance. Rien à faire, les jumeaux étaient restés squatter. Aujourd’hui à seulement vingt ans, on ne pouvait pas dire qu’elle avait la vie facile. Ses histoires d’amour n’étaient pas très florissantes et être mère n’avait rien arrangé. Sa famille l’avait pratiquement tous laissé tomber… Alors elle buvait, et fumait, et prenait des médicaments aussi. Tout ce qui pourrait laisser à faire taire la voix de ses jumeaux. Car lorsqu’ils ne se chamaillaient pas ils étaient complices dans des délits style : voler tout le chocolat du frigo, renverser tous les CDs, casser la télé. Joan était du genre anarchiste avant même de savoir ce que voulait dire ce mot, et Thomas le suivait toujours dans ses idées tordues. Parfois même après il s’accusait à sa place. En résumé, Lisa avait quelques excuses pour son comportement. Alors elle alla chercher sa vodka, ses médocs et retourna s’allonger sur le canapé. En moins d’une demi-heure elle trouva le sommeil. Thomas et Joan, eux, trouvèrent les clés de la porte d’entrée. Ils désertèrent simplement l’appartement et se promenèrent dans l’HLM du 19e qu’ils occupaient. Puis ils allèrent dans la cour devant, jouèrent dans le petit parc. Rien de bien méchant, en somme et ils étaient trop mignon pour que les jeunes de la cité HLM ne leur cherchent des ennuis. Finalement ils finirent par retourner dans l’appartement. Lisa ne s’était même pas aperçu de leur absence.

CHAPITRE 2 ;
« Vas-y t'inquiète, c'est cool ! » Incita Joan en tendant la cigarette. Thomas, douze ans, la regarda une seconde, ne pouvant dire non à son frère il s'en empara et tira longuement dessus avant de partir dans une quinte de toux qui créa l'hilarité générale dans le groupe. Ainsi commencèrent à fumer Thomas, Marion, Antoine, Vadim et toute la clique. Ils s'étaient rencontrés à l'école primaire et depuis était carrément inséparables. C'était une deuxième famille car tout le monde évoluaient dans un contexte particulier, ce n'était pas facile alors ils se serraient les coudes. Sans parler de délinquants en puissance, ils se prenaient déjà à leur jeunes âges pour des rebelles. Ils traînaient autour des cités HLM, occupait les toboggans du parc. Ils s'amusaient bien ça c'est clair. Thomas et Joan en avait bien besoin. Leur mère, alors âgée de seulement 28 ans se sentait enfin prête à trouver un homme. Et ça défilait, des "nouveau beaux-pères" toutes les semaines. Ils ne restaient jamais. Joan et Thomas s'en assuraient. Ils se donnaient la mission de tous les faire fuir et ça marchait. Encore une idée de Joan. Il était devenu autoritaire, le petit chef de la bande. Il lançait les idées et envoyait son frère faire tout ce qu'il voulait. Thomas s'exécutait. Il admirait tellement Jo. Il le voyait comme le gars le plus cool du collège, et tout ce qui suit. Lui, mal dans sa peau avec son corps long et maigre comme un vieux chewing-gum qu'on aurait étiré. Un peu effacé derrière l'ombre imposante de son parfait frère jumeau. A l'époque il disait sortir avec une certaine Théa qui n'était pas dans son établissement scolaire, personne ne le croyait, même si Théa existait vraiment. Mais une seule personne le voyait réellement, c'était Marion. Une de la bande, la plus gentille, la plus drôle. Elle était extravertie déjà très jeune. Et tout de suite, Thomas et Marion devinrent littéralement collés l'un à l'autre. Thomas lui racontait tout. De sa première vraie petite amie, et son expérience désastreuse à seulement quatorze ans, jusqu'à la première cuite, ses doutes, ses envies, ses espoirs. Marion était sa moitié, elle était sa meilleure moitié même. Elle jouait le rôle que Joan aurait dû joué.

CHAPITRE TROIS ;
« T'es prêt ? » Demanda Marion. Thomas acquiesça. Elle lui tenait la main, il appréhendait un peu quand même. Ils avaient seize ans et venaient pour leur premier tatouage. Le premier d'une très longue lignée. Cela faisait une semaine que Thomas vivait chez Marion. Suite à une dispute très animée chez lui entre sa mère et les jumeaux. Encore une fois bourrée, elle avait commencé à délirer et à tout casser. Et quand elle avait donné une baffe à Thomas, Joan s'était interposé, agressif, histoire de calmer le jeu les jumeaux étaient partis faire un tour. Joan avait décidé de se rendre quelques jours chez Antoine et Vic, Thomas était naturellement allé chez Marion. Il avait préféré aller chez elle plutôt que chez sa petite amie de l'époque. Parce que Marion passait toujours avant. C'était un réel frein à ses amourettes d'ailleurs. Marion attirait la jalousie.
Quelques jours après ce tatouage les jumeaux reprirent le chemin de chez leur mère, elle ne commenta pas leur absence, ne remarqua même pas le tatouage de son fils. En fait, il était clair qu'elle était bien plus tranquille seule dans l'appartement plutôt qu'avec eux. Depuis un an en couple avec une espèce de raté malsain que les jumeaux essayaient vainement de chasser. Thomas alla dans la chambre qu'il partageait avec Joan, les jumeaux parlèrent vaguement de combien la vie ici c'était chiant. Leur envie de partir un jour, voir un peu de nouveaux horizons. Et puis ils se turent. Dans le silence, Thomas composa, rapidement sur un cahier, sa première musique. Par la suite il essaya de poser des mots dessus.

CHAPITRE QUATRE ;
Après avoir joué à la fête de fin d'année du lycée du quartier, Thomas dit au revoir à quelques amis qui partaient ailleurs, plus loin, ou bien à l'étranger pour les études supérieurs. Quant à lui, jamais il ne lui serait venu à l'idée de continuer les études. Il stoppa net et zona pendant pas mal de temps. Il venu dans les 9m² de la chambre étudiante de Marion pendant quelques semaines, vivre avec sa mère était devenue insupportable. Et puis Joan se trouva son appartement et il décida donc de faire de même. Ils se mirent d'accord avec Antoine et trouvèrent un grand T3. Ca devint rapidement le GQ, en réalité c'était le plus grand des appartements donc forcément...
Thomas essaya de faire quelques concerts dans le coin, et même s'il trouvait des dates ce n'était pas assez pour payer le loyer. Alors il finit par être surveillant, dans le collège qu'il avait fréquenté quatre ans auparavant. Contrairement à ce qu'il imaginait, ce n'était pas si mal. Les gamins, c'est mignons. Et puis il en imposait avec son corps de plus en plus recouvert de tatouage, son style inimitable, sa dégaine et ses joins devant le collège avant de prendre le taf. Les filles l'adoraient, les garçons voulaient être potes avec lui. Franchement, il n'avait pas à se plaindre. Son train de vie, à cette époque bien précise, lui convenait parfaitement. Thomas était enfin bien dans sa peau, il avait un chien, un carlin noir baptisé par le très beau prénom de Bernard, il sortait, se calmait sur la défonce et les conneries, devenait enfin un adulte. Et comme vous vous en doutez ça n'a pas duré. Ca ne dure jamais.

CHAPITRE CINQ ;
Une soirée trop arrosé pour fêter on-ne-sait-plus-quoi printemps 2012, Marion et Thomas tanguait comme sur un bateau en pleine mer, bras dessus bras dessous un bouteille à la main. Whisky coca sans doute. Il chantait à tue-tête jusqu'à descendre les marches de l'arrêt Concorde. Il était tôt, trop tôt. Le premier métro n'allait pas tarder, les gens partaient au boulot, eux rentraient d'une cuite monumental, d'une tournée des bars et de zonage dans les rues de Paris. Marion se mit à tournoyer, ils dansaient tous les deux, oubliant le monde extérieur. Thomas souriait en la regardant, la trouvait belle, plus belle que jamais même. Les yeux qui peinaient à rester ouvert, ses cheveux mal noués, son air débraillé, son teint pâle. Mais bon sang qu'il la trouvait belle. Parce qu'après tout ce temps il s'en était enfin rendu compte : il était amoureux d'elle. Tout chez elle lui faisait envie, elle était sa meilleure amie, mais bien plus que ça encore. Mais comment lui dire ? Impossible, inavouable. Il gardait donc le silence, non pas frustré de cette relation, simplement il attendait le moment où tout ceci évoluerait enfin. « T'penses à quoi ? » Déclara la voix un peu cassée de la jeune femme. Thomas se passa une main tatouée dans ses cheveux et sur son visage. « J'en sais rien.. pff à rien. Si à toi. » Elle se mit à rire secoua la tête avant de rougir légèrement. Thomas ferma les yeux une seconde, une seule. Et quand il les rouvrit Marion basculait sur la voix. « PUTAIN MERDE ! » S'écria Thomas avant de s'élancer au bord de la ligne en tendant une main pour aider son amie. Mais, ivre morte, elle restait allongée en riant. Le peu de personne présentent s'agglutinèrent autour de Thomas qui hurlait à la mort pour que Marion remonte. « Ca va, ca va j'arrive ! » Dit-elle en se relevant péniblement. Trop tard. Car le métro arrivait à pleine vitesse. Un type, sans doute un SDF qui squattait agrippa Thomas pour le faire reculer. Et en une seconde, Marion n'était plus.

CHAPITRE SIX ;
Le néant, le vide cosmique, rien sauf l'échos d'une douleur qui ne s'estompe pas. Thomas est resté planté sur son canapé pendant des jours, et des jours. A ne rien faire ou quasi rien. Antoine essayait de le faire bouger, Victoire, Vadim.. tout le monde essaya. Sans succès. Joan quant à lui, c'était comme s'il ressentait la douleur de son frère. Il préféra le laisser seul, arrêter de le persécuter pour le moment. Et puis un jour Thomas se mit à dessiner, le lendemain il alla montrer ses dessins à un tatoueur, pris rendez-vous, se fit tatoué, encore. Comme si la douleur ça le calmait. Il ne parla pas pendant pas mal de temps, se contentait de fumer. Et puis un jour il se remit à parler, à sortir, à bosser, à rire même et tout le tintouin habituel. Comme si de rien n'était et pourtant tout était différent. Thomas était triste, et froid. Méprisable, un vrai con, il fumait bien trop et pas que des cigarettes, pire encore certains soir. Une fois, il fit même l'erreur de coucher avec Victoire une fille de la bande, pour lui dire qu'en réalité il ne ressentait rien pour elle. Ce n'était pas faux cela dit. Il ne ressentait plus rien. Le vide. Thomas est vide désormais.