« Tout va bien Mademoiselle? » Je tourne lentement la tête vers le concierge du bâtiment et le regarde avec un air un peu perdue. Je tourne à nouveau la tête et me remets à fixer le plafond, allongée par terre sur le parquet du studio de danse. « Je me demandais... Il vaut mieux se pendre à une poutre porteuse ou pas? » Bien entendu, je ne suis pas vraiment sérieuse. Un peu peut-être mais j'ai promis de plus recommencer et de contrôler mes pensées négatives. Je sens le sol vibrer sous les pas du concierge qui s'approche de moi. « Vous êtes trop jeune pour penser à ce genre de choses... » Je lâche un petit ricanement avant de me redresse et de m'assoir en attrapant mes chevilles avec mes mains pour m'étirer un peu. « Ca fait combien de temps que j'enseigne ici Mattéo? » Je lève un regard vers lui et constate que comme moi, il a perdu la notion du temps. « Assez pour vous connaître et savoir que vous allez de toute manière vous relever et continuer à vous battre. » Je médite trois secondes sur ce qu'il vient de dire avant d'hausser les épaules, d'un air entendu. Je me lève et lui offre un joli sourire avant d'aller vers la chaine stéréo pour récupérer mon iPod et ranger mes affaires de danse dans mon sac de sport. « Vous êtes marié Mattéo? » Il hoche la tête et fait genre de compter sur ses doigts. « J'ai même deux magnifiques filles. » Je souris en coin, lui envoyant un regard dans le miroir mural. « Bonne soirée Mademoiselle. » « Juliette. » rectifiais-je. « Bonne soirée à vous aussi Mattéo. » Puis il s'en va. Je jette un oeil à l'heure et constate qu'il est quand même dix neuf heures et que ça fait plus de deux heures que j'ai terminé de donner mes cours. Mon frère va terminer son service et ce soir, c'est soirée entre nous deux. J'accroche mon sac sur mon épaule et éteins les lumières avant de quitter ma salle de danse. Au volant de ma petite Beetle, j'appelle en bluetooth la pizzeria, en commandant directement deux. Quelques minutes de trafic parisien plus tard, je me gare devant la pizzeria et vais chercher ma commande. Je rentre rapidement et constate que la vespa de mon frère est déjà garée devant chez nous. Je souffle un bon coup en jetant un oeil dans le rétroviseur.

« Théo? » appelais-je en posant les clés de ma voiture dans l'entrée. A en croire le bruit d'eau qui vient de la salle de bain, mon frère est sous la douche. Ca ne me dérange pas d'habiter avec lui. Ca me fait de la compagnie et il est la seule famille qu'il me reste. Je pense que si je vivais seule, j'aurais à nouveau sombré. Il me maintient en quelque sorte en vie. Même si de l'autre côté, j'ai Leïla qui me tire vers le bas. Je pose les deux cartons de pizzas sur le comptoir de la cuisine et file dans ma chambre pour troquer ma tenue de danseuse contre un short et un débardeur. Je me retrouve face à mon frère, vêtu d'une simple serviette. Je plaque mes mains sur mes yeux. « Théo! Tu sais que je fais facilement des cauchemars! Tu aides pas là! » Je lâche un petit rire avant de recouvrer la vue avec un petit sourire en coin. Je l'embrasse sur la joue. « Je t'ai pris ta pizza préférée. »

« Lieutenant vous rêver ? » Surpris par cette intrusion dans mon bureau, je sursaute en entendant la voix de mon Capitaine. Il me lance un regard noir et je comprends que cela doit faire plusieurs minutes qu’il doit être en train de m’observer à ne rien faire. Je n’arrive pas à me concentrer cette après-midi. « Non, non monsieur. Je pensais juste à quelque chose pour l’affaire de la bijouterie du 8ème. » Gros mensonge. Je ne suis pas un menteur habituellement, mais je ne me vois pas dire la vérité à mon patron. Il hausse des épaules et en un regard me fais comprendre que j’ai plutôt intérêt à me mettre au travail. J’attrape un dossier au hasard sur mon bureau et fais semblant de m’y intéresser. Je ne pense qu’a une chose depuis ce matin. A elle. Aujourd’hui cela fait deux mois jours pour jours que j’ai mis fin à notre relation. Enfin si on pouvait réellement appeler cela une relation. J’ai été son amant pendant plus d’un an. Personne n’est au courant de cela. J’aime une femme comme je n’ai jamais aimé personne dans ma vie et je n’ai pu le dire à personne. Pas même à ma petite sœur. Cette histoire avait finis par me bouffer de l’intérieur. Tous ces secrets, toutes ces fois où j’ai du partir de chez elle par l’escalier de service pour ne pas croiser son mari. Le nombre de fois où elle m’a jeté du lit parce que son mari était en train de l’appeler sur le fixe. Il y a deux mois j’en ai eu marre de me cacher et j’ai mis fin à tout cela. Elle me manque plus que jamais, mais j’essaye de me tenir à ce que j’avais dit. Je ne l’appelle pas, je ne lui envoi plus de message et j’évite tous les endroits qu’elle fréquente. Il y a deux jours, je suis passé devant chez elle et j’ai du me faire violence pour ne pas aller sonner. Elle hante mon esprit et tous les jours elle me manque un peu plus. Je me sens plus triste que jamais, mais cela aussi je dois le cacher. Alors que pour une fois, j’aimerais bien relâcher la pression.

Enfin. La journée passe tout de même assez rapidement et l’heure de la fin de mon service arrive enfin. Ce soir je me dépêche, car je dois passer la soirée avec ma petite sœur. C’est très important pour moi. Depuis sa tentative de suicide, je fais attention à elle comme à la prunelle de mes yeux. Je lui envoi au minimum trois messages par jour et le soir quand elle ne rentre pas je commence à me faire du souci. Juliette est tout ce que j’ai de plus cher alors oui on vit encore ensemble, mais c’est pour son bien. Et pour le mien par la même occasion. Je rentre à la maison avant elle et en profite pour aller prendre une bonne douche. Sous l’eau chaude j’essaye d’oublier mes mauvaises pensées. Ce soir il faut que je sois de bonne humeur, il ne faut pas que Juliette ce doute de quelque chose. Distrait je sors de la salle de bain avec une simple serviette autour des hanches et tombe sur ma sœur dans le couloir. Sa remarque me fait rire. « Je suis pas à poil non plus ! » Je l’entends encore ronchonner et vais rapidement dans ma chambre pour enfiler une tenue décontractée. Survêtement et tee-shirt blanc. Je rejoins Juliette dans la cuisine et saute presque sur les pizzas. « Han trop bien, j’ai trop faim. » Je ne l’attends même pas pour mordre dans un bout. Oui j’ai vraiment faim. Elle m’entraîne tout de même dans le salon et on s’installe un peu plus confortablement. Je tourne alors la tête vers elle et lui souris tendrement. « Tu as passé une  bonne journée ? » Je lui ai déjà demandé cela à midi par message, mais bon, je suis pas au courant de l’après-midi après tout. « T’as l’air fatiguée… » Je devrais peut être me taire, parce que je pense que j’ai une tête à faire peur moi aussi.  

J'ai vraiment beaucoup de chance d'avoir Théo, d'avoir quelqu'un vers qui me tourner quand je me sens pas très bien. On peut dire qu'il m'a vu dans le pire des états donc je sais que je n'aurais jamais honte de pleurer dans ses bras ou de venir lui parler de ce que je traverse. Pourtant, je ne lui ai pas encore beaucoup parlé de Leïla. Il a remarqué que j'étais sous le charme d'une fille mais on n'a jamais abordé le sujet plus loin. Je sais très bien qu'il n'est pas très à l'aise avec ma sexualité. Je ne le prends pas mal parce que je sais que ce n'est pas qu'il n'aime pas les homo, mais simplement qu'à ses yeux, je serais toujours sa petite soeur et qu'il aura toujours de la peine à me voir avec une femme. Pourtant... J'aimerais bien pouvoir lui parler d'elle, lui confier mes craintes à l'idée de tomber amoureuse et surtout le fait que la photographe me fuit depuis notre nuit ensembles. Mais je sais que je ne peux pas. Même si je sens que cette histoire est en train de me tirer vers le bas, je ne peux pas être franche sur ce sujet là. Mais j'adore toujours autant mon frère. Il pourrait très bien en avoir marre d'avoir sa petite soeur sur le dos. A trente ans, il devrait avoir une femme et même des enfants et surtout pas vivre avec son pot-de-colle de soeur.

Pot-de-colle de soeur qui se charge quand même de ramener sa pizza préférée! Après une petite blague quant à sa tenue légère, il se dirige dans sa chambre et moi je sors une bière du frigo et la décapsule. Je me fais un sirop et mon frère réapparaît dans mon champs de vision, se jetant presque sur sa pizza. Je le regarde les yeux écarquillés avant de finalement me diriger vers le salon et de prendre une part de ma propre pizza. J'ai toujours un rapport bizarre avec la nourriture mais au moins, je mange. Pour la deuxième fois de la journée, Théo me demande comment se sont déroulées ces douze dernières heures. J'hausse les épaules pour toutes réponses. La danse c'est ma passion, il le sait, je n'ai donc pas besoin d'épiloguer là autour. « Parce que je le suis... » soufflais-je un peu en l'entendant constater que j'ai l'air fatiguée. « Mais tu as l'air au même niveau que moi donc je la ramènerais pas trop à ta place. » Je me penche vers lui pour lui donner un coup d'épaule, lui montrant que je plaisante. « Tu veux en parler? » demandais-je en posant ma tranche de pizza dans le carton pour boire une gorgée de mon sirop. « Il s'est passé quelque chose au poste? » Lui tirer les vers du nez a toujours été quelque chose de très compliqué chez mon frère.

J’ai pensé à Maëlys toute la journée… Cela faisait des semaines que cela ne m’était pas arriver. Je m’étais forcé à ne pas penser à elle. Je m’étais plongé dans le travail pour l’oublier. Il ne faut pas que je pense à elle. J’ai été son amant pendant un an et elle à briser toutes mes croyances sur la vie de couple. J’étais celui que l’on cachait, celui que personne ne devait connaître. Elle disait m’aimer, mais j’ai finis par douter. Aujourd’hui, je doute encore de sa sincérité. Est-ce qu’elle m’a vraiment aimé ? Cette histoire est en train de me bouffer de l’intérieur et je ne peux en parler à personne. Alors je garde tout pour moi encore et toujours. Je sors de la douche et j’efface Maëlys de mes pensées. Ce soir il faut que je me concentre sur ma petite sœur. C’est notre soirée à deux. Les seuls moments de la semaine où on accorde nos emplois du temps. Je refuse les planques de la nuit et les sorties entre collègues. Lorsque j’étais encore avec Maëlys, c’était le seul soir où je lui demandais de ne pas m’appeler et ce même si son mari était absent. Je croise mon reflet dans le miroir et soupire longuement. J’espère que Juliette me posera pas trop de questions ce soir. Tiens en parlant d’elle. Je la croise dans le couloir et elle hurle presque au loup en me voyant torse nu. Je lève les yeux au ciel et rigole avant d’aller m’habiller rapidement dans ma chambre. J’enfile une tenue pour traîner à la maison et rejoins Juliette dans la cuisine.

Je me jette littéralement sur la pizza qu’elle a ramenée et hausse les épaules en voyant le regard qu’elle me lance. J’ai vraiment faim. A midi, j’ai à peine avalé la moitié d’un sandwich, alors ce soir j’ai bien l’intention de me rattraper. « Merci pour la pizza. » Habituellement on cuisine, mais pendant nos soirées à deux, on en profite pour commander et ce faire un plateau télé. Demain, je bosse en soirée, alors je peux me permettre de passer la soirée entière avec ma petite sœur. On va s’installer dans le canapé et je la questionne sur sa journée. La blondinette ce contente d’hausser les épaules et je fronce les sourcils. Ca veut tout dire ça… Alors subtilement je lui dis qu’elle a l’air fatiguée et alors que je pensais qu’elle allait me parler un peu d’elle, elle me retourne la question en jugeant mon état. D’accord… Je suis victime de ma journée moi aussi. Juliette me demande alors si je veux en parler et je ris nerveusement à sa question. Il va bien falloir que je lui avoue un jour ou l’autre et puis c’est finis maintenant alors pourquoi continuer à mentir ? Pourtant je ne sais absolument pas comment aborder le sujet… « Si c’était que des problèmes de boulot, ma vie serait parfaite. » dis-je en soupirant pour répondre à sa question. Et subitement, je me concentre sur mon morceau de pizza. C’est devenu la chose la plus intéressant de la pièce désormais. Pourtant je sens le regard noir de ma sœur se poser sur moi. Je finis pourtant lentement mon bout de pizza avant de lever les yeux vers elle. J’hésite comme jamais. Pour la première fois de ma vie, j’ai peur de son jugement. « Ton abrutit de frère a été l’amant d’une femme mariée pendant plus d’un an… » Et surtout il est tombé amoureux d’elle. Une nouvelle fois, le visage de Maëlys me revient à l’esprit. Elle me manque. Je voudrais la prendre dans mes bras, l’embrasser. La retrouver… « Ca fait deux mois aujourd'hui que j’ai coupé les ponts avec elle et elle me manque… » Je me sens mal à l’aise d’un seul coup. Je fuis le regard de Juliette et aimerais me cacher sous le canapé. Je joue nerveusement avec le bas de mon tee-shirt. Il y a un million de chose que j’aimerais dire à ma sœur à propos de ma relation avec Maëlys, je voudrais lui demander des conseils et pourtant : « On est pas obligé d’en parler. C’est ta soirée. » Ce n’est pas forcément vrai, mais je veux pas m’étaler ou pire me montrer faible face à ma petite sœur.

C'est devenu une tradition depuis quatre ans. En sortant du centre pour jeunes en difficultés, je n'ai pas eu le choix, mon frère m'a pris sous son aile n'ayant plus de famille s'inquiétant assez pour moi. Il m'a offert son toit et surtout toute son attention. C'était quelque chose qui m'avait manqué quand j'ai passé quatre ans en centre. Là-bas, on s'occupe de vous, on vous demande de parler, on vous donne des médicaments et on fait en sorte de vous remettre sur pieds. Mais on ne vous demande jamais comme ça va. Mes parents ne m'ont jamais rendu visite. Pourtant, on était heureux il fut un temps, on était une famille soudée mais tout a volé en éclat et tout d'un coup, nous n'étions plus une famille, nous n'étions que des étrangers les uns pour les autres. A part Théo. Ca fait quatre ans qu'on habite ensembles, quatre ans que tous les lundis soirs, c'est notre soirée à nous deux. Je n'arriverais jamais à le remercier de tout ce qu'il a fait pour moi. Que ça soit quand on était encore enfants, quand il m'a emmené dans ce centre ou quand il m'a attendu à la sortie. Sans lui, je pense que je ne serais plus là depuis bien longtemps. En temps normal, j'arrive à lui faire dire tout ce que je veux. Je n'ai qu'à le regarder pour qu'il cède mais là, ça fait plusieurs semaines, mêmes mois que je vois que quelque chose le tracasse mais il me parle toujours de son boulot. C'est pour ça que je ressort son excuse ce soir pour voir si comme toujours, il me dira qu'il est fatigué ou énervé à cause de telle ou telle injustice. Mais sa réponse est toute autre. Apparemment, pour une fois il préférerait avoir des problèmes uniquement au poste de police. Donc il y autre chose. Je n'ai jamais vu mon frère avec une femme. Il est très discret sur ses relations avec les femmes et c'est le premier truc qui me vient à l'esprit. Qu'il y a-t-il d'aitre pour rendre un homme faible après tout? Ma gorge se serre un peu parce qu'il semblerait que j'aie vu juste sauf que je ne m'attendais pas du tout à cette révélation. L'amant d'une femme mariée? Ma mâchoire se déboite et mes yeux s'écarquillent. Et je n'ai rien vu. Je sais, c'est égoïste mais je n'écoute même plus ce qu'il est en train de me dire, tout ce que j'entends c'est que durant toute une année, Théo m'a caché cette histoire et que je n'ai rien vu. Donc, chez les De Guillaume, on ne parle pas d'amour, on ne parle pas de relations, qu'elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles. Je commence à me demander si Théo n'a pas un problème avec tout ce qui touche à l'amour. Je me lève doucement, sous le choc. « ... un an... » Trois cent soixante cinq jours oui. Je finis enfin par croiser son regard, je ne cache pas ma déception. « Pourquoi tu ne m'as rien dis?! Je pensais qu'on se disait tout! C'est quoi ton problème avec les relations amoureuses? » Je m'emballe mais entre la fatigue, toutes ses histoires avec Leïla et maintenant ça... Je suis au bord de la crise de nerfs. « Comment... J'ai été aussi aveugle pour ne rien voir! C'était ça tes heures supplémentaires?! »

Je ne sais pas si c’est une bonne idée de tout avouer à Juliette ce soir. Pourtant je commence à en avoir marre des secrets, j’ai besoin de me confier à quelqu’un. Il faut que quelqu’un sache et la seule personne en qui j’ai assez confiance pour parler de tout cela n’est ma petite sœur. Pourtant je continue à hésiter. J’ai soudainement peur de ce qu’elle va bien pouvoir penser de moi. Si ma sœur ce met à me juger, je crois que je me sentirais plus mal encore. Pourtant je vois qu’elle insiste. Elle ne me lâche pas du regard et elle sait parfaitement que c’est le seul moyen pour me faire craquer. Même après les années, elle y arrive toujours aussi bien. Assis sur le canapé, je la regarde un instant sans rien dire. Et puis finalement, je lâche le morceau. Je ne lui avoue pas tout, mais presque. Au moins, je lui dis que j’ai été l’amant d’une femme, que cela a duré un moment et que désormais je ne suis plus avec elle. Mais j’ai l’impression que Juliette m’écoute à peine. Je vois ses yeux écarquillés et sa bouche s’ouvrir sous le coup de la surprise. Je le savais, c’était une mauvaise idée. Elle chuchote un truc presque incompréhensible et pose son regard sur moi. Je n’aime pas cela…. Elle continue à me regarder et finalement elle se lève pour tourner en rond. Et d’un seul coup, elle ce met à m’engueuler. Elle me demande si j’ai un problème avec les relations amoureuses et si ça m’était venu à l’esprit de lui en parler avant. Je me sens encore plus mal à l’aise d’un seul coup. Je passe une main sur ma nuque et baisse les yeux comme un enfant pris les mains dans le sac. Juliette me fais une nouvelle remarque et cette fois c’est moi qui est envie de m’emballer nerveusement. « Je savais pas comment te le dire… Je ne me voyais pas rentrer un soir et te dire : au fait, je suis avec une femme mariée. » Autrement dit, j’avais honte. Je ne peux pas expliquer le pourquoi du comment de notre relation. Elle est arrivée dans ma vie sans prévenir et le reste est arrivé sans prévenir aussi. Je suis juste tombé amoureux d’elle. C’est quelque chose qui ne s’explique pas. Je voulais en parler avec Juliette, parce que j’avais besoin de soutien. Parce que Maëlys me manque et que je peux pas l’appeler. C’est en train de me bouffer de l’intérieur et ma sœur est en train de m’engueuler pour cela. « J’aurais pas dû t’en parler… » Je la regarde continuer à tourner en rond dans le salon et finis par l’attraper par le poignet pour la faire asseoir à mes côtés. « J’ai été celui qu’on cache, qu’on jette sous le lit parce que monsieur le mari viens de rentrer. Je voulais pas t’en parler parce que je ne savais pas comment en parler. Tu m’aurais demandé pourquoi et j’aurais été incapable de te répondre… C’est comme ça. J’aime Maëlys, mais j’en ai pas le droit. Tout ça parce que sa famille la mariée a un autre. »

Spoiler:

Par réflexe, je me mets à faire les cents pas devant le canapé du salon. Je vis avec mon frère depuis quatre ans. On se croise tous les jours malgré nos emplois du temps et je n'ai rien vu. Ce qui me blesse le plus en fait dans cette histoire, c'est même pas la relation qu'il a avec cette fille, c'est le fait qu'il me l'ait caché. Il connait le moindre de mes secrets, des choses que je ne dirais à personne, et lui il n'a même pas été fichu de me dire qu'il était amoureux. C'est mon frère, je l'aime plus que tout, j'aurais été tellement heureuse pour lui. J'ai toujours espéré le voir rentrer avec une femme un jour ou l'autre. Théo a trente ans et j'aimerais bien avoir une belle-soeur et peut-être même être tata un jour. Certes, je m'emballe un peu mais je fais comprendre mon point de vue à Théo. J'ai toujours été assez impulsive. D'abord on crie et après on réfléchit et c'est encore pire depuis que je suis sortie du centre. Théo se ratatine un peu dans le canapé avant de se défendre. Je lève les mains en l'air. « J'aurais été hystérique pour toi! Ca fait quatre ans que j'attends que tu rencontres quelqu'un! N'importe quelle soeur aimerait voir son frère heureux avec une gentille femme... » Je ne comprends pas comment Théo peut avoir honte comme ça d'être amoureux... Okay, c'est à une femme mariée et je me doute que c'est ce qui le tracasse mais je suis sa soeur, je suis homosexuelle, je pense que s'il y a bien une personne qui ne le jugera jamais c'est bien moi! « Ce qui me blesse en fait c'est que tu puisses croire que je te jugerais. » Je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit que Théo m'attrape par le poignet et me fait assoir à ses côtés. Je pose mes mains sur mes genoux et fixe le mur d'en face, boudeuse. Je l'écoute attentivement et secoue la tête. « Tu devrais pas avoir honte Théo. C'est elle qui est mariée. T'as le droit d'être amoureux et si c'est réciproque c'est à elle de faire le nécessaire avec son mari. » Je tourne le regard vers mon frère et secoue un peu la tête. « Si seulement tu m'en avais parlé plus tôt... T'es bien un De Guillaume... » soupirais-je. Ca a toujours été comme ça dans notre famille, il y a eu des secrets, des "non-dits" et le jour ou Théo a découvert l'adultère de notre père, on s'est promis tous les deux de toujours tout se dire. Même s'il s'agissait de cacher un corps mort dans la forêt. Ca allait très bien comme ça. Même si ça été dur pour moi, je lui ai tout raconté de ce que j'ai vécu au centre et lui, il me parlait de ses journées fatigantes au poste de police même si certains dossiers étaient sensés rester secrets. Mais c'était simplement pour pouvoir vider son coeur, pour se sentir plus léger et surtout avoir quelqu'un sur qui compter. Ca a toujours été lui et moi contre le reste du monde. Je pousse un petit soupir en baissant mes yeux sur mes mains. J'évite cependant de les retourner pour ne pas avoir à regarder mes cicatrices. « Elle va quitter son mari? » demandais-je de manière franche à mon frère.

En regardant Juliette faire les cents pas, je me demande pourquoi je ne lui en avais pas parlé avant. Après tout, ce n’est pas ma petite sœur qui allait vendre mon secret. Je sais qu’elle n’aurait rien dit à personne. Peut être même qu’elle m’aurait soutenu et j’aurais sans aucun doute pu lui demander des conseils. Peut être même que j’aurais mis fin a cette relation bien avant en écoutant les conseils de ma sœur. Mais je n’en avais rien fait. L’adultère à détruit notre famille et c’est en train de recommencer sur ma vie. Ce n’est pas moi qu’on trompe cette fois, mais c’est plutôt moi qui aide à tromper. Bon. La situation est complètement différente aussi. Maëlys n’as pas d’enfants et surtout elle n’a pas choisi l’homme avec qui elle est marié. Mais la situation reste compliquer malgré tout. Je vois Juliette qui n’arrête pas de tourner et moi je me sens de plus en plus mal à l’aise. Elle m’en veut de ne pas lui avoir parlé de cela avant. Ces paroles me touchent. « Sauf que ton frère il est pas vraiment heureux comme ça… » Je l’ai été. Au début, je l’étais vraiment. Je me fichais du fait qu’elle soit mariée et des conséquences, mais maintenant cela me blesse. J’ai l’impression d’être la roue de secours et c’est quelque chose que je ne supporte plus, malgré tout l’amour que je peux bien lui porter. Juliette avoue être blessée du fait que j’ai pu croire qu’elle me jugerait. Une nouvelle fois je baisse la tête. « L’adultère c’est pas vraiment un bon sujet chez nous… » Elle sait très bien de quoi je parle alors je n’ai pas besoin d’épiloguer. Un instant, je l’attrape par le poignet et lui demande de s’asseoir un peu. Elle commence à me donner le tournis. Une nouvelle fois, elle fait tout pour me rassurer en me disant que je ne devrais pas avoir honte. Après tout, elle a raison. Ce n’est pas moi qui suis marié. Et pourtant. C’est bel et bien moi qui est insisté pour la revoir alors que je savais parfaitement qu’elle était mariée. C’est moi qui l’ai embrassé et tout le reste. Je suis pas vraiment blanc comme neige non plus. Une nouvelle fois elle insiste sur le fait que j’aurais dû lui en parler avant. Je baisse la tête. « Je voulais pas t’embêter avec mes soucis. » Ma petite sœur à déjà assez de problème dans sa vie comme cela, pas besoin de lui rajouter les états d’âmes de son grand frère en plus. C’est moi qui doit la protéger et pas le contraire, même si ça a toujours été elle et moi contre le reste du monde. Je sens Juliette hésiter et finalement elle me pose la question qui devait lui trotter dans la tête depuis quelques temps. Est-ce que Maëlys va finir par quitter son mari ? Mon plus beau rêve, mais tellement loin de la réalité. « Quand je l’ai quitté, je lui ai dit de revenir vers moi quand elle aura quitté son mari. Elle est toujours par revenu… » Deux mois que j’attends. Un signe, une nouvelle, un coup de téléphone, n’importe quoi. Je voudrais entendre le son de sa voix, la voir, l’embrasser, mais rien… Je suis obligé d’attendre. Oui mais jusqu’à quand ? « Donc j’attends. Encore et toujours, en me disant que ce mec lui fait l’amour, se réveille à ses côtés et vit une vraie vie avec elle… » Cette histoire est vraiment en train de me bouffer. Je sais que je devrais tenter de passer à quelque chose d’autre, mais je n’y arrive vraiment pas…

Depuis mon plus jeune âge, Théo s'est toujours occupé de moi. J'étais chiante mais ça ne l'empêchait pas de me donner le biberon de temps en temps quand papa et maman n’étaient pas là, ou encore de m'emmener à mes cours de danse à chaque fois que je le lui demandais. Et surtout, il a été le premier vers qui je me suis tournée lorsque j'ai tenté de me suicider. Théo a toujours été un soutient, un pilier pour moi et maintenant que j'aurais pu lui rendre l'appareil, il me fait des cachoteries. S'il m'avait tout dis depuis le départ, si un an en arrière il serait venu vers moi et m’aurait dis qu’il avait rencontré une femme mariée et qu’il ressentait quelque chose pour elle, j’aurais moi aussi pu le soutenir et l’aider. Jamais je ne lui aurais jeté la pierre d’être tombé amoureux de la "mauvaise" personne, mariée ou pas, ce n’est pas le genre de chose que l’on choisit. Mais je pense que dans le fond, Théo avait surtout peur de ça, peur de ses sentiments et peut-être de mon jugement. « Tu ne me fais pas confiance Théo ? » C’est quelque chose qui devrait pourtant être réciproque et même si je doute toujours facilement de tout, j’espère au plus profond de moi que ce n’est pas ça le problème. Je lui ai toujours ouvert mon cœur, je lui ai tout dis par rapport à mes états d’âmes, à mes préférences sexuelles, il a toujours tout su de moi. Si mon frère ne devait pas avoir confiance en moi, je ne sais pas comment je réagirais. J’aurais l’impression d’être trahie. Je peux comprendre qu’il ait honte, mais pas avec moi, pas avec sa petite sœur. Il m’avoue ne pas être heureux et je le regarde tristement. Je n’ai jamais été dans sa situation mais je peux comprendre sa tristesse. Il doit supporter de voir la femme qu’il aime dans les bras d’un autre. Le genre de situations qui arrivent malheureusement souvent…  « M’embêter ?! T’es sérieux là Théo ? Est-ce que je me suis demandée si j’allais t’embêter lorsque j’ai toqué à ta porte il y a quatre ans ? Quand j’étais désespérée ? Tu m’as soutenue, tu m’as donné du courage. Je peux bien te rendre l’appareil, que je sois fatiguée ou pas, que je sois tracassée par autre chose ou pas. On est une famille tous les deux… » Je le regarde, toujours un peu secouée. Ce n’est que maintenant que je réalise certaines choses, pourquoi il a des cernes sous les yeux, pourquoi il a souvent été absent cette dernière année et pourquoi il était silencieux parfois. Je m’en veux de ne rien avoir remarqué. J’étais trop plongée dans mes problèmes de santé et de petite amie que je n’ai pas fait attention à mon frère qui vivait quelque chose de douloureux. Sans le moindre tact – autant y aller directement – je demande à Théo si cette femme qu’il aime compte quitter son mari. Je me doute en voyant son état que la réponse ne va pas être positive mais à ma plus grande surprise, il me dit que c’est lui qui l’a quitté. Je fronce les sourcils, essayant de comprendre… Comme s’il lisait dans mes pensées, mon grand frère m’explique qu’il a mis une sorte d’ultimatum à cette femme. Je suis forcée de faire une grimace lorsque Théo me fait savoir qu’il attend en sachant pertinemment que son mari fait l’amour à la femme qu’il aime. Je vois le regard que me lance mon frère et je lève les mains en signe d’abandon. On ne sera décidemment jamais d’accord sur mon homosexualité et le fait que lui soit « normal ». Je pose ma main sur le genou de mon frère en signe de réconfort. « Je sais que ça va te paraître dérisoire – et surtout hypocrite de ma part – mais si elle t’aime vraiment, elle va réapparaître. Elle aura quitté son mari pour être avec toi. Si elle ne le fait pas, il devra tourner la page et trouver une autre femme. Mais ne tarde pas trop parce que j’aimerais bien être tata un jour ! » Humour, humour… Je suis assez mal placée pour dire ça parce que dans le fond, j’attends moi aussi que quelqu’un vienne vers moi pour me dire qu’elle m’a choisie mais je sais que l’attente est lente. « Elle est mignonne au moins ? »

La question de Juliette me déstabilise. Est-ce que j’ai confiance en elle ? Je prends cela comme un affront. Je ne sais même pas pourquoi elle ce demande cela. Je me suis toujours occupé d’elle, j’ai toujours fait tout mon possible pour qu’elle est une vie heureuse, pour qu’elle ne remarque pas les absences de papa et tout le reste. Je regardais des films à l’eau de rose juste pour lui faire plaisir, je l’emmenais à tout ces cours de danse et tout le reste. Elle aurait pu me demander de jeter dans la Seine que je l’aurais fait. Et oui. Cela peut paraître absurde, mais c’est ma petite sœur et c’est quelque chose qui ne s’explique pas. Alors oui j’ai du mal à comprendre sa question. Pourtant je ne m’énerve pas. « Bien sûr que je te fais confiance ! Doute jamais de ça Juliette. » Je pose ma main sur le genou de la jeune femme et lui offre un petit sourire timide. Je ne lui ai rien dit, mais ce n’est pas une question de confiance. C’est… C’est juste de la bêtise. Je ne voulais pas l’embêter avec mes histoires. Elle a déjà bien trop de chose en tête, elle a assez de problème comme cela, je ne voulais pas lui rajouter les miens c’est tout. Pour moi, cela est légitime, mais visiblement j’avais agis comme un idiot. Juliette s’emballe et me demande si je me moque d’elle. On dirait que je me fais engueuler par ma mère. Je baisse la tête et l’écoute jusqu’au bout. Sans réfléchir, je la prends dans mes bras. « Bien sûr qu’on est une famille. » Sinon je ne vivrais pas encore sous le même toit qu’elle et je ne passerais pas tous mes lundis soirs en sa compagnie. Pour moi c’est évident. Je dépose un baiser sur la tempe de Juliette et baisse les yeux vers elle. « Au début, je trouvais pas ça important et puis après je suis resté dans mon secret. Ca ne justifie rien, je sais… »

Un instant, je reste comme cela sans bouger, avec ma petite sœur dans mes bras. Je me rends compte que cela me fait du bien de lui en parler. J’avais besoin de vider mon sac. De dire à haute voix que je n’étais pas heureux de cette situation. C’est un petit soulagement parmi le reste. Je finis par me décaler pour voir ma sœur et boire une gorgée de ma bière. Juliette me dit de tourner la page et de trouver une autre femme. Elle fait même une petite note d’humour et m’arrache un sourire. « Tu seras tata un jour, ça je te le promets ! » Ca c’est une idée que je n’abandonnerais pas. J’ai beau avoir trente ans déjà, j’aimerais avoir des enfants. Avoir une famille à moi. Maëlys m’avait posé la question un jour et j’avais été franc avec elle. J’avais bien vu que ma réponse l’avait déstabilisé, mais je ne m’étais pas défiler. Après une nouvelle hésitation, Juliette me questionne sur le physique de Maëlys et cette fois je rigole franchement. « Quelle question ! » Du regard je cherche mon téléphone. J’ai une photo. Une seule et unique photo de Maëlys, que j’avais pris une fois par surprise. Je trouve mon mobile et me lever pour aller le chercher. Je cherche un instant et tends l’appareil vers ma sœur. Sur le cliché Maëlys ris aux éclats. Revoir cette photo me fait un petit pincement au cœur, mais j’essaye de faire comme si de rien était. « Je voulais te la présenter tu sais. Parce que je lui parle tout le temps de toi, alors je voulais te la présenter. On avait tout prévu et puis son mari est rentré plutôt que prévu de son voyage d’affaire et on en a jamais reparler. »

C’est bête je sais, mais je suis quand même soulagée lorsque Théo me dit qu’il a confiance en moi. Ca peut paraître anodin, surtout après tout ce qu’on a vécu les deux et le fait qu’on vit ensembles mais suite à sa révélation, j’avais besoin de l’entendre de sa bouche. Je vois bien qu’il a l’impression de se faire engueuler comme un enfant quand je lui fais comprendre qu’il aurait dû me parler, que j’aurais aimé qu’il me dise ce genre de choses pour que je puisse l’aider du mieux que je peux. Au lieu de ça, il s’est enfermé dans sa bulle avec cette fille et je n’étais au courant de rien. Il a vécu ça tout seul, dans son coin et ça me fait de la peine parce que parfois ça fait tellement du bien de partager des anecdotes ou simplement de demander conseil à quelqu’un d’autre. A la fin de mon petit discours, Théo me prend soudainement dans ses bras. Je me blotti contre lui, pas mécontente d’un câlin. Ca fait bien longtemps que je n’ai pas reçu d’affection et ça commence à me manquer. Surtout de l’affection d’une femme, de Leïla en particulier. Mais les bras de mon frère me conviennent déjà bien. Il m’embrasse sur la tempe et me déclare qu’on est une famille. On le sera toujours. Il trouvait ça bête de me parler de sa petite amie secrète. Je lève les yeux au ciel et m’écarte de lui pour le regarder dans les yeux. Machinalement, je pointe mon doigt sur ton torse. « Dorénavant, tu me dis tout. Je ne veux plus de secrets entre nous. Même s’il s’agit de ta couille atrophiée, je m’en cogne ! » Je me rends compte de ce que je viens de dire et secoue la tête. « Non, ce genre de détails, t’es pas obligé en fait. Mais pour le reste, je veux vraiment que tu me dises tout. Je peux bien t’aider du mieux que je peux après tout ce que tu as fais pour moi… »

Théo a quand même l’air soulagé de m’avoir parlé. Tout ce qui lui reste à faire désormais c’est de passer une bonne nuit de sommeil et de prendre quelques vitamines. J’y remédierais demain matin en lui préparant un jus avant de partir au studio. Je fais un large sourire rien qu’à l’idée d’être tata un jour. Ce gamin sera dores et déjà pourri gâté. Je ne sais pas si je pourrais être mère un jour alors le bébé de Théo sera surprotégé et chouchouté par mes petits soins. Théo s’active à trouver son téléphone. Je pose brièvement mon regard sur nos pizzas et constate que je n’y ai pas vraiment touché. Il faudra que je me la réchauffe plus tard et que je me force un peu à manger sinon demain en cours, je ne tiendrais pas une heure sans tomber dans les pommes. Je baisse le regard sur mes doigts et devient un peu mélancolique tout d’un coup. J’aimerais pouvoir parler de Leïla à Théo, j’aimerais pouvoir les présenter et surtout être fière de dire qu’elle est ma petite amie… Heureusement, mon grand frère me tire de mes pensées en me présentant son téléphone portable où une photo de la dite Maëlys est affiché sur l’écran. Elle me semble bien jeune mais je reconnais tout à fait mon frère, elle est très mignonne. « Une blonde hein ? » Je lève un regard amusé vers lui avant de lui sourire sincèrement. « Elle est très mignonne. Fais gaffe, je pourrais tenter de te la piquer ! » Je lâche un petit rire. Théo m’avoue qu’il aurait aimé me la présenter et je fais un petit sourire. Je vois que ça le rend triste de ne pas pouvoir la présenter comme sa petite amie tout court. Je lui frotte le bras pour le rassurer. « Je suis sûre qu’un jour tu me la présenteras. Si ça se trouve, on plaisantera même sur ta dégaine ou tes cheveux en pétard. » Je tapote la place à côté de moi pour que Théo revienne s’asseoir. « Allez… Fini de manger. » Je l’embrasse sur la joue et me lève dans un petit saut pour aller chercher mon carnet dans mon sac de danse. Je retourne m’asseoir auprès de mon frère et commence à feuilleter mes notes pour tout ce que je dois penser à faire demain. « Tu te rends compte Théo ?! J’ai une de mes élèves qui quitte le cours parce qu’elle est tombée enceinte. Elle a seize ans. » Je secoue la tête, toujours aussi choquée depuis qu’elle me l’a appris.

Je prends ma petite sœur et lui fais un câlin. Je vois bien qu’elle c’est fait du souci, mais il n’y a pas de raison. Juliette n’as pas toujours été comme cela. Lorsqu’elle était enfant et que notre famille allait encore bien, elle était une petite fille indépendante qui adorait se débrouiller tout seule. Elle le criait sur tous les toits d’ailleurs. Et puis nos parents on divorcer et elle a entamé sa descente aux enfers. Depuis ce jour-là, ce que je pense, ce que je dis lui importe plus que tout le reste. Lorsqu’elle était au centre, il arrivait que je ne puisse pas venir la voir pendant deux/trois jours parce que j’avais trop de travaille et que je n’avais pas le choix et a chaque fois une infirmière finissait par m’appeler pour me dire que ma petite sœur était en train de faire une crise d’angoisse. Elle a peur que je l’abandonne et j’ai l’impression que ce sentiment ne la quittera jamais. C’est bel et bien pour cela qu’à trente ans passé, je vis encore avec elle. Et c’est pour cela que je la prends dans mes bras a cet instant précis en lui assurant que nous serons toujours une famille ensemble, quoiqu’il arrive. Ce qu’elle dit par la suite me fait écarquiller les yeux. « Euh… Si tu pouvais éviter de parler de cela comme ça. Quand même. » C’est pas que je ne veux pas parler de mes soucis avec elle, mais il ne faut pas exagérer non plus. Juliette explose de rire et je la suis rapidement.

Je me soulager et je vais même un peu mieux. Cela fait du bien de parler de cela avec elle. C’est un véritable soulagement. J’ai l’impression que pour une fois, je vais pouvoir bien dormir cette nuit. Je ne ferais pas de cauchemar ou tout du moins je vais essayer. En tout cas, cela semble bien plus envisageable au moins. Juliette me questionne sur Maëlys et je vais chercher mon téléphone pour lui montrer une photo. La seule que je possède de la jeune femme. J’ai un pincement au cœur en la voyant sourire sur ce cliché. On arrivait quand même à être heureux tous les deux. Malgré les problèmes. C’était juste des moments fugaces, mais c’était bien. Je reviens sur terre lorsque ma sœur me menace de me la piquer. Je sais qu’elle préfère les femmes, mais j’ai encore beaucoup de mal avec tout cela. Je ne sais même pas quoi lui dire durant quelques secondes. « Essaye pour voir. » finis-je par lui répondre un peu fébrile. Il faut vraiment que j’arrête de bloquer là-dessus, ma sœur est heureuse comme cela et je ne peux pas lui en vouloir. « D’ailleurs… Y a du nouveau avec cette fille ? » Juliette m’avait parlé d’une copine, elle m’avait dit être amoureuse, mais depuis elle ne m’en a jamais reparlé. On parle de mes amours alors autant parlé des siens par la même occasion. Pourtant ma sœur ne me répond pas. Elle me dit de manger et j’hausse les épaules. Je reprends un petit bout de pizza et mors dedans. Ma sœur sort son carnet de son sac et me parle d’une de ses élèves enceinte à seize ans. C’est dingue ce genre de truc. « Heureusement que tu nous as jamais fait ça. » Bon à seize ans, ma sœur était dans un centre pour l’aider à gérer sa dépression, mais bon. On ne va pas reparler de cela. « Tu n’as pas répondu à ma question Juliette. Je suis peut être fatigué, mais je suis pas encore débile. » Je me tourne vers elle et lui offre un grand sourire.

Le divorce de nos parents m’a affecté sur plusieurs points. Le plus évident, lorsque je me suis retrouvée ballotée de droite à gauche parce que je n’étais pas majeure et qu’ils avaient la garde partagée. Ca m’a beaucoup perturbée et puis en même temps, mon frère, mon pilier avait quitté le cocon familial. Et puis, je découvrais aussi ma préférence pour les femmes. Tout en même temps. J’ai eu l’impression de me retrouver dans un labyrinthe sans savoir par où passer. Papa ne m’accordait pas vraiment d’attention et maman avait tendance à m’oublier. Elle oubliait de venir me chercher après mes cours de danse ou on allait au centre commercial ensembles et elle repartait sans moi. Je ne pense pas qu’elle faisait exprès mais je me suis sentie extrêmement seule tout d’un coup. Théo travaillait déjà beaucoup à ce moment là et je n’osais pas lui parler de ce qu’il se passait entre nos deux parents. C’est lui qui a découvert la supercherie, je ne voulais pas encore qu’il sache ce qu’il se tramait chez les De Guillaume. Jusqu’au jour où j’étais dans la salle de bain chez papa. C’était à lui de me garder ce weekend – comme un chien qu’on laisse en pension – et il s’était éclipsé pour aller voir sa secrétaire, la fameuse amante. J’étais toute seule, je manquais un cours de danse à cause de son soi-disant rendez-vous et je me suis dis que vu que j’étais invisible, est-ce que ça valait vraiment la peine de rester sur cette terre ? Même si on m’a beaucoup parlé, on m’a beaucoup expliqué de choses à propos du suicide, je pense toujours que je n’aurais pas dû me louper ce jour là. Je suis sortie du centre, je vais mieux et j’ai le soutient de mon frère, mais d’après moi, la mort c’est quand même plus simple. Le divorce de nos parents m’a conduit droit en centre pour jeunes en difficulté mais au-delà des problèmes psychologiques que ça a entrainé sur moi, il y a aussi toutes mes croyances en l’amour et en les relations amoureuses qui ont pris un coup. Avant le divorce, j’avais eu un petit copain, mais ça ne se passait pas très bien et puis à quinze ans je n’étais pas sûre de ce que je voulais. Plutôt sportif de l’école, il se fichait pas mal de moi dans le fond. Dans le centre, j’ai rencontré une fille. C’est là que j’ai vraiment compris mon attirance pour les filles. Mais elle a été la seule et on ne peut pas dire que ça a vraiment duré parce que je n’arrivais pas à penser à autre chose qu’au divorce de mes parents. Pourquoi s’attacher si c’est pour que ça finisse de toute manière mal ? Je n’avais pas envie de me retrouver seule et aigrie comme ma maman. Jusqu’à ce que je croise la route de Leïla.

« Mh ? » demandais-je distraitement à mon frère alors qu’il me questionnais sur mes relations amoureuses, le nez plongé dans mon carnet. Son silence m’oblige à lever les yeux et à croiser son regard. Théo n’ame pas forcément parler de mes relations avec les filles et même si sa gêne est visible, il semble sérieux avec sa question. Je me pince la lèvre et hausse les épaules. « Rien de spécial. » Faux, faux et archi faux. On a couché ensembles il y a un mois de cela et depuis, silence radio. Leïla ne répond pas à mes appels et elle fait tout pour m’éviter. Pourtant, mon frère continue de me regarder. Il veut vraiment qu’on parle de ça ? Ce n’est pas moi que ça va déranger mais je n’ai pas envie qu’au bout de deux minutes il change de sujet parce qu’il est trop mal à l’aise. Je l’interroge du regard et je comprends que je peux y aller si je veux. Je me mets à genoux sur le canapé et appuie mon coude sur le dossier. « On a couché ensembles et maintenant, plus de nouvelles. » Je fais une petite moue triste avant de reprendre mon souffle. « Je sais très bien pourquoi elle me donne plus de nouvelles mais ça me bouffe. J’étais enfin prête à ouvrir mon cœur à quelqu’un et… Pouf. » Pouf. « Pourtant cette nuit là c’était trop bien ! J’ai envie eu l’impression d’être sur la même longueur d’onde avec quelqu’un… » Je jette un coup d’œil à mon frère qui devient de plus en plus livide. Je me pince les lèvres et boude un peu. « Désolée… Je me tais, promis. »

Habituellement, je suis le dernier à vouloir parler de mes relations amoureuses et c’est quelque chose qui ne date pas d’hier. Même à l’époque du Lycée j’en parlais très peu. Mes copains se vantaient de leurs nouveaux exploits sexuels avec leurs copines ou du fait qu’ils avaient réussi à avoir la plus belle fille du bahut. De mon côté, j’avais mes copines, mais je n’en parlais pas. Je n’étais pas du genre à hurler sur tous les toits que j’étais avec quelqu’un. En général mes amis le découvraient lorsqu’ils me voyaient embrasser une fille au beau milieu de la cours. Enfin. Il semblerait que ce soir mes habitudes soit quelques peu bouleverser. Je m’ouvre à ma petite sœur pour la première fois depuis un an et je dois avouer que cela fait du bien. Au moins, maintenant elle sait. Je peux rentrer à la maison avec une envie de tout casser ou de m’enfermer dans le noir pour le reste de la semaine et elle pourra comprendre. Plus besoin de me cacher. Une nouvelle fois, je me rends compte que Juliette ne me jugera jamais quoiqu’il arrive. On a une relation assez fusionnelle tous les deux, quelque chose qui ne s’explique pas, mais qu’aucun d’entre nous n’as envie de perdre. Un instant, je la regarde et me met à sourire bêtement.

Finalement, je tente d’éloigner le sujet de la conversation de ma personne. Certes cela m’as fait du bien de parler à cœur ouvert, mais il semblerait que je ne sois pas le seul à devoir faire cela. Je connais ma petite sœur par cœur, il y a peu de chose qu’elle puisse me cacher. Et je vois bien que quelque chose la tracasse depuis quelques temps, mais je n’ai jamais réellement osé lui demander quoi. Je sais que cela a un rapport avec ses relations amoureuses, mais j’ai encore un peu de mal avec l’homosexualité de ma sœur. Je ne suis pas homophobe. Loin de là ! Chacun à bien le droit d’aimer qui il veut, mais avec Juliette c’est différent. Je me voyais être tonton, être super chiant avec son mec pour être sûr qu’il ne lui fera jamais de mal et au final je dois revoir un peu mes plans. Pourtant j’insiste. Même si la conversation va quelque peu me rendre mal à l’aise, je veux que Juliette parle. Elle aussi, elle en a besoin. Lorsqu’elle est sortie du centre, son psy a voulu me parler. Il à approuver le fait qu’elle vienne vivre chez moi et il m’avait conseillé de la faire parler le plus souvent possible. Il avait compris notre relation et il savait que l’on ne se cachait rien ou presque. Il m’a fait confiance pour aider Juliette à aller mieux et aujourd’hui encore j’honore ma part du contrat. Juliette tente d’éviter la discussion, mais je n’ai qu’à la regarder pour qu’elle comprenne que ce n’est pas une bonne idée d’agir de cette façon. Finalement elle lâche ce qu’elle a sur le cœur. Un instant, je grimace à l’idée de ma sœur dans un lit avec une autre femme, mais je chasse rapidement cette idée de ma tête. Souviens toi Théo, elle est heureuse comme cela. Cette fille est en train de briser le cœur de Juliette et ça par contre, ça ne me plaît pas beaucoup. Pourtant je reste silencieux, tellement que ma sœur finis par s’excuser en promettant de ce taire. Rapidement je lève les yeux vers elle. « Que ce soit une fille ou un mec c’est pareil, on couche pas avec ma sœur pour disparaître après. » Oui c’est exactement la même chose dans le fond. « Ecoute… Oui des fois j’ai un peu de mal à t’imaginer avec une femme, mais ce n’est pas ça qui doit t’empêcher de me parler de ce qui te tracasse, d’accord ? » Je lui offre un petit sourire et viens poser ma main sur la sienne. Juliette elle a perdue son sourire. Malheureusement… « Et tu ne pourrais pas la revoir cette fille ? Un peu par hasard, mais pas trop. Tu connais ses amis ? Ou peut être où elle bosse ? » Des fois la chance se provoque. « Tu sais, si je pouvais t’aider, je ferais n’importe quoi. »

Je sais que ça demande un gros effort à Théo de me poser des questions par rapport à mes relations amoureuses. Il a toujours eu de la peine à accepter ma sexualité et même si des fois ça me blesse, je ne lui en veux pas. Je sais très bien qu’il aurait aimé me voir mariée à un homme et avoir des enfants mais ce qu’il ne comprend pas, c’est que même avec une femme, ce genre de choses sont possibles. C’est juste différent. Vu qu’il semble insister, je finis par tout lui déballer. La dernière fois que j’ai tout gardé pour moi, j’avais seize ans et j’ai fini dans un centre pour jeunes à problèmes. Mon frère se tend un peu à côté de moi mais je ne m’arrête pas de parler pour autant, j’ignore même sa grimace quand je lui explique que j’ai passé une nuit avec Leïla. La plupart des hommes auraient des fantasmes sur deux femmes ensembles dans un lit, mais pas mon frère. Je me rends rapidement compte que je devrais arrêter de parler comme si tout ça était normal… Pourtant, ça l’est. Nous aussi nous avons nos problèmes de cœur et le problème c’est qu’à cause de Leïla, j’ai l’impression que je suis gentiment en train de prendre tout ça à cœur et j’ai pas envie de finir de nouveau à quarante cinq kilos. Cette étape de ma vie a été la pire et même si j’ai l’air d’aller bien, ça continue de me hanter. Le problème avec Leïla c’est qu’elle n’ose pas, elle a perdu sa mère et son ex petit ami est mort en guerre. Elle pense que toutes les personnes qui l’approchent de trop près meurent. Je peux la comprendre mais maintenant que je me sens enfin prête à avoir une relation avec une femme, il faut que celle qui ait capturé mon cœur ne se sente pas prête. Le pire dans tout ça, c’est ce silence radio. Si au moins elle me parlait, si au moins on se verrait pour s’expliquer j’arriverais plus facilement à tourner la page. Même si c’est pas du tout ce que j’ai n’envie. Mais non. Je suis laissée dans l’ignorance. Je ne sais pas si elle me fuit à cause de sa sexualité, si c’est parce qu’elle n’a pas apprécié la nuit qu’on a passé ensembles ou si c’est vraiment  à cause de sa peur de perdre d’autres proches.

La remarque de mon frère me fait légèrement sourire, bien que tout ça me rende surtout triste. Il sera toujours mon grand frère protecteur et dans le fond, ça me rassure. J’ai au moins l’impression de pouvoir compter sur quelqu’un… « Une femme ou un homme c’est pareil Théo… » lui dis-je doucement. Je ne suis pas du tout en colère, bien au contraire, j’apprécie qu’il essaie de se justifier même s’il n’a pas besoin. Il pose sa main sur la mienne et je baisse un peu les yeux. Je pensais que parler de ça me ferait du bien mais cette histoire me tire plus vers le bas qu’autre chose. « Non… Elle est photographe, elle n’expose jamais au même endroit et elle est assez solitaire… » Je connais que très peu de choses sur elle et c’est bien ça qui m’attriste. « Je peux pas faire grand chose, à part attendre qu’elle réapparaisse au coin de la rue ou passer à autre chose. » En fin de compte, nos histoires sont plus où moins similaires avec mon frère. On attend bêtement que la personne qu’on aime vienne nous chercher. Mais ça commence à me faire peur. Je relève un regard inquiet vers Théo. « J’ai pas envie de te dire ça Théo mais… J’ai l’impression que toute cette histoire ça me tire vers le bas et j’ai tellement peur… » J’ai beau me lever tous les matins, aller au studio de danse, rentrer le soir avec le sourire, j’ai toujours l’impression d’avoir cette épée Damoclès au-dessus de ma tête. Ma gorge se serre. Je me sens bête tout d’un coup. Je souffle et remet une mèche de cheveux derrière mon oreille. J’ai honte de me laisser envahir comme ça par mes émotions.

Elle a raison dans le fond. Un homme ou une femme c’est pareil. Ce n’est pas une question de sexe là-dedans. Les sentiments sont les mêmes pour tous le monde après tout non ? On tombe tous amoureux pour de bonne raison, aussi différentes soit elle. C’est quelque chose qui ne s’explique pas. Je suis tombé amoureux d’une femme mariée et ma sœur d’une femme. C’est tout. On ne pourra jamais expliquer ce genre de chose de toute manière. Enfin des fois on aimerait bien pouvoir l’expliquer, mais on pourrait y passer des jours entiers et on se prendrait la tête avec cela également. Enfin. Je me concentre de nouveau sur ma petite sœur qui tant bien que mal essaye de vider son sac. Je vois bien qu’elle est mal à cause de toute cette histoire. A croire qu’elle ne sera jamais tranquille. Qu’il y aura toujours quelque chose pour la rendre malheureuse et je déteste cette idée, véritablement. Oui j’ai du mal avec sa sexualité, mais je suis là pour elle. Pourtant je vois qu’elle hésite encore un peu. « Tu rentrerais à la maison avec un cadavre à cacher que je t’aiderais quand même Juliette. » Bon c’est un peu extrême, surtout avec mon boulot, mais c’est la réalité après tout. Il n’y a rien que je ne ferais pas pour elle. Il nous arrive de nous disputer, comme tous les frères et sœurs du monde, mais cela ne dure jamais bien longtemps et la plupart du temps c’est pour des broutilles. Souvent parce que j’ai remis la bouteille de lait vide dans le frigo ou parce qu’elle a laissé ses cheveux dans la douche. Des broutilles. Et même si souvent on ne cesse de se croiser à l’appartement, on trouve toujours un moment pour se parler.

Juliette me fais alors la description de sa copine. Une photographe, discrète qui n’expose jamais au même endroit. D’accord… Pour la retrouver cela ne va pas être une mince affaire. Oui parce que j’ai bien l’intention de retrouver cette fille. Je sais par avance que Juliette ne va pas apprécier cette idée, mais je ne suis pas franchement obliger de lui en parler. Ou tout du moins pas pour l’instant. Ma petite sœur me dit alors qu’elle ne fait qu’attendre. A croire que l’on est réduit à cela tous les deux en même temps. « Va falloir qu’on se soigne, on peut pas attendre aussi longtemps sans rien faire. Il faut qu’on tourne la page. » Cela devient vraiment important maintenant. Il faut qu’on reprenne nos vies en main. On ne peut pas attendre éternellement. On va y laisser des plumes si cela continue. D’ailleurs ma petite sœur perd de plus en plus son sourire. Je commence à me faire du souci pour elle. Son regard semble inquiet et j’ai l’impression de prendre une bonne claque lorsqu’elle m’avoue avoir peur de rechuter. Voilà. Je savais que je devais me faire du souci. J’aurais dû la faire parler avant. Je me sens coupable d’un seul coup. Je me rapproche de ma petite sœur et pose ma main sur sa joue. « Tu te souviens de ce que je t’ai promis quand tu es sorti du centre ? » Elle hausse un peu les épaules et je lui souris tendrement. « Tu ne replongera pas Juliette. Tout ira bien. On va tout faire pour. On va se changer les idées ensembles, d’accord ? Tu va essayer d’oublier cette… Fille et moi, Maëlys. » J’ai vraiment peur pour ma sœur maintenant. Je vais me faire du souci pour le reste de la semaine. Je déteste savoir qu’elle se sent mal à ce point. Je lui fais un petit signe de tête et elle vient se blottir contre moi. « Tu sais quoi, on va finir de manger et après on se regarde un film. Ou je te bats aux jeux vidéo. Au choix ! »

A croire que chez les De Guillaume, on n’est pas doués pour tomber amoureux des bonnes personnes. Je suis sûre que des familles comme la nôtre, il n’y en a pas quinze. Un père qui trompe sa femme avec sa secrétaire, un fils qui s’amourache d’une femme mariée et une fille qui est homosexuelle. Mais c’est notre famille, on est comme ça. Quand j’explique ce que je sais de Leïla à mon frère, j’ai l’impression de parler d’une fugitive, pourtant, c’est juste une jeune femme qui a beaucoup souffert dans le passé et qui préfère se faire discrète et vivre sans attache. Je la comprends dans le fond, je l’envie même. Plus je parle, plus je me rends compte que je ne connais pas grand chose d’elle. Elle expose toujours dans des lieux différents, elle travaille pour plusieurs personnes et je ne connais pas sa famille ou ses amis… Je ne sais même pas où elle habite. La nuit qu’on a passé ensembles, on est venues ici. D’ailleurs, il ne vaut mieux pas que je dise à mon frère que j’ai fais l’amour avec une femme dans cet appartement sinon il va tourner de l’œil. Bref… Mon frère a bien raison, il faut peut-être qu’on passe à autre chose. Ces histoires nous bouffent et ces dernières semaines, j’ai l’impression d’être tirée par le bas. J’ai souvent des pensées négatives et il m’arrive de sauter des repas. Rien d’alarmant mais j’ai vraiment peur de replonger. Je n’ai pas besoin de vraiment le dire pour que Théo comprenne que je suis à la fois apeurée et attristée. J’aimerais tellement être une personne normale, ça serait bien plus simple parfois. Mon frère se rapproche de moi et me caresse la joue pour me rassurer. Lorsqu’il me demande si je me rappelle ce qu’il m’a dis en sortant du centre, je me contente d’hausser les épaules, oui je m’en rappelle mais c’est plus facile à dire qu’à faire… D’un côté, je suis soulagée qu’il me dise qu’on va oublier ces deux personnes qui nous bouffent. Peut-être que ça veut dire que je vais passer davantage de temps avec mon frère et moins à cogiter. Ca m’est souvent arrivé de me retrouver seule dans cet appartement parce que Théo avait des horaires irréguliers et de me souvenir de certaines choses dont je ne devrais vraiment pas me souvenir. Je hoche légèrement la tête, mes yeux devenus brillants. On va essayer… Mais une fois que les De Guillaume ont quelque chose en tête, c’est souvent très dur de nous faire changer d’avis. « Toi et moi contre le reste du monde ? » demandais-je comme pour m’assurer que nous sommes sur la même longueur d’onde. Je me blotti contre mon frère et pousse un petit soupir pour me détendre. Il m’a promis de veiller sur moi, je ne risque rien dans ce cas. Il me propose de finir notre pizza puis de jouer à des jeux vidéo où il me battrait de toute manière. « Je préférerais encore qu’on se regarde un film dans ce cas… » Théo bouge un peu et je m’asseye correctement dans le canapé mais ne touche pas à ma pizza. Je vois le regard interrogatif de mon frère. « Je me la réchaufferais plus tard, promis. » Je lui fais un sourire convainquant avant de refermer mon carnet de notes pour mes cours de danse puis me lève pour aller à la bibliothèque où sont posés les DVD en notre possession. Je sais qu’il va me détester, mais je prends « Grease » et le mets dans le lecteur avant de retourner m’asseoir à côté de mon frère qui termine de manger sa pizza. « Tu sais que j’adore les chorégraphies de ce film ! » dis-je en prenant un air innocent. Je pose mon regard sur l’écran, ma tête appuyée sur ma main. « On devrait partir les deux, draguer dans le vieux quartier. Ca serait un peu bizarre, mais je suis sûre qu’on a les mêmes goûts en matière de filles ! » Je me mords l’intérieur de la joue pour ne pas éclater de rire. Je pousse un peu trop Théo avec ce sujet je crois mais sa réaction est tellement drôle.

Je n’ai jamais compris ce qui pouvait déclencher une dépression et pourtant dieu sait que j’ai tenté de comprendre. Lorsqu’à seize ans, ma petite sœur a sonné chez moi, en pleurs et les poignets tailladés, j’ai vu mon monde s’écrouler. Cela pouvait arriver chez les autres, mais pas chez nous. Juliette a toujours été une gamine pleine de vie. Son truc c’était la danse et cela lui donnait toujours le sourire. J’avais vu que ma sœur avait un peu changé, mais je mettais cela sur le compte de l’adolescence. Vous pouvez être sûr que je ne ferais plus jamais un jugement aussi hâtif de ma vie. Malgré tout, aujourd’hui encore, j’ai du mal à comprendre son geste. Son psy a vu cela comme un appel au secours et je peux vous assurer que cela m’avait foutu un sacré coup. Je n’avais pas pu comprendre la détresse de ma petite sœur. Alors quand elle me dit avoir peur ce soir, je me mets à avoir peur avec elle mais d’une manière encore bien plus intense. Pourtant j’essaye de ne rien montrer. Il ne faut surtout pas qu’elle voit que je me fais du souci pour elle. Je me contente donc de la prendre dans mes bras en lui rappelant les quelques paroles que j’avais eu pour elle lors de sa sortie du centre. Sa question me fait doucement sourire. C’est ce que je n’arrêtais pas de lui répéter lorsqu’elle était au centre. Visiblement c’est quelque chose qu’elle n’a pas oublié. « Toujours ma puce ! » C’est sans aucun doute, la seule et unique promesse que je tiendrais jusqu'à la fin de ma vie. Le but que je me suis fixé dès le divorce de nos parents.

Finalement j’essaye de détendre un peu l’atmosphère de la soirée en lui proposant déjà de terminer notre repas qui est en train de refroidir sous nos yeux. Elle me promet de ce faire chauffer cela plus tard et je me contente d’hausser les épaules. De toute manière si dans une heure elle n’a pas mangé, je ne vais pas lui laisser le choix. En général, je ne me bats jamais avec elle pour cela, mais je surveille toujours. C’est devenu une véritable habitude. Mais ce soir je ne dis rien. Il faut que l’on passe une bonne soirée pour se détendre un peu. Je propose un jeu vidéo, mais Juliette préfère un film. Bien entendu, elle me choisi un vrai film de fille. Je soupire et rigole à sa réplique. « Ah ça oui je sais ! Je pourrais presque te les danser au milieu du salon tellement je les aient vu et revu. » Vu le regard qu’elle me lance, j’aurais peut être mieux fait de me taire sur ce coup-là. Pourtant elle se lève comme si de rien était et lance son film. Je termine ma pizza et finis par m’installer un peu plus confortablement dans le canapé. Juliette me rejoins et finis par me parler de drague. Pire que l’on aille drague les filles ensemble. J’ai l’impression de me décomposer d’un seul coup. « Euh.. » Je tourne la tête vers ma sœur et vois qu’elle ne déconne vraiment pas. Un instant, je nous imagine, en train de draguer la même fille sauf que c’est ma sœur qui finit avec. Je crois que mon égo en prendrait un sacré coup quand même. « Je t’adore hein, mais si tu me pique une fille, je crois que je le prendrais mal. » Je vois qu’elle se retient de rire et je m’empresse d’ajouter : « Et pense même pas à partager ! » Je me sens frissonner de la tête aux pieds. Oui j’ai vraiment du mal avec cette idée. C’est comme si Juliette se ramenait avec Maëlys à la maison. Aaaah. Ce serait horrible. « Je viens de t’imaginer avec Maëlys maintenant… Je vais en faire des cauchemars. » Ce n’est pas méchant, loin de là. C’est juste les seuls mots que j’ai pu trouver. En soupirant je passe une main sur mon visage et m’allonge dans le canapé. Je pose ma tête sur les cuisses de Juliette et lâche un soupire de soulagement. « J’ai rêvé de faire ça toute la journée. » dis-je en riant.

À seize ans, si on se taillade les poignets ce n'est pas vraiment pour mettre fin à nos jours mais plutôt pour appeler au secours. J'étais devenue invisible aux yeux de nos parents. Papa m'oubliait et maman s'effaçait toute seule. Aujourd'hui encore, je ne sais pas où elle se trouve mais elle a très mal supporté l'infidélité de mon père. Plus personne ne m'amenait aux cours de danse et personne ne venait voir mes représentations. Théo venait de quitter la maison et il était très occupé avec son école de police. Je me suis retrouvée complètement seule et la seule que l'on trouve à faire pour attirer l'attention à cet âge c'est de faire une tentative de suicide. Bien sur, ce n'était pas pour rire, j'avais un sérieux mal être et ça se prouvait par ma perte de poids importante qui elle, n'était pas volontaire. Je sais que depuis ce jour là, Théo s'est promis d'être le plus protecteur possible, de toujours garder un œil sur moi pour prévenir une nouvelle descente aux enfers. Mais ce soir, c'est moi qui lui avoue spontanément que j'ai peur, que je me sens tirée par le bas à cause de Leïla et même s'il ne le montre pas, je sais qu'il est aussi peu rassuré que moi. Heureusement, il trouve les bons mots et a les bons gestes pour me rassurer et me changer les idées. À tel point, qu'il regrette sûrement déjà de m'avoir proposé de regarder un film étant donné que je lui impose "Grease". Mais comme je suis incapable de rester assise devant une télé sans avoir l'esprit qui vagabonde, je parle rapidement de tout autre chose à mon frère; la drague. Je le taquine surtout parce que je sais qu'il peut être assez naïf quand c'est moi qui lui fais croire des trucs et apparemment, j'ai vu juste. Rapidement il s'imagine la scène et je suis obligée éclater de rire quand il me parle de Maëlys. « Je n'ai jamais touché à une seule de tes conquêtes jusqu'à présent, c'est pas maintenant que ça va changer! » En même temps, mon frère est tellement discret sur sa vie privée que je ne rencontrais même pas ses petites amies. Théo se passe une main sur le visage et s'allonge dans le canapé, posant sa tête sur mes genoux. « Tu dois être le seul homme sur cette terre à ne pas fantasmer à l'idée de voir deux femmes dans le même lit! » dis-je en souriant simplement. Je repose mon regard sur la télé alors qu'une première chanson entêtante passe sur l'écran. J'attrape les mains de mon frère et me pousse pour l'obliger à se lever. « Allez viens papy! » Je souris et attire mon frère avec moi au centre du salon. Il va me détester et peut-être même bouder mais je m'en fiche, mon frère n'a jamais dansé avec moi, c'est scandaleux! Je lâche un petit rire avant de lui chatouiller les côtes pour essayer de lui arracher un sourire. Tout d'un coup, nous sommes à nouveau des enfants qui se chamaillent. Je suis comme ça, je suis tellement lunatique que je peux passer des larmes aux chamailleries avec Théo. Je sais que ça peut être une preuve de mon instabilité mentale mais je ne compte pas retourner en centre juste pour une question de bi-polarité. Et puis au moins, ça nous permet de quand même passer une bonne soirée avec mon frère même si on a parlé de choses peu réjouissantes il y a quelques minutes.