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Un jour de boulot comme tous les autres. Un jour de boulot que Sylvain aurait préféré éviter. Du moins, pour l’instant. Il ne savait pas à quel point, par la suite, ses journées de conduite lui manqueraient. A cette époque, il n’était pas encore vraiment malade. Quelque chose se développait, en lui, mais il ne s’en rendait pas compte. Personne dans son entourage ne s’en rendait compte non plus. La journée avait excellemment débuté, aucun incident, rien de grave, juste une engueulade entre passagers à l’heure de pointe. Il faut dire que la ligne qu’il conduisait ce jour-là était plutôt bien fréquentée, il n’y avait eu que de très rares agressions de chauffeurs. Et encore, cela n’avait jamais atteint quelque chose de bien grave au point de devoir emmener quelqu’un à l’hôpital. C’était davantage des joutes verbales prolongées. Une fois seulement, quelqu’un avait pris un coup de batte de baseball dans la tête, mais c’était tard le soir. Le matin, mis-à-part à l’heure de pointe, il n’y avait aucun souci. Le seul hic de tout le trajet, fut la maladresse de Sylvain de freiner un peu trop vite. Les passagers, déjà serrés les uns contre les autres comme des harengs fumés ou des sardines en boîte, avaient immédiatement signalé leur mécontentement. Des exclamations telles que « Mais vous ne savez pas conduire ou quoi ? » avaient fusé de toutes parts. Bien évidemment, notre trentenaire n’y avait même pas répondu, faisant comme s'il n'avait rien entendu. Tout le monde est aigri le matin à l’idée de se rendre au travail ou en cours alors autant passer outre ce genre de remarques. les gens aiment vraiment trop passer leur mauvaise humeur sur les premiers venues. Sylvain savait qu’il était un très bon conducteur, sans pour autant prendre la grosse tête. Il n’avait absolument rien à se reprocher.
Il fit de très nombreux aller-retour, des dizaines et des dizaines, comme tous les jours. Comme d'habitude, il ne se passa rien de rudement spécial méritant qu'on le compte ici. Ce ne fut qu’au bout de cinq heures de conduite acharnée, qu’il se passa un fait étrange à l’un des terminus de la ligne. Bien entendu, il avait eu une pause de plus de deux heures dans la journée pour se reposer et ne pas s'endormir en conduisant... Les machinistes doivent toujours vérifier si quelqu’un n’a pas oublié quelque chose ou laisser des détritus dans leur véhicule à chaque fois qu'ils se trouvent à un terminus. Ou même si quelqu’un n’est pas resté lui-même caché dans le bus, sait-on jamais. Et ce sont des mesures de sécurité que Sylvain respectait. Il était déjà plus de 16h lorsqu’il aperçut une silhouette au fond du bus, après que tout le monde soit sorti. Le terminus de la ligne de bus se trouvait dans une petite rue cachée des boulevards et des avenues. Les passagers avaient tous disparu des lieux, laissant seuls le bus, son conducteur et cette personne assoupie au fin fond du véhicule. C’était presque une atmosphère dangereusement effrayante qui s’était apposé dans les lieux. C’était comme si une tension se faisait palpable dans l’air permettant de respirer dans le bus, comme si tout le dioxygène s'était transformé en CO2. En fait, c'était le stress qui donnait cette sensation et Sylvain en avait beaucoup, de stress, c'était certain. Le jeune homme avait toujours détesté devoir réveiller des gens endormis dans son autobus. Surtout qu’il était censé avoir terminé son service et reconduire dès à présent son véhicule au centre bus concerné. Et il avait peur qu’un imprévu compromette sa journée toute tracée et si calme jusqu'à présent.
Sylvain hocha finalement les épaules envers lui-même et se dirigea vers le corps de la demoiselle. Il avait quelques hésitations et s’approchait doucement, jusqu’à ce qu’il puisse distinguer qu’il s’agissait d’une très jeune demoiselle, chevelure brune, visage encore enfantin. Il avait eu la crainte qu’il ne s’agisse d’un clochard ou d’un ivrogne. Ces gens-là sont parfois très violents lorsqu’on les réveille brutalement. ils 'était déjà pris un coup de pied là où il ne fallait pas suite à une altercation avec un homme bourré (a). La jeune femme s’étira doucement, tel un félin après une excellente sieste. . Il décida de s’approcher en souriant gentiment, avant de ne poser une main contre son épaule, afin de s’assurer qu’elle ouvrirait définitivement les yeux.
« Mademoiselle, vous êtes au terminus… »
Il ne s’attendait certainement pas à la réaction qu’il allait recevoir.

Recevoir une trousse de soins en pleine gueule n'était vraiment pas ce à quoi Sylvain s'attendait. Il avait senti venir un mouvement de repli, mais en aucun cas un mouvement offensif. Il fut donc très étonné de la prestation de la jeune femme se trouvant face à lui, telle un fauve avant de ne finalement se terminer par les mimiques d'un chat affolé devant la taille bien plus imposante de son adversaire. Pourtant, il en avait vu défiler des bizarreries au fil des jours depuis qu'il exerçait sa profession... Travailler à la RATP n'était pas toujours de tout repos surtout lorsque l'on était sur le terrain, comme ce fut toujours son cas. Normalement, les personnes qui s'endormaient au fond du bus ne l'agressaient pas, du moins pas si elles avaient payé leur ticket de bus et qu'elle se sentait en sécurité et il n'y avait à cet instant aucune raison que son interlocutrice ne se sente en danger. La surprise fut forte et le jeune chauffeur de bus se demanda s'il ne ferait pas mieux de reculer face à cette gamine lui présentant un marque page sous le nez. Le premier objet qu'elle avait pu trouver dans ses affaires, sans doute. Pourtant, elle n'avait nullement l'air d'une droguée ou d'une malade de n'importe quel type...Enfin, pas comme il imaginait ce genre de personnes. Elle avait davantage l'apparence d'une étudiante ou d'une lycéenne saine d'esprit, mais effrayée. Elle paraissait tout de même avoir déjà dépassé la vingtaine. Étudiante serait donc plus approprié comme terme... Ou alors une jeune active.
Sylvain posta ses mains en l'air en signe de paix et souhaitant ainsi prouver à son interlocutrice qu'il n'avait pas dans l'intention de lui faire du mal. Il avait tout de même une certaine lueur d'inquiétude dans les yeux, qui prouvait qu'il n'était pas vraiment très serein.
« Écoutez, tout va bien, je ne vous ferais aucun mal... » Il se recula de quelques pas. Encore un signe de sa bonne foi. D'ailleurs, il serait sorti du bus, mais il n'en avait pas le droit tant que tous les passagers n'avaient pas quitté le véhicule. Alors ils avaient tous deux pour obligation de s'expliquer à l'intérieur. « Vous vous êtes endormie dans le bus, je suis le chauffeur... Vous êtes au terminus... »
On aurait dit qu'il était tout timide. Pourtant, c'était un grand gaillard, plutôt grand et à l'allure fière. Cela faisait un peu l'éléphant qui reculait devant la souris...
« Vous ne pensez pas qu'il serait temps de sortir ? »
Sylvain gardait toujours les mains en l'air et il se demandait s'il ne devait pas finalement rire de la situation. Mais s'il commençait à rire, ce serait un rire nerveux et son rire nerveux ressemblait véritablement à celui d'un psychopathe. Du moins, de nombreuses personnes lui avaient fait remarquer qu'il n'avait aucune intérêt à rire nerveusement, il avait l'air d'un schizophrène en crise. Alors mieux valait garder un air sérieux, marquer ses traits avec de la sévérité et faire comme s'il avait tous les droits et les devoirs. Après tout, c'était son bus, et la jeune femme n'avait plus rien à y faire. A part si elle gardait un couteau dans son sac à main et qu'elle avait décidé d’élire domicile ici de force, auquel cas, il battrait en retraite. Comme un fort pourcentage des chauffeurs de bus, Sylvain s'était déjà fait agressé dans le cadre de ses fonctions...Et il n'avait aucune envie de jouer avec le feu. Après tout, ce n'était pas son travail, c'était celui de la police et des agents de sécurité. Lui, il était payé pour conduire, c'est tout. D'ailleurs, il n'avait rien à dire aux gens qui entraient dans le véhicule, mis-à-part son "Bonjour" galant et poli, car il avait de nombreuses messages enregistrés qu'il pouvait déclencher à n'importe quel instant. Comme cela, pas besoin de se prendre la tête avec quelqu'un qui ne veut pas valider son titre de transport.