❝ Jack. Don't leave Jack. I'm so sorry.
- No, Annie. I can't deal with your lies anymore. ❞

Avouez, ça en jette, la vie en VO. C'est juste trop la classe, en français tout de suite ça le fait moins. Test.

❝ Jacques, tu peux pas te casser maintenant ! Pardonne-moi !
- Non, Annie. Je supporte pas l'idée que t'ai baisé avec ce connard. ❞

Vous voyez, tout devient vulgaire. En riant moins, ce sont bien mes parents qui se disputent dans ce dialogue. Je m'en souviens parfaitement, même si j'en étais encore à l'âge où je mangeais mes crottes de nez. Ils ne m'avaient pas vu dans le canapé, donc je les ai regardé se crier dessus, s'embrasser, se crier dessus encore, s'embrasser, taper dans un meuble et puis claquer la porte. C'est souvent incompréhensible les parents. J'avais mes grands yeux bleus fixés sur la télé, ma mère s'est assise à mes côtés sur le sofa. Je me souviens très exactement lui avoir dit : ❝ Maman, j'ai faim, est-ce-que Papa est parti pour chercher des pizzas ? ❞ Et puis elle avait pleuré, puis elle avait rit. C'est bizarre un adulte dites donc. Et cela, j'ai pu le réaliser dans des tas d'étapes importantes de ma vie. On ne comprend jamais les décisions ou réactions de nos parents, sauf peut-être quand on en devient un. Enfin je peux vous dire que pour moi c'est pas demain la veille. Des gamins, et puis quoi encore ? Pour que le gosse il finisse comme moi, balloté le week-end chez son père qui le gave de cadeaux et puis la semaine chez sa mère débordée dont la vie sociale se retrouve réduite à néant. Ça fait envie, hein ? Mes parents avaient divorcé de façon très brusque en fait, et ils ont donné la garde à ma mère qui ne l'a pas eu très longtemps au final. Déjà, parce qu'elle ne gagnait pas assez de pognon avec son job au Leclerc, et puis parce que mon père, lui, il est avocat, du coup les procédures furent rapides. Et me voilà parachuté dans Paris, et non plus dans la proche banlieue. On dirait que c'est rien, mais pour un banlieusard comme j'étais, ben Padam c'était la jungle. Et puis te retrouver dans la jungle quand t'as huit ans, c'est moche. Surtout quand c'est dans une école privée pleine de bourgeois. J'aurais pu être le héros d'un remake d'"Un Indien dans la ville." Enfin, on trouve vite ses repères quand on est gamin.



❝ Dis-moi, est-ce-qu'on sort ensemble ? ❞

The question quoi. Il avait fallu que je m'arrête soudainement de marcher à ses côtés et que je lâche sa main. Que je réfléchisse quoi. C'est pas facile, il faut quelques secondes pour que tous les rouages s’imbriquent entre eux et qu'une réponse décente sorte de ma bouche. Sinon, je raconte n'importe quoi. J'observais ses grands yeux et son air genre : "Putain, pourquoi j'ai dis ça ?" Très honnêtement, je n'avais aucune idée de quoi répondre. J'avais dix-sept ans, toutes mes dents de sagesse, je pouvais compter jusqu'à l'infini et puis je portais un blouson de cuir, mais alors être amoureux ou pas, la différence m'échappait. Je me sentais bien en sa compagnie, j'étais heureux, j'aimais frôler ses lèvres. Je supposais que ce devait être ça, mais je n'avais aucun élément de comparaison. Du moins pas officiel. Disons que la dernière personne avec qui j'étais sorti c'était ma voisine de table en CM1. On avait cassé parce que j'avais pas voulu lui passer les réponses pendant le contrôle de français. Le drame, j'en avais pleuré des jours, sans déc'. Mais bon, là c'était différent, on s'était rencontré en colonie de vacances pour enfants pourris gâtés de bourgeois parisiens et on avait sympathisé, du coup de retour à Paris on s'est fait un ciné. Et puis là ce fut très bizarre ce qu'il se passa dans nos têtes et dans nos corps. Cela me troubla énormément dans un premier temps. Et maintenant que j'entendais cette question, j'avais moi-même du mal à l'admettre. Que je ressente ce que je ressentais là. Pour lui. Pour un mec quoi. C'était trop chelou. Je ne m'étais jamais senti si gay que ça jusqu'à maintenant. Je ne savais vraiment pas du tout quoi répondre.

❝ Oui. Euh non. Non ! Oui... euh... j'sais pas. ❞

Et puis je suis parti en courant. On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans. C'est bien vrai ça, même si je doute que Rimbaud ai pu ressentir l'horrible amalgame de mon cerveau à ce moment précis où ma vie prend un tournant. Gay or not gay. Ça paraît stupide, mais mon réflexe a été de rentrer chez moi et de passer un après-midi à faire un truc sans rapport. J'ai regardé le Seigneur des Anneaux. Les trois films en version longue. Autant vous dire que je me suis endormi à la moitié du deux. D'un côté, j'avais passé le film entier à me questionner très sérieusement sur qui je trouvais le plus sexy entre Arwen et Aragorn, histoire de résoudre mes interrogations concernant mon orientation sexuelle. Jacques Deriot, alias mon père, m'a réveillé en entrant avec son smoking et son bel attaché case, parce que cette putain de porte grince comme une damnée. Le son du film était méga-fort et Legolas décapitait un orque, du coup il s'est exclamé : ❝ C'est quoi ce cirque Gaël ?! ❞ J'ai levé la tête. Vraiment, je ne comprendrais jamais ce qu'il m'est passé par la tête quand je lui ai crié par dessus les coussins du canapé. ❝ Je suis gay. ❞ Mon père est revenu de son bureau avec un air interloqué. Il faisait trop genre what is the fuque, et le pire c'est que je me suis permis d'ajouter. ❝ Enfin je crois. ❞



La liberté, y a rien de mieux. Ah, je vous assure, c'est vraiment tout ce dont j'ai besoin dans ma vie. Enfermé chez soi, on étouffe vite. Moi je meurs. Surtout que les quelques mois suivant la découverte par mon père de ma grosse confusion sexuelle, je n'ai plus vraiment eu le droit de sortir, et il a décidé que j'étudierais à la maison, même si il ne restait que deux mois d'école avant le bac. Je l'avais entendu au téléphone dire qu'il était hors de question qu'il m'envoie à l'école militaire comme ma mère l'avait proposé. Il trouvait ça trop risqué. Risqué de quoi, d'abord ? Non mais oh, j'embrasse qui je veux moi. Enfin bref, je suis retrouvé à passer le plus clair de mon temps enfermé chez moi. Les seuls avantages que ça m'a donné, c'est une culture musicale et cinématographique impeccable. En même temps j'avais que ça à foutre. Mais il ne faut pas me questionner sur les plantes, les monuments ou l'amour. C'était le vide total. J'ai toujours des lacunes en la matière. Et puis il y a eu pire, mon crétin -oui oui parfaitement- de père décida que moi aussi je serais avocat. N'importe quoi. La cerise sur le gâteau quoi -même si je ne vois pas sur quels gâteaux on met une cerise hein, c'est ridicule, plus personne ne mets de fruits confis sur ses cakes c'est gras et dégueu et puis visqueux, le brownie c'est très bien. Il ne m'a pas fallut plus, j'ai fait quelques cartons, j'ai piqué quelques trucs hors de prix dans ses placards, j'ai tout mis sans sa belle voiture et je me suis éclipsé en beauté. La classe hein. Ou pas. Surtout que j'ai cassé la voiture deux rond-points plus tard puisque je n'avais pas mon permis, et que je me suis retrouvé à vivre chez mes grands-parents maternels dans le onzième. Très sex. Vie de merde.

Bref, je galérais quoi. Vingt ans, un bac L - avec mention si si si-, à faire couler le bain de ma mémé, sans boulot et sans identité sexuelle précise. J'ai essayé d'être optimiste, mais bon. La chance allait bien tourner à un moment ou à un autre, non ? En attendant, je vivais un peu à l'arrache aux frais de ma famille, me trouvant une soudaine fascination pour le théâtre et la scène. Ce n'était pas si nouveau que ça non plus. En primaire, j'avais eu mon heure de gloire lors de quatre représentations de Boucle d'Or et les Trois Ours où je jouais le Petit Ours. "Mais qui a bu ma soupe ?". "Mais qui a cassé ma chaise ?". "Mais qui dors dans mon lit ?". Attention, mes répliques cultes quoi. Et à rajouter à tout ça ma capacité presque innée à l'écriture, dont j'avais usé et abusé pendant ma scolarité. J'étais le genre d'élèves qui pouvait écrire n'importe quoi, un exposé, une disserte, un paragraphe argumenté, un sketch en anglais, ça le faisait trop. Bref, en convaincant ma mère de soutirer quelques billets à mon adorablissime père, me voilà dans une belle école de journalisme toute rutilante. J'avais été pris très vite car ils avaient eu un coup de cœur pour mon dossier. En même temps j'avais une mention et je venais d'Henri IV, et aussi je m'étais défoulé sur la lettre de motivation. J'ai passé quelques années tranquilles là-bas, tout en sachant que je ne voulais pas être journaliste précisément. C'est tous des pourris les journalistes.



❝ Et alors tu lui as dis quoi ?!
- Je suis décédé sur place, je te jure. J'étais genre : "Wow euh oui, je vous appelle, oui." Il a passé la porte, j'ai serré tout le monde dans mes bras, sous le choc quoi. ❞

Dis-je avec une tasse de thé brûlant en main. C'est si génial les soirées entre nous. Avec le temps et le boulot, elles sont moins nombreuses mais je pourrais passer ma vie à papoter avec les deux filles les plus géniales de la terre, alias Hannah et Manu. Quand je pense que je les connais depuis la primaire, c'est dingue hein. Et même si ça n'avait pas toujours été le grand amour entre Hannah et moi, on avait réussi à s'entendre, en fait pire on était devenus meilleurs amis, ensuite elle m'avait présenté Emmanuelle et on avait passé le plus clair de notre temps ensemble. Avec Manu maintenant c'était même 24/24 7/7 vu qu'on avait pris un appart ensemble. D'un côté, je voulais faire de la colocation, elle voulait faire de la colocation, donc c'était obligé qu'on s'arrange entre nous. Et puis, qu'est-ce-qu'on se marre. Pour ce qui est d'Hannah, j'ai beau être énormément pris par mon travail, je ne rate jamais un de ses concerts et il me la faut sur Skype au moins tout les deux jours. Sinon je pique ma crise.

Donc, le jour précédant cette conversation, je m'étais rendu voir une représentation dans un petit café sympa d'une série de scénettes courtes écrites par moi même. C'était la première fois que je m'y essayais, et le résultat était agréable. Le public, même peu nombreux, riait en tout cas. 23h, fin de l'histoire, les acteurs me font grimper sur scène pour me présenter et j'amuse la galerie en racontant n'importe quoi, as usual. Je descends, un type me serre la main, il me dit qu'il travaille pour la télé, qu'il a entendu mon nom par des profs de mon école, qu'ils cherchent des chroniqueurs et qu'il veut bien me prendre après un entretien. C'est fou la vie, non ? Surtout qu'en arrivant pour mon entretien, je me suis retrouvé devant Laurent Ruquier. Wouah. Mais comme je ne suis jamais stressé, j'ai juste essayé d'être moi-même, de me vendre et tout, de tester mon humour bizarre. Il a marché, même très bien et puis entre deux fous rires il m'a dit : "Mais t'es fou, bien sûr que je te prends." Le pire, c'est que c'est bien payé.

Alors bon, je peux dire que la vie est belle. Même si il subsiste quelques gros trous noirs style l'amour. Pas mon truc, l'amour. En fait dès que j'essaye de penser sérieusement à des trucs, ça s'évapore et mon esprit par en n'importe quoi. Je suis un ressort sur pattes, je suis Zébulon. Je parie que tu peux pas m'attraper euh.