Une inspiration puis tu suffoques. Le brun ouvrit les yeux, le cœur tambourinant dans sa cage thoracique. Il était où là ? Sa tête lui faisait souffrir le martyre, mais c’est pas comme s’il n’avait pas l’habitude. Ses yeux se promenèrent aussi loin que ses orbites lui permettait, essayant de se souvenir de sa précédente soirée. Il osa tourner paresseusement la tête… Personne dans son lit, c’était déjà ça. La chambre baignait dans la lumière, il devait être tard. Le cadavre d’une grande bouteille de Jack gisait sur le petite commode qui servait de table de nuit. Ca y est, quelques images revenaient, et le tatoué se massa les tempes. Il était arrivé hier tard dans la soirée chez Fien, celle qu’il considérait un peu comme sa petite sœur. Il s’était bourré la gueule, elle s’était goinfrée de crème glacée ; il avait insisté pour qu’elle ne touche une seule goutte d’alcool avec la future progéniture qu’elle portait. Plaisir solitaire et bien égoïste mais c’était comme ça. Et qui sait ce qui s’était passé après, il avait réussi à remonter dans sa chambre au moins. Qui sait d’ailleurs, c’était peut-être pas la chambre qui lui était destinée ?
Fien devait certainement être déjà partie, elle avait pleins d’examens médicaux. Il serait seul à cet étage toute la journée et sortir ne lui disait rien. Comme un gamin qui n’avait pas envie d’aller au collège, Morgan tira sur les draps d’un blanc immaculé entièrement sur lui, se recroquevillant sur lui-même puis huma l’odeur des draps propres. Une journée de plus, qui ressemblerait à toutes les autres. Juste une envie de disparaître, que le temps s’arrête.

Le sommeil le regagnait peu à peu, c'était peut-être pas sans chambre ouais, mais Morgan n'avait pas de remords, jamais. Un bruit strident le casse cependant. Avec sursaut, il s'accoude, scrute la chambre, déboussolé. C'était quoi ça ? Ça reprend, et une voix suave se fait entendre derrière la porte. Morgan ne pouvait percevoir ce qu'elle disait, mais c'était une voix d'homme déjà... Peut-être le facteur, nan y avait une boîte aux lettres. Ou alors un pote à Fien tout simplement. Sans attendre, il se redressa avec le peu de souplesse qu'il réussit à acquérir cependant, complètement dans l'coltard. Se masser furtivement le front puis la nuque n’y changèrent rien… Mettre un pantalon ? Pour quoi faire ? Le seuil de la porte de la chambre à coucher franchi, et ça y est, tout était labyrinthe… Le brun tenta à droite, rien, il débouchait sur une salle dont il n’arrivait à déterminer l’utilité. Une porte en face donnait sur une salle de bain trop propre et rangée, trop vide même pour être utilisée. Le tatoué trouva enfin les escaliers en colimaçon et fer forgé qui devait certainement déboucher dans la pièce du salon en bas, ou dans la cuisine au choix. Bref le gars derrière la porte devait s’impatienter, mais Mo s’en battait les couilles en vérité. Le salon. Jusqu’ici il reconnaissait. La seule chose qu’il espérait maintenant, c’était que le trousseau de clés soit sur la porte, ou du moins sur un porte-clés, sinon c’était foutu. Bingo. On pouvait dire que sur le coup, il avait le cul bordé de nouilles.
Et c’est en caleçon que Morgan osa ouvrir la porte.
« Ouais ? »
Morgan ne s'attendait pas à être aussi surpris par cette visite qui n'était pas quelconque finalement. Winston. Sa petite chose, aussi bâtard soit-elle comme appellation, mais c'était un fait. Et c'est pas comme s'il n'aimait pas ça, si ? Sinon il reviendrait pas au galop.
« Qu'est-ce que tu fous là ? Et comment t'as su que j'loge ici ? »
Il aurait pu faire mieux comme accueil, mais Morgan n'a jamais vraiment été très doué avec la délicatesse, avec Winston surtout. Il poussa un soupir et passa sa main dans ses cheveux ébènes avant de laisser retomber mollement son bras le long de son corps. Le tatoué recula, faisant mine à son "collègue" d'enter.

Win entra, laissant derrière lui une effluve ambrée... Le jeune homme se glissa derrière lui, passant en tête pour s'engager dans le couloir qu'il avait précédemment emprunté. Parfaitement à l'aise dans cette tenue - si on peut appeler ça une tenue - Morgan s'arrêta au milieu d'un couloir, ne prenant pas la peine de voir si Winston le suivait. Chacun de ses gestes et attitudes étaient contrôlés par une machination qui s'appelait l'orgueil. Se refusant à se retourner comme pour témoigner une quelconque affection, un quelconque intérêt envers le petit brun. Et il se retournait aux paroles de celui-ci, daignant enfin véritablement poser ses yeux ardents dans les siens. Il pourrait le baiser là tout de suite sur le parquet, mais il se contenait que trop bien. Son absence était un frein à leur relation.Comme si une certaine pudeur s'était installée chez le tatoué. Enfin, la pudeur était un prétexte. C'est tellement simple de faire comme si rien n'avait été. Comme le monde est tout petit à Paris. C'est vrai que les nouvelles vont vite. « Pas Fien, en tout cas si ça peut te rassurer. T’as oublié que tout se sait ici ? Les gens parlent déjà. Tu aurais dû changer de têtes avant de rentrer si tu voulais pas être emmerder. » Ce ton ironique et enjôleur ne le laissèrent pas de marbre. En fait rien chez lui ne le laissait de marbre. C'était fatiguant d'être avec Olesinski...

« Mais tu m'emmerdes pas. »

Et puis qui aurait envie de voir Morgan sérieusement. Il était tellement infecte avec tout le monde. Lui-même s'en rendait compte, enfin, c'était déjà ça. Sa situation n'était peut-être pas si désespérée. Et elle le serait peut-être encore moins si Morgan savait où ils se trouvaient actuellement. Son ventre criait famine, il avait rien avalé depuis deux jours à part cette crème glacée que Fien avait fini par bouffer presque intégralement hier soir.

« Aide-moi à trouver cette putain de cuisine. »

Et il se retourna, scrutant d'abord à droite, puis à gauche, décidant de se remettre en marche. Cet appartement était tellement grand, c'était presque à s'en demander si c'était un appartement... « Qu’est-ce que t’es allé branler tout se temps ? Tu comptais nous donner un signe de vie un jour ? »

« Qu’est-ce que j'suis allé branler ? Trois fois rien, quelques affaires personnelles. Et nan j'comptais pas donner de nouvelles. J'avais besoin d'un break. Tu t'inquiétais ? »

C'est qu'il commençait à être plutôt loquace le Gauthier. Et c'est avec un sourire -le premier depuis pas mal de temps- narquois que le brun le toisa du coin de l'oeil. Disons qu'il était plutôt satisfait de lui. Ah Winston qu'est-ce que tu nous faisait ?