21 avril 1994. Ou le jour où j’ai poussé mon premier cri. J’avais eu la chance de voir le jour dans une famille correcte. Un père respectable, une mère qui avait presque la moitié de son âge, mais correcte quand même. Bref, j’ai grandi, j’ai fait mes premiers pas, j’ai appris à faire pipi toute seule et à ne plus avoir besoin de l’aide de mes vieux pour m’essuyer le cul, comme tout gosse qui se respecte. Bref tout ça pour dire que j’ai eu une enfance plus que banale. J’avais des bons points à l’école, j’évitais de me faire remarquer, bref, j’étais loin d’être une sale gosse. En même temps, vu la mentalité de mon père, j’préférais me tenir à carreau. C’est pas qu’il avait la main facile, mais c’était tout comme, du coup j’évitais un maximum de le contrarier. Surtout que généralement, il ne lésinait pas sur sa force. Il avait tendance à oublier que je n’étais pas aussi castarde que Jéricho et que forcément, je n’encaissais pas les coups aussi bien que lui. Ce n’était pas parce que j’étais une fille que j’avais droit à un traitement de faveur. J’me suis souvent plainte de ma vie. Surtout quand j’entendais mes « amies » parler de leurs parents laxistes au possible. J’étais pas jalouse, non, mais j’les enviais quand même un peu. Ces nanas, elles pouvaient absolument tout faire. Elles menaient leurs parents par le bout du nez et se rebellaient pour un oui ou pour un non. Mais le pire dans tout ça, c’était leur stupidité profonde comme un gouffre. J’avais pas très envie que leur connerie déteigne sur moi, c’est pour ça que je préférais ne pas me mélanger à elles. Et ce n’était qu’une excuse parmi tant d’autres pour rester avec mon frère. Ou mon dieu sur terre. J’ai toujours été en admiration devant lui. On m’a toujours reproché de l’élever sur un piédestal alors qu’il n’avait rien de particulier. J’en avais fait mon modèle et j'les emmerdais tous. J’le collais comme une crotte au cul. D’ailleurs, j’ai toujours cru qu’il finirait par m’envoyer sur les roses sous prétexte que je l’étouffais. Ca doit pas être facile tous les jours d’avoir sa frangine en permanence dans les pattes. Heureusement, ça n’est jamais arrivé. Jéricho a toujours fait preuve d’une patience hors du commun avec moi, parce que mine de rien, il faut des nerfs en acier trempé pour pouvoir me supporter. Je passais mes journées avec lui, je fréquentais les mêmes personnes que lui, j’avais les mêmes habitudes que lui, bref, j’étais un mini-lui. D’ailleurs, à force de trainer avec des mecs à longueur de temps, j’avais finir par devenir comme eux. J’étais pas du genre à passer des heures à me pouponner devant mon miroir. Non, j’étais plutôt du genre à passer mes journées dehors et à rentrer les vêtements déchirés de partout, pour le grand malheur de mon père. J’étais une casse-cou quoi. C’était limite si j’étais pas plus viril que mon frère. Enfin bref, j’pense que vous l’aurez compris, on s’entendait comme chien et chat. C’était pas seulement mon frère non, c’était aussi mon meilleur ami. Le mec avec qui je partageais tout ou presque. J’crois qu’être sa sœur, c’est ma plus grande fierté et ce, depuis toujours. Je me souviens, quand j’étais encore au primaire, j’me pavanais devant mes amies parce que je trainais avec les grands. Et j’peux vous dire qu’elles étaient vertes de jalousie parce que mine de rien, les amis de mon frangin, c’était pas de la merde. C’était genre les superstars de l’école. Tout le monde rêvait de leur parler et moi, je trainais avec eux. Inutile de préciser que j’me sentais plus pisser, j’suppose. C’était limite si ma tête passait encore les portes tellement elle devenait grosse.

The beginning of the end.

Il pleuvait des cordes. Je m’emmerdais comme un rat mort, regardant les gouttes couler sur ma vite lorsque j’empoignai mon téléphone pour appeler …, ma meilleure amie . C’était l’une des dernières fois que j’entendais le son de sa voix mais ça, j’le savais pas encore. J’lui avais donné rendez-vous à la galerie commerciale. Y avait genre dix mille autres endroits où aller mais non, il avait fallu que mon choix se porte sur cette putain de galerie. J’nous vois encore discuter de nos futurs achats. Je la revois en train de me dire que je me mettais pas à mon avantage et qu’elle allait profiter de cette séance de shopping pour me relooker. Mais le destin en avait décidé autrement. Alors qu’on se dirigeait en riant vers le magasin de chaussures, plusieurs coups de feu retentirent. Si je n’avais pas été tétanisée par la peur en découvrant ce qu’il était en train de se passer, j’me serais probablement jetée ventre à terre. C’est ce que … a tenté de faire. Sauf qu’il était trop tard pour tenter la technique de l’homme mort. C’est avec un sourire jusqu’aux oreilles que Jack s’est penché par-dessus elle pour lui coller plusieurs balles dans le dos. La réalité me rattrapa alors d’un coup. Elle ne se relèverait jamais. Et moi, j’étais en grand danger. Quand j’ai relevé la tête, le visage couvert de larmes, je l’ai vu lui. Il riait comme s’il était en train de vivre l’expérience la plus amusante de toute sa vie. Le canon de son flingue était braqué sur moi. Pile entre mes deux yeux. Et là, j’me suis mise à prier. Comme si ça allait changer quelque chose à la tournure des événements. Ce que j’pouvais être conne. Ca m’apprendra à boire les paroles de mon père, ça. J’aurais pas dû le croire quand il me disait qu’on pouvait faire des miracles avec la foi. Ou alors c’est que le p’tit Jésus me portait pas dans son cœur. Bref, quoiqu’il en soit, ce ne sont pas mes prières qui m’ont tirée d’affaire, mais plutôt un pauvre gars suicidaire qui n’avait plus rien à perdre, à part sa vie. Je l’ai vu se jeter sur Jack dans l’espoir de lui faire lâcher son arme. Celui-ci n’eut qu’à reculer d’un pas pour l’esquiver. Je vis alors ses doigts appuyer sur ma détente. Je ne tardai pas à sentir la balle traverser ma chair pour ressortir de l’autre côté et terminer sa course folle dans le mur. J’me souviens être tombée à genoux. J’sais pas si c’est la vue de ce psychopathe en train de jouir à chaque fois qu’il tuait quelqu’un ou la vue du sang qui m’a le plus traumatisée. J’suis restée plantée à ses pieds pendant quelques secondes, tentant de comprendre ce qui lui était passé par la tête avant de m’effondrer au sol. J’avais perdu connaissance. Et je n’étais pas prête de me réveiller.

Ce n’est qu’un mois plus tard que j’ai enfin revu la lumière du jour, sortant de mon coma à rallonge. Evidemment, JJ était à mon chevet. J’étais contente qu’il soit la première personne que j’voie à mon réveil. J’aurais pas voulu que ça soit un de ces infirmiers qui voient tous leurs patients du même œil et qui n’aurait même pas éprouvé une once de joie en me voyant réveillée. Ca m’a fait chaud au cœur de voir les yeux de mon frère pétiller de bonheur. Je m’étais sentie importante ouais. Et j’étais doublement plus fière de m’en être sortie. Surtout quand j'ai entendu JJ me jurer qu'il allait me venger. J'tenais à être en vie pour voir ça.

Bref, quelques jours après ma convalescence et après que les médecins m’aient fait passer une batterie de test pour s’assurer que tout allait pour le mieux, un poulet s’était pointé dans ma chambre muni d’un calepin. J’avais pas de suite compris pourquoi il était là. Pour moi, il était clair que le connard qui m’avait fait ça était derrière les barreaux depuis un moment. J’ai alors décidé de ne rien lui dire à propos de mon agresseur, prétextant une perte de mémoire. Vu que cette bande d’incompétents qui avaient eu leur diplôme dans un coco Kinder – ouais pour moi, seul l’uniforme différenciait un flic du dernier des abrutis – étaient incapables de foutre la main sur ce squelette ambulant, j’allais le trouver par mes propres moyens et appliquer la loi de Talion (« œil pour œil, dent pour dent, je cite -> ). A présent, je vivais pour me venger. Il ne se passait pas une seule seconde sans que je ne m’imagine en train de faire payer à cette crevure le mal qu’il avait semé autour de lui. Puis, y avait pas grand-chose d’autre à faire quand on était coincée entre 4 murs. Bref, j’suis restée quelques jours en observation avant qu’ils me libèrent enfin. J’suis sortie de l’hôpital complétement changée.

Depuis que j’étais de retour dans le monde extérieur, j’enchainais connerie sur connerie. Maintenant que j’avais frôlé la mort, j’voulais profiter de la vie à fond en commençant par faire de nouvelles expériences. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis retrouvée au poste de police pour avoir craché sur un représentant des forces de l’ordre ou pour avoir vandalisé des monuments religieux. De fil en aiguille, j’étais devenu une de ces merdeuses qui passe sa vie à se droguer pour oublier parce que c’est bien connu, la coke vaut mieux que tous les psy du monde réunis. Et le départ de mon frère pour Paris n'avait rien arrangé à ma situation. J’avais fini par me faire une réputation de fauteuse de trouble qui ne collait pas du tout à mon personnage. Parce qu’à la différence des filles avec qui je zonais, j’avais un bon fond. J’étais plus humaine que déchet, contrairement à elles. Je m’étais alors dit qu’il n’était pas encore trop tard pour échapper à la renommée que je m’étais faite. En manque de mon frère et pleine de bonnes intentions, j'avais donc pris la décision de quitter Londres pour Paris. C’était l’occasion rêvée pour changer d’air, surtout que mes recherches concernant le tueur de la fusillade – parce que ouais, je n’avais pas chômé pendant tout ce temps– me poussaient à croire que mon cher ennemi s’était réfugié en France.

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