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 La pitié, c'est l'éboueur de la misère

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MessageSujet: La pitié, c'est l'éboueur de la misère   La pitié, c'est l'éboueur de la misère EmptyMer 7 Aoû - 21:52


Encore une journée qui commence. Encore une journée de merde où je ramasserai de la merde. Je commence à me lasser de cette situation. Tout ça à cause de Célestine, encore une fois. Sans elle, je ne serais pas venu sur Paris, et je n'aurais pas eu cet accident. Sans elle, je n'aurais jamais eu l'idée de braquer ce supermarché, et je ne serais jamais allé en prison. Sans elle, je n'aurais jamais été un clodo de plus dans la capitale française. J'aurais pu être une star, un sportif exceptionnel. Et au lieu de ça, me voilà ici. A l'arrière de ce camion, où il fait froid. A ramasser les ordures laissées par les gens. Ces gens qui nous crachent dessus à la moindre occasion.

« Regarde-moi ces clodos. Pourraient pas se trouver un autre coin pour crever ? »

Je suis l'un d'eux. Mais je m'abstiens du commentaire. Personne ne sait dans quelle situation je suis, et c'est mieux ainsi. Je jette un rapide regard vers l'homme couché à terre. Il n'est pas le premier que nous avons croisé, et il ne sera sûrement pas le dernier. Aujourd'hui, je connais la plupart d'entre eux. Avant, je ne faisais même pas attention à leur présence. C'est fou comme les choses peuvent changer.

Il ne reste plus beaucoup de temps avant la fin de la tournée, et le soleil s'est déjà levé depuis plusieurs heures. Je commence à être fatigué et engourdi de partout. Certains sacs laissés à même le sol étaient sacrément lourds, et mon épaule commence à couiner. J'ai hâte de me coucher, s'il y a suffisamment de place dans un foyer. Sinon, ma voiture suffira.

« Eh, toi ! Dors pas là, va ailleurs. Allez, bouge ! »

Je m'avance vers la personne endormie par terre. Une femme. Je m'accroupis pour la bouger un peu, et je finis par la retourner. Alors qu'elle se réveille, je reste figé sur place. Célestine. Celle que j'ai fui deux fois. Celle sur qui je retombe deux fois. Mais cette fois, elle est couchée au milieu des poubelles. Comme une clocharde. Que fait-elle ici ?

« Fais la dernière tout seul s'il-te-plaît. Je dois rester un peu ici. »
Je laisse mon collègue terminer la tournée. Je sais que je devrai lui rendre bientôt la pareille. Sans doute demain. Je reviens vers Célestine, et je m'accroupis près d'elle.
« Pourquoi tu dors ici ? »
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MessageSujet: Re: La pitié, c'est l'éboueur de la misère   La pitié, c'est l'éboueur de la misère EmptyMer 7 Aoû - 23:25


Mes jambes s'étendent. Sur le carton humide. Le seul qui trainait par ici. Le foyer du coin est complet ce soir. Je n'ai plus la force de marché jusqu'au prochain. L'arrêt de bus pas loin est déjà occupé. Je me résigne à dormir là. Tant pis. Ce n'est pas la  première fois. Ça ne me dérange plus. Même si je préfère me coucher dans les dortoirs bondés. Bruyants. Et qui sentent mauvais. Mais au moins les matelas sont plus confortables que ce bout de carton.

Un tiraillement. Au niveau de l'utérus. Des conséquences de la grossesse. Et de mon avortement forcé. La douleur s'en va. Revient. Sans prévenir. L'intensité n'est jamais la même. Elle peut me paralyser. Comme elle peut juste pincer. La crampe s'estompe. Morphée peut venir. Les paupières closes, j'oublie le froid. La rue. La lumière des lampadaires. Le sol dur. Et ma solitude.

L'hôpital. L'odeur des médicaments. Et cette conne. En blouse. Avec son visage tordu par la fausseté de sa compassion. « Je suis ... » Désolée ? Non. Elle n'a aucune raison de l'être. Puisqu'elle n'est pas morte. Elysée est en vie. Évidemment qu'elle vit. « Ne terminez pas cette phrase. » Ma stabilité. Mon repère. Mon équilibre. Elle ne peut pas s'en aller. Comme ça. Par ma faute.

« Eh, toi ! Dors pas là, va ailleurs. Allez, bouge ! » La voix casse mon rêve. Quoi ? Quelle heure est-il ? Je me redresse péniblement. Mes yeux ne veulent pas s'ouvrir. Des paroles. Inaudibles. La même voix désagréable. Le même ton sec. Mes genoux remontent. Se plaquent contre mon buste. Mes paumes collent mes joues. Mes doigts remontent jusque dans ma chevelure emmêlée. Mes phalanges se bloquent dans les nœuds. Réveil difficile. « Pourquoi tu dors ici ? » « Quoi ? » Qu'est ce qu'il me veut ? Je me pose pas ici pour la literie. Le service. Le confort. Les voisins. Ceux qui dorment dans la rue ne sont pas là par choix. N'importe qui peut le comprendre. La lumière s'introduit dans mes mirettes. Ma vue est encore brouillée. Je me tourne vers l'inconnu. Ses traits deviennent de plus en plus net. Il est proche. A ma hauteur. Ses yeux azurs me fixent. Ses prunelles électriques. Je ne les oublierai jamais. « Nan mais c'est pas vrai ! » Je me lève rapidement. Pour mettre de la distance. Comment c'est possible ? De se retrouver encore ? Comme si Paris n'est pas assez grand. « J'en peux plus de te revoir. » Un éclair. Je me plie en deux. Courbée par la douleur. Ma main vient s'appuyer sur mon bas ventre.
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MessageSujet: Re: La pitié, c'est l'éboueur de la misère   La pitié, c'est l'éboueur de la misère EmptyJeu 8 Aoû - 0:19



Des gens qui dorment dans la rue, j'en ai vu des dizaines. J'ai même croisé un ou deux morts de froid, de faim, ou des deux. Mais voir Célestine ici, avec pour seul matelas un carton, est un choc bien plus important. Comment a-t-elle fait pour finir ici ? C'est impensable. Alors qu'elle a un boulot, un enfant. Mon enfant. Comment a-t-elle fait pour tomber aussi bas. Pour devenir une moins que rien, dormant dans la rue. Risquant chaque nuit d'être violée, ou tuée. Elle est folle de rester comme ça, alors qu'il y a de nombreux foyers dans la ville.

« Allez, laisse-la ici. Tu vois bien qu'elle veut pas bouger son cul. »

Je n'ai jamais parlé d'elle. A personne. Il ne sait pas qui elle est, ni ce qu'elle représente pour moi. Il ne dirait pas ça, s'il le savait. Mais il ne le sait pas. Je lui jette un regard rapide, avant de lui dire de continuer. Il ne le dira pas au patron, je le sais bien. Lui aussi m'a laissé terminer des tournées seul pour pouvoir faire je ne sais quoi.
Finalement, il accepte de continuer sans moi. Je me débrouillerai pour rentrer jusqu'à la centrale et récupérer ma voiture. Mais je ne vais pas la laisser là, alors qu'elle est seule en pleine rue. Je ne peux pas.

« Nan mais c'est pas vrai ! »

Finalement, malgré le temps, sa réaction reste toujours la même. J'ai eu à peu près la même lorsque je l'ai vu. Après tant de temps, alors que je pensais l'avoir oubliée, elle réapparaît comme par magie. Comme pour me rappeler qu'elle existe.

« J'en peux plus de te revoir. »

Je l'imagine bien. Elle me l'a déjà fait savoir lors de notre dernière rencontre, et ne manque pas aujourd'hui de recommencer. Elle recommencera éternellement, jusqu'à ce que je disparaisse totalement de sa vie. C'est ce qu'elle veut, je le sais pertinemment. Et c'est ce que je voulais, lorsque j'ai cherché à avoir suffisamment d'argent pour payer le billet d'avion et me faire quelques économies. Mais ça n'a pas marché, malheureusement. Et je suis toujours là, pour lui rappeler que j'existe. Pour lui rappeler que je l'ai abandonnée enceinte et à peine majeure.

« J'imagine. Comment tu t'es retrouvée ici ? »

Je me relève à mon tour. Elle ne voudra sans doute pas de mon aide. Son orgueil, sa colère l'empêcheront d'accepter tout geste venant de ma part. Ce qui est dommage, elle pourrait s'éviter de nuits en pleine rue.

« Et l'enfant, il est où ? »

Notre enfant. Celui que j'ai abandonné. Je n'ose pas dire mon enfant. Parce qu'il ne l'est pas. Génétiquement, oui. Mais il ne me connaît même pas. Il ne sais sûrement pas qui je suis, ni ce que je suis pour lui. Au mieux, s'il me connaît, je ne suis qu'un méchant bonhomme qui a abandonné sa mère. J'ai depuis longtemps abandonner l'idée de le voir. De lui parler. Parce qu'elle ne le voudra jamais.

« Viens. Je connais un meilleur lit que ce carton pour dormir. »

Sur ces mots, je lui tends la main. Elle refusera, je le sais. Mais il vaut toujours mieux lui proposer que de la laisser là et l'abandonner à nouveau. Mais elle reste immobile. Elle refuse. Finalement, elle se plie en deux, et se cramponne le bas ventre. Cette fois, je me rapproche d'elle. Je tente de la redresser, mais elle s'y refuse. Je parviens finalement à le faire, et j'essaie de relever son haut. Pour vérifier ce qu'elle a.
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MessageSujet: Re: La pitié, c'est l'éboueur de la misère   La pitié, c'est l'éboueur de la misère EmptyJeu 8 Aoû - 16:45



« Comment tu t'es retrouvée ici ? » Peu importe. Il ne s'intéresse pas réellement à ma situation. Il est sûrement intrigué. Mais de là à s'inquiéter. Il n'a pas su l'être il y a huit ans. Il ne le seras sûrement pas maintenant. Je suis persuadée de ne rien représenter à ses yeux. C'était sans doute pareil quand on sortait ensemble. Après tout, lui à Metz, moi à Nancy, je ne savais pas ce qu'il faisait loin de moi. Avec qui il était. S'il me trompait ou non. Je ne me fais pas d'illusion sur ce point. Il était déjà salarié, je n'étais encore qu'au collège. Je n'étais qu'une pauvre gamine. « Et l'enfant, il est où ? » Nul part. Il doit bien se douter qu'il n'est plus avec moi. D'une façon ou d'une autre. Chez les grands parents. Chez une nounou. Des amis. Ou j'ai perdu la garde. Je trouverai bien un autre mensonge à lui servir. Si ça l'enchante. Je ne comprend pas pourquoi ça l'intéresse. Il devrait s'en foutre. Comme à l'époque. Sûrement pour faire genre. Pour être poli. « Viens. Je connais un meilleur lit que ce carton pour dormir. » Les yeux écarquillés, surprise, abasourdie, je ne m'attendais pas à ça. Pourquoi il fait ça ? Chercher à m'aider ? Je ne bronche pas. Sa main se tend vers moi. Immobile. Silencieuse. Je n'accepte pas son geste. Je n'ai pas le temps de refuser. Une douleur. Vive. Ardente. Elle me transperce l'utérus. Elle déchire les parois. Elle m'oblige à me plier. Comme lors de mon avortement. Le décor tangue. Tout devient flou. Mes lèvres se pincent. Mes dents se serrent. Pour retenir mon cri. Celui de souffrance se tait. Mais celui de la honte et de la colère s'échappe. « Lâche moi ! » Je ne veux pas qu'il me touche. Je ne veux pas de son aide. Je peux m'en sortir seule. Je l'ai toujours fait. Je me tortille pour retirer ses mains de moi. Trois pas en arrière. Ma paume collée à mon bas ventre appuie. Pour calmer la douleur. Ça ne sert à rien. Je ne me sens pas mieux. « C'est rien. Juste une complication de la grossesse. Ça arrive de temps en temps. » Je ne suis plus en colère. Je veux juste qu'il oublie ça. Ce qu'il vient de voir. Ce qu'il croit savoir. Je veux qu'on arrête de se croiser. La dernière fois, je suis devenue cinglée. Ma raison s'est brisée. A vomir. A voir du sang sur mes mains. Je ne me contrôlais plus. Je ne veux plus que ça arrive. Il a tout déclenché. Avec ses yeux électriques. Ses paroles de charmeur. Mais son souvenir empoisonné ne s'est pas estompé pour autant. Il ne disparaitra jamais. Il me hantera jusqu'au bout. Il restera celui qui m'a rendu dingue. Jusqu'à me faire du mal. Il restera l'homme qui m'a anéantie. Jusqu'à me rendre démente. Il le restera. A jamais. « Je vais y aller. J'éviterai ce quartier désormais. »
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