« Ezra ? Lèves-toi chérie, c’est l’heure ». Ezra bouge sous sa couette. Oui c’est l’heure, mais elle n’a pas envie de se lever, alors elle ne se lèvera pas. Bien décidée à rester dormir, elle ne fait pas attention à sa mère qui s’assoit sur son lit et lui caresse le visage. Au bout de quelques minutes, elle grogne et finit par enfouir sa tête sous sa couette. Elle ne veut rien savoir. Elle bouge dans tous les sens et donne un coup à sa mère pour qu’elle parte.
« Je n’irai pas à la messe. » Sa mère commence à râler et pousse sa fille à se lever, mais celle-ci reste agrippée à son lit et ne bronche pas.
« Lâches moi M’man ! J’veux pas aller là-bas. C’est que des cons, des hypocrites, je ne veux pas entre leurs conneries, et je ne veux pas porter ces horribles vêtements, laisses moi. » Choquée, sa mère partit seule à l’église en pleurant. Sans aucun regret, Ezra se leva quelques minutes après son départ et se servit un gros bol de céréale. Bien qu’elle soit maigre, Ezra mangeait énormément et ne prenait pas un gramme. Assise sur la canapé, les yeux rivés sur la télé, elle se remit à penser à sa mère. Depuis la mort de son mari, madame Del Palizzao se rendait régulièrement à la messe, et essayait de convaincre sa fille de s’intéresser à la religion. Mais celle-ci refusait de s’abandonner à quoique ce soit. Ce n’était pas la religion qui allait changer le passé ou même le futur.
« Quelle connerie ! » Cracha-t-elle à elle-même en se levant. Elle alla ranger son bol et s’empressa de prendre sa douche et de s’habiller. Elle sortit à la maison avec hâte et se dirigea chez le tatoueur. En entrant, elle le salua et tous deux parlèrent pendant quelques minutes du tatouage que voulait se faire Ezra. Deux heures plus tard, elle en sortait, le bas du dos recouvert d’un pansement blanc. Elle avait un peu mal, mais elle s’en fichait. Elle arriva chez elle en quinze minutes, et vérifia rapidement que sa mère n’était pas rentrée. Elle entra et monta dans sa chambre. Arrachant presque ses vêtements, elle enfila un short de tissu et un débardeur. Elle glissa ses pieds dans des baskets et releva ses cheveux bruns en une queue de cheval. Dehors, elle se mit à courir, et en vingt minutes, elle fut au gymnase. Elle poussa violemment la porte et envoya valser un ami qui venait lui dire bonjour :
« Dégage, c’est pas le moment. » Elle balança au sol son sac à dos et se plaça face à son sac de sable. Elle se mit à taper dedans, aussi fort qu’elle le pouvait, sans soucier de son dos qui la faisait souffrir et de ses mains qui cognaient contre le cuir. Elle se mit à taper de plus en plus fort, jusqu’à ce que les larmes viennent. Autour d’elle, tout le monde s’était arrêté, trop occupés à la regarder faire. Mais elle ne s’en rendit pas compte, et puis même, elle s’en fichait pour dire la vérité.
« Va-t-en ! Fous le camp ! Tu n’es rien ! Tu n’es pas ma mère ! » Ne cessait-elle de répéter. Elle continuait de frapper et de pleurer, autour d’elle, personne n’osait l’approcher. Puis elle continua, pendant cinq à dix minutes, et enfin, elle s’agrippa au sac et se mit à pleurer à chaux de larmes. Autour d’elle, les gens n’osaient pas l’approcher, effrayés par son comportement étrange. Elle resta longtemps ainsi, puis lorsqu’elle eut finit de pleurer en sanglots, elle s’essuya les yeux, et repartit en marchant vers chez elle. Elle enleva son tee-shirt en pleine rue, ainsi que ses chaussures. Et marcha telle quel. Son pansement s’était décollé, et l’on pouvait voir écrit « N’oublies jamais qui tu es. N’oublies jamais qui elle est. N’oublies jamais ce que vous êtes : rien. ».
« Mademoiselle Del Palazzao, j’aimerai des explications. Vous êtes une de nos meilleures élèves, mais vous passez votre temps dans mon bureau. Que devons-nous faire ? ». Ezra soupire et s’enfonce un peu plus dans le fauteuil. Elle en a assez des questions du proviseur, elle aimerait juste sortir, sauter sur son skate et rentrer chez elle. Or, elle se retrouve à devoir s’expliquer avec un proviseur qui ne comprend rien à la situation. Ezra ne prononçant pas un mot, elle lève les yeux vers son interlocuteur et le regarde, l’air de dire : ‘tu veux ma photo ?’.
« Je crois sincèrement que tu ne te rends pas compte de la situation… Peut-être que lorsque ta mère nous rejoindra tu cesseras d’être muette. » Ezra, qui jusqu’ici regardait le sol avec lassitude, releva les yeux et lança un regard noir à son proviseur. Elle se leva et s’appuya sur le bureau.
« Pour commencer, cette femme n’est pas ma mère et ne l’a jamais été ! Si tout s’était passé correctement, je serais avec ma vraie mère à cet instant ! » Elle fit une pause. C’était la première fois qu’elle avouait la vérité à quelqu’un.
« Comment ça ? » s’empressa de répliquer le proviseur. Se rasseyant, Ezra le toisa avec méfiance. Devait-elle lui faire confiance et tout lui avouer ou devait-elle se taire ? Elle resta un bon moment à réfléchir à la meilleure solution, puis elle abandonna :
« J’ai été échangée à la naissance. Par erreur. Ma ‘mère’ l’a su et lorsqu’on lui a demandé si elle voulait récupérer son véritable enfant, elle a refusé. Elle n’avait pas le droit de faire ce choix à ma place, je voulais connaître mes parents. » Elle voulait pleurer, mais n’en avait pas la force. Elle leva ses yeux vers l’homme qui se tenait face à elle en se demandant qu’elle était sa réaction.
« Comment sais-tu cela ? ». Ezra haussa des épaules et répondit :
« Mon ‘père’ me l’a dit peu de temps avant de mourir. Il voulait que je sache la vérité… »A ce moment là, la mère d’Ezra entra dans le bureau. Elle salua le proviseur et tenta d’embrasser sa fille qui la repoussa. Gênée, elle s’assit à ses côtés et écouta ce que le proviseur avait à lui dire. Ezra voyait qu’il était tenté de parler des aveux d’Ezra, mais elle lui lança des regards appuyés qu’il comprit immédiatement. Comme elle s’y attendait, Ezra fut renvoyé et sa mère ne lui adressa plus la parole pendant des semaines.
Un beau jour, alors qu’Ezra devait se rendre à son premier jour dans son nouveau lycée, elle prit ses affaires, et ne revint jamais.
« Moi aussi je t’aime. Je t’aime de tout mon cœur, je t’aime de tout mon être. Tu m’as sauvé, tu le sais ça ? ». Ezra embrassa son copain et le serra fort dans ses bras… Jamais elle n’avait exprimé à ce point ses sentiments, et aujourd’hui, elle se laissait aller. Elle avait rencontré Maxime quelques mois auparavant, et ça avait été l’amour fout entre eux. Il avait accepté ses percings, ses coupes de cheveux changeantes, ses humeurs changeantes et tous ses petits défauts que personne jusqu’ici n’avaient réussis à supporter. Avant de le connaître, Ezra n’avait jamais envisagé de se mettre en couple et d’envisager un mariage, mais désormais, elle était prête à tout. Par amour, elle était prête à tout. Elle embrassa de nouveau son amoureux et lui proposa de regarder un film. Ils se mirent
Les chaussons rouges et regardèrent le film l’un dans les bras de l’autre. Jusqu’ici tout allait bien, puis Maxime remarqua qu’Ezra ne cessait de bouger :
« Mon cœur, qu’est-ce que tu as ? Tu as froid ? ». Elle le va la tête vers lui et se dégagea. Elle le toisa durement, un drôle de rictus aux lèvres :
« Non, j’en ai juste marre. »Elle se leva et se hâta d’éteindre la télé. Elle mit son manteau, enfila des chaussures, et sortit de l’appartement à toute vitesse. Elle ne voulait pas le revoir. Elle ne voulait pas d’histoire d’amour. Ce qu’elle voulait ? Être seule. Elle l’entendit le suivre dans les escaliers, puis arrêter de courir lorsqu’il arriva en bas de l’immeuble. Elle marcha pendant des heures, à la recherche d’un endroit où dormir cette nuit. Elle ne devait pas retourner chez elle, car sans ça, il saurait où la retrouver. Néanmoins, elle n’avait pas le choix, et fut contrainte d’y retourner pour faire sa valise. Elle entra dans sa voiture, alluma le contact, et se mit à rouler vers le nord. Elle ne revint jamais.