- Tijuana (Mexique), décembre 2006.
un stylo, une clope et c'est parti. Les mots déferlaient, défilaient tellement vite, je savais ce que je voulais y mettre dans cette putain de chanson. De l'amour. de la haine. Un soupçon d'ironie que je prenais comme elle venait. Et la musique, les notes, les clés, l'harmonie toujours. Quelques heures passèrent, je n'arrêtais pas une seconde pour ma part. Une crampe au poignet, tant pis, je continuais tant bien que mal, l'écriture tremblante, le stylo couché. Finalement, je soufflai. « Finito. » Eagle leva les yeux du joint qu'il était en train de rouler, le troisième pour être précis. « Fais voir ? » je lui tendis le morceau de papier. Si il aimait pas, je m'appelais plus Florian. Il lut, avec attention le sourcils froncés, toujours critique. Nina se penchait sur son épaule, son sourire s'élargissant au fur et à mesure qu'elle parcourait les lignes écrites de ma main. « Putain, t'es doué mec. » Eagle avait fini, et Nina approuva d'un sourire. C'était la première fois depuis deux ans que je la connaissais qu'elle ne trouvait rien à dire. Flatteur. « Tu l'penses? » ma voix était mal assuré, j'ai jamais été super confiant en moi, ça me perdra un jour. « Tu déconnes ? Tu gères, vieux ! On la prend. » J'ai haussé les épaules. Et une autre chanson d'écrite, qu'ils joueront, tandis que je resterais dans l'ombre.


- Tokyo (Japon), mars 2010.
les lumières étincelaient de mille feux, contrastant dans l'obscurité de la nuit. Les voitures roulaient à toute vitesse, m'assourdissant presque, et les gens se bousculaient pour nous voir, ce soir... Pour les voir. Ironical System, tout le monde les connaissait maintenant. Je savais pas vraiment si c'était grâce à moi ou parce que Nina était bonne et que Eagle avait des putains d'yeux bleus, et je m'en foutais. Moi, là bas, emporté dans le tourbillon de la tournée, je pensais à rien d'autre qu'à la musique. A ça et à profiter un maximum, coûte que coûte. « Tu parles pas beaucoup Flo. » me dit Nina d'une voix inquiète. Je levais un sourcil, parce que je parlais d'habitude ? « Ben, il parle pas Flo. Il écrit, hein vieux ? » Eagle venait de traduire ma pensée, agrémentée d'une tape sur l'épaule.. Aïe. Dans la bande, j'suis pas le plus beau, j'suis pas celui qui se tape toutes les gonzesses. Nan, moi j'suis le bon pote de tout le monde, celui qui aide, qui conseille et qui comprend. J'suis celui qu'on appelle en chialant après une rupture. J'suis celui qui redonne le sourire avec un jeu de mots à la con. Et j'aime ça.

- Le Caire (Égypte), janvier 2012.
Encore en répèt. ils pouvaient se débrouiller sans moi. « J'vais faire un tour, j'vous retrouve après. » ils haussèrent les épaules à l'unisson. T'façon j'suis un grand garçon, et j'ai l'habitude d'être seul. C'est pas un problème. Ma gratte avait fait les sixties. Mai 68, les joints roulés et les pavés jetés contre les CRS. Mon père m'avait raconté. La guitare était à mon grand père. La musique, ça a toujours été un truc familial, sauf que maintenant, je volais en solo. Enfin, je roulais plutôt. Si mes parents s'étaient doutés quand je suis né que je parcourerais les routes du monde entier dans un van pourri, j'sais pas si ils m'auraient laissé partir. Mais tant pis. Il y avait des touristes partout, j'ai jamais vraiment aimé la foule, à part quand je la regarde depuis les coulisses des concerts. Contournant les pyramides sans cesser de lever la tête, subjugué par tant de beauté, je trouvais finalement un coin tranquille. Pieds nus dans le sable, il me suffit de m'adosser aux pierres pour avoir l'inspiration immédiatement. Mes doigts courraient sur la guitare, mes yeux se fermèrent après quelques instants, j'oubliais où j'étais et ce que je faisais là. Seule la musique comptait, comme toujours. Je fus troublé par un bruit, et levais la tête, comme émergeant d'un rêve ou d'un trip étrange. Elle était là, ses cheveux blonds noués en un chignon hasardeux, une mèche tombant sur ses yeux de chat, un sourire timide aux lèvres. « Viens donc, j'mords pas. » j'suis peut être discret, mais j'ai jamais été du genre timide pourtant. Je sais, on dirait pas. Elle s'assit en face de moi, tandis que je continuais à jouer. Au bout de deux heures, silence. « Flo. » « Élisa. »

- Barcelone (Espagne), mai 2012.
Les yeux dans le vide, je soupirai. Encore une fois. « Bon tu m'casses les ovaires à te lamenter. T'as toujours le sourire d'habitude alors sois mignon, reste comme ça. » me dit Nina d'un ton impérieux. Elle aime donner des ordres. « Cherche pas, il est amoureux. » dit Eagle à l'autre bout du van, derrière le volant. « Dis pas d'conneries. » Et pourtant. Elisa me sortait pas de la tête. Quand j'écrivais, quand je composais, je pensais à elle. Elle sous le soleil de plomb, en Egypte. Elle à la lumière du feu de camp sur la plage, à Ibiza. Son rire quand je disais de la merde, son regard un peu perdu quand elle me racontait ses problèmes, son émerveillement d'enfant quand je lui montrais ce qu'il y avait à voir, sa joie de vivre, sa gentillesse, elle, tout simplement. « Elle est mariée, ok ? » c'était plus pour me convaincre moi même que pour dissuader mes amis, je l'avoue, mais le formuler à haute voix donnait un sens nouveau et différent à la phrase. « Et alors ? J'me suis tapé plein de meufs mariées, moi. » dit Eagle en haussant les épaules. Il est con, lui. J'avais tellement envie de la revoir que ça me faisait mal. Mais c'était juste de l'amitié... Enfin sûrement. Je voulais savoir qu'elle allait bien, qu'elle m'avait écouté, qu'elle avait pas fait de conneries... C'était plus fort que moi.

- Paris (France), juin 2012.
« J'espère que ça vaut le coup. » « Ça vaudra le coup. » mon regard rêveur se posa sur la tour Eiffel, à quelques mètres plus bas de nous. Paris, ville de mon coeur ? Cela restait à voir. Le groupe était pas super chaud pour venir, mais j'ai finalement réussi à les faire basculer. Eagle était tenté par toutes les boîtes, Nina voulait voir les quais de Seine, tout le monde était gagnant, et le public à Paris est génial pour les concerts à ce qu'il paraît. Moi, j'avais qu'une chose en tête : Élisa. Accoudé à la balustrade, je regardais la fumée de ma clope se dissiper dans l'air parisien. Et maintenant ? La petite voix dans ma tête me mettait face à mes choix. C'était bien beau de vouloir venir à Paris et de m'inquiéter pour elle, encore fallait il la trouver, et savoir quoi dire par la suite. Mais je n'étais pas inquiet. J'ai toujours su me débrouiller, je me débrouillerais encore une fois..