Je m'appelle Romain. Romain DeLatour. J'aimerais vous dire des choses géniales et hallucinantes, mais je n'en ai tout simplement pas. Dis comme ça, ça fait un peu blasé de la vie, je sais. Mais que voulez-vous. Je crois que j'ai eu un parcours tout tracé, sans vraiment d'obstacles ni d'embûches. Je viens de Nice, et c'est peut être la raison pour laquelle j'ai encore du mal à me faire à cette vie sur Paris. Car étonnamment, cette ville est grande, et il y a du monde partout dans les rues, le métro, les bus, les bars, le moindre petit recoin même, et cela à toute heure. Pourtant, je me sens seul. Je ne sais pas si ça peut s'expliquer par la vie que j'ai eu, ou par les choses que je n'ai pas eues. Je suis fils unique, d'un couple d'agents immobiliers qui, en plus d'avoir parfaitement réussis leur vie, se payait le luxe de se tuer au travail chacun de leur coté. Cependant, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Mes parents m'ont donné, selon moi, la meilleure éducation qu'il était possible de recevoir. Tant comportementale que sur les valeurs à avoir dans la vie. Pour autant, je restais souvent seul. Et ce qu'il y a de pire là dedans, c'est que je me plais plus dans la solitude qu'accompagné. Par exemple là, ça fait une bonne demi heure que je suis là, la tête posée sur ma main, à écouter à moitié ce que peut me dire cette femme qui est venue m'accoster dans ce bar. Je dis à moitié pour rester poli, encore. Et si elle est venue vers moi, ce n'est pas parce que je suis fan de jeux vidéos. Ce n'est pas parce que je suis chef de projet dans une boite informatique. C'est juste parce que j'ai une gueule qui peut plaire à la grande majorité de la gente féminine, et que je suis propre sur moi. Le reste, elle n'en a rien à foutre. Et c'est ça qui me dérange maintenant. Les codes sociaux et moraux ont changé. Et moi, je suis resté sur l'ancienne version. La version 1.0. Alors forcément, je ne trouve pas mon compte. J'aurais simplement voulu être choisi pour autre chose que ma gueule, même si je suis conscient que le physique a une place importante. Je ne m'entretiens pas pour rien.

Alors j'en profite, je fais un peu n'importe quoi, et les coups d'un soir me conviennent comme ça. Parce que je n'ai pas envie de m'encombrer d'une écervelée. Parce que celle qui partagera ma vie aura vraiment quelque chose dans la tête. Parce que j'ai envie d'exprimer mon romantisme quand bon me chante. Que je ne veux pas avoir l'air ridicule quand je ris tout seul de mes blagues. Parce que je veux pouvoir jouer à ma Nintendo de 89 sans qu'on me mette dans un panier. Parce que j'aime me retrouver seul à des endroits où il y a du monde, ne serait-ce que pour les observer. Parce que je me nourris de toutes ces petites choses qui font que la vie est ce qu'elle est. Des sourires des passants, à une querelle d'amoureux. D'un geste qui semble anodin pour certains, alors qu'avec moi il prend tout son sens. Parce qu'une personne âgée sur un banc me fait sourire, tout comme la blonde platine de base, mais pas pour les mêmes raisons. Parce ce que j'ai envie de continuer de rêver même si j'en ai passé l'âge. Parce que j'ai envie de pouvoir écouter des musiques épiques qui me transporteront dans un endroit, sans qu'on vienne me dire « j'aime pas les musiques de films y'a pas de paroles ».

Et puis il y a elle, cette emmerdeuse de première. Cette douce emmerdeuse. Une fille que j'ai connu au lycée, à Nice. Une fille que j'ai embrassé, simplement. Le genre de personnes qu'on croit sans trop d'importance quand on est jeune, et dont on ne peut croire qu'elle aura une incidence plus tard. Car nous travaillons tous les deux au même endroit, sur Paris. Et tous les jours, nous nous livrons notre petit jeu préféré : s'emmerder l'un l'autre. Et on a beau dire ce que l'on veut, on aime ça, aussi bizarre que ça puisse paraître. Peut être parce qu'on se comprend. Peut être parce que notre relation de base sort du cadre de ce qui se fait dans l'ordinaire des choses. Peut être parce que j'adore la voir grimacer lorsque le premier mot que je peux lui adresser à une saveur acide. Peut être parce que ce genre de relation, on ne peut l'avoir qu'avec une personne. Le genre de complicité qui fait que tu peux tout te permettre sans que ça soit mal interprété. Le genre de choses que tu ne peux te permettre avec aucune autre personne. Et même si nous passons notre temps à souffler une fois le chaud, l'autre fois le froid, je crois que c'est ce que égaie mes journées. Nous sommes simplement dans un monde à part lorsque nous sommes nous deux. Et personne d'autre ne pourrait comprendre ça.