sûr qu'on est rien de rien, que du vide, que du vent. FELIX
Auteur
Message
Invité Invité
Sujet: sûr qu'on est rien de rien, que du vide, que du vent. FELIX Mar 30 Juil - 5:03
Tout avait commencé avec un ticket de métro. Je pouvais aisément me rappeler du sourire radieux qui avait barré le visage de Félix lorsque je lui avais tendu ce rectangle de papier cartonné, insignifiant à mes yeux, d’une grande valeur aux siens. C’était comme si je venais de lui offrir un ticket d’or pour aller visiter la chocolaterie de Willy Wonka. Je ne savais pas où il comptait se rendre, ni depuis combien de temps il faisait la manche pour se payer le trajet, mais au moins, j’avais contribué à son bonheur. Ca m’avait fait plaisir, parce que comme l’a dit un grand homme, le bonheur n’est réel que s’il est partagé. J’avais voulu lui faire présent d’une petite somme d’argent pour qu’il puisse s’acheter à manger. Il avait refusé. Parce qu’il y avait Félix et sa fierté. Inséparables amis. J’avais insisté. Après tout, ce n’était pas quelques billets qui allaient me mettre sur la paille. Mon portefeuille était rempli de leurs frères et sœurs. Une nouvelle fois, il avait rejeté mon offre. J’aurais pu gentiment l’envoyer chier, mais je ne l’avais pas fait. Je n’avais pas eu le cœur de l’abandonner là, sur son bout de trottoir. De le laisser tendre la main vers des gens qui lui péteraient les doigts s’ils le pouvaient. Alors je lui avais proposé un job. En noir, bien entendu. Parce que de nos jours, même pour ramasser de la gerbe de chien ou surveiller les animaux en salle en réveil, il fallait un diplôme. Et Félix avait pas vraiment la tête du gars à trainer un lourd bagage scolaire derrière lui.
Pas plus tard qu’aujourd’hui, à huit heures précise, il s’était pointé à la clinique. Félix, il avait peut-être pas de montre, mais il arrivait toujours à l’heure. Sa ponctualité n’était pas sa seule qualité, loin de là. Je n’avais jamais rien eu à lui reprocher. Mais ce matin, la forme semblait l’avoir abandonné. Dès qu’elles n’étaient pas occupées à autre chose, ces mains se posaient sur son estomac. De temps en temps, je pouvais entendre ce dernier rugir. A ce stade-là, il ne grondait plus, non, il rugissait. Ce pauvre garçon crevait la dalle, et c’est pourquoi j’avais décidé de le ramener chez moi après le travail. Je n’avais jamais été un cordon bleu, ce qui avait déjà causé pas mal d’intoxication alimentaire à Slim. Il fallait dire que mon emploi du temps assez chargé ne me permettait pas de passer des heures derrière les fourneaux. Ce soir, comme tous les soirs, ça allait être soirée devant la télé à regarder des dessins animés en se goinfrant la panse jusqu’à l’indigestion. Sauf qu’à la place de babysitter mon fils de 3 ans qui passait la nuit chez notre petit voisin d’appartement, je gardais un gamin un peu plus âgé, certes, mais un gamin quand même. Après lui avoir fait don de quelques bières histoire de se rafraichir le gosier, je finis par déposer un plat surplombée d’une pizza fumante sur la table basse qui me servait habituellement de repose-pied. « C’est pas de la haute gastronomie mais … » C’est toujours mieux que rien. Cette réflexion qui était loin d’être la réflexion la plus adéquate à faire un clochard qui ne savait pas quand il mangerait la prochaine fois était restée en suspens. Ca devait faire longtemps que son estomac n’avait pas brassé autre chose que de la bile. Puis quelque chose me disait que ce n’était pas son genre de jouer les critiques culinaires. « J’ai pas mis de couverts, j’ai supposé que tu préférerais bouffer avec les doigts. » Il devait vraiment se demander où il était tombé. J’appartenais à la haute bourgeoisie, j’avais les moyens de me payer un loft vue sur tour eiffel et jacuzzi et pourtant, je vivais dans le seizième et je me réapprovisionnais chez le paki d’en face. « Il reste de la bibine dans le frigo, si t'as encore soif. » lui dis-je en désignant la cuisine du menton. Pour ma part, si j’avalais une goulée de plus, je n’allais pas pouvoir désaouler avant les trois semaines à venir. Ma relation avait l’alcool avait toujours été tumultueuse. Généralement, ça se terminait toujours dans une cabine de toilette. « Si tu veux prendre une douche, c’est au fond à droite. Fouille un peu et tu devrais trouver des fringues un peu trop masculines pour m’appartenir. » C'est-à-dire des vieux t-shirts de Slim qui me servaient actuellement de pyjama.
Invité Invité
Sujet: Re: sûr qu'on est rien de rien, que du vide, que du vent. FELIX Jeu 1 Aoû - 15:45
Être chez Siham, c'est un peu comme atterrir dans un autre monde. Elle est absolument tout ce que je ne suis pas. Ce que je n'ai jamais été. Je me souviens encore de notre première rencontre dans le métro. Elle s'est dirigée vers moi un peu par hasard. Une grande blonde aux yeux bleus. Tellement belle que les hommes se retournaient vers elle pendant qu'elle parlait au petit clochard du coin. On a passé un petit bout de chemin ensemble, assit l'un en face de l'autre. J'ai de suite remarqué l'alliance à son doigt. Une fille comme ça, elle pouvait qu'être mariée et comblée. C'était évident. Pourtant, au fil des jours, j'ai petit à petit compris que son mari n'en était plus tellement un. Ce doit être pour ça d'ailleurs, que je lui porte autant d'admiration. Même avec un fils sur les bras et un mari absent, elle s'est pas laissée abattre comme certains peuvent le faire. Non, Siham, elle a même plutôt bien réussit sa vie. Suffit de voir son appartement pour le comprendre. Et sa voiture, aussi. Le genre qu'on peut voir dans les films, dont tous les hommes peuvent rêver.
J'ai pas su refuser son invitation. Pas seulement pour estomac qui crie famine. Y a aussi ses yeux. Ses deux orbites qui vous mettent sous hypnose. C'est étrange à décrire, comme sentiment. J'en viens à me demander comment elle peut être encore seule. Siham, c'est une belle personne. Une vraie. Une naturelle. Pas du genre à faire semblant avec les gens. Elle hésite pas à dire ce qu'elle pense. C'est une véritable force de la nature. De ce que j'ai pu comprendre, Sid est tombé dans son filet, il fut un temps. S'il est comme ça, aujourd'hui, accroché à sa bouteille d'alcool, c'est peut-être à cause de leur histoire qui s'est mal terminée. Si j'avais pas eu Théotime et mes rêves, j'sais pas ce que je serais devenu après le départ d'Angélique. Peut-être un pauvre con qui s'acharne sur les autres en sniffant de la coke. Qui sait. J'ai même pas assez d'argent pour de la drogue, de toute façon. Les cigarettes que je fume sont pour la plupart des restes de mégots trouvés au sol et éventrés. Je consomme la merde des autres. Je me consume dans l'ombre de leur indifférence. Et jusqu'ici, je m'en suis plutôt bien tiré. Quand on vit avec rien, c'est toujours délicat de venir dans la beauté de la réussite. On peut pas s'empêcher de se dire qu'on a rien à faire ici. Retourne donc dans ton nid de rien, misérable.
Mon cerveau fait taire ses pensées et les enferme dans une partie de mon âme. Allez, tais toi, usure du temps, laisse moi profiter de ce moment. Le sourire de Siham fait dissoudre les dernières envies de retourner à la rue. « C’est pas de la haute gastronomie mais … » D'un geste de la tête, je lui réponds d'une voix basse et comblée. « Arrête, c'est du luxe. » Même mieux que du luxe mais j'ai pas de mot pour décrire le mieux. J'ai quelque chose à me mettre sous la dent et c'est l'essentiel. De toute façon, qui n'aime pas la pizza. Ça m'rappelle les samedi soir à la maison. On mangeait souvent des conneries, dans le jardin, en plein été. Les voisins se joignaient à nous et les parents riaient en buvant quelques bières. Un peu comme aujourd'hui. Y a un arrière goût d'enfance qui donne envie de rester jusqu'au bout de la nuit. Une sensation agréable de déjà vu, version 2013.
« Si tu veux prendre une douche, c’est au fond à droite. Fouille un peu et tu devrais trouver des fringues un peu trop masculines pour m’appartenir. » La bouche encore pleine de pizza, j'avale de façon nonchalante ma dernière bouchée et me relève, tout sourire. « ça serait pas de refus, j'ai pas envie de te couper l'appétit avec mon odeur de chacal. » L'élégance à la Félix. « J'me dépêche. » à ces mots, mon corps disparaît d'un pas rapide jusqu'à la fameuse salle de bains. Sans même prendre le temps de fermer la porte à clé derrière moi, les vêtements se retrouvé déjà au sol. Les gouttes d'eau fumantes qui s'échouent sur mon épiderme me décrochent un frisson de bien être. Tête relevée vers le plafond, l'eau emporte avec elle l'épaisse couche de crasse sur ma peau. Ça fait si longtemps que j'ai plus pris de vrai douche que j'ai l'impression de revivre. Un simple torrent parfumé parvient à me donner un peu plus de moral.
Du moins, jusqu'à ce que celui-ci ne déborde un peu trop d'optimisme. Jusqu'à inonder la pièce en un rien de temps. « SIHAM ! » Ma voix est plus grave, plus sûre que tout à l'heure. Rien à voir avec celle que j'ai pu lui offrir les jours derniers. « Y a comme un soucis avec ta salle de bains ! » Tu parles d'un soucis. Se retrouver à poil face à son boss.
sûr qu'on est rien de rien, que du vide, que du vent. FELIX