J'appuie sur le bouton de l'ascenseur et j'attends que les portes daignent s'ouvrir face à ma superbe personne. Autour de nous, la musique bat son plein, à faire exploser les tympans. Plus loin, plusieurs personnes continuent de boire jusqu'à dépasser leurs limites, et d'autres s'installent déjà dans un coin en sortant des seringues. La soirée a commencé depuis une heure à peine, et tout le monde est déjà en pleine orgie. Honnêtement, ça me soule ces jeunes qui savent pas s'éclater autrement qu'en se foutant mal. Sans doute que ça m'énerve parce que moi même, j'ai pas le droit de toucher à toutes leurs merdes. Généralement j'occupe mes soirées avec des meufs, pas forcément toutes belles j'avoue, souvent bourrées en plus, mais bon, s'envoyer en l'air est bien le seul plaisir qu'on ne puisse pas me retirer. Sauf si mon cœur lâche, là à la rigueur c'est un problème. Bref, j'me tiens devant un ascenseur tout pourri, au lieu de participer à une fête de malade sur les toits d'un immeuble désaffecté, prêt à être démoli, dans la rue caille. Et vous savez pourquoi à seulement 21h30 je me casse déjà ? Parce que j'ai fait un chantage de merde dans l'après-midi et que, je sais pas pourquoi, mais j'ai amené Llywelyn la vierge Marie à cette soirée. La troisième de sa vie, sachant que les deux dernières étaient il y a à peine une semaine. Cette fille est déjà dans le mal, après deux verres. Enfin, non, c'est un grand mot. Elle est juste un peu plus contente que d'habitude, mais pour elle c'est un grand pas. Je sais pas trop comment j'ai fait pour la faire boire, je lui ai foutu un verre dans les mains et quelques minutes après il était vide. J'ai refait la même chose, je lui ai glissé une cigarette entre les doigts en lui disant que ça pouvait pas lui faire de mal et nous voilà là, à attendre un ascenseur de merde parce que je l'ai peut-être un peu trop brusqué. La prochaine fois je dirais stop après le premier verre. Vraiment cette fille... J'aurais dû m'en douter. Je regarde l'heure sur ma montre, de toute façon j'ai oublié mes médicaments chez moi, donc se casser plus tôt me déranger pas. J'ai une demie-heure pour les prendre, j'aurais bien aimé revenir après, mais tout le monde sera déjà par terre, et ça sera chiant. Tant pis je resterais devant la télé. Swag. Dans un bruit de ferraille, l'ascenseur fait enfin son apparition. Il craint un peu ce truc, j'ai l'impression qu'il peut lâcher d'un moment à l'autre... Mais bon, Llywelyn est en famine et sérieux je suis pas le mec le plus lourd du monde. Alors ça devrait suffire. Y a bien un autre ascenseur plus loin, mais je crois qu'y a une partouze dedans, et l'autre prude est assez bousculée pour ce soir comme ça. Alors on va prendre celui-là, dans une minute on sera en bas, on prend un taxi, je la ramène chez elle, je la fais payer, je vais chez moi et puis ça, c'est fait. Sérieux cette meuf, je sais même pas pourquoi j'm'en occupe...

Je ne sais même pas ce que j'fous là. Surtout que je suis avec Tim, pourquoi j'ai accepté de venir à une fête avec lui ? Je ne me comprends pas moi-même. Peut-être simplement pour m'amuser un peu, ou... J'en sais vraiment rien. Enfin, quand il me met un verre entre les mains, je fais pas tellement gaffe et presque par un automatisme acquis pendant sa semaine de décoinçage, qui me fait presque peur, d'ailleurs. Au final, je ris dès qu'on m'adresse la parole, ce qui est un peu gênant quand on me dit que le chat d'untel est mort quelques jours plus tôt. Néanmoins, j'ai la tête ailleurs, je ne sais pas où exactement, mais elle est bien ailleurs. Ma tête ne supporte manifestement pas encore l'alcool et au bout de deux verres, je suis vraiment ce que l'on appelle couramment ''éméchée''. Je ris, je ris sincèrement. Et je vais voir Tim, en rigolant comme pas possible et je lui demande s'il ne veut pas qu'on rentre. Parce que, je cite « le dracula là-bas, il a dit qu'il voulait me mordre et faire des hybrides avec moi ! » sauf que les hybrides, je veux les faire une fois mariée, pas avant, merci monsieur, au revoir. Et c'est ainsi qu'on se retrouve devant un ascenseur dégueulasse. Je suis presque sûre qu'il y aura du vomi dedans, ou quelque chose de pire encore. Mais c'est pas grave, ce sera bientôt fini. Je vais sortir de cet immeuble on ne peut plus insalubre et rentrer chez moi, me couler dans mon lit. Et le tout, dans la bonne humeur s'il vous plait ! Finalement, les soirées c'est pas si mal que ça. Je voyais vraiment des démons là où il n'y en avait pas. Ca fait juste des petites fautes de plus à confesser, mais c'est pas très grave. Cinq ''je te salue Marie'' n'ont jamais fait de mal à personne, au contraire. Alors autant accepter ça. Enfin bref, les portes de l'ascenseur finissent par s'ouvrir. Pourquoi nous n’avons pas prit les escaliers déjà ? Parce que nous sommes définitivement des fainéants (ce qui est un pêché). Je ne le suis pas d'habitude, mais là... C'est l'alcool qui doit jouer sur moi et au lieu d'avoir envie de dévaler les escaliers puis de les remonter trois fois histoire de se faire les muscles des cuisses, j'ai juste envie de m'appuyer contre l'une des parois de l'ascenseur et de me laisser guider vers le bas, sans le moindre effort. Je suis vraiment une mauvaise chrétienne mais c'est bien le dernier de mes soucis à l'heure actuelle. Alors je fais selon mes plans et je rentre dans l'ascenseur avant de m'appuyer contre la paroi. C'est dégueulasse, ça manque d'entretien, mais c'est la rue Caille alors je ne m'attend jamais à rien de plus.

Finalement, l'ascenseur arrive, après qu'une fille qui semblait aller vraiment mal soit partie. Tant pis pour elle, je n'allais surement pas aller la chercher. Je fais pas dans la charité sérieux. Sauf avec l'autre Marie là, mais c'était surtout parce qu'elle me faisait de la peine, toute guillerette avec ses deux verres d'alcool même pas forts en plus... Quoi que, sur ce point je peux pas trop me foutre de sa gueule, puisque j'ai jamais vraiment bu. Je tiens trop à ma santé pour ça. Y en a qui se savent condamnés et qui se foutent en l'air et profitent de tout, moi je préfère prendre au maximum soin de mon organisme, c'est peut-être ma façon de vivre qui me gagne quelques années. Bref, l'ascenseur arrive, les portes s'ouvrent enfin, et si j'avais pu engueuler une machine je l'aurais fait. Avec un boucan infernal, les portes se referment et nous voilà coincés dans ce truc pour quelques secondes. Llywelyn s'écrase contre une paroi et je lâche un rire. Cette fille a le don de me faire rire. C'est pas parce qu'elle est mignonne ou un truc comme ça, elle est un peu pathétique, c'est amusant. L'ascenseur commence à descendre. Lentement, bruyamment. Et là je commence à sentir le coup foireux... Je sais pas pourquoi, mais je le sens pas... Et putain, je suis vraiment un malade, elle n'a plus intérêt à me dire que j'suis pas Dieu, parce qu'à cet instant exact l'ascenseur s'arrête entre deux étages. Le noir se fait et l'ampoule s'éteint, avant de laisser place à une autre lumière de secours plus tamisée. En fait, j'aurais dû rattraper la fille et ne pas prendre l'ascenseur, j'aurais pas dû me dire que ça ne prendrait qu'une minute, que quelques secondes, j'aurais pas dû amener Llywelyn à cette soirée, j'aurais pas dû accepter son pari, j'aurais pas dû la rencontrer en fait ! Putain tout ça c'était de sa faute, moi et ma superbe étions coincés dans cette appareil de merde avec une catholique qui avait bu un verre de trop sur deux... C'était du gros plan foireux. Ne pas céder à la panique, je suis calme, je me calme, je suis calmé. Voilà, j'inspire. Et j'expire. Il doit bien y avoir un bouton d'aide de toute façon. Les gens ne restent jamais coincés dans ces trucs plus de dix minutes, hein ? C'est bon pour les films ça. « Bon, pas de panique. Tout se passe bien. C'est normal à la rue Caille. » Ou pas, elle avait intérêt à redescendre un peu l'autre là ! Je le savais, j'aurais jamais dû m'en occuper.

Les portes se ferment et je les suis du regard. Qu'est-ce que ça peut être beau... L'invention humaine a toujours été incroyable, vraiment. Deux bouts de taules qui se rejoignent, comme c'est merveilleux. Je suis absorbée par cette vision et lorsque nous commençons à descendre, j'ai le sourire aux lèvres. Sauf que ça fait un bruit pas cool dans mes oreilles, que c'est vraiment bizarre comme bruit, mon dieu. Et pouf, il s'arrête. D'un coup. Et je ris. Je ris comme une conne. Hihihi, on est coincés, c'est pas drôle ? Mais si c'est drôle, allez Tim, rigole avec moi ! Non, j'lui dis pas en vrai. Sinon il trouverait quelque chose de méchant à dire et je passerai peut-être du rire aux larmes en quelques secondes. J'en ai marre de lui, et de ce qu'il me dit. Pourquoi j'suis là ? Je sais plus, mais j'y suis. C'est l'important, pas vrai ? N'empêche que j'trouve ça drôle. Ca fait très série américaine, sauf que je ferai jamais des choses dans un ascenseur. Encore moins avec Tim. « Bon, pas de panique. Tout se passe bien. C'est normal à la rue Caille. » dit-il. Il essaye de se persuader ou c'est moi qui rêve ? Il est mignon, j'suis pas assez mal pour ne pas comprendre que ce truc est vieux comme le monde et que ça risque de durer un bon moment. Surtout si on reste passif à attendre. En plus, la seule lumière qu'il y a, c'est la lumière de secours. Parce que l'ampoule tenue par les fils électriques à nus s'est éteinte lorsque l'ascenseur s'est arrêté. Pourquoi nous sommes montés là-dedans déjà ? C'est une bonne question, je sais pas moi-même. Ah oui, c'est vrai, par flemmardise. Voilà, c'est Dieu qui me puni et j'ai bien envie de le faire remarquer à Tim. « Tu vois, c'est notre punition divine pour notre flemmardise. » et je ris, comme une conne. Encore. Il en a déjà marre, j'en suis persuadée. Mais c'est pas grave, autant parler de religion pendant qu'il ne peut pas fuir et pendant que je suis assez insensible à ce qu'il pourrait bien me sortir. Quoi que, peut-être pas si insensible que ça. Enfin, on verra. « Tu veux pas que je prie ? Peut-être qu'il entendra et que l'ascenseur remarchera. » Je suis folle. Il acceptera jamais, il va me dire des trucs blessants à propos de ma religion qui lui semble factice. Alors sans vraiment attendre de réponse, je m’assois, même si je suis pas vraiment sûre que le sol est propre. Il l'est sûrement pas, mais tant pis. Dans pas longtemps, je serai dehors, on y croit.

L'ambiance dans cette ascenseur est moite, peut-être dû au fait qu'un orage se prépare bientôt sur Paris. Le temps est lourd, définitivement lourd, et je le ressens même dans cette boîte de conserve. Qu'est-ce que j'ai encore fait pour mériter ça ? La ferraille qui sert de mur est rouillée, et j'ai l'impression que si une averse débarque, la taule qui sert de toit va se transformer en passoire. Llywelyn rit comme une enfant, et je préfèrerais entendre le bruit des voitures dans la rue que son rire d'innocente. J'observe rapidement le panneau où sont incrustés les boutons. Y en a bien un avec écrit aide, mais il est aussi éteint que les autres, et je suis pas certain qu'il marche encore. Tant pis, on a rien à perdre. J'approche de ce truc, j'appuie dessus et je colle presque mon oreille contre des trous faits pour entendre le mécanicien nous parler de l'extérieur. Mais évidement, aucun bruit n'en sort. Comme si quelqu'un en avait encore quelque chose à foutre de cet immeuble en ruines. J'inspire une nouvelle fois, c'est bon, on est là que depuis deux minutes, il doit être vingt-et-une heure trente-cinq, le temps que ça se remette, cinq minutes... Quarante, j'arrive dans la rue, je la raccompagne pas, et je rentre à pieds puisque je laisse partir mon porte-monnaie (aussi communément appelé Llywelyn). Un quart d'heure de marche, je suis chez moi pile à la bonne heure. Aucune panique. « Tu vois, c'est notre punition divine pour notre flemmardise. » Je lève les yeux au ciel. On verra d'ici une demie heure si Dieu a vraiment décidé de me punir. Encore une fois. Quoi que pour la première, à neuf ans, je sais pas vraiment quelle connerie j'ai pu faire. Elle rit, ça m'agace qu'elle s'extasie comme ça alors que je suis en stress. Ça devrait être l'inverse, c'est moi le mec le plus cool du monde ici, je suis pas censé le prendre comme ça ! C'est elle qui doit pleurer et implorer son Dieu en carton. Je lève les yeux dans les coins de l'appareil, pas de caméras, super. Aucun moyen de nous savoir là quoi. « Tu veux pas que je prie ? Peut-être qu'il entendra et que l'ascenseur remarchera. » Je me mets à la fixer alors qu'elle s'assoie par terre. Qu'elle fasse ce qu'elle veut, j'en ai rien à foutre si ça peut faire remarcher ce truc. Je viens m'assoir à côté d'elle, de toute façon, je crois qu'on a plus qu'à attendre. « Si ça t'fais plaisir. ». J'ai même pas la force de lui renvoyer un truc de merde. Je touche ma poche, histoire de vérifier. Mais non, j'avais décidé de ne pas prendre mon portable. Je le revois, posé sur la table. Je sais plus trop pourquoi en fait, parce que je pensais qu'on ne serait restés qu'une heure avec Llywelyn le temps qu'elle veuille partir, et que j'aurais été chez moi avant que l'alarme du téléphone ne se déclenche. Du coup le portable va vibrer seul sur sa table sans personne pour faire taire Gaëtane. Je laisse tomber ma tête en arrière, sur ce métal dégueulasse, et je tente un nouveau truc. « C'est pas interdit les portables dans ta religion hein ? »

J'me sens bien maligne avec ma solution miracle. Parce que Dieu, c'est un peu la solution à tous mes soucis. J'ai plus de liquide vaisselle ? Dieu va faire que j'vais en trouver au supermarché. Mon chien est malade ? Dieu va faire en sorte de le soigner. Oh mon dieu ! Mon chien ! Je ne sais pas quand je vais rentrer, et il est seul dans mon appartement. Je n'arrives pas à me souvenir de si je lui ai donné à manger ou pas. Zut alors, c'est pas de bol. Peut-être que Dieu aura pitié de lui et lui permettra de manger ses croquettes. Dans tous les cas, j'y peux rien. Là, sa destiné comme la mienne est entre les mains de Dieu et c'est comme ça. Alors j'me propose pour prier. Parce que je sais que Tim ne le fera pas, ce mec est du genre à ne jamais vouloir faire ce qu'on attend de lui, alors voilà. En plus, qu'est-ce que Dieu accorderait à un hérétique dans son genre ? Est-ce qu'il sera déjà assez conciliant pour m'accorder quelque chose, à moi qui suis légèrement pompette, en plus, je suis coincée avec ce même hérétique. Enfin, qui ne tente rien n'a rien ! Et Tim semble lui aussi dans cette optique puisqu'après s'être assit près de moi, il lâche : « Si ça t'fais plaisir. » Plaisir ? Pas vraiment non. Mais disons qu'on fait ce qu'on peut ! Je sais pas... C'est bizarre comme situation. Mais à vrai dire, je commence à être habituée. Entre la semaine à vivre ensemble, la semaine de décoinçage et ça. J'aurai tout vécu avec Tim, vraiment tout. Ou presque. Bref, tu fais ce que t'as dit. Je ramène mes jambes vers moi, en me disant que de toute façon, y'a personne qui peut voir ma petite culotte puisque Tim est à côté de moi et qu'il fait noir. Je joins mes mains, je me concentre et j'me dis que même si c'est pas le meilleur endroit, je dois le faire. Alors j'entre en communion avec le ciel et je prie. Avant d'être coupée par la voix de Tim, qui me ramène à une réalité beaucoup plus funeste. « C'est pas interdit les portables dans ta religion hein ? » Je m'arrête, je tourne la tête vers lui et je réponds sans vraiment faire attention. « Bah... non. Pourquoi ? » Avant de comprendre où il veut en venir. Je cherche autour de moi, où ai-je mis mon sac ? C'est une bonne question, n'est-ce pas ? Alors je cherche, je tente de me surélever un peu, on sait jamais, j'suis peut-être assise dessus mais tellement dans un autre monde, que je fais pas gaffe. Mais non, je le trouve pas. « Je crois que... j'ai laissé mon sac là-bas... » Il va me tuer, mais à la limite, tant pis. J'irai au paradis de toute façon.

Et alors que je suis assis comme une merde par terre, à me demander combien de temps on va rester coincer dans un ascenseur insalubre, l'extraterrestre à côté de moi se met à prier. N'importe quoi, je crois qu'on a touché le fond... Ou pas, vu qu'on doit être coincés entre le sixième et cinquième étage. Si on tombe, on meurt. Sympa comme fin. Dans l'explosion apocalyptique que fera l'ascenseur en rencontrant amoureusement le sol, peut-être qu'elle comprendra que son Dieu n'existe pas. Ou que s'il existe, il n'en a rien à foutre de ses sujets minables. Une poussière sur terre, je vous explique même pas ce qu'elle est au niveau de l'Univers. Mais bon, si elle a besoin de se raccrocher à ça pour survivre. Je passe mes deux mains sur mon visage et prolonge le mouvement jusqu'à écarter les mèches de cheveux devant mon front. Je me prends la tête entre les mains et je réfléchis. Je suis surdoué, je dois bien pouvoir trouver une solution. J'ai même pas de tournevis, j'aurais pu démonter leur merde électrique et voir d'où venait le problème... Je laisse retomber mes bras et mes cheveux reprennent leur place initiale. J'aurais au moins pu être coincé ici avec un canon en manque de sexe. Mais non, bien sûr que non, j'ai juste hérité d'une Martine ankylosée vaginalement parlant. Comment voulez-vous que je crois en Dieu après ça, sérieusement. Bien sûr, elle répond qu'elle n'a pas son portable et comprend un instant après de quoi je parle. « Je crois que... j'ai laissé mon sac là-bas... » Ok, cool. Ça fait combien de temps, là ? Je regarde une nouvelle fois ma montre. Vingt minutes. Vingt-et-une heure cinquante. J'aurais jamais mes médicaments pour l'heure exacte, là, ça relèverait du miracle. Mais à la rigueur, si le moment d'attente est pas trop long... Sauf que je le sens pas, vraiment pas. Je me relève, j'ai pas envie de rester passif à regard l'heure tourner mais y a pas grand chose d'autre à faire. Je scrute tous les recoins de l'ascenseur pendant cinq bonnes minutes, j'ai même essayé de déboîter le cadran avec les boutons là... Pour voir si y avait pas un court-circuit, un truc comme ça. Bien sûr aussi pourri soit l'ascenseur, ce truc n'a pas bougé. Et l'autre, elle prie... L'alcool doit déjà retomber, vu qu'elle n'a presque rien bu. Elle va redevenir chiante, elle était remarque déjà un peu plus supportable avec de la manzana dans le sang. Mais le problème est pas là, j'ai l'impression d'entendre que les tic-tac de ma montre, qui me rappelle que l'heure va bientôt arriver. J'ai l'impression d'être obsédé par ce cadran, du coup je me force à ne pas le regarder. Faut pas qu'elle le remarque, j'l'ai pas caché pour rien à tout le monde, à elle, pendant tout ce temps. Pourquoi je lui le cache en plus... J'en sais rien, j'ai pas envie qu'elle s'apitoie sur mon sort, qu'elle éprouve de la sympathie pour moi juste parce que j'ai le cœur de quelqu'un d'autre dans l'corps, parce que je suis malade, parce que je vais sans doute mourir beaucoup plus tôt que prévu. Et puis elle me sortirait ses trucs de religion comme quoi Dieu m'a sauvé et toute sa merde, n'importe quoi. La pitié des gens, c'est ce que je déteste le plus. C'est avec cette dernière pensée que je lève une nouvelle fois les yeux vers le plafond. Et j'ai une idée. Pas super, mais puisqu'on a rien à faire... « Llywelyn, ça te dit que j'te fasse la courte-échelle ? » Je continue de fixer le plafond, elle est censée être sportive... « T'inquiète pas, j'en ai rien à foutre de ta culotte petit bateau... Parce que je sais très bien que t'en as racheté. »

Il ne me répond rien. Tant mieux, je ne veux pas essuyer ses sermons. Les seuls sermons que j'autorise sont ceux que me font les prêtres, lui... Il n'a aucun droit sur moi. C'est tout, c'est comme ça. Je ne suis pas celle qu'il peut contrôler, ou du moins, je tente de lui montrer cet aspect. Enfin bref, du coup, j'me remets dans mon truc. J'aime bien prier. J'ai un sentiment de plénitude quand je le fais. C'est vraiment quelque chose que je fais par plaisir plus que par foi. Enfin, j'en sais rien en fait. C'est peut-être pour les deux en fin de compte. Mais il me déconcentre, parce qu'il est comme un animal dans sa cage, il tourne en rond à la recherche de ce qui pourrait nous sortir de là. Il tape sur le cadran, comme si ça allait changer quelque chose. Il regarde partout et j'le vois bien, parce que de temps en temps je lève la tête. Il me déconcentre ! Moi j'aimerai vraiment pouvoir être pleinement absorbée par ma prière, mais je ne peux pas. Parce que y'a de la gène extérieure. J'espère simplement que Dieu en tiendra compte et ne me pénalisera pas pour ça. On se concentre, c'est pas bien compliqué quand même ! Sauf que je retrouve pas la fin de ma phrase en latin et que ça commence franchement à m'énerver. Sauf que je ne peux pas lui faire de remarque puisqu'il tente de nous sauver. S'il réussit, ce sera grâce à Dieu ! Il l'aura guidé vers la lumière divine ! Enfin bref. Tim finit par prendre la parole, ce qui achève de me déconcentrer. Je le regarde, pendant qu'il me parler. « Llywelyn, ça te dit que j'te fasse la courte-échelle ? » La courte échelle ? Pourquoi faire ? Une fois qu'il sera sur l'ascenseur, il voudra faire quoi de plus ? Il s'est prit pour Jack Bauer ou quoi ? Alors j'le regarde comme s'il était un dégénéré mental. Comme si ce qu'il disait était une absurdité si terrible qu'il devrait en avoir honte. « T'inquiète pas, j'en ai rien à foutre de ta culotte petit bateau... Parce que je sais très bien que t'en as racheté. » Dommage de le décevoir, pour une fois je n'avais pas mit de culotte petit bateau, mais avais prit l'une des paires de sous-vêtement que Tim m'avais ramené. Je laissais un rictus de gêne apparaître sur mon visage. Je dois répondre quoi à ça, moi ? « … Si tu veux. Je vois pas tellement à quoi ça servirait, mais si tu veux. » je ne rigole plus trop. Je me demande pourquoi, mais j'deviens sérieuse. Peut-être parce que face à la situation, j'ai pas tellement envie de rire. C'est parfaitement possible. Au final, j'enlève mes chaussures et je m'approche. Oh mon dieu, il va devoir me toucher. On a jamais vraiment eu de contact en fait, ça fait trop bizarre. J'ai pas envie. Qu'on me laisse tranquille à prier, c'est tout ce que je demande !

Llywelyn est gênée, comme d'habitude. Quoi que cette fois, elle n'avait pas ressorti un truc sur Dieu ou quelque chose comme ça, il y avait définitivement du progrès. Du coup, à la place de se mettre à bégayer, marmonner, rougir, etc, elle me répond juste « … Si tu veux. Je vois pas tellement à quoi ça servirait, mais si tu veux. ». C'est vrai, à quoi ça servirait... Sauf que d'un côté, il est vingt-deux heure, l'alarme de mon portable est en train de sonner, et ça a le don de me foutre les nerfs. Donc on sait jamais, si en appelant de là haut quelqu'un pouvait entendre... Quoi qu'avec la musique, c'était un peu peine perdue, mais j'ai pas envie de rester ici à me tourner les doigts ou à... Prier. Ce qui est limite encore pire. Peut-être que si l'ascenseur est coincé juste à côté des portes du sixième étage dans ce cas si on les force, peut-être qu'on peut arriver à sortir par là... C'est un peu extrême, mais je repense à ce mec, Nicholas White, en 1999, qui est resté coincé du vendredi soir, au dimanche après-midi. 41 heures putain d'heure dans un ascenseur, c'est bien assez pour me faire faire une crise de tachycardie... Honnêtement, je sais pas si en oubliant six fois mes médicaments, ma greffe peut faire un rejet... Je suis bourré d'immunodépresseur depuis mes neuf ans, normalement ça devrait aller hein... C'est plutôt le malade en moi qui dit ça, parce que le médecin lui sait très bien qu'un rejet chronique peut arriver n'importe quand. En tout cas, j'ai pas envie que ça arrive maintenant, donc si ça peut aider à quelque chose qu'elle monte là haut, on a rien à perdre. J'ai déjà essayé d'ouvrir les portes, le seul truc qu'il y a derrière c'est du métal. Alors bon, elle va devoir essayer de soulever l'encadrement au plafond, je sais pas si ça va marcher, j'espère juste qu'elle se fasse pas mal quand même. Elle enlève ses chaussures, je mets un genou à terre et je lie mes deux mains. « On a rien à perdre. » Elle va gentiment mettre son pied là et je vais la lever après. Elle est en famine, ça ne devrait pas être trop dur. Et puis avec mes séances de rééducation, j'ai tout de même un minimum de force. Ça va bien se passer, à la limite elle peut mettre un pied sur mon épaule. Elle verra bien, elle est grande. Elle s'exécute donc, elle n'a pas l'air très contente mais au bout d'un moment faut bien que j'sois pas le seul à me bouger ! Elle met son pied sur mes mains, comme prévu. Elle reste un instant en équilibre, je regarde pas ce qu'elle fait sinon elle va dire que j'matte sous sa robe, elle va bouger et elle va tomber... A la rigueur un petit coup d'œil innocent tout à l'heure... Là n'est pas le problème, la section film d'horreur sera plus tard ! Bref, tout se passe comme je le voulais, jusqu'à ce que... Putain, cette fille est une empotée c'est pas possible !

Il est en position et moi... bah j'hésite. Parce que c'est pas une bonne idée, j'en suis persuadée. Ca va nous aider à faire quoi ? Rien. Si je réussis, parce que la probabilité de réussite, je la sais assez mince parce que premièrement, Tim a sans doute la force d'un moineau, deuxièmement j'ai bu un verre de trop, troisièmement, j'ai pas l'impression que ce soit facile de soulever ce truc. « On a rien à perdre. » dit-il alors que j'ai juste pas envie de le faire. Ce que j'ai à perdre... ? Une part de ma dignité, déjà. Surtout s'il s'amuse à regarder sous ma robe, et puis si j'y arrive pas, y'a une autre part qui s'en va. Enfin, je tente de ne pas y penser, je met mon pied sur ses mains et j'me laisse porter. J'aime pas spécialement être en équilibre en temps normal. J'ai jamais été douée pour tout ce qui est poutre, j'ai mit des années à savoir faire du vélo et j'ai juste pas envie de me casser la gueule et de me ridiculiser devant Tim. Quoi que, je suis plus à ça près avec lui. Je tente de me concentrer, mais cette position me ramène toujours au fait que j'suis un peu à sa merci. Il veut regarder sous ma robe ? Alors il n'a qu'à lever les yeux. Il a envie de me voir tomber ? Il n'a qu'à me lâcher. En plus de ça, il tremble. Qu'ai-je fait pour mériter ça. Enfin, je pose mes deux mains à plat contre ce que j'suis censée soulever. Je fais en sorte de pousser comme je peux et je sens bien que je suis entrain d'y arriver lorsque je perds l'équilibre et je m'étale par terre. J'en ai marre, j'ai envie de pleurer, en plus de ça, Tim me lance déjà un regard assassin et je suis persuadée qu'il va pas tarder à crier. Je soupire, parce que y'a rien d'autre à faire et je me redresse pendant que sa colère est entrain de monter. Je sais que je vais m'en prendre plein la tronche alors autant se préparer psychologiquement et ne pas rester dans cette position.

Elle finit donc par mettre son pied sur mes mains, après avoir hésité pendant au moins une heure, montre en main ! Il faut que j'arrête d'être obsédé par le temps. Elle réussit à maintenir un peu d'équilibre, et je sens qu'elle essaye de pousser la plaque... Opération qui ne porte pas ses fruits puisque quelques instants après elle se retrouve par terre. Le bruit qu'elle a fait aura au moins pu attirer l'attention... Alors oui, je lui jette un regard énervé, agacé, à bout. L'heure est largement passée, et elle fait rien du tout pour essayer de sortir de là ! Elle veut rester coincer ici toute la nuit ? D'un côté, peut-être qu'elle remarquera que mon divin corps est irrésistible dans un endroit aussi clôt... M'enfin si je meurs ça ne me sera pas très utile. J'inspire, je cherche une autre solution, mais là j'en vois pas. Je commence à stresser, ça fait longtemps que je n'ai pas eu ce genre de réactions. En même temps, je suis tellement minutieux que ça n'est pas le genre de trucs qui m'arrivent. J'aurais dû y penser putain, j'ai beau me dire que c'est de sa faute, c'est faux. C'est de la mienne, j'aurais dû voir cet appareil de merde, mon cerveau aurait dû penser à toutes les possibilités, dont celle de rester coincés. Putain, ça m'énerve, et j'arrête pas d'essayer de me rassurer comme quoi quelqu'un va arriver, mais bien sûr que non, personne ne va venir, cet immeuble va être détruit dans quelques semaines, les gens n'en ont rien à foutre ! Personne ne peut remarquer notre disparition, parce que mes parents m'appellent jamais, et mes semblants d'amis sont bien contents quand je leur fiche la paix quelques jours. La seule solution c'est que Llywelyn ait l'habitude de prier en pleine nuit et que quelqu'un remarque qu'elle ne soit pas là. N'importe quoi. Faut qu'on sorte. Et l'autre est toujours par terre, et moi je suis debout à la regarder de haut. Elle attend quoi, que je l'engueule ? C'est ça ? Elle est tellement habituée à ce que je sois un con avec elle qu'elle attend que je lui dise qu'elle va rater sa vie si elle est si peu douée et que son Dieu n'en aura rien à foutre ? J'en ai franchement marre, j'ai juste envie de sortir de cet ascenseur. « ...Tu t'es pas fait mal au moins ? ». Bah ouais, j'ai même pas envie de lui crier dessus. En plus c'est moi qui l'ai forcé à y aller alors qu'elle ne voulait pas. Je vais pas me mettre à hurler dans cette boîte de merde, je vais pas craquer à ce point, il est que vingt-deux heures et quelques. Quand je ferais une coronaropathie chronique là je pourrais l'engueuler. J'ai bien envie de monter sur la rampe collée au mur et de pousser moi-même cette plaque, mais le problème est que si je chute comme elle l'a fait, en plus de me faire un bleu il est possible que je me mette à saigner à cause de mes anti-coagulants. Je me rassois par terre et j'me prends la tête entre les mains, je réfléchis, je fais que ça. Je trouve pas de solutions, ça m'énerve. Elle doit se demander pourquoi je suis comme ça, pourquoi je l'engueule même pas. Et je sais pas quoi lui dire. Si je lui sors le pourquoi du comment, elle va se mettre à paniquer ou j'en sais rien en fait. Et j'ai pas envie qu'elle se remette à prier. J'ai pas envie de lui le dire, c'est tout, c'est comme ça. Je suis pas encore à bout de nerf à ce point. On verra quand je commencerais à ressentir des effets néfastes. « J'suis claustrophobe. » Voilà, ça c'est une bonne excuse. Elle va peut-être pas y croire, ou peut-être qu'elle va s'en contenter et pas aller chercher plus loin, comme le fait que je peux rester coincé dans un confessionnal pour lui faire faire ce que je veux mais pas dans un ascenseur. Je sais même pas pourquoi je me justifie en plus, j'en ai marre.

J'attend qu'il m'engueule. Parce que c'est tout ce qu'il sait faire quand il est avec moi. Je sais pas pourquoi je m'acharne à vouloir être un minimum sympa avec lui. Je sais même pas pourquoi je ne vais pas porter plainte contre lui pour harcèlement. Je ne sais pas pourquoi je ne fais pas en sorte de le rayer de ma vie. Peut-être parce que c'est la seule personne qui cherche plus ou moins à me connaître, même s'il est pas vraiment ce que l'on appelle ''un ami''. Je sais pas, j'ai pas envie de me poser la question en fait. Je sais pas ce qu'il est pour moi, et c'est sans doute mieux comme ça. Au final, on s'en fout. Ce que j'attend là, c'est une réaction de sa part, mais à part son regard qui me tue littéralement sur place et qui me donne une envie de pleurer assez intense, sauf que j'ai pas envie de craquer. Je craque trop souvent, et je vois bien que ça le fait chier. Sans doute blasé parce que... ce que j'peux être sensible et à fleur de peau ! Je suis pas comme lui, hermétique et sans sentiments, je suis loin d'être une sociopathe, je suis plutôt du genre trop gentille et trop conne. Vraiment trop conne. « ...Tu t'es pas fait mal au moins ? » Si je m'attendais à ça... Non, je m'y attendais pas du tout en fait. Qu'est-ce qui lui prend ? D'un coup, il s'inquiète pour mon état ? Qui est-il est qu'a-t-il fait de Timcanpy Rosenbach ? Je sais pas, mais le Tim que j'ai en face de moi est pas normal. Alors je lève les yeux, je le regarde sans vraiment comprendre. Je m'attendais à des cris, vraiment. J'imaginais pas qu'il aurait un semblant de gentillesse à mon égard. Et pourtant... « Non... Je crois pas. Merci. » J'enlève mes cheveux qui cachent mon visage et je me relève doucement mais sûrement. Je fais quelques pas et je reprend ma place dans un coin de l'ascenseur. Je me colle contre le métal qui est sans doute aussi dégueulasse que le sol. C'est pas grave, j'me laverai les cheveux en arrivant chez moi. Si j'en sors vivante. J'suis affalée assez bizarrement, tout ce dont je rêve, c'est de mon lit, mon chien et ma couette. Quoi que, peut-être autre chose en fait. Et puis Tim casse de nouveau le silence. « J'suis claustrophobe. » Je relève légèrement la tête, j'le regarde et je lâche le sourire le plus sincère que je puisse trouver. Assez timide, même carrément timide. « Je suis désolée. » C'est ce que je lâche, parce que j'ai rien d'autre à dire. Il veut que je lui réponde quoi ? Que moi aussi ? Que moi j'le suis pas ? Je sais pas. Mais en tous cas, j'suis vraiment désolée d'être dans cet ascenseur. Je sais qu'il aurait préféré n'importe qu'elle autre blonde plutôt que moi et c'est compréhensible en fait, quand on y pense. Je me remets dans ma position initiale, je suis fatiguée. Je ferme les yeux, je m'imagine dans mon lit et puis d'un coup, j'ouvre les yeux et je chuchote, histoire qu'il m'entende pas, même si y'a peu de chances pour que ça marche. « J'veux mon doudou... » Une expression à la foi triste, frustrée et contrariée sur le visage, j'ai juste envie de pleurer et sans le lapin qui me sert de doudou depuis mes cinq ans, je suis rien. Désespérée ? Ouais, j'le suis.

Avec les yeux qu'elle me jette, j'ai vraiment l'impression qu'avec moi elle s'attend qu'à des choses mauvaises en retour. Je suis sympa quand même ! Je sais pas, elle s'évanouit dans la rue je la porte jusqu'à chez moi et je la soigne, je la défends devant sa mère, et j'respecte mes promesses, je vois pas ce que je fais de mal ! Peut-être le fait de me déguiser en prêtre pour écouter ce qu'elle raconte, de la forcer à me payer quelques bonnes dizaines d'euros de Mcdonnald's, de lui faire une semaine de décoinçage et de lui faire percer les oreilles ce qui l'a fait pleurer... D'accord, peut-être ça, à la limite. Mais vraiment je vois pas pourquoi elle me regarde avec des yeux de cocker désespéré. Je vais pas la manger non plus. « Non... Je crois pas. Merci. » Elle aurait pu s'attendre à ce que je dise un « Ah merde... » mais j'ai pas la tête à la faire chier. J'essaye de me trouver des excuses pour pas l'envoyer voir ailleurs, du genre : t'auras peut-être besoin d'elle d'ici quelques heures. Au fond j'sais pas, on est coincés dans un ascenseur, je me suis déjà foutu d'elle pendant une heure avant (certes, c'était moins méchant qu'au début de notre « relation », entre guillemets et italique s'il vous plait pour définir ce truc), je vais pas en rajouter une couche maintenant. Je sais faire des pauses aussi, j'suis qu'un mec de vingt-et-un ans, pas un vieux sénile hospitalisé qui aime faire chier les jeunes en pleine forme. Quoi que, la comparaison est pas si mauvaise... J'y penserais un autre jour. Si autre jour il y a.

Je fixe le plafond, j'ai pas d'autres solutions. Faudrait que je monte là haut... Mais je ferais quoi une fois monté sur l'ascenseur ? Si par une chance incroyable il est coincé juste en dessous d'un étage et qu'on aperçoit les portes... D'une j'arriverais jamais à les ouvrir, il me faudrait vingt kilos de muscles en plus et encore, et de deux si y a quelqu'un, il sera trop bourré ou défoncé pour m'entendre. Y a rien à faire. Llywelyn fait quelques pas, je la regarde faire, elle a fait un effort en plus. Elle porte une robe qui cache même pas ses genoux, bustier, ça lui va même plutôt bien, mais ça je lui dirais pas. Ses chaussures qui sont par terre, c'est une paire qu'on a acheté pendant la semaine, à talons. C'est marrant, j'avais jamais remarqué qu'elle faisait des efforts à ce point. J'en prendrais compte si on sort. Quand je lui sors mon mensonge de claustrophobie, elle me lance un sourire qui a l'air vraiment sincère. Je sais qu'il l'est parce que c'est Llywelyn. Le problème c'est que je mens... Dommage. Je suis pas encore assez en mode « je vais mourir adieu monde cruel, bande de cons je vous déteste tous ! » pour avoir du remord à lui avoir menti. « Je suis désolée. » J'esquisse un sourire pas très convainquant et j'hoche de la tête pour lui faire comprendre que c'est pas grave. En effet, je m'en fou, puisque c'est faux. J'imagine que si j'avais été claustrophobe j'aurais déjà été en train de frapper les murs jusqu'à avoir les poings en sang. Pas difficile dans mon cas. Ou quelque chose de ce genre. Je fais passer mon regard du plafond à Llywelyn, j'ai l'impression qu'elle va s'endormir. J'ai pas envie, j'ai pas envie de me retrouver tout seul dans cet ascenseur, avec mon angoisse. Mon angoisse et ma montre. Je décide de l'enlever et de la mettre dans ma poche. De toute façon c'est trop tard. J'ai envie que son Dieu lui envoie un signe pour la réveiller, parce que j'ai pas envie de le faire moi-même. Et puis elle se met à chuchoter un truc. Ok, si Dieu existe, il est un peu chelou. « J'veux mon doudou... » Putain. Au début, je la fixe en essayant de comprendre. Après je me mords la lèvre. Sérieux. Et là j'arrive pas, je lâche un rire. C'est pas vraiment moqueur, en fait c'est plus nerveux et j'ai besoin de décompresser sur un truc. Le pire c'est que quand elle dit ça, elle est... Mignonne ? Ce mot est en train de brûler mon cerveau, heureusement que je l'ai pas dit ou j'aurais dû me désinfecter la bouche avec de la javel. Nan mais sérieux, on dirait ma petite sœur quand elle avait trois ans. J'me souviens j'avais huit ans, j'étais déjà un gamin cynique qui reprenait les adultes de haut quand ils osaient me parler comme un gosse attardé, et y avait ce bébé habillé en rose là, avec ses jouets et son doudou que je lui prenais. Et dès qu'elle commençait à froncer des sourcils, et à avoir des larmes dans les yeux, j'lui le rendais. Vous voyez, je suis pas méchant. Et bah Llywelyn me fait penser à elle. Sauf que maintenant c'est une pute. Je suis en train de me demander si je vais creuver, et Llywelyn veut son doudou. « Je t'aurais bien proposé d'être ton doudou et d'te faire un câlin mais bon, compte tenu de nos relations actuelles, ça serait comme envoyer un américain en Corée du Sud je suppose. » Je regarde ma veste, j'entends la montre dans ma poche, je bloque ma respiration pour me retenir de la prendre et je place mes mains dans mes poches pour cacher leur tremblement nerveux. De toute façon, j'ai jamais eu peur de mourir, alors je peux rester coincé ici deux jours aussi, aucun problème. Enfin, j'ai jamais eu peur de mourir seul dans mon coin, devant Llywelyn c'est un peu plus problématique. Et dans ma poche je sens un truc. Ah ouais, c'est une sorte de serviette carrée que j'ai piqué l'autre jour dans le service de mariage de ma mère. J'aime pas les trucs pour s'essuyer les mains à l'hôpital, j'sais pas, j'ai toujours peur qu'y ait des microbes. Alors l'autre jour, j'étais chez elle, j'ai vu ça, j'ai pris, j'ai mis dans ma poche. Je me suis dit que ça ferait un mouchoir sympa pour s'essuyer les mains quand tu sors d'un opération, et j'avais oublié que c'était là. Oui je fais des trucs chelous, et alors ? J'aurais bien aimé lui le rendre avec du sang dessus, j'avoue ! Si j'me mets à cracher du sang tout à l'heure ça sera le mien en plus, jackpot maman. Je regarde le tissus encore vierge de toutes traces rouges je vous rassure, et j'lui le lance. « Tiens, fais comme si c'était ton... Doudou. ». Je beug un peu sur le mot, et il doit bien être vingt-deux heure quarante cinq, youhou, je suis passé de la phase hyperactif, à anxiété aiguë et là je suis en dépression chronique. Adieu.

Je le sens agité. Terriblement agité. D'habitude il n'est pas comme ça, il est beaucoup plus... calme, plus serein. Il se fout de ma gueule sans répit et me montre par tous les moyens possibles et imaginables que je suis une idiote. Alors que là, il est différent, totalement différent. Mais je sais pas si je préfère ce Tim là ou celui que je côtoie au quotidien. Parce que son stress est communicatif, et que je commence à avoir peur de la tournure que prendra les choses. Ca fait déjà plus d'une demi-heure qu'on est là, alors qu'on devrait être dehors. Et à vrai dire, j'ai pas envie de rester à plusieurs mètres du sol pendant quinze ans. J'avais pas encore pensé à ça d'ailleurs, j'avais pas pensé à l'éventualité qu'on puisse s'écraser à un moment ou à un autre et c'est pas tellement rassurant. Ca me fait penser au onze septembre, j'suis entrain de me souvenir d'un reportage que j'avais vu à la télé et ça fait monter le stress en moi, le truc bien lors du 11 septembre, c'était que l'ascenseur était équipé d'un système qui l'a arrêté quand même avant de les tuer. Sauf que là, ce truc est tellement vieux que c'est même pas la peine d'y penser. Si on tombe, on meurt, c'est tout. Mais comme je suis vide de toute énergie, je suis bonne qu'à rester dans mon coin à tenter d'oublier la révélation que j'me suis faite toute seule. C'est vraiment horrible d'être coincée là et d'imaginer de dix mille façons différentes son dessein. J'me dis que y'a pas de raisons, que je peux pas mourir comme ça, que Dieu me ferait pas ça. En fait, j'en sais rien. Y'a d'autres gens qui ont dû mourir comme ça, alors pourquoi pas moi ? On me fera pas croire qu'ils étaient tous anti-catho, sachant qu'il y a énormément de fidèles. J'ai beau être croyante, je ne suis pas aussi conne que Tim peut le penser, pas aussi conne qu'il ne veut me le faire croire aussi. Bref, tout ça pour dire que j'en peux plus et que j'suis pressée d'être en bas. Vivante de préférence. Et que le stress de Tim me tape sur les nerfs, mais que j'peux rien faire. Alors autant rester dans un mutisme profond dans mon coin de l'ascenseur. Et puis je sais pas, j'ai envie de réconfort, j'ai envie de sentir l'odeur de ma peluche toute déchiquetée par le temps. Sans vraiment m'en rendre compte, je le dis en chuchotant et bien sûr, il entend. Sinon c'est pas drôle. Et je l'entend lâcher un rire. J'aurai peut-être pas dû dire ça en fait... J'vais en entendre parler jusqu'à la fin de mes jours. A cette idée, je lâche un soupir et j'me cale encore un peu plus contre les bords de l'ascenseur et j'referme les yeux en tentant d'oublier ce que j'viens de vivre. Sauf que Tim prend la parole et j'ouvre doucement les yeux. « Je t'aurais bien proposé d'être ton doudou et d'te faire un câlin mais bon, compte tenu de nos relations actuelles, ça serait comme envoyer un américain en Corée du Sud je suppose. » Je crois que c'est le truc le plus adorable qu'il m'est dit depuis qu'on se connait. J'en reste choquée et totalement incapable de lui sortir une réponse convenable. Et pourtant, limite j'serai d'accord. De toute façon, maintenant qu'il a touché mes pieds, je pense qu'il peut me faire un câlin. Mais je sais pas trop s'il est sérieux ou pas, alors je préfère ne rien dire et puis... c'est Tim quoi. Ce serait vraiment trop bizarre, je pense. J'me contente de faire une petite moue reconnaissante. Et puis, sa métaphore sur l'américain en Corée du Sud est pas mal du tout ! Et puis d'un coup, j'reçois un morceau de tissus qui tombe sur mes genoux. Je relève la tête, je sais pas trop ce que c'est. Et puis Tim prend de nouveau la parole. « Tiens, fais comme si c'était ton... Doudou. » C'est pas pareil, c'est pas mon doudou, j'peux pas faire comme si.. Mais je me contente de hocher la tête dans un « Merci. » et j'me tais. Je déplie le bout de tissus, je passe mes doigts dessus et j'fais en sorte qu'il reste contre moi. C'est mieux que rien. J'le frotte contre mon nez, mais je me dis qu'il va trouver ça bizarre alors je me contiens. Ca sent bon en tous cas, même si ça sort d'une des poches de Tim. J'ai envie de rentrer chez moi, le parfum du tissus me transporte ailleurs que dans cette habitacle et... merde tiens. « T'es sûr que tu veux pas un câlin ? » Je lève les yeux. J'attends pas de réponse positive de toute façon. Ca reste Tim et le jour où j'lui ferai un câlin... Je pense qu'il fera chaud... « Parce que les conflits entre l'Amérique et la Corée du Sud sont pas tellement applicables dans un ascenseur français. » J'suis bête. Mais je sais pas, je me dis que ça peut peut-être l'aider aussi dans sa claustrophobie.

J'ai l'impression qu'après ma phrase de menace envers les américains jetés aux mains des coréens, Llywelyn est légèrement choquée. Pourquoi, elle aime bien les coréens du nord ? Moi j'dis ça, je sais pas, on sait pas, il paraît qu'ils sont méchants. En tout cas je change de trottoir si je croise un yakuza personnellement ! Quoi que non, une petite vanne ou deux avant... Et puis ensuite elle m'a remercié pour la serviette en tissus, et bien ma mère te dit de rien. Je l'observe du coin de l’œil, on dirait vraiment qu'elle a... Je sais pas, six ans ? De toute façon elle doit bien avoir l'innocence d'une gamine de cet âge, mais bon. Elle frotte le bout de tissus contre son nez, et ouais, j'ai vraiment l'impression de voir ma sœur quand elle était gosse. Depuis elle a remplacé le doudou par les capotes. J'ai eu une sorte de doudou aussi, quand j'avais neuf ans. C'était pendant mon hospitalisation, vous connaissez déjà mon caractère, le même que maintenant en un peu moins sociable et un peu moins blagueur (adorable quoi). Je renvoyais chier le chirurgien et je reprenais les infirmières. Mais au fond, je l'aimais bien ce chirurgien. Il m'appelait gamin, ça m'énervait. Mais lui il me prenait au sérieux quand je racontais que je voulais être médecin, alors il m'expliquait des trucs en direct quand il contrôlait ma perfusion. Il m'avait dit un jour que quand il était jeune, il était comme moi. Alors il me comprend bien, il savait quand j'avais pas envie de parler, et quand j'en avais besoin. J'aurais préféré l'avoir lui comme père, même s'il est cynique, même s'il est bourru. Le centre hospitalier était loin de chez moi, alors j'avais pas souvent de visites, en plus les horaires étaient chiants. La seule personne qui venait tous les jours, c'était lui. Il était assez vieux, maintenant il l'est encore plus. Il prenait pas de pincette ou de voix débile avec moi, il était cru, direct, et j'aimais bien. J'avais l'impression qu'il me prenait au sérieux, comme si j'étais un adulte. Alors une fois, quand il est parti en vacances pendant une semaine alors que j'étais encore hospitalisé, moi j'me suis senti abandonné. Et il m'a donné une de ses blouses, j'la gardais à côté de mon lit la semaine, j'avais l'impression que j'avais de la compagnie. Parce que ces sottes d'infirmières, j'avais qu'une hâte, c'était qu'elles sortent de ma chambre qu'elles polluaient par leurs présences. La nuit je la prenais, je la roulais en boule et je me serrais contre. On va dire que ce truc a été une sorte de doudou. Sauf qu'à dix ans, je suis sorti de l'hôpital et je lui ai redonné. Il l'a gardé, et dès que je viens faire des contrôles, il hésite pas à me la ressortir quand je dois rester dormir à l'hôpital. Il se fout de ma gueule, ça m'énerve, on est comme ça. Je suis plongé dans mes pensée, quand Llywelyn dit un truc vraiment étrange. « T'es sûr que tu veux pas un câlin ? » Vraiment, vraiment étrange. « Parce que les conflits entre l'Amérique et la Corée du Sud sont pas tellement applicables dans un ascenseur français. » Je dirais même complètement pas Llywelyn ! Même si ça reste naïf, c'est... Choquant. Je suis choqué. Choqué. Totalement. Ça me fait presque oublier un moment que j'ai loupé mes médicaments et que je vais crever comme une grosse merde dans un ascenseur où y a des tonnes de microbes. J'me mets à sourire. Elle est marrante. Qu'elle profite de ma bonne humeur tant que je suis pas en mode je vais faire un rejet bande de fils de putes. En tout cas, je pense que je peux être fier de moi. Je suis persuadé que c'est ma semaine de décoinçage qui l'a fait devenir un minimum normale. Je suis un fou. Du coup je me relève et je jette un autre regard à la place au plafond. Je tenterais de monter là haut tout à l'heure. Je vais dans le coin où est assise Llywelyn et je m'accroupis devant elle. « Attention, tu seras plus vierge de câlins après, fais gaffe. » Avant qu'elle soit outrée et me dise de retourner dans mon coin, je passe mes bras derrière son dos et je la rapproche de moi. Je la sers contre le cœur de Gaëtane, et ça me fait encore oublier un instant mon obsession quant à mes médicaments. J'ai pas envie d'en faire trop, c'est peut-être la première fois que je la touche vraiment. C'est pas comme si ça me fait quelque chose, je m'en fou, rassurez-vous. Simple constatation, comme le fait que je vais mourir dans d'atroces souffrances. Je ferme les yeux, je sais pas pourquoi, je suis bien là à serrer dans mes bras la catholique la plus prude que je connaisse. C'est ridicule. Et je lui glisse près de son oreille un truc comme « T'inquiète pas, c'est pas comme ça qu'on fait les bébés. ». Honnêtement je me trouve fort drôle, même si j'ai pas ma voix moqueuse habituelle et qu'on doit quand même sentir une pointe de stress. Actuellement Llywelyn, c'est bien la seule chose qui peut me faire rire.

Malgré tout ce que je peux penser, malgré tout ce que je peux dire. Je me sens mieux déjà, avec ce truc qui m'appartient même pas, mais qui sens tout de même un peu quelque chose de familier. Peut-être que ça sent le Tim et que c'est un minimum rassurant. J'en sais rien, en tous cas, ça me fait déjà un peu de bien. Mais faut croire que c'est pas suffisant, puisque... Je sais pas ce qui m'y pousse, mais je demande bel et bien à Tim de me faire un câlin. De façon plus ou moins détournée – surtout moins – et en reprenant la magnifique métaphore précédemment utilisée. J'attends rien de lui, c'est peut-être simplement pour le lui proposer, par pure gentillesse. Juste pour le fait d'avoir proposé. Parce que je me dis que si j'étais claustrophobe dans un ascenseur avec une fille comme moi... Bah je péterai un câble, mais vraiment. Et même s'il est pas comme d'habitude, s'il a l'air stressé et qu'il a l'air bizarre, il est pas aussi paniqué qu'il pourrait l'être. Et ça, c'est pas si mal. Alors si je peux l'aider juste avec un câlin, pourquoi pas ? Le prêtre qui est en lui devrait adorer ça ! Quoi que, j'en sais rien en fait. Enfin bref, j'attend rien. Et pourtant, j'le regarde avec une lueur d'espoir dans les yeux. En fait, je sais pas trop si j'ai demandé ça pour lui ou pour moi. Sûrement pour nous deux. Parce que moi, j'ai besoin de réconfort et lui.. bah je sais pas de quoi il a besoin, mais si c'est d'une étreinte, alors il peut compter sur moi. Dans d'autre situations, c'est autre chose, mais là.. J'ai bien envie d'oublier ce qu'il peut se passer à l'extérieur de l'ascenseur. Parce qu'il est tellement différent à l'intérieur et à l'extérieur que s'en est presque flippant. Tim a sans doute plusieurs facettes. Enfin j'en sais rien en fait, mais apparemment, il est pas aussi méchant et aussi cynique qu'il n'en donne l'air. Et puis, il sourit après avoir entendu ma phrase. Et à part ses sourires pleins de moquerie, j'en vois pas souvent sur son visage. Alors je me dis que je suis peut-être pas si nulle que ça à ses yeux. Parce que ça m'a tout l'air d'être un sourire assez sincère. Et contre toute attente, il se lève et vient vers moi. Il s'accroupit et me sort : « Attention, tu seras plus vierge de câlins après, fais gaffe. ». Au début je reste juste... insensible à ce qu'il vient de me dire, mais pendant qu'il me prend dans ses bras, y'a un sourire qui éclaire mon visage. D'abord parce que sa phrase était drôle, et parce que ça me fait plaisir, malgré tout, qu'il me prenne dans ses bras comme ça. Alors qu'il passe sa vie à me faire chier en dehors de cet ascenseur. C'est nouveau, ce changement de comportement... Mais je sais pas... C'est agréable quand même, de voir qu'au fond, si ça se trouve, il me trouve pas si débile que ça. Peut-être même qu'il éprouve un minimum de sympathie pour moi. Quoi que, ne nous emportons pas, les hypothèses sont pas forcément de bonnes idées. Si ça se trouve, il fait ça pour se foutre de moi lorsqu'on sera plus dans l'ascenseur. Enfin, j'en sais rien et j'ai pas très envie de me poser trop de questions. Je suis bien, je me laisse faire et je profite de ce moment qui a tout pour être unique. Absolument unique. Avec lenteur, je finis quand même par l’enlacer aussi parce que si je fais ça en partie pour lui, c'est normal qu'il soit pas le seul à donner. Alors voilà... C'est bizarre. J'ai pas pour habitude de toucher les gens. Mais vraiment, je suis pas du genre à faire des câlins à n'importe qui. Je suis pas du genre à prendre la main du premier inconnu qui passe. Je suis pas du genre à prendre mes amies par la taille quand j'leur fais la bise.. Quand j'leur fais la bise. Moins tactile que moi c'est... Tim. Sans doute. Il est peut-être pire que moi. Quoi que j'en sais rien, parce que c'est pas moi qui ai commencé là, j'ai juste dit ça oralement et il s'est avancé et il l'a fait. « T'inquiète pas, c'est pas comme ça qu'on fait les bébés. » Un sourire amusé s'empare de mes lèvres et je reste dans ma position tout en ayant envie de rire. Je suis peut-être vierge, mais j'ai quand même une vague idée de comment on fait. Mais ça, je sais qu'il le sait. C'est quand même assez évident. Mais j'hésite pas à lui répondre par : « Ah bon ? Je pensais ! » Et puis je me calme, je profite encore un peu et je finis par lâcher : « Tu sais... Tu fais un bon doudou. » Et je peux pas m'empêcher d'esquisser un léger sourire, parce que c'est vrai que je suis bien là.

C'est marrant, je pensais qu'elle sentait l'église. Le truc renfermée et tout, limite l'hostie. Peut-être un peu le vin... Enfin, l'odeur vraiment horrible qui se dégageait du confessionnal où je me suis incrusté... Et en fait, non, pas vraiment. C'est plutôt un mélange de... Je sais pas trop. De fleurs, j'arrive pas à déterminer laquelle, et de quelque chose de sucré. J'en sais rien, mais c'est plutôt agréable. Llywelyn finit elle aussi par m'enlacer, et je sais déjà que demain (si on en sort, et si on en sort vivants surtout), on ne reparlera pas de ça. En tout cas, je ne le ferais pas, et je sens qu'elle non plus. On est fait pour s'engueuler, on est trop différents pour bien s'entendre. Là c'est une parenthèse, une exception. Ça se reproduira pas. Dommage dans un sens... En plus, elle croit que je suis claustrophobe. D'un côté c'est amusant parce qu'elle croit tout ce qu'on lui raconte... « Ah bon ? Je pensais ! » Je souris. Je lui aurais bien montré comment on fait, mais je sens que même si on est prêts à mourir dans un ascenseur elle refuserait. N'empêche que si je devais mourir, j'avoue que voler la virginité de Llywelyn ça serait un beau cadeau ! Rassurez-vous, je fais genre que ne pas avoir pris mes médicaments au fond ne me fait rien, puisque l'heure est passée mais... Dans ma tête c'est Bagdad. Je cherche toujours des solutions, j'en trouve plus, j'ai du mal à cacher que je tremble, j'ai qu'une envie c'est fixer ma montre, appeler à l'aide, monter sur cet ascenseur, descendre le long des câbles s'il le faut. Mais à la place, je suis en train de serrer Llywelyn dans mes bras. « Tu sais... Tu fais un bon doudou. ». Je ris une nouvelle fois. Je sais, je suis génial. Vous voyez, je suis très jovial et communicatif comme gars, je vois pas comment elle a pu ou elle peut avoir peur de moi. Même quand je suis en stress intense et que mon cœur se met à battre tellement vite que j'ai peur que la blonde sente les battements, je ris toujours. Je suis incroyable. Je suis peut-être légèrement atteint d'égocentrisme. C'est très léger, je vous l'accorde, difficile à remarquer il est vrai. C'est peut-être parce que petit, on a cessé de me répéter que mon cœur étaut moins bien que les autres, qu'il dysfonctionnait... Pour me rassurer, j'ai peut-être commencé à me répéter que j'étais le meilleur... Ou peut-être que je le suis vraiment, tout simplement. Ça me paraît plus évident. Je touche légèrement du doigt une de ses mèches de cheveux, et je serre Llywelyn légèrement plus fort pendant une seconde avant de me détacher d'elle et de m'assoir à côté. On est bien là aussi. Je continue de fixer le plafond comme si de rien n'était. « J'te montrerais une chanson quand on sortira d'ici, tu verras d'où je tiens cette aptitude au doudou. ». Elle va adorer. Un mec qui se trimballe avec un doudou devant l'entrejambe et qui le montre aux enfants. En tout cas, ma phrase veut bien dire qu'on sortira de là. A partir d'un moment, je ne dis plus rien. Je me dis que le temps peut passer plus vite. Sauf que ça m'oppresse. J'ai l'impression que le tic-tac de la montre dans ma poche s'accorde avec les battements de mon cœur. Pas très plausible pourtant, ça n'est pas mon rythme cardiaque habituel. C'est comme si je n'entendais que ça, c'est horrible, ça m'angoisse. Putain, si je meurs ce soir... Je fais quoi ? Je suis prêt à mourir maintenant ? Même si on est pas vraiment enfermés depuis longtemps, ça peut arriver. Si je suis 41 heures comme l'autre sans mes médicaments, je suis presque sûr d'être foutu. Je peux pas, Llywelyn se ferait définitivement chier sans moi. Je décide de relancer la conversation, parce que le duo qui se passent entre mon cœur et ma montre est presque insoutenable. « On se fait un question réponse ? » Je n'attends pas sa validation, elle n'a pas le choix, j'ai besoin de parler de façon à ne pas laisser mes pensées me faire péter un câble. Ne pas laisser cette petite voix qui me dit « tu savais très bien que tu n'allais pas t'en sortir, aujourd'hui, demain, quelle importance ? » prendre le dessus. « Alors... Une question pas perverse, pas malsaine, pas religieuse... » Putain, ce jeu était dur en fait, c'était là toute la complexité ! Presque du niveau des échecs internationales. « Ah, t'as combien de frères et de soeurs, approximativement ? » Ouais, ça c'était une bonne question. Au fond, j'avais beau passer ma journée à la harceler, je sais pas énormément de choses sur elle. Enfin, je sais qu'elle prie, c'était le plus important je pense.

Il rit quand je lui dis que je pensais qu'on faisait les bébés de cette façon, il rit également lorsque je lui dis qu'il est un bon doudou. Faut croire qu'il oublie son stress de tout à l'heure et je suis assez contente de moi sur ce coup. Peut-être qu'il est toujours stressé mais qu'il essaye de ne pas le montrer, mais dans tous les cas, ça me rassure un peu. Et puis, ça a beau être le moment à la fois le plus bizarre et le plus mignon de mon existence, je trouve qu'au niveau humain, je m'améliore ! Non mais c'est marrant, j'aurai jamais cru que ce serait possible, jamais. Pour moi, Tim n'est pas le genre de personne qui fait des câlins aux filles (enfin, pas ce genre du moins) et le fait qu'il m'en fasse à moi, qui n'était ni son amie, ni quoi que ce soit pour lui... Je sais pas, ça me touche. Et si ça le dégoûte pas, bah tant mieux. Je me dis que si ça le faisait chier, il l'aurait pas fait et même s'il l'avait fait, ça aurait pas duré aussi longtemps. Cet ascenseur, c'est vraiment un autre monde en fait. C'est une parenthèse dans notre relation, et je sais pas. Je crois que ça me fait aussi du bien de voir qu'il peut y avoir du bon en Tim, pas que le connard que j'ai connu y'a plus d'un an. Ca ravive un peu la foi en l'être humain que j'ai perdu récemment, le tout en fréquentant Tim. Il a un don pour montrer deux facettes complètement différentes, c'est vraiment bizarre... Enfin bref, je sens qu'il me serre fort contre lui pendant quelques instants avant de relâcher la pression et de s'asseoir juste à côté de moi. Je tourne la tête vers lui alors qu'il semble prit dans une espèce d'adoration du plafond. Il dit calmement tout en regardant là haut : « J'te montrerais une chanson quand on sortira d'ici, tu verras d'où je tiens cette aptitude au doudou. » Je hoche la tête. Qu'est-ce que j'peux répondre à ça, d'accord ? Ok ? Si tu veux ? Le hochement de tête a la même signification. Et le silence se fait, et il est assez lourd, surtout après le moment bisounours qu'on a vécu plus tôt. Ou alors c'est moi qui déraille complètement et qui m'imagine des choses bizarres. Mais dans tous les cas de toute façon, c'est la même chose. Il y a un blanc, qui m’oppresse aussi et j'me dis que sa claustrophobie risque de réapparaître. Et puis d'un coup, il me dit : « On se fait un question réponse ? » Je sais pas trop quoi répondre. Ca m'étonne parce qu'il a l'air plutôt calme, alors qu'il doit être mort de trouille. Il me laisse pas le temps de répondre, il a dû prendre mon silence pour un oui. Et ça en est un à vrai dire, si ça peut lui changer les idées et si ça peut également me changer les idées et faire passer le temps plus vite... Alors je n'ai rien contre. « Alors... Une question pas perverse, pas malsaine, pas religieuse... » Compliqué venant de Tim. Surtout perverse et malsaine. Parce que je doute qu'il veuille que je lui récite un verset de la Bible. Même si j'en suis capable et qu'il le sait sans doute pour m'avoir entendu réciter une prière en latin particulièrement longue. C'est vrai qu'il a pas fait le prêtre le bon jour, j'avais vraiment prit l'une des plus compliquées, il a rien dû comprendre à mon charabia, mais je lui en veux pas. Ouais, je lui en veux pas. Pourtant il a été un vrai con et quand j'ai compris qu'il avait fait ça, j'en ai même pleuré. Mais non, non, non, je lui en veux pas. Parce que c'est Tim, peut-être. J'en sais rien, je m'y attendais pas mais dans un sens... Il a fait l'effort de venir dans une église, de faire le prêtre pendant quelques minutes et je ne doute pas une seule seconde que ça ai pu lui plaire. Peut-être pas par question de foi, mais sait-on jamais. Enfin, il lâche sa question et c'est l'important : « Ah, t'as combien de frères et de soeurs, approximativement ? » Approximativement ? Pourquoi approximativement ? Je fronce les sourcils, j'ai pas envie de demander et de passer pour une idiote alors je me contente de répondre : « J'ai un frère. » Et j'attends quelques secondes avant de comprendre qu'il veut son nom. « C'est Elidyr Aedd Glyndwr. » dis-je dans un soupir. Il va rire. Je le sais parce que déjà, mon nom le fait rire. Et encore, celui de mon frère est plus court que le mien. Quoi qu'il sait pas comment on l'écrit, mais bon... Il va croire que c'est un seul et même prénom et ça me fait rire intérieurement d'avance. « Elle s'appelle comment ta sœur ? » bah quoi ? Faut bien que je sache à un moment ou à un autre, il en a parlé vaguement, en disant que c'était une pute et tout, mais j'ai jamais eu le droit de savoir son nom. J'aimerai bien voir à quoi elle ressemble, si elle est le portrait craché de son frère ou... je sais pas !

« J'ai un frère. » C'est tout ? Cette fille n'a qu'un frère ? Fort bien, elle est donc aussi mythomane que moi quant à ma claustrophobie. Je ne vois que cette possibilité... Ou alors, ses parents n'ont fauté que deux fois. Puisqu'ils n'utilisent pas de préservatifs, grand Dieu le Pape l'a déconseillé !, et pas non plus de pilule et autres moyens contraceptifs. La seule solution est alors que ses parents n'ont baisé que deux fois. Tu m'étonnes que leurs enfants soient comme ça. Remarque... J'ai pas envie d'imaginer mes parents en train de... Ah putain, mon cerveau est en train de brûler tellement c'est dégueulasse, faut que j'oublie cette image, que j'pense à... A Clara Morgane. Voilà, parfait. Je n'y pense plus, je n'y ai jamais pensé. Mais Llywelyn doit croire que j'attends de savoir son prénom, puisqu'elle me balance à la gueule l'attaque Gallois. « C'est Elidyr Aedd Glyndwr. » Et vu que j'avais pas mis de bouclier, je suis assommé. C'est un prénom, ça ? Ellel'ydireàEd ? C'est qui, Ed ? On dirait ma grand-mère qui parle patois. Sérieux, elle a qu'un frère, mais son prénom est à la hauteur de sa famille. Et en plus il est prêtre, d'après ce qu'elle m'avait déjà dit. Je pense qu'ils ont bien fait de n'en faire que deux, en fait. J'ose même pas imaginer le nom et le métier des autres gosses s'ils avaient osé toucher le pêché de luxure une nouvelle fois ! « C'est... Très galloisement peu commun. » Je crois qu'il n'y a rien d'autres à dire. J'aimerais bien le rencontrer un jour, d'un côté. Il doit être aussi perché que Llywelyn, quoi qu'elle est déjà à un point très élevé ! Il doit être blond pareil, peut-être qu'ils se ressemblent.. J'essaye d'imaginer Llywelyn avec de la barbe, mais c'est pas facile. Au pire, on s'en fou, puisque c'est à son tour de me poser une question, et naturellement elle se porte sur ma sœur. Petite trainée. Voilà voilà. En tout cas le prénom de son frère et le fait qu'elle n'en ait qu'un m'a tellement choqué, outré je dirais même, qu'elle n'ait pas une vraie famille de catho à la française que je me suis même pas foutu d'elle... Tant pis. « Elle s'appelle comment ta sœur ? » Je lui en ai déjà parlé je crois. Elle mérite même pas qu'on l’appelle par un prénom tellement c'est une putain. Mais c'est le jeu de questions réponses, j'accepte ! « Sed. Fin, c'est son surnom comme moi avec Tim s'tu veux. Sedlecina Imogène Rosenbach pour être précis. Qu'elle aille crever ailleurs. » Ouh c'est un blasphème ça ? Je sais pas mais ça venait du cœur ! C'est pas que je l'aime pas, c'est qu'on est comme ça. Je pense que si on était enfermés dans un ascenseur là, on aurait commencé à s'entretuer et à un moment on se serait arrêtés pour se soigner mutuellement et recommencer après. J'adore la faire chier, peut-être même plus que Llywelyn... Quoi que non, Llywelyn est ma cible préférée. Mais Sed pète tellement un câble facilement, c'est un plaisir de la torturer. Et elle fait de même avec moi cette sale peste. Mais si par exemple un mec l'utilisait vraiment comme un objet et qu'elle venait me voir en pleurant, oui, c'est possible que j'utilise une technique appris en médecine pour remettre les cervicales afin de lui déboîter le cou. Possible, seulement. Ça reste ma petite sœur, croyez pas. Elle porte un partie de mon divin ADN, peut-être qu'elle pourrait même me passer un rein un jour. Ça n'est pas à négliger. J'ai toujours les yeux qui fixent le plafond, j'arrive pas à les faire regarder autre chose, sinon c'est ma montre qui va devoir supporter d'être dévisagée de la même façon. « Bon une autre question... » Je décide finalement de me lever une nouvelle fois, observant toujours le plafond. La trappe honnêtement n'a pas l'air si dur que ça à pousser. Si j'arrive à monter sur la rambarde dans le coin, j'appuie mon dos contre les deux « murs », c'est faisable. « Alors » Je me dirige vers le coin et je teste la solidité de la rambarde en fer, faudrait pas qu'elle cède. « T'as déjà été amoureuse ? ». Ouais, c'est bien comme question ça. Elle va se dire que mes pulsions d'envie de sortir d'ici me reprennent, puisqu'après avoir formulé mon interrogation, je mets directement un pied sur la rambarde. Le droit sur la partie gauche et tout va se jouer très vite. Je me relève, pose l'autre pied sur l'autre partie de rampe et je me colle au mur avant de tomber pour retrouver de l'équilibre. J'arrête de bouger pendant quelques secondes. Je suis vraiment le plus fort. En trois seconde je suis monté sur ce truc, sans tomber, et je suis dans le bon sens. Sérieusement, je suis vraiment un ouf. Vu ma taille et celle de l'ascenseur, j'arrive très facilement en tendant les bras à toucher le plafond. Y a plus qu'à pousser. Avant de passer à la deuxième partie de l'opération, je jette un regard à Llywlyn et j'attends sagement qu'elle me réponde. C'est intéressant, quand même.

« C'est... Très galloisement peu commun. » Comment lui dire qu'au Pays de Galle... C'est comment dire ? Assez commun ? Je vais pas lui dire. Il a pas besoin de le savoir. Pour lui, c'est bizarre et ça le restera, que ce soit commun dans mon pays ou pas. De toute façon, on s'en fout puisque mon frère a vécu que quelques années à Paris avant de repartir pour le Pays de Galle. Faut croire que ça lui a pas beaucoup plût, la France. Pourtant, il avait l'air de s'y plaire quand on y pense, il avait même une copine pendant un temps, et ça avait l'air plutôt sérieux. Elle était plutôt jolie, friquée, très gentille et très croyante. Parfaite en somme. Mais je sais pas, il y a quelque chose qui l'a poussé à devenir prêtre. C'est peut-être mon père qui lui a gentiment conseillé. Je sais pas vraiment et j'ai pas très envie de le savoir. Ca ne me regarde pas, ça ne regarde que mon frère. Fin bref, maintenant il a fait vœu de chasteté et tel que je le connais, il n'est pas pas prêt de faillir à sa parole. Enfin bref, là n'est pas le sujet. Enfin si, mais j'ai bien envie de penser à autre chose. Et la sœur de Tim semble parfaite pour remplacer mon frère dans mes pensées les plus profondes. Du coup, ma question est pas si mal, même si elle est extrêmement basique et elle reprend la sienne. « Sed. Fin, c'est son surnom comme moi avec Tim s'tu veux. Sedlecina Imogène Rosenbach pour être précis. Qu'elle aille crever ailleurs. » Sympa avec sa sœur le Tim. Enfin, je le savais déjà, mais faut dire que ça m'étonne toujours parce qu'il arrête pas de glisser des trucs méchants lorsqu'il parle d'elle. Elle pourrait être une fille adorable qu'il dirait exactement la même chose. Je me demande s'il parle de moi en ces termes aussi, ou s'il est un peu moins méchant. Mais je me fais pas d'illusions. Je sais que premièrement, il doit pas parler de moi très souvent. Parce que pour parler de moi, faut des gens avec lesquels parler de moi et je suis pas le genre de personne importante dans sa vie, pas comme sa sœur, par exemple. Je suis juste une croyante qui a croisé sa route un matin et qui ne peut plus s'en débarrasser à présent. C'est bête parce que moi j'en parle quand même souvent. Que ce soit pour me confesser ou quand je parle dans mon club d'abstinence (parce qu'une fois, il a voulu venir et il a fait pas mal de dégâts sur les pauvres filles présentes ce jour là). Fin bref, tout ça pour dire qu'elle est peut-être la plus gentille fille du monde mais qu'il la traiterait toujours de cette façon. Mais je peux rien faire pour elle, je suis personne pour Tim. Et même si j'étais quelqu'un, personne peut le changer. Et puis au pire, elle se débrouille, je peux pas aider tout le monde non plus. Mais ça me fait quand même de la peine pour elle, parce que j'imagine pas mon frère entrain de dire ça. Vraiment pas. Et puis, faut avouer que son prénom est pas mal du tout. Peut-être un peu trop bizarre, mais pas mal ! C'est joli à prononcer et je l'imagine très jolie du coup. Mais Tim me coupe dans mes excès d'imagination avec un : « Bon une autre question... » Je le regarde se lever en fronçant les sourcils. Il va faire quoi là ? Il regarde toujours le plafond et j'ai comme l'impression qu'il a encore dans l'idée d'aller pousser cette trappe. Sauf que je ne vois toujours pas l'intérêt. Mais si Tim le voit.. Alors je ne peux rien dire pour l'en empêcher. « Alors... T'as déjà été amoureuse ? » dit-il tout en appuyant sur les rambardes avant de finalement se mettre à grimper. Je le regarde, avec l'impression qu'il va tomber et qu'il vaut mieux qu'il descende tant qu'il en est encore temps. Mais je dis rien, je le laisse faire et la question qu'il m'a posé me perturbe. J'ai les joues qui sont en feu et j'ai bien l'impression que je rougis. Je sais pas du tout quoi répondre à cette question. Je pense que je ne suis pas capable d'y répondre. Mais il lève le regard vers moi, il a réussi à monter là-haut mais j'ai toujours un peu peur qu'il se casse la figure. Je me lève, histoire d'être prête s'il tombe. Et je m'approche. Je place mes mains au dessus de ma tête, à genre... Cinq centimètres de son torse et je sais bien que même s'il tombe, ça fera rien et que c'est pas avec mes petits bras que je vais le maintenir là-haut mais j'imagine que l'espoir fait vivre, pas vrai ? Enfin, si ça fait une toute toute petite chance pour qu'il reste là-haut et un minimum pour qu'il prenne au moins confiance en lui (quoi que je m'en fais pas trop sur ce point là)... Alors, c'est cool et je sers un peu moins à rien. J'ai les yeux posés sur Tim et je finis par vite les baisser. Je sais pas quoi répondre à sa question, zut ! « Je... sais pas. Ca fait quoi quand... on est amoureux ? Je crois que je sais pas ce que ça fait... » Je fouille dans ma mémoire et... « Y'a bien un petit garçon, quand j'étais en maternelle... Mais je m'en rappelle que vaguement. ».

J'arrive encore une fois à gêner Llywelyn, c'est décidément un jeu d'enfant. Je crois que même un gamin de cinq ans le pourrait, en lui demandant de lui expliquer d'où viennent les bébés... Il faudrait que je pense à recruter un gosse pour lui poser la question, c'est une excellente idée. Mais pour l'instant, je suis adossé au mur à peut-être un mètre de hauteur, en équilibre sur mes rampes et je le vis très bien. Elle finit par se lever et venir faire une sorte de rempart en face de moi. Elle a peur que je tombe ? Elle sait que quelqu'un de normalement constitué de cette hauteur ne peut sans doute pas se casser quelque chose ? Ou alors elle sait que je prends des anti-coagulants ? Non, ça c'est impossible, elle n'a aucun moyen de le savoir... A part si elle a fouillé dans mes affaires quand j'étais chez elle, mais la connaissant c'est tout à fait impossible. Alors elle n'a juste pas envie que je tombe et apparemment, elle préfère que je tombe sur elle quitte à lui faire mal... C'est quoi cette fille. Je sais même plus quoi penser d'elle, je l'ai fait chier pendant tout ce temps et elle continue d'être gentille alors qu'au fond elle doit me détester. Même ma sœur, même ma mère ont fini par péter un câble, alors pourquoi pas elle hein ? J'ai bien l'impression qu'elle arrive à me supporter (bien que, je vous l'accorde, je trouve ça très facile pour ma part et je pense que c'est les autres qui ne font aucun effort... Normal vu que je suis meilleur qu'eux, ça les énerve), en tout cas, ça serait bien la première. Mais elle doit être comme ça avec tout le monde, alors pas la peine d'essayer de comprendre quelque chose là dedans. C'est juste Llywelyn, j'ai pas à me prendre la tête sur cette question. Avant que je me mette à essayer d'ouvrir cette trappe, elle baisse les yeux et semble essayer de retrouver quand elle a été amoureuse. Vraiment bonne en tout cas. La question, pas Llywelyn, bien sûr. « Je... sais pas. Ca fait quoi quand... on est amoureux ? Je crois que je sais pas ce que ça fait... » Je m'en doutais d'un côté, Llywelyn amoureuse de quelqu'un, ça voulait dire Llywelyn qui sortait avec quelqu'un (si la personne aimait le genre catho flippante), et ça voulait dire Llywelyn bisou, Llywelyn plus vierge ! (enchaînement rapide, je sais). Je pense que c'est la seule solution pour qu'elle accepte de coucher avec quelqu'un avec le mariage, et encore, elle devrait être vraiment très, très, très amoureuse de cette personne pour ça... Quoi que, non, elle attendrait le mariage quand même. En tout cas, ce que ça fait, c'est une bonne question aussi. J'ai jamais été amoureux, j'en suis certain. Parce qu'être amoureux de quelqu'un, c'est prendre le risque de trop s'y attacher, et de pas vouloir partir après. Sauf que je sais que je peux partir d'un moment à l'autre. Ça peut même être cette nuit et je me mords l'intérieure de la joue pour ne pas penser à ça. Si j'avais eu une fille que j'aimais et qui m'aimait à l'extérieur, vous comprenez le problème ? Je sais pas si je pourrais vieillir normalement, alors je préfère ne pas avoir vraiment d'attache. Je sais que beaucoup de greffés vivent vieux, mais... Je sais pas, y a toujours ce doute. C'est faire subbir à quelqu'un qu'on aime le fait de devoir toujours aller à l'hôpital, d'avoir des absences, d'être fragile. Je suis pas sadique à ce point. Ma famille, c'est différent, ils sont préparés depuis ma naissance. Y a même un psychiatre qui a dit à ma mère que peut-être, peut-être que je ressentais une sorte d'idylle malsaine pour Gaëtane, celle qui m'avait donné son cœur. Mais ça sérieux c'était que des conneries. Des grosses conneries de psychopathes. Comment je pourrais être amoureux d'une fille qui est décédée et que je connaissais même pas ? Je suis juste reconnaissant. Très reconnaissant. C'est tout, c'est normal. « Bah, ça fait ce que ça fait. Si tu sais pas c'est que tu l'as jamais été. Tu penses qu'à l'autre personne, des trucs comme ça. ». J'approfondis pas, puisque j'en sais rien. Je pense que ça doit faire mal au cœur, et le mien a pas besoin de ça. « Y'a bien un petit garçon, quand j'étais en maternelle... Mais je m'en rappelle que vaguement. ». En maternelle ? Whoua, ça c'est de l'amour ! Cette fois je ris pas, parce que je suis perché sur une rambarde pour ouvrir une trappe, et que je suis pas en position pour me foutre de sa gueule ! Et puis surtout parce qu'au fond, je suis pas mieux. Y a bien eu une fille, au lycée, que j'aimais un peu plus que les autres... Mais quand elle m'a dit que ça ne l'a dérangerait pas d'être avec moi, j'ai préféré lui dire que moi si. C'était faux, mais il fallait que je réponde ça pour toutes les explications que je vous ai déjà dit. En tout cas, la chose étant dite, je décide de passer à l'action. En tendant les bras, les paumes vers le plafond, j'arrive à placer mes mains sur cette trappe qui semble s'ouvrir dans le bon sens. Je tente de pousser, mais vu ma position actuelle c'est plutôt compliqué. Surtout que Llywelyn est en dessous de moi, j'ai pas intérêt de tomber. Je sens que la trappe bouge, il manquerait juste une impulsion un peu plus forte... Juste un peu et... Putain, j'ai réussi ! Problème, ça m'a fait perdre mon équilibre. Totalement. En poussant trop fort, mes pieds ont glissé et du coup je tombe en avant. Au moins dans ma chute j'ai pu donner l'impulsion dont la trappe avait besoin pour s'ouvrir, et j'entends le bruit que fait le panneau métallique pas si épais que ça en atterrissant de l'autre côté. Deuxième problème, je tombe pas dans le vide comme prévu. Putain elle est conne aussi de se mettre là !

Je suis innocente jusqu'au bout et je crois que je le vis bien. De toute façon, je veux pas savoir tout ça, je préfère rester dans l'ignorance presque totale. Peut-être parce que ça me fait plus peur que ça ne me dégoûte. C'est sûrement ça d'ailleurs, la peur. Parce que malgré tout, toutes les filles que j'ai connu et que je connais... Bah à 20 ans, elles sont plus vierges depuis plus ou moins longtemps. Et moi, à presque 22 ans, parce que oui, dans quelques semaines c'est mon anniversaire, et bah... Je suis encore vierge, je sais juste que ça se fait au dessous de la ceinture et au dessus des genoux mais j'en sais pas plus. Et j'ai juste l'impression d'être une extraterrestre et que tout le monde me regarde comme si j'avais réellement un troisième œil au milieu du front. Ouais, je sais pas tout ce que les gens d'aujourd'hui savent. Oui, je sais, je suis vraiment nulle, mais j'y peux rien. C'est comme ça, je suis innocence et l'ignorance incarnée et je préfère rester comme ça. Peut-être même pour le restant de mes jours, comme mon frère. Parce que je sais que si c'est encore le cas à 30 ans, c'est à dire dans un peu plus de 6 ans (et ça passe vite 6 ans), bah je finirai sans doute bonne sœur. Parce que j'aurai rien de mieux à faire, vraiment. Enfin bref, j'ai jamais été amoureuse de ma vie, j'y connais rien à l'amour et mis à part deux ou trois films débiles, je sais pas trop quoi me représenter. Pourtant je vois des couples partout, et ils ont l'air heureux, mois heureux parfois. Enfin, ils font ce qu'ils peuvent sans doute. Mais je me vois pas à leur place, vraiment pas. Comme si c'était pas fait pour moi. Alors je regarde, je me demande si un jour ce genre de truc m'arrivera mais je suis incapable de trouver une réponse. C'est pas grave, je me dis que j'ai encore le temps, et puis, si ça se trouve, le mec qui me supportera n'existe pas et tant pis pour moi. Je vais dire que je m'en fiche, mais je sais que c'est faux. Je sais que j'ai pas envie de vivre comme ça toute ma vie, que je veux pas mourir sans avoir connu ce genre d'expérience mais c'est pas aussi simple que ça... J'en ai marre d'être Lly l'ignorante, mais je m'en contente. « Bah, ça fait ce que ça fait. Si tu sais pas c'est que tu l'as jamais été. Tu penses qu'à l'autre personne, des trucs comme ça. » C'est vague... Pour moi, Tim a un peu tout connu et j'le prend peut-être un peu trop pour un guide, je sais pas. Il développe pas tellement. Peut-être parce que c'est difficile à développer, que c'est trop bizarre comme sentiment. Peut-être parce qu'il l'a jamais été aussi, et que j'me suis trompée sur son compte. Pour moi, il a un peu tout vu tout fait, alors trouver une faille là-dedans... Bah c'est plutôt cool, je sais pas pourquoi mais voilà... Peut-être parce que ça le rapproche un peu de moi. Pas dans le sens où je veux lui plaire ou quoi que ce soit, mais il fait toujours en sorte que je me sente comme inférieure à lui et ce, dans tous les domaines. Au niveau de l'intelligence par exemple, au niveau de tout ce qui concerne la vie en fait, ou presque. Enfin, je sais pas comment l’interpréter et peut-être qu'il me répondra pas si je lui demande s'il l'a déjà été lui. Parce que ça fait deux fois qu'il me pose une question et que je lui donne la même en retour. C'est juste nul ! Fin voilà, et quand enfin, je lui balance pour le garçon en maternelle, bah il a pas l'air de vraiment capter ce que je lui raconte. Enfin c'est pas plus mal, parce que j'en ai honte et que j'ai vraiment le visage rouge, j'en suis sûre et certaine. Me gêner, c'est facile, mais avec des questions dans ce style, il ne fallait pas s'attendre à une autre réaction de ma part. En fait, il a pas l'air d'y faire attention, il est vraiment à fond sur son projet qui est sans doute de sortir de cet ascenseur. Je fais pas trop gaffe à ce qu'il fait, je veux pas qu'il se sente trop observé, alors je me contente de chercher dans ma mémoire si vraiment, y'avait pas eu quelqu'un d'autre. Un peu plus récent que la maternelle et je me rends compte que je suis seule dans ma vie, depuis bien longtemps. Et c'est évidemment à ce moment que Tim me rappelle sa présence en tombant sur moi. Je l'avais pas vue venir celle-là ! Je me retrouve étalée par terre, avec un poids sur moi. Le poids c'est Tim et mon poignée l'a sentit. J'ai une douleur aiguë mais qui va passer et j'me contente de fermer les yeux pour me dire que je suis vraiment une débile. J'ai peur qu'il s'énerve. Parce que ça m'étonne qu'il l'ai pas déjà fait dix fois auparavant, mais vraiment. Parce que je suis tombée une fois, que je suis un pauvre boulet, parce que je suis coincée ici avec lui et qu'il en a certainement ras-le-bol. C'est fou quand même, Tim garde mieux son calme lorsqu'il est dans un ascenseur. C'est trop bizarre.... Avant qu'il ne dise quoi que ce soit, je me sens obligée d'une part, de tourner mon poignée dans tous les sens histoire d'être sûre que j'ai rien de grave, et deuxièmement, de dire : « On dirait vraiment que tu veux me violer. Tous les moyens sont bons... »

Quelle tebê aussi de s'être mise devant moi, elle pensait quoi, qu'elle pourrait soutenir mon poids ? Ok, je suis vraiment pas gros, mais elle est en famine, elle peut à peine porter un écureuil ! Non mais vraiment, cette fille, c'est un cas. A vouloir être trop gentille avec tout le monde au final j'pense qu'elle va se casser une jambe ou un truc comme ça. Ma semaine de décoinçage avait pour but de la rendre, pas moins « gentille », mais plus... Je sais pas, plus confiante, autonome, affirmée, et là elle préfère que je me pète la gueule sur elle plutôt que par terre... Mais n'importe quoi ! Du coup pendant que je tombe sur elle, je me dis qu'elle peut facilement se cogner la tête par terre et se mettre à déverser tout son sang sur le sol, et qu'elle soit morte là. Super ! Alors je mets rapidement ma main derrière sa tête et je la ramène vers moi, alors qu'on s'écrase par terre. Réflexe de médecin, bien sûr. Bref, on s'est éclatés sur un sol dégueulasse, et j'en ai marre de cet endroit de merde et de cette fille qui fait tout pour aider les autres mais qui tombe tout le temps. Je veux mes médicaments, je veux ma montre, je veux... Oh putain ma montre. J'espère que je l'ai pas cassé. Si elle est cassée je fais quoi ? Merde, calme, tu regardes ça après, déjà voir s'il n'y a pas de dégâts. J'utilise mes avants bras pour me surélever et regarde les dommages. Bah, elle a l'air en vie. Elle ferme les yeux et se met à tourner son poignet comme si je lui avais fait mal. C'est de sa faute. Elle avait qu'à pas se mettre là, je lui ai rien demandé ! Je crois que je ferais mieux de me relever, mais ça doit être la seule fois de ma vie où je pourrais être au dessus de Llywelyn, du coup j'en profite. J'ai pas mal, moi ! « On dirait vraiment que tu veux me violer. Tous les moyens sont bons... ». Là, je ris une nouvelle fois. Elle vient de lire dans mes pensées c'est ça ? Si elle croit que c'est intentionnel, pas du tout ma belle (c'est une expression bien sûr). Si j'avais vraiment voulu la violer, je l'aurais plus fait boire que ça. Là, si j'en avais envie, vu la position dans laquelle on est, je pourrais très facilement l'embrasser. Elle pourrait à peine me repousser en plus (de toute façon qui voudrait me repousser, honnêtement ?)... Mais je me rends ensuite compte que je dois être en train de la fixer d'une façon étrange depuis quelques secondes... Du coup, je me dégage sur le côté et me retrouve allongé à côté d'elle. Pas que je suis gêné ou quoi que ce soit. Vous pensiez que j'allais l'embrasser ? Je sais qu'elle n'en a pas envie (difficile à comprendre c'est vrai), alors j'évite de me prendre une claque. Bref, je change d'idées, je fixe une nouveau fois le plafond, qui est cette fois-ci ouvert. Par la trappe on peut voir les câbles qui soutiennent la cage. On est bien loin du toit de l'immeuble. Ça pourrait être impressionnant, mais on m'a enlevé à neuf ans le cœur de la poitrine pour me mettre celui de quelqu'un d'autre. J'ai arrêté d'être surpris pour un rien, à part quand Llywelyn fait des trucs étranges, mais ça, c'est normal. « Prends pas tes rêves pour la réalité. ». J'ai pas à l'engueuler, sans elle je me serais fait mal. C'est elle qui a choisi de se mettre là, je vais pas discuter ses choix, elle fait ce qu'elle veut. J'attrape cependant son poignet et regarde rapidement si elle n'a rien. Apparemment non. C'est juste le coup, ça va passer. Constatation faite, je lâche son bras et m'étire rapidement. Je regarde mes mains, sur celle où est tatoué LUKE est légèrement plus foncée que l'autre. Le coup que la main a pris à la place de la tête de Llywelyn. Ça va, s'il avait été violent je me serais mis à saigner. Avant qu'elle ne se mette à observer mes mains aussi, je me redresse. « Merci. ». Quand même. Je suis très poli, faut pas croire. Après tout ça, je décide de sortir ma montre de ma poche... Montre qui a l'écran fendu en deux. Putain. De. Merde. J'ai plus d'heure. J'ai plus aucune heure. Je fais quoi moi ? Si on reste coincés longtemps, je fais quoi ? Ok, là je commence à paniquer devant une montre, Llywelyn va trouver ça bizarre, faut que je me déstresse. J'inspire, j'expire doucement. La même technique que tout à l'heure. J'ai besoin d'avoir l'heure. D'accord j'avais arrêté de la regarder, mais je savais qu'elle était dans ma poche, c'était pas pareil que de savoir ma montre cassée. C'est le seul truc qui me raccroche un peu à l'extérieur, à mes médicaments, à cette alarme qui sonne sur la table. Du coup, quand je demande à Llywelyn « T'as pas de montre...? » ma voix est beaucoup plus anxieuse que mon apparence essaye de le montrer. Là, sans heure, il est fort possible que je pète un câble.

C'est tellement bizarre. Je me remets toujours pas de son attitude envers moi, il a pas été méchant une seule seconde depuis que nous sommes dans cet ascenseur alors qu'il a eu au moins un million d'occasions pour l'être. Mais non, il s'est toujours pas acharné sur moi et je sens sa main faire rempart entre le sol et ma tête. Ca aussi, c'est inattendu. Même si au final, il a quand même l'habitude de prendre soin de moi, enfin... De mon enveloppe charnelle, plutôt. Je sais pas si c'est pour éviter de m’abîmer parce qu'il préconise pour moi une grande carrière dans la prostitution ou dans le mannequinat, mais l'effet est là ! Parce que quand même, il m'a porté jusqu'à chez lui, il a soigné ma cheville, il a fait une ordonnance pour des médicaments contre les allergies, enfin bref. Au final, il est pas si mauvais que ça, même à l'extérieur. Mais c'est seulement quand il en trouve l'intérêt. Quoi que je vois pas l'intérêt de me ramener chez lui parce que je me suis évanouie dans sa rue. Ou alors, c'est un intérêt dont je n'ai pas encore connaissance mais qui s'apparente à celui de s'incruster dans un confessionnal afin de me faire parler. Je ne comprends définitivement pas ce type et je pense que l'inverse est également vrai. Tant mieux dans un sens, je suis persuadée que si je le connaissais mieux que ça, ça m'apporterait que des merdes. Alors je suis bien contente de ne savoir que le minimum. Enfin voilà, l'important là dedans, c'est le fait qu'il ai encore montré qu'il pouvait prendre soin de quelqu'un, avec des gestes aussi con que de me protéger la tête pendant que j'me casse la gueule en arrière. Quoi que c'est pas aussi con que ça, faut avoir le réflexe et je me demande bien comment il a pu l'avoir. Mais au final, c'est pas ça qui me préoccupe le plus. Ce qui me préoccupe, c'est la position dans laquelle nous sommes. Franchement, cette soirée est mémorable, qu'il soit fort probable – obligatoire – pour moi de l'oublier en sortant de cet ascenseur. Entre le câlin, le fait qu'il ne gueule pas et cette position pour le moins... étrange. Bah cette soirée est exceptionnelle. Mais je sais pas si c'est dans le bon ou le mauvais sens, vraiment. Mais je pencherai quand même pour le bon. Alors je lui sors ma petite phrase sur le viol et il se met à rire sans pour autant se barrer de là pour autant. Pourtant, c'est bien ce que j'attends, qu'il arrête de m'écraser moitié et que je puisse enfin respirer correctement sans avoir ce truc qui me compresse une partie de mon abdomen. Surtout que pour couronner le tout, il me regarde d'une façon bizarre et pensive à la fois. Et j'ai juste envie d'entrer dans sa tête pour comprendre, mais pour dire vrai, j'ai peur pour ma santé mentale. Entre dans la tête de Tim ou du moins dans ses pensées, ça doit être flippant. Je veux même pas y penser en fait ! Et puis, quand même, il se décide à se décaler et il s'allonge à côté de moi. Je regarde le plafond, dont une partie a été ouverte par Tim et je ne peux pas m'empêcher de me dire que si quelqu'un passe la tête d'un coup – oui, c'est bizarre mais... – il va nous voir dans cette position, et j'imagine qu'on est ridicules. Bon de toutes façons, je crois que c'est pas aussi ridicule qu'on ne l'était y'a encore quelques secondes. Dieu doit bien se marrer en haut... C'est bien, je suis peut-être sa... bouffonne. Non mais n'importe quoi, pourquoi je pense ça ? « Prends pas tes rêves pour la réalité. » C'est évidemment Tim qui me sort de mes pensées et non pas autre chose. J'ai l'impression qu'il a mit une éternité avant de trouver cette phrase, pourtant si banale. Surtout de sa bouche. Je pense que j'ai même pas besoin de répondre, parce que je sais qu'il sait ce que je vais dire. A croire que nos conversations tournent toujours autour des mêmes choses. Un jeu de question réponse perpétuel avec quelques phrases type. C'est beau. Ou pas. De toute façon, j'ai décidé de pas répondre, et ça tombe bien parce que le fait qu'il prenne mon poignet et qu'il regarde si je n'ai rien m'arrache un léger tressaillement de douleur. C'est pas le genre de douleur qui fait vraiment mal, c'est passager et je le sais. Dans dix minutes, je ne sentirai plus rien et ce sera parfait. Il se passe plusieurs secondes pendant lesquelles je n'émets pas le moindre son. J'ai peut-être besoin de me remettre un peu. Et puis, je sais pas... Paris c'est tellement bruyant, ça fait du bien un peu de répit de temps en temps. Alors voilà, autant apprécier le silence qui règne dans cet ascenseur. Mais y'a quelque chose qui vient perturber, d'un coup, le silence. « Merci. » C'est la voix de Tim. De toute façon, je vois pas de qui ça pourrait venir, à part lui. Je tourne la tête, je me redresse à mon tour et je fronce les sourcils. Quoi merci ? J'ai fait quoi pour mériter un merci ? Rien du tout, j'ai simplement amortie un peu sa chute. Quoi que, si on en croit ses dires, je suis un tas d'os plus qu'autre chose, alors je doute que ça ai été si agréable que ça. Fin c'est pas grave, je préfère répondre, par mesure de politesse seulement un « De rien. » qui est solennel. Surtout que ces deux mots n'ont jamais été aussi bien utilisés. Et puis je détourne le regard, je sais pas trop ce que je regarde. Quelque chose qui n'existe pas, un point dans l'espace, un point quelconque. Et une nouvelle fois, la voix de Tim vient briser le silence. « T'as pas de montre...? » dans un réflexe, je regarde mon bras, mais non.... J'ai rien, je l'ai laissée chez moi. J'avais mon portable, sauf qu'il est dans mon sac, plusieurs étages au dessus de nous. Alors à moins de se la jouer à la Tarzan et de monter le long des câbles, puis de trouver des portes métalliques non-fermées – ce qui relèverait du miracle, c'est totalement impossible – et bah... On va devoir se contenter de ne pas savoir l'heure qu'il est. Je le regarde, avec une moue à la fois désespérée et désolée. Je sais pas comment lui dire que non, j'ai pas de montre. J'imagine que ça va encore plus le paniquer. Je tends le bras vers ma veste, qui est dans un coin de l'ascenseur et je tente de fouiller dans les poches. Mais y'a rien... D'ailleurs, je rentre comment chez moi ? J'ai pas mes clefs non plus ! Quelle merde... On se calme, chaque chose en son temps, déjà, faut qu'on sorte de cet ascenseur et ça a pas l'air à l'ordre du jour pour l'instant. « Non... » Je tente de trouver une autre solution pour savoir l'heure, mais j'en vois vraiment aucune. Sûrement parce qu'il n'y en a vraiment aucune. Même pas moyen de ressentir le passage du métro en dessous de nous en étant à plusieurs mètres au dessus du sol. On aurait été un minimum fixés au moins, puisqu'il en passe un toutes les 4 minutes. Fin ça dépend. Bref, on s'en fout. J'ai pas l'heure, c'est tout. « Il était quelle heure la dernière fois que t'as regardé ? » Je sais pas si ça va servir, mais je préfère demander. Parce qu'en fait, je me rends compte que j'ai aucune idée de l'heure qu'il est. Je sais même pas quand on est partis.

« Non... » D'accord, elle n'a pas de montre. Très bien. Qui de normal de nos jours n'a pas de montre putain ? Je vois même pas pourquoi je pose cette question, puisque cette fille n'est pas normale. Je sais même plus quelle heure il est, j'ai pas regardé l'heure depuis un moment, je suis perdu là. J'ai envie de m'énerver et de lui dire que toute personne normalement constituée doit impérativement avoir l'heure sur elle (ce qui d'un côté n'est pas forcément vrai, mais j'm'en fous) mais Llywelyn semble faire un effort pour chercher une montre imaginaire. Après m'avoir adressé une moue désolée, elle cherche dans sa veste et ses poches, ce qui est vain. Bien entendu, ça aurait été trop simple qu'elle en sorte une comme ça. Alors vous vous dites « mais on s'en fou, de l'heure qu'il est, ça t'aidera pas à sortir ». Et moi j'vous réponds vos gueules. Si on reste coincés ici trop longtemps, ça me fera juste calculer l'espérance de vie qu'il me reste, et personnellement je trouve ça intéressant, même si vous trouvez pas ça utile ! De toute façon j'm'en fou de votre avis, je veux juste avoir un repère. « Il était quelle heure la dernière fois que t'as regardé ? » J'en sais rien. Je sais plus. Il était quelle heure ? J'essaie de réfléchir. Il était plus de vingt-deux heures, peut-être presque vingt-trois heure. J'en sais rien, dans ces eaux là. Il y a quand même eu un certain temps de passé entre le moment où je l'ai rangé et maintenant. Et le pire c'est que la montre n'a pas pu se briser en gardant l'heure du moment, non, il a fallu que ça déraille la mécanique et que je me retrouve avec deux aiguilles battantes, qui changent l'endroit dès que je mets une pichenette sur le cadran. « J'sais pas, vingt-trois heures peut-être, j'en sais rien, putain. ». Ok, je me calme, je respire. Si on prenait les oscillations de mon rythme cardiaque, on aurait sans doute de magnifiques montagnes russes. J'ai des hauts, des bas, et là je suis clairement dans les hauts. Je réfléchie aux points positifs de la situation. J'ai ouvert la trappe. Les points négatifs ? Ça me sert à rien, j'ai plus de montre, j'ai pas mes médicaments, je vais mourir. C'est pas vraiment équitable. Alors autant que le sacrifice de ma divine et précieuse montre achetée dix euros qui compte tellement à mon cœur (ou pas dans une situation normale) ne soit pas vain. J'inspire longuement, cherchant juste à me calmer un instant. Après quoi, je remonte comme je l'avais fait précédemment sur la rampe métallique et je me tiens en équilibre. C'est ouvert, alors autant monter là-haut maintenant. Problème, on va dire que je suis pas l'homme le plus musclé du monde. Si j'étais un mec aux supers pouvoirs, ça serait plutôt biscottor. Un anti-héros en fait. Cool. J'ai juste à essayer de puiser dans les quelques ressources que m'ont donné la rééducation et le sport en salle qu'on m'avait conseillé. Putain je savais que j'aurais dû continuer ! Nan en fait, je savais pas. J'en ai fait qu'à ma tête et j'ai décidé par moi-même que c'était mauvais pour moi. Qu'est-ce que vous y voulez, j'étais (je suis toujours ?) qu'un adolescent rebelle, surdoué, qui se croit plus fort que les médecins. Je place mes mains comme il faut et je me lance. Je reste un instant suspendu et là, je fais du mieux possible pour ne pas lâcher. J'aurais dû faire monter Llywelyn avant, elle aurait pu m'aider. Là, j'ai pas envie de me ridiculiser, même si c'est qu'une prude catholique et que je suis sûr que sa bible l'interdit de se foutre de quelqu'un. Après un certain effort, j'arrive à placer mon avant-bas sur le haut de l'ascenseur. Après, tout devient un peu plus simple. Je me hisse, je fais passer mes jambes de l'autre côté et me voilà allongé sur le toit de l'ascenseur. Je reprends mon souffle un instant. C'était peut-être pas la meilleure des choses à faire alors que j'ai pas mes médicaments, que je suis pas sportif, et tout ça. Mais trop tard ! Je me mets à fixer le haut de l'immeuble au loin. Ok, j'avais raison (comme d'habitude ceci dit). On est bien vers le cinquième ou sixième étage. Je compte les portes que j'arrive à apercevoir. On est coincés entre les deux pour être (très) précis. Donc aucun moyen d'essayer d'ouvrir une des portes ou quelque chose comme ça. Descendre le long des câbles est clairement impossible. En fait, ça n'aura servi à rien. Je m'en doutais, d'un côté. Mais je ne l'avais pas fait, ça m'aurait torturé. Là je suis fixé, et je vais juste attendre tranquillement que quelque chose se passe. Ou pas. Je décide de passer ma tête par l'encadrement que j'ai ouvert quelques instants auparavant. « J'redescends. » Et il faut avouer que la descente est plus simple que la montée. En quelques mouvements je reviens dans l'ascenseur. L'avoir vu suspendu à tous ses câbles pourris, au beau milieu de l'immeuble ne m'a pas traumatisé, c'est le moindre de mes soucis. J'ai plus rien à faire. Alors je décide d'aller me caler dans un coin de l'ascenseur. Peut-être que si je me mets à dormir, le temps passera plus vite. Je m'assois par terre et je colle l'arrière de ma tête contre la paroi derrière moi. C'est même plus la peine que je réfléchisse, j'ai plus aucune idée. Et en plus, je sais même pas si je vais réussir à m'endormir. Là, honnêtement, que ce soit Llywelyn ou quelqu'un d'autre, si elle me sort un truc qui me plait pas, elle risque de prendre cher la pauvre. Je suis au bout du rouleau, juste pour une montre, alors un rien pourrait me faire péter un câble. J'ai pas envie de creuver merde !