Je m'entend hurler, soudainement. Sans comprendre, j'ouvre les yeux. Je ne peux retenir ma voix. Étrangement, je ne suis pas sûre de souffrir, d'avoir mal quelque part. Je me raccroche à cette voix, à ces cris perdus dans l'obscurité de ma chambre. Et puis elle arrive, brusquement, comme une claque en plein visage. La douleur. C'est insupportable. Ma vision se trouble de larmes que je ne peux retenir et je sens mon corps bouger précipitamment entre les draps. Les minutes, lentement, s'écoulent et rien ne change. Je pose mes mains sous mon ventre rebondis, espérant pouvoir faire cesser ce je-ne-sais-quoi qui me meurtrie. Allais-je avoir ce bébé là, tout de suite ? C'était beaucoup trop tôt, rien n'était prêt ! Il fallait qu'elle attende plusieurs semaines encore, elle ne pouvait pas arriver dans un désordre pareil. J'étais à peine à huit mois, elle ne pouvait pas arriver maintenant, non, ce n'était pas ça. Et Si ce n'était pas le bébé, c'était la mort qui frappait à ma porte. Je l'avais imaginée plus douce, plus paisible, plus silencieuse surtout, comme un sommeil sans rêve. Mais visiblement, je m'étais plantée sur tout la ligne. La mort ne serait pas pour moi, pas ce soir. La douleur perdit de son intensité, très doucement. C'était infime mais j'espérais la voir disparaitre complétement sous peu. Ma voix s'éteignit et l'écho de mes cris résonna dans ma chambre vide avant de me plonger dans un silence olympien. Je reste absolument stoïque sur mon lit, n'osant plus faire le moindre geste, de peur de déclencher une nouvelle crise. C'était la troisième. et de très très loin la plus forte. quelques semaines plus tôt déjà, à Londres, j'avais passé une journée au lit à cause de "douleurs liées au développement du fœtus" selon mon médecin, et la veille, j'avais manqué de peu de m'écrouler entre les rayonnages d'une librairie.Mais rien de comparable à ce que je venais de ressentir. J'eus très froid et me mis à trembler, comprenant que quelque chose était arrivé au bébé. Je n'osais pourtant pas rabattre une couverture sur moi. J'étais tétanisée. De froid. De peur. Des larmes noyaient toujours mes yeux et je vis vaguement la porte s'ouvrir. Une voix me demanda si j'allais bien, me demanda de serrer sa main mais je ne pus que cligner des yeux pour lui répondre. « Du sang .. Mlle McArtur, j'appelle une ambulance ! » Du sang. Il ne manquait plus que cela. Je fermais simplement les yeux, à bout de forces.
Avant d'ouvrir les yeux, je savais déjà où je me trouvais. L'odeur de désinfectant emplissait pleinement mes narines et un bip strident retentissait à allure régulière. Je travaillais ici, j'arpentais ces couloirs à longueur de jours. J'ouvris les yeux et pu apprécier la lumière du jour sur une chambre d'hôpital. Une infirmière entra quelques minutes plus tard, m'expliqua que j'avais perdu du sang, qu'ils n'en savaient pas plus et attendaient les résultats du labo. Elle essaya d'être rassurante mais rien ne pouvait me rassurer. Pendant l'heure qui suivit, je grattais nerveusement les peaux abîmées autour de mon pouce, pensant à ce que je ferais si jamais je venais à perdre mon bébé. Un médecin d'une cinquantaine d'années environ entra dans la chambre, calepin et crayon à la main. Je ne le laissais pas même me saluer. « Docteur, s'il vous plait, dites moi que le bébé va bien. » Ma voix se brisa sur la fin de la phrase. Il prit une grande inspiration. Je le sentais mal. « Écoutez Mademoiselle, je ne vais pas vous cacher que c'est grave, que vous étiez à deux doigts de perdre votre enfant cette nuit. » Il marqua une pause. Si je n'avais pas été sous le choc, je lui aurait crié dessus pour qu'il parle. « Nous avons stabilisé la situation. Il est hors de danger pour l'instant. » Dieu merci. Je fermais les yeux, sentant un poids se détacher de mes épaules. « Mais j'ai besoin de savoir : Avez-vous été sujette à un stress particulier ces derniers mois ? » Machinalement, je lâchai un rire. Il n'allait pas être déçu. « Et bien .. » Il me fit signe de continuer. « Il y a tout d'abord eu le retour de mon ex compagnon, devenu amnésique qui m'avait totalement rayé de sa mémoire. Ensuite cette grossesse non planifiée, que j'ai découvert après trois mois. Trois mois où, sans être une totale délurée, je n'ai pas toujours été clean, d'où des inquiétudes sur les conséquences sur le bébé à la naissance. Puis il y a eu des ... mésententes avec le père du bébé qui avait trouvé le moyen de mettre enceinte une autre jeune fille. J'ai ensuite perdu mon colocataire dans un accident, un excellent ami et sa fille adolescente est restée vivre avec moi. C'était sans compter sur l'annonce, quelques semaines plus tard, du décès du père du petit, avant de découvrir qu'en réalité il avait choisit de changer d'identité. Depuis, c'est à peine i nous avons échangé deux phrases. » Il resta immobile et muet pendant quelques secondes. J'avais débité mon récit en un temps record et il ne s'attendait certainement pas à ça. Il nota rapidement des mots sur son carnet « Et bien, tout ... ceci a provoqué un bouleversement hormonal, d'où vos pertes de sang et vos contractions. Mais le fœtus est trop petit pour naitre maintenant, il lui faut encore quelques semaines. C'est pour cela que vous devez éviter au maximum de vous déplacer inutilement, de vous inquiéter. Vous avez besoin d'énormément de repos. Vous resterez quelques jours ici en observation. » C'était à prévoir. J'étais bonne pour passer les prochaines semaines dans mon lit à ne rien faire. Great. Il me conseilla à nouveau du repos et quitta la pièce. Je pouvais être certaine qu'avec ce que je lui avais balancé, il m'avait prise pour une déséquilibrée et contacterait la psy de service pour me rendre visite. je faisait honneur à ma profession, c'était déjà ça. Je reposai ma tête sur l'oreiller et fermai les yeux,tenant mon ventre rebondi entre mes mains, exténuée, rassurée.