On éprouve tous du regret, un jour ou l'autre. On ne s'en échappe cependant jamais.Il est une heure du matin. Elle dort. Elle dormait depuis qu'elle s'est assise, allongée sur mon épaule, paisible ... Malgré tout ce que je lui ai fait subir et la fragilité de notre relation actuelle. Sephora. Une femme qui ... compte beaucoup pour moi ; ça, j'en suis sûr. Est-ce approprié de parler d'amour au sens propre ? Je l'ignore. Après tout, seuls les imbéciles sont capables de vivre dans l'illusion que l'amour existe. L'être humain est du genre à se poser jusqu'à ce qu'il trouve mieux ailleurs ... De ça, j'en suis sûr. L'hôtesse passe dans le couloir, poussant son chariot à boissons devant elle. Sans hésiter, je l'arrêtais :
- Du vin rouge, merci.Au son de la boisson coulant hors de la bouteille dans l'un de ces fameux verres en plastique, je me souvins de mon premier vol en avion ... Qui ne datait d'ailleurs pas d'il y a si longtemps que ça, lorsque j'y repensais ... La première fois que j'avais posé les pieds dans un véhicule de ce genre, j'avais eu seize ans ... Et ma mère venait de se suicider. Je pense qu'avoir été élevé par elle avait eu un impact énorme sur ma vie ... Et ce n'était pas une bonne chose. Il n'y a rien de pire que de voir le seul parent que vous ayez jamais connu se détruire chaque jour, de plus en plus, jusqu'au point de vouloir se prendre la vie.
J'ai longtemps vécu avec la colère en moi ... La colère envers mon père ainsi que de la haine envers tout ce qui s'y rapportait. Il m'avait tout pris. Une enfance heureux. Une mère. La présence d'un père. Et mon frère, même ... Pas qu'il m'ait manqué, celui-là : j'étais déjà bien assez difficile à nourrir pour ma mère ... Deux enfants à élever ? Jamais n'aurait-elle tenu. Néanmoins ... Pourquoi avaient-ils eu la belle vie, et non eux ? Pourquoi mon gentil bonhomme de père et mon enfoiré de frère avaient bénéficié d'avantages, de plus d'argent qu'ils n'en avaient véritablement besoin, alors qu'à l'origine, c'était à ma mère qu'il appartenait ? C'était injuste.
La vie est injuste.Certes. Mais il y a des limites.
J'ai menti, j'ai "volé" et j'ai usurpé une identité ... Et tout cela pour quoi ? Pour une simple vengeance puérile. À une personne qui en soi, n'avait rien fait de mal. J'ai gaspillé de l'argent, des opportunités, et surtout, du temps, et tout cela pour quoi ? Pour une rancune depuis longtemps périmée et prolongée dans l'inutile. J'ai fait des choses inimaginables ... La moitié desquelles je n'ai d'ailleurs aucun souvenir tant j'étais sous l'influence ... De quoi ? Heh. Comme si je le savais. Je ne suis pas fier de tout ce que j'ai fait de mon vivant ... Mais jamais ne m'en plaindrais. J'ai fait des choses que je n'aurais pas dû faire ; d'autres, que j'aurais dû faire, j'ai ignoré. Et pourtant, ce sont elles qui m'ont fait ce que je suis à ce jour ... Ce sont elles qui m'ont façonné, elles qui ont fait de moi la personne que je suis aujourd'hui.
Mais parfois ... Ça me lasse, de faire ce que le destin me pousse à faire. Je repousse les autres. Je leur fais du mal. Je les blesse, et ainsi, je me blesse moi aussi. C'est comme si j'essayais de prendre avantage de n'importe quelle situation, jetant de côté celle que j'avais à ce moment là, insouciant des répercussions de mes actes ... Malgré tout ce qu'ils me faisaient perdre. On croirait qu'avec l'expérience du passé, on ne répèterait pas nos erreurs ... En réalité, rien ne pouvait nous empêcher de faire des erreurs. C'était ça, la nature humaine : celle de vivre pour soi et pour soi uniquement, et d'enchaîner connerie sur connerie.
Mes conneries à moi ? Elles m'en avaient fait perdre, des choses. Du temps à passer avec mon père et mon frère, personnes sans lesquelles j'avais vécu pendant seize années et dont l'absence avait crée un gouffre dans ma vie. Clémence, Albane ... Et récemment, Sephora. Enfin, presque. Et qu'est-ce que je m'en serais voulu de la perdre ... Je m'en serais voulu pour longtemps. Qui sait ? Peut être serais-je retourné sur le pont ... Mais penser ainsi ne servirait à rien.
Je ne sais toujours pas ce qu'il m'a pris pour que je puisse coucher avec une gamine comme Fien, ni quel démon m'a possédé. J'avais dû être sous l'influence de narcotiques assez forts pour ne pas y avoir réfléchi à deux fois ... Non pas que coucher avec la première inconnue ne me ressemblait pas, loin de là, mais bon ... Elle avait quand même huit années de moins que moi, l'air de rien. Et puis ... Je commençais à avoir sommeil. La torpeur me prenait, et, m'installant confortablement dans le siège d'avion, je fermai les yeux, en route pour un sommeil inconfortable mais rempli de réfléxion ...
* * *
Je me réveillai doucement, le dos légèrement endoloris par l'incomfort de ces sièges aériens ...
Ils devraient vraiment utiliser l'argent dépensé quand on paie nos billets pour améliorer la qualité du service offert ...Je regardai par la fenêtre. Les nuages défilent à une allure incroyable ... incroyablement lente. Je colle mes doigts à la vitre. Elle est légèrement froide, juste assez pour que j'aie un apperçu de ce qui se trouve véritablement en mon coeur : de la glace. Après tout, n'est-ce pas ce qu'il doit y avoir pour ne pas éprouver de regret ni d'arrière pensée lorsque l'on causait du malheur aux autres ? C'est bien ce que je pensais. Ces nuages, blancs, moelleux, à consistance duveuteuse me rappelaient la fabrique de l'existence même : inconsistents comme elle, ils étaient intangibles, de la simple vapeur d'eau qui se dissolvait rapidement ... Comme des poussières, ça pouvait s'éparpiller. Comme quelque chose qui n'est pas réellement ici, on pouvait passer à travers ... Entre deux mondes.
Comme moi. Lesquels ? Je n'en savais rien. Mais j'avais l'impression que si je faisais tant de choses dans le seul but de me "découvrir", c'était parce que je n'avais toujours pas trouvé ma place et que je la cherchais si désespérément. Le soleil était depuis longtemps levé, et maintenant, c'était au tour de Sephora. Elle soupira doucement, la tête toujours allongée sur mon épaule. À travers la fenêtre, mon reflet se dessinait sur les contours de la ville de Madrid, augmentant en taille à chaque seconde qui défilait.
On allait bientôt attérir. Et une fois arrivés ? J'avais l'intention de faire quelque chose qui allait changer sa vie. Ma vie.
Nos vies.J'en avais rêvé, et j'y avais réfléchi en attendant l'attérissage. Et plus le temps passait, plus des fiançailles me semblait être le cours d'action approprié.
Je la voulais, à moi. Que pour moi.
Pour l'éternité.