Merci seigneur, la journée est pliée et rangée. Je m’étonne moi-même, me voilà qui maintenant rentrer après les heures de pointes à la maison. Je suppose que c’est ça qu’on appelle être une business woman, sauf que j’suis mal payée, je suis sûre qu’avec un peu plus de moyen je pourrais me balader avec un café à la main. Au lieu de ça, je suis dans le métro en train de donner mon peu d’économie à un sdf pour qu’il puisse sûrement s’offrir une bouteille de vin. Je devrais me sentir hyper bien dans mes baskets à l’idée d’entretenir l’alcoolisme de quelqu’un. Même pas. Je rentre juste contente que la journée soit terminée, à moi de profiter un petit peu de la vie. Après avoir monté quatre à quatre les escaliers, j’arrive dans l’appartement, notre petit nid. Ca y’est, c’est l’heure de plus rien foutre. « Tu as faim j’espère ? » Ella m’attend dans la cuisine où j’arrive avec le sourire. J’aime bien ces petits moments-là, où on mange, où on a un petit peu de temps à parler, où on fait les filles quoi’ C’est pour ce genre de petits moments qu’il est bien de vivre avec sa meilleure amie. « Oh putain oui. J’ai pas mangé eu le temps à midi parce que l’autre con voulait que je joue les coursiers. Ca sent bon ? qu’est-ce que c’est ? » Je demande en soulevant le couvercle pour sentir. J’espère qu’elle en a fait pour un régiment pour le coup. Ainsi tout passerait dans mon ventre et je m’endormirais après au paradis, le ventre plein et complètement ballonné. Le rêve quoi’ « Jonah dort pas encore ou il est trop tard pour que je passe lui dire bonne nuit ? » Je demande au cas où je puisse encore lui raconter une histoire. Je suis sûre qu’il comprend rien des livres que je lui lit, et pourtant il écoute. Ça doit l’assommer, comme la philo au lycée. Je me défais de ma veste que je pose sur le dossier d’une chaise et m’y assieds par la suite. « Ou étais-tu ? Avec un garçon ? » Je marque une seconde de surprise après la question d’Ella. On aurait dit ma mère, enfin dans l’hypothèse que celle-ci se soit un jour intéressée assez à ma vie pour poser cette question. « Mais non maman, je travaillais sur mon exposé à la bibliothèque tu sais bien. » je réponds avec des manières d’adolescente prise sur le fait avant d’exploser de rire. Puis avec un faux sérieux démontrant que je dis une nouvelle fois n’importe quoi’ « Oui, j’étais avec un homme. Parce que je dois t’avouer Ella, si mon patron me fait travailler autant c’est parce que nous avons une liaison. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il quitte sa femme et que nous ayons trois enfants que nous appellerons : Julie, Julien et Juliette. » Je suis désolée de devoir la décevoir. Je ne vis pas des trucs de fou tous les jours. Encore heureux tiens. « Dis-moi que tu viens de vivre quelques choses d’épic » J’hausse les épaules tandis qu’elle boit de l’eau. Je sais pas trop quoi dire. « Et bien, ce soir j’ai donné un peu d’argent à un sdf. Si j’avais su que tu me poserais des questions, j’aurais accepté sa proposition de me dédommager en nature. » Le ton est ironique, j’ai peut-être juste envie de rire. « Oh si ! Il s’est passé un truc aujourd’hui. Un type que je ne connais pas m’a envoyé des texto. C’est pas epic mais bon … tu me prends à court là. Et toi ? qu’est ce qui s’est passé aujourd’hui ? T’as craqué sur le facteur et tu veux enclencher une conversation « garçon » pour m’en toucher deux mots ? T’inquiète, j’avais remarqué y’a un moment qu’il était canon le petit’ » Oui, enfin si c’est ça. Ce soir, j’ai la manie de plaisanter trop. Je commence à mettre la table pour manger. « J’ai cuisiné, il y a de quoi boire dans le frigo et je suis quasiment sure qu’on peut se trouver un truc à la télévision alors ça te dis une soirée avec moi ? Ou tu préfères qu’on s’envoie en l’air dans ma chambre ? » Oh ! Elle m’aguiche. Ou alors on en est à jouer au couple marié. « Oh mais bien sûr bébé. Que dis-tu de remplir d’abord ton homme qui est affamé, et après ça je remplirais mon devoir conjugual. Mais bébé avant ça, tu me masseras les pieds. » dis-je en prenant une voix de gros beauf aant de me mettre à rire avec Ella.

M’entendre me plaindre de mon travail n’est pas chose rare dernièrement. A vrai dire, j’ai pris la fâcheuse manie d’accueillir chacune de mes conversations avec deux-trois mots sur mon sadique de patron. Dire que je déteste ça chez mes proches, je me sens comme la reine des hypocrites maintenant de faire le coup à mon entourage. Heureusement, cette nouvelle manie amuse plus Ella qu’autre chose, et je préfère qu’elle se moque de moi pour m’aider à faire passer ça avant que ça ne devienne une habitude. Mon Dieu, j’en mourrais si jamais un jour je deviens ennuyeuse. « Fais gaffe, le gars c’est peut-être un fan du diable s’habille en Prada et il va te faire faire toutes sortes de trucs bizarre » C’est que ça sonnerait presque pervers dit comme ça, mais bon je ne pense pas qu’Ella pensait ça comme ça. « Huuum et tu crois que j’aimerais ça ? » je réponds d’un air aguicheur avant de rire. « Nan mais c’est peut-être un truc que partage les patrons dans le monde de la mode : tortionner les assistants. » Je ne serais même pas étonnée que ce soit le cas au final, même si j’aurais préféré être la victime d’Anna Wintour. Au moins, j’aurais eu des vêtements gratuit. « Tu as vu l’heure ? Il dort depuis une bonne demi-heure. Il va falloir rentrer plus tôt ma petite » Je fais une légère grimace, un peu déçue par le fait de ne pas avoir vu Jonah aujourd’hui, ni même hier. Après tout, on est comme une famille. Il va finir par se demander si j’aurais pas disparu tiens’ « Ouais, je sais. Je vais essayer de me libérer pour passer un peu de temps avec lui. Tu devrais avoir du temps à toi aussi. » dis-je en culpabilisant un peu. Bon je sais qu’Ella adore être une maman, mais agir en étudiante, c’est bien aussi. Enfin, au moins je ne manque pas de la faire rire avec mon humour à prendre absolument au second degré. S’il n’est pas agréable au travail, au moins mon patron est une bonne source de blague. Et j’espère que ses oreilles sifflent à en saigner. « Tu n’es pas possible comme fille, tu es intenable, et je dois dire que tu as vraiment mauvais gout pour les prénoms » On dirait qu’elle me gronde, c’est pas crédible. Mais c’est vrai que j’ai cité des prénoms moche, je ris avec elle. « Ouais, je sais qu’ils sont moche. Mais bon, tu parles à une fille que sa mère a appelé Alabama alors on ne peut pas espérer que je donne un jour de beaux noms à mes enfants. C’est mort. » Et encore, ça c’est si j’ai des enfants un jour. La blague serait que ça arrive. Je finis de parler pour regarder Ella qui sort ses cookies du frigo. J’ai l’air comme captivée par le plat tout chaud en dehors du four. En v’là une qui sait charmer les serpents. Lorsqu’elle le pose, je m’avance et tend la main pour en attraper un. Puis Ella me fait son regard désapprobateur. Je me stoppe, même si bordel j’en mangerais bien un là. « C’est cruel de pas me laisser toucher. Tu sais ça ? C’est de la maltraitance. » Je dis en riant, avant que la conversation ne reprenne. « Puisque tu en parles, ce n’était pas le facteur mais mon prof d’histoire, il était tellement sexy si tu savais … et c’est un genre de dieu au lit » L’espace de trente secondes, je me demande si je dois prendre cette confession comme authentique ou non. Quand on regarde Ella, on se dit forcément que c’est impossible que cette histoire soit vraie. Mais c’est justement pour ça qu’on peut douter. En tout cas, elle cache bien son jeu la petite. « Oh ? Je devrais peut-être prendre des cours d’histoire alors. » dis-je en riant. Finalement, je choisis de pas la croire. « J’envisage de m’amuser, j’ai été invité à une soirée par des garçons de ma promo, j’espère que tu viendras avec moi » « Ouais bien sûr. Tu me laisseras pas seule hein ? Parce que je vais encore connaître personne. » Non pas que je pense être abandonnée, mais je préfère toujours m’en assurer avant la soirée. Des fois que les choses se passent bien avec l’un des garçons. Je commence à mettre la table, parce que l’heure tourne et que j’ai toujours la dalle. Je précise hein’ Puis je vois Ella qui se place devant la télé avec la bouffe. « Tu sais que la drogue c’est mauvais pour la santé et tout ça ? » Je la regarde sans trop comprendre au début. Ah ! Ca veut dire que je suis en train de mettre le couvert pour rien c’est ça ? « Ah en effet. Je suis conne des fois. Tu vois ? C’est l’hypoglycémie. T’aurais du me laisser un cookie. » Sur un ton faussement accusateur, je plaisante encore plus qu’autre chose. Je me précipite pour la rejoindre, je retire mes chaussures précipitamment une fois le cul au fond du fauteuil. « Je crois que je ne t’ai pas encore dit que j’ai eu mes premiers résultats d’examen et figure toi que je m’en sors très bien » On aurait du sortir du champagne pour le coup. « Ah ça ne m’étonne même pas. Ca veut dire que le mois prochain on aura une licence à fêter. Félicitations. » dis je en faisant semblant de trinquer. Tout ce à quoi je pense là, tout de suite c’est à faire sa fête à ce saladier de bouffe et à jouer au mari macho. « Oh d’ailleurs maintenant que la loi pour le mariage gay est ok, j’ai pensé qu’on pourrait commencer les préparatifs du notre bébé ? » Hum. Je pensais pas les choses si sérieuses. Quoique, si je devais épouser quelqu’un ça serait Ella. Pas de mauvaise surprise avec elle. « Bien sûr bébé. Mais je croyais qu’on attendait que Jonah soit assez grand pour porter les alliances. » Puis je me fais une réflexion. « Tu sais ? Des fois, quand on fait les courses tous les trois. Je me dis que les gens doivent nous prendre pour une famille homoparentale. Et j’trouve ça drôle de voir leur tronche. » Ouais, des tronches de coincés. « Bon allez ! On regarde quoi ? »