« Papa, tu peux m'aider à enfiler mes chaussettes ? » demanda Pierre en regardant son père d'un air attendrissant. C'était fou. Les deux zigotos se connaissaient à peine, mais l'enfant avait décidé d'appeler Sylvain « papa » dès lors que sa mère l'avait laissé à sa charge. C'était comme si cela représentait une évidence. Le petit garçon de cinq ans, qui faisait tous les efforts du monde pour s'habiller seul, chose non aisé à son âge, il avait fini par appeler Sylou à l'aide. C'était un enfant précoce, mais il n'était pas non plus super en avance pour son âge. En tous cas, notre trentenaire avait encore énormément de choses à apprendre à propos de sa progéniture. Au début, Pierre avait commencé par l'appeler Sylvain, mais en moins d'une semaine, cela s'était transformé en « papa » comme s'il pressentait que sa mère n'allait pas réapparaître de sitôt. Pauvre enfant. L'ancien chauffeur de bus avait eu l'impression de revivre sa rupture avec Amandine. Enfin, cette fuite de la femme de sa vie, qui lui avait donné une raison de la haïr. Lorsqu'elle était revenue, il y avait de cela peut-être trois ou quatre mois, il avait fini par céder devant l'amour qui l'habitait encore pour elle. Mais il avait eu tord. Elle était repartie, comme si de rien était, comme si elle ne l'avait jamais vu. Au moment où il avait eu le plus besoin de sa présence, de son aide, elle avait déserté. Pauvre naïf.
Alors qu'il enfilait les chaussettes aux pieds de son fils, celui-ci entama un long dialogue, de sa petite voix bien loin d'être timide, indiquant ses plans pour la journée. Pierre adorait organiser ses journées, comme s'il avait peur de perdre du temps. C'était charmant, mais Sylou se demandait si cela ne provenait d'un malaise intérieur. Il écoutait son enfant d'une oreille, jetant un œil à sa montre. Ils risquaient d'être en retard à l'école à ce rythme.

Ce fut à cet instant que la sonnette de la porte d'entrée retentit. Un visiteur aussi tôt dans la matinée ? Cela étonna fortement le trentenaire, mais il jeta un petit sourire à son fils, avant de lui indiquer de rester sagement dans la chambre et qu'il essaye de refermer lui-même les boutons de sa petite chemise.
Se hâtant jusqu'à l'entrée, l'air plus ravi que jamais, car Sylvain adorait les matinées passées à guider Pierre vers son école, il faillit se prendre le pied d'une chaise. Fort heureusement, sa maladresse ne conduisit pas à une chute violente, loin s'en fût. Il ouvrit la porte...et son cœur s'arrêta. Amandine. C'était elle, elle était là. Devant lui. Ce n'était pas un fantôme, ni une hallucination, c'était la réalité. La vraie de vraie. Pas une image de son cerveau. Il ne dit rien, il resta immobile à l'observer. Elle commença à parler. Les mots qui sortaient d'entre ses lèvres lui paraissaient tellement irréels. Elle venait se justifier de son absence. Un petit sourire apparut sur les lèvres de Sylvain, bien malgré lui. Il avait longtemps rêvé de la voir sur le pas de la prote de son appartement. Mais c'était trop tard. Elle avait trahi à nouveau sa confiance. La jeune femme continua dans son élan, lui cédant son cœur, ses sentiments. Et il la regardait, la tête légèrement penchée sur le côté, sans ciller. Elle parlait de drogue. Ce qu'elle était loin de la vérité ! Pourquoi n'avait-elle pas cherché à comprendre. Sylvain aurait pu froncer les sourcils, la contredire, lui répondre, mais il se contentait de l'observer, stoïque, dans la même position que celle dans laquelle il l'avait accueillie. Elle passa l'une de ses mains dans la sienne. Il se surprit à frissonner. C'était si intense ce toucher.... Il repensa à leur dernière nuit. Magnifique. Déglutissant afin de reprendre contrôle, Sylvain jeta un œil sur le couloir menant à la chambre de Pierre. Il regarda ensuite Amandine de nouveau dans les yeux. Elle venait de lui poser une question, de lui demander quelque chose, mais il ne réagit pas aussitôt.

« Ecoute... je n'ai pas vraiment le temps pour discuter là, tout de suite. » Il avait de la serrer dans ses bras, mais il n'y parvenait pas. La défiance avait pris part de son être... Amandine l'avait trop souvent déçu. Il aurait pu l'embrasser, mais c'était encore moins possible. Il ne pouvait pas. Pas maintenant. Pas ici. C'était trop soudain, c'était trop rapide. « Tu n'as qu'à venir avec nous, si tu veux... »

Discuter sur le chemin de l'école, en voilà une bonne idée. Une excellente même. Sans doute Amandine ne comprenait rien, puisqu'en aucun cas le trentenaire n'avait développé de qui il s'agissait lorsqu'il disait « nous », mais cela n'allait pas être nécessaire. En effet, Pierre apparût aussitôt dans le couloir, se dirigeant vers les deux adultes, d'un pas décidé. Il n'était vraiment pas timide pour un sou. Au contraire, un vrai bulldozer.
« Papa...C'est qui la dame ? » demanda doucement le gamin, venant attraper son paternel par la main, comme pour le tirer, comme pour signifier à l'inconnue venant d'entrer, qu'elle n'avait rien à faire si proche de Sylou.

« C'est une amie... » souffla alors l'ancien machiniste, envoyant un pâle sourire à Amandine. Il se pencha ensuite vers son fils, lâchant la main d'Amandine, mettant un terme à ce contact qui lui faisait tant de bien et de mal à la fois. « Aller... On enfile tes chaussures et on y va... » Des paroles et aussitôt ils s'exécutèrent. Sylvain ignorait presque la présence d'Amandine. C'était difficile, mais il se refusait de lui jeter des regards, de lui sourire. Bref, de l'aimer comme il l'aimait vraiment. Les chaussures de l'enfant furent lacées très rapidement et le trentenaire enfila sa veste à son tour.

« Bon, alors, tu viens aussi ? » demanda-t-il à Amandine, sur un ton froid en apparence. Il faisait semblant. Semblant que sa présence lui était égale, mais c'était faux. C'était l'extrême contraire en vérité. Il avait envie de ses lèvres, de son corps, de son amour, mais aussi de son aide. Bien qu'il aille mieux dernièrement, il n'oubliait qu'il était gravement malade. Mais il était rassuré. Rassuré que la présence de Pierre allait empêcher toute débordée...Du moins jusqu'à ce qu'ils arrivent à l'école.