Je suis fasciné, complètement fasciné par ce que je vois en face de moi. C’est le plus bel objet que j’ai jamais vu, j’ai envie de l’attraper et de faire comme papa, de le mettre devant mon visage et d’appuyer sur un bouton pour prendre une photo. Je tends la main mais il est trop haut, alors je me hisse sur la pointe des pieds, le plus haut possible, je m’élève encore de quelques centimètres mais mes doigts ne font qu’effleurer l’objet. Je m’accroche à une étagère de l’armoire, je tire pour me hisser. A mon âge je ne pense pas que c’est l’armoire qui va me tomber dessus et non moi qui vais m’élever, mais je veux cet objet, je le veux tellement que je tire de toute mes forces, un petit gémissement s’échappe de mes lèvres, je referme enfin les doigts sur l’objet quand je me sens basculer, je crie mais heureusement mon père arrive et retiens l’armoire à temps. S’ensuit le plus beau savon de toute ma vie, mais au moins j’ai le droit de garder l’appareil. Si je le veux autant, comme le dit ma mère, autant me le donner. « Ca ne vaut plus rien, maintenant. » Fait-elle en haussant les épaules. Elle me tend l’objet que m’a confisqué mon père et joyeux comme tout je sors dans le jardin pour prendre en photo tout ce que je vois.

Il ne m’a pas fallu très longtemps pour savoir que c’était ce que je voulais faire de ma vie, la photographie. Je trainais dans les couloirs du lycée avec cet appareil autour du cou, les gens étaient habitués à me voir le sortir pour prendre en photo une dispute, une jeune fille qui lit un livre, ce garçon assis sur un banc avec sa console portable, absorbé par un autre univers. Je m’installais sous le préau, caché par une des colonnes et l’observait longuement, ses cheveux brillaient sous le soleil et la manière dont il fronçait les sourcils remuait mon cœur. Je passais de longues minutes à le regarder. Un être si beau à besoin qu’on le regarde, il n’a pas été mis sur terre pour être ignoré, il est ici pour être admiré et surtout pour être aimé. Un tas de filles me tournent autour, elles ne m’intéressent pas, c’est lui que je veux, ce garçon dont j’ignore tout jusqu’au prénom. Mais un jour, je craque, je n’ose pas m’approcher de lui, je ne sais pas si il peut ressentir la même chose pour un homme et j’ai peur de lui faire peur, alors je me laisse aller aux plaisirs charnels avec une femme, pour la première fois de ma vie. Ca ne me dégoute pas, je pensais trouver ça horrible, ne pas aimer ses caresses et ses baisers mais chacun de ses gestes m’a envoyé au septième ciel. C’est donc ça l’extase que l’on ressent, je comprends l’obsession avide des hommes pour ces déesses. Elles sont dangereuses, on en devient vite accro et bientôt j’oublie, dans les bras de toutes ces femmes, cette beauté parfaite, masculine, qui hantait mes rêves toutes les nuits lorsque j’avais dix-sept ans.

Elle passe ses doigts dans ma chevelure, les descend le long de ma tempe, descend encore dans mon cou, me chatouillant au passage, je grogne doucement. Elle s’en fiche, ses doigts descendent sur mon torse, s’arrêtent au premier bouton de ma chemise, je baisse les yeux sur la main de la jeune femme. Elle défait le premier bouton, j’arque un sourcil alors que je ne bouge absolument pas le reste de mon corps. Elle descend son index le long de ma peau pour arriver au deuxième bouton. « Arrête. » Je souffle. Je lève les yeux et plante mon regard dans le sien, azur. « Sors » Elle penche la tête sur le coté, soupire et retire sa main. Je reboutonne ma chemise sans la regarder, je suis certain qu’elle va sortir de chez moi, je viens de le lui ordonner. Et non, au lieu de ça, elle entreprend de s’asseoir sur mes genoux à califourchon. Je regarde devant moi : sa poitrine. Bien, je remonte le regard, elle sourit, l’air satisfaite. « Dégage. » Je m’énerve. Je la pousse sur le coté plus ou moins violemment, elle a compris car avant que je ne me lève, elle bondit du lit et s’éloigne en me traitant de tous les noms possibles et imaginable. Je me laisse tomber sur le lit, j’attrape mon paquet de clope et en sort une, lentement, je l’observe longuement pensant à ce que tout ce petite bâton de nicotine va faire à mon organisme. Peut être que je devrais songer à arrêter, me dis-je en plantant la clope entre mes lèvres. Peut être que ce serait une bonne idée, pensais-je encore en attrapant mon briquet. Je vivrai plus longtemps si j’arrête. J’arrête mon geste pour allumer mon briquet. Pourquoi vivre plus longtemps ? A quoi bon ? Dans quel but est-ce que je pourrais désirer vivre plus longtemps ? J’allume mon briquet et allume la clope que je fume jusqu’au filtre avant de l’écraser dans le cendrier. A quoi bon ? 10 ans de plus ou de moins, qu’est-ce que ça va changer ?