L'Irlande, quel beau pays que celui qui m'a vu naître. J'arrête de suite, les Irlandais ne sont pas forcément roux. J'en suis le parfait exemple, je suis plus brune que rousse carotte, il faut se rendre à l'évidence. Je n'en reste pas moins une Irlandaise pure souche. Je suis née dans une petite clinique, de ma petite ville, de mon petit pays, un premier janvier. Quoi de mieux, qu’accueillir la première née d'une famille que le premier jour de l'année. L'aînée de 7 enfants. Et oui, mes parents, avaient toujours rêvé d'une famille nombreuse. Pour le coup, leur vœux fut exaucé.

Bien que je reste très attachée à mon pays natal, ce n'est pas là que j'ai passé le plus clair du temps. Après la naissance des triplés, arrivés en deuxième position, la maison devint soudain un peu exiguë pour 4 enfants d'un si jeune âge, mon père accepta alors une opportunité professionnelle, à Londres, avec promotion conséquente en prime. Car oui, mes parents gagnaient extrêmement bien leurs vies, mais de suite, tout devait être divisé en 6, puis en 7 et au final, en 8, lorsque la petite dernière vint compléter notre petite famille. J'avais alors 7 ans, 3 frères, et trois sœurs, et j'étais l'aînée de tout cela. Je découvrais alors, mon côté protecteur, en tant qu'aînée, quoi de plus normal que vouloir protéger ses frères et sœurs. Mais évidemment, la situation n'était pas commune, et pas du plus simple.

Je ne voulais pas être juste une des progénitures Ó Dálaigh, je voulais me démarquer, ne pas être transparente. C'était une de mes angoisses. Que l'on ne me remarque pas, que je sois juste une fille qui n'a pas trop confiance en elle. Peu à peu, je devenais plus extravagante. Naturellement, j'étais très énergique, toujours à remuer sauter partout. Je riais très bruyamment. J'étais souvent de bonne humeur, bonne humeur communicative d'ailleurs. J'adorais Londres, et m'y plaisait vraiment. A vrai dire, j'avais eu la chance de m'intégrer très rapidement, grâce à une personne, pas n'importe laquelle. Melissa. Nous partagions le même prénom, vivions à côté, allions dans la même école. Nous ne pouvions que devenir proche. Durant toute ma scolarité, je tombais chaque année dans sa classe, et devenait une de mes plus proches amies.

Je savais que j'avais pas mal de défauts, à la maison, je m'étais donné pour but, de toujours dire ce que je pensais à mes frères et sœurs, si leurs comportements me déplaisaient, je leurs disais, je ne voulais pas qu'ils finissent mal. C'est bien beau de s'occuper des autres, certes, mais s'occuper de soi, est important aussi. Je ne me trouvais aucune affinité à l'école. Et malgré ma grande gueule, je n'avais pas pour autant confiance en moi. Je me trouvais nulle, à quoi j'étais bonne après tout, à part attirer l'attention sur moi, faire la folle, crier, parler fort et être trop franche ? Je m'emportais pour un rien, avait tendance à être moralisatrice. Je ne pouvais m'empêcher de me rabaisser, toute les apparences de fille tellement sûre d'elle, camouflait juste un certain mal être. Inconsciemment, je me disais que si j'avais été assez bien, mes parents n'auraient pas ressenti le besoin de faire tant d'enfants, peut être que je les avais déçue, qu'ils s'attendaient à mieux.

Pendant ce temps, j'essayais de soutenir du mieux que je pouvais Mel, qui semblait tellement plus qu'une amie, je savais ce qu'elle traversait, et s'il le fallait, je serais son pilier, elle avait sauvé la vie de sa mère, et bien que celle ci ne lui en soit pas reconnaissante, elle lui avait sauvé la vie, ce n'était pas rien. Melrose était une personne formidable, et je ne la laisserais pas sombrer, elle méritait d'être heureuse, d'avoir une vie formidable. Elle était belle, elle était intelligente, et elle était l'une des personnes qui comptait le plus pour moi. Elle, elle était parfaite, elle ne devait pas finir dans un petit bled pourri. Les moments avec elle, étaient ceux où je riais le plus, le plus fort aussi, je savais que je pouvais l'exaspérer à être si démonstrative, mais j'étais ainsi, je ne savais pas faire dans la finesse, j'étais une version brute.

A l'âge des premiers amours, je découvrais, qu’apparemment, moi, ce n'était pas les garçons qui m'attiraient. Non, je n'étais pas hétéro, je préférais les filles, et après une période de remise en question, j'étais prête à l'assumer. Mes parents, malgré leur éducation stricte étaient très ouverts, et j'étais sûre qu'ils le prendraient bien. J'attendais néanmoins d'être devenue mûre, d'avoir bien réfléchie, pour leurs annoncer, et après quelques temps assez peu agréable de malaise, je retrouvais une relation normale avec eux. Mes frères et sœurs, eux, accueillirent cette annonce, comme un fait normal, je n'eu aucune remarque, et gardait la même complicité avec eux. Lorsque je me questionnais sur ma sexualité, c'est sur Mel que j'en veux à me questionner. Pourquoi, j'aurais aimé, qu'elle soit plus qu'une amie, je ne savais pas vraiment ce que je ressentais pour elle, je savais juste, qu'il y avait un peu plus qu'une merveilleuse amitié.

Alors que j'étais à peine majeure, je rencontrais l’événement, qui achèverait de définir ma personnalité, ma carapace. J'allais chercher la petite dernière à l'école, voulant en profiter pour l'emmener manger avec moi, profitant de ces instants privilégiées avec elle. Sur le chemin du retour, les freins d'une voiture lâchèrent. Ils lâchèrent et la voiture ne s'arrêta pas à temps. Ma petite sœur s'était arrêté pour observer un oiseau. Un instant, un seul petit instant, et elle était morte, sur le bitume londonien. Je me reconstruisais lentement. J'essayais d'effacer les dernières traces de la Melissa fragile. Je n'étais pas fragile, je ne le voulais pas. Je cachais ma douleur, sous des rires, sous une fausse spontanéité. Je gardais une colère, pourquoi ma petite sœur, elle qui était si jolie, qui avait la vie devant elle, une belle vie, elle adorait l'école, voulait devenir médecin, de ses rêves encore enfantin. Pourquoi ce n'était pas moi, qui avait été percutée par cette voiture ? Pourquoi c'était sa vie qu'on avait prise, en quoi la mienne méritait plus de continuer ? Je n'avais pas d'avenir, je n'étais qu'une bonne à rien. J'étais l'aînée de 6 enfants.

J'ai 26 ans. Je suis chômeuse. Qu'est ce que j'ai fait de ma vie, à part boire, fumer, beaucoup trop d'ailleurs, abuser, tirer sur la corde, comme si au fond, j'essayais lentement de me détruire. A croire, que je n'avais aucune estime de ma propre personne, que je préférais lentement me bousiller, plonger lentement jusqu'à toucher le fond. Ma vie c'est un gros bordel. J'en ai marre, mon existence se balade de galères en galères, j'avais beau passer mon temps à essayer d'aider les autres, j'étais même pas capable de m'occuper de ma pauvre tête. Ne pas être parfaitement bilingue, n'est pas ce qui m'arrête, je sais très bien me débrouiller pour me faire comprendre, et puis mon français n'est pas si mauvais que ça quand même. En attendant, Paris, prépare toi, Aisling débarque, avec son lot de galère, de problème, ses mauvaises habitudes, son franc parler. Je vais peut être réussi à me remuer, à me trouver une motivation, un but dans la vie. Je n'en sais rien, je ne suis pas une optimiste, j'aimerais me dire, que tout ira bien. Mais franchement, je ne savais pas ce qui allait se passer, et ça, ça me faisait peur.