« Elle a un problème vot' fille; Elle est barjot; Non mais elle doit être autiste là »
Les gens parlent, mais ne savent pas. Ils ne comprennent pas cette douleur que j'ai au fond de moi, ils ne comprennent pas le manque profond que je ressens. Je ne l'ai jamais connu, jamais je n'aurais pu dire qu'il était mien et pourtant, mon frère jumeau, il avait disparu, il m'avait fait don de la vie et moi, je lui parlais, à travers mon mutisme.
« Non, ma fille, elle est juste trop intelligente pour vous »
Mon père, il avait ce quelque chose d'étrange et de fier, il me vouait un culte intime. J'étais son univers, sa déesse, il me vénérait et au fond, j'étais persuadée de devenir quelqu'un.
« Comment tu t'appelles? » - « Georges » « Mais c'est un prénom de garçon » « Je suis un garçon »
L'hilarité était générale, ils me tournaient autour comme si j'étais une bête de foire, pourquoi? Je savais qu'il vivait en moi, je savais qu'il était mien, il me dictait mes mouvements, il était la seconde partie de mon empire.
« Tu m'aimes? » Il baissa la tête, ses pieds avaient-ils un quelque chose que je ne comprenais pas? Je tentais vainement de le comprendre, de m'attacher à lui et de faire qu'un. Pourtant, plus les jours passaient et plus il s'éloignait. Qu'avait-il voulu me dire de si important, qu'avait-il voulu me faire comprendre, cette chose que j'avais du mal à interpréter. « Tu ne veux plus me parler ?» Il levait les yeux, ils étaient humides et implorants, mais devais-je sauter sur lui? Devais-je l'embrasser, réellement. Son mutisme me déstabilisait, je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas comment me comporter, avais-je faiblis? Oui. Mon coeur battait pour lui, cet ami que je m'étais fait. Je connaissais tout de lui, je l'aimais, comme je le détestais, je l'adorais, l'idolâtrait, il me faisait me sentir femme du haut de mes dix-huit ans, il me faisait me sentir belle, épanouie, et pourtant, il ne savait pas me répondre. Je rêvais encore de ses lèvres contre les miennes, de son regard posé sur mon corps, je me souviens encore de ses caresses et pourtant, aujourd'hui, nous étions si différents, si éloignés l'un de l'autre. « Quel est ton secret? Qu'est ce qui était si important ?» Il m'avait envoyé un message, deux, trois, il m'avait appelé et finalement, j'avais réussi à me déplacer, j'étais certaine qu'il allait se dévoiler. Enfin. Comprendre que lui aussi, il m'aimait, que son coeur battait à tout rompre quand il me voyait, que ses yeux pétillaient et que j'étais sienne.
Il posa sa main sur la mienne, glissant ses doigts entre les miens, caressant la paume de ma main, jouant avec mes doigts mais fuyant mon regard. Encore. « Il faut que tu parles, tu le sais ?! » Il soupirait, tournant la tête vers l'extérieur, comptant presque les gouttes tomber au loin. La nuit tombait petit à petit sur la chaussée, nous étions au chaud, dans un café, main dans la main, son souffle était rapide, il avait l'air terriblement faible et pourtant, il ouvrit enfin la bouche « Je ne sais pas comment te le dire » Ces mots me blessaient presque, n'étais-je pas sa meilleure amie, celle qui le comprenait le mieux? N'étais-je pas devenue récemment sa petite-amie, ne lui avais-je pas offert mon corps? Et pourtant, j'étais loin de m'imaginer ce qui allait se passer, j'étais loin de me dire que ces mots allaient me blesser à tout jamais. Son regard dans le mien fut poignant, ses mots secs et sans vie, il m'avoua « Je suis gai Alice ... » Un poignard. Il venait de m'enfoncer un poignard dans le coeur. Je ne réagissais pas, je ne pouvais parler, savoir, désirer autre chose qu'un bouton stop, un bouton retour en arrière, n'importe quoi, ne pas être là, simplement. Il se contenta de tourner ce poignard un peu plus fort, il se contenta d'ajouter « Je suis attiré par les hommes ... Tu comprends ? » Etais-je si stupide que ça? N'avait-il pas compris que je ne pouvais plus vivre, qu'il venait tout simplement de me tuer. Petit à petit, mon regard s'éteignit, doucement, je tirais sur mon bras, coupant ce lien qui nous unissait alors. Il se contenta de scinder « Je savais que tu ne comprendrais pas, je te croyais bien plus intelligente, tu es stupide ! » Il se leva, empoignant sa veste, il s'éloignait, me laissant là, seule, avec ce silence en tête.
Comment avions-t-on pu en arriver là ?