J'ai mal. Mais je suis engourdi. J'ai l'impression que je ne peux pas bouger, et mes yeux ne veulent pas s'ouvrir. Peut-être parce que j'ai simplement peur de ce que je vais voir en les ouvrant? Je sais que j'suis à l'hôpital. J'ai pas envie de voir Grayson pleurer à mon chevet, car je sais que c'est probablement ce qui est entrain de se passer actuellement. Même si tout ce que j'entends, c'est mon cerveau qui tente de se réveiller et quelques bruits très très flous. Combien de fois encore vais-je passer à deux doigts de mourir comme ça? En fait, j'sais même pas si je vais survivre. Je me sens encore plus atroce qu'à n'importe quel moment de ma vie, qu'à n'importe quel malaise cardiaque que j'ai pu avoir jusqu'à présent. J'ai tellement mal que je ne sais même pas si je veux me réveiller. Je me sens revenir peu à peu, je commence même à sentir mes membres de nouveau. Je commence à distinguer davantage ma peau des draps froids du lit d'hôpital. Car je sais que j'y suis. Je sais que Grayson est là, à côté de moi, à attendre que je me réveille. J'ai hâte de le voir. De pouvoir lui dire et lui montrer que je suis encore vivant. J'ai hâte de voir Bonnie. Pour pouvoir la prendre dans mes bras et lui dire que j'suis encore là. Comme quoi il n'y a rien de plus important dans la vie que la famille. Et puis l'autre. Damian. Pour pouvoir lui dire qu'il ne pourra toujours pas baiser dans mon lit. Et qu'au fond, que j'suis reconnaissant de ce qu'il fait pour moi et que je l'apprécie bien. Mais que ça lui donne toujours pas le droit de baiser dans mon lit. Oh que non. Je sens que je reviens de plus en plus à moi. Putain. Mes yeux. J'ouvre les yeux, tout tranquillement. Je ne vois pas clair, évidemment, mais au bout de quelques secondes j'vais pouvoir regarder mon frère à nouveau. Juste à y penser, ça me donne envie de sourire même si je ressens une douleur assez remarquable au niveau de ma poitrine. Je me sens pitoyable. Je me sens sale. Je me sens malade et faible. Je sens ma conscience revenir complètement, ma vision s'éclaircit puis j'aperçois Bonnie et Damien. J'ai envie de sourire, mais je n'y parviens pas. J'aimerais les rassurer, mais j'suis trop faible pour ça. Et puis je remarque que Grayson n'est pas là. Pourquoi? Pourquoi il n'est pas là? J'ouvre la bouche puis je réussis à marmonner du mieux que je peux. « Gray.. ? » Mes yeux cherchent encore, car c'est impossible qu'il ne soit pas là. Je ne bouge pas vraiment la tête puisque mon corps ne me le permet pas. Dans ma tête, le mec qui était dans le lit à côté de moi, c'était qu'un inconnu. Pas Grayson. Mais je n'avais toujours pas réalisé, et mes yeux commençaient à se remplir d'eau, parce que je ne le voyais encore pas, et je n'avais pas la force et physique et psychologique de me retenir de pleurer. Je regardais Bonnie et Damian avec mes grands yeux désormais bien réveillés. Autant j'étais content de les voir, autant j'étais déçu de voir que mon grand frère n'y était pas. « Il.. Il est où? »

bonnie & gray & damian & yannie wish you were here.

Il cognait à la porte et j’allais lui ouvrir… mais j’aurais souhaité ne pas le laisser entrer.
Je me rappelle avoir été de bonne humeur cette journée-là. Au boulot, j’avais eu la vie facile, j’ai passée du temps à papoter avec mes collègues et parfois on riait de nos blagues aux larmes. Ma grand-mère m’a souvent dit que lorsque nous rions tellement à en pleurer, nous allons forcément terminer notre journée en pleurant de tristesse.

Aujourd’hui c’était mon cas.
Mon père m’annonçait qu’aujourd’hui, les deux personnes les plus importantes dans ma vie ont faillis perdre la vie. Grayson et Yannie, mes cousins. J’en avais le souffle court, voir coupé… Vous n’auriez pas aimé être à ma place, lorsque je me suis écrasée sur le sol et que mon père s’est mis à genoux pour essayer de me réconforter. J’étais perdue… Ils ne pouvaient pas me laisser tomber. Pourquoi cette tentative de suicide ? Pourquoi Yannie m'as-t-il caché sa maladie ? Je me sentais tout d'un coup si... à part.

Les visites n’étaient pas permises jusqu’aujourd’hui pour Yannie. Il était en salle d’opération le premier jour, puis devait se reposer les prochains jours… Grayson, en coma, apparemment. J’ai visité mon cousin à tous les jours depuis sa tentative. Je ne savais pas trop quoi en penser… mais j’étais sous le choc, ça vous pouvez en être sûre. J’ai toujours été près d’eux et je n’aurais jamais imaginé que Yannie sois malade, loin de là… et Grayson… il a voulu mettre fin à ses jours en trouvant son frère dans un piteux état. Mais moi, là-dedans, je vivais sans me soucier d’eux… Je n’aurais, sincèrement, jamais cru qu’il pouvait me cacher une telle chose. J’aurais pu au moins épargnée le sort de Gray’… ou du moins j’aurais essayé. Il m’aurait eu moi, malgré que je ne remplacerai jamais Yannie.

Je me suis rendue à l’hôpital avec Damian… durant le trajet, je préservais ma langue que pour moi. Je n’avais rien dit depuis ces trois jours… j’ai dû oublier comment parler. Je ne faisais que pleurer tout le temps et je mangeais à peine… Mes seuls amis étaient mes cousins, et Dam. Ils étaient tout pour moi et je ne pouvais pas les laisser partir… pas comme ça. Une fois à l’arrêt, nous avions débarqués du bus et nous nous sommes rendus à leur chambre, car ils partageaient la même. Je me suis tout simplement assise là, près d’eux. Yannie dormait paisiblement, les infirmières nous ont dit d’éviter de faire trop de bruit car il avait besoin de repos…

Après une dizaine de minutes, mon cousin le plus jeune ouvrit les yeux. Je lui souris, instantanément et m’avançait un peu plus au bout de ma chaise, intéressée. Il semblait balayer la pièce du regard, en cherchant quelque chose, ou quelqu’un. Il ne s’intéressait pas à notre présence… mais à celle de Grayson. Gray... ? Je mis ma main sur la sienne en tentant de le calmer, ou le rassurer. Il... Il est où ?

En voyant ses yeux pétillants, j’ai compris qu’il savait peut-être ce qu’il s’était passé, mais qu’il aurait souhaité ne pas savoir. Je lui pointais le lit à côté de lui et me pinçais les lèvres…

Grayson... il dort.

J’ouvris les yeux difficilement ce matin. Ma tête me faisait mal, et je sentais clairement que mon foie hurlait à l’intérieur de mon corps pour me supplier d’arrêter de boire. Okay, ça voulait dire que j’étais de nouveau sobre et qu’il fallait que je prenne une bière au plus vite pour faire taire la douleur. Ces derniers jours avaient été les plus déphasés de ma vie, je ne savais même pas si on était le week-end ou un Mardi de semaine, mais en tout cas j’avais pris congé parce que vu ce qui venait d’arriver… je ne pouvais pas travailler. C’est Emily-Ann qui était venue me réveiller aujourd’hui, et en guise de « bonjour », je lui offris un grognement avant de rouler sur le dos pour me rendre compte que j’étais couché sur le tapis de l’entrée. Mes deux « meilleurs amis-frangins-fils » venaient de se faire envoyer d’urgence à l’hosto parce que sinon, ils n’auraient aucune chance de s’en sortir. Bon sang, je savais que Yannie finirait par claquer, mais pas si vite… j’avais pas envie qu’il crève, ça ne me donnait même pas la foi d’aller sur son lit après, je me sentirais mal. Et Gray qui se jette du balcon. Mes yeux se sont d’ailleurs dirigés vers la porte-fenêtre qui y menait et je l’imaginais, là, à passer par-dessus la rambarde pour se foutre en l’air. J’étais arrivé trop tard. J’étais. Arrivé. Trop. Tard.

Mon regard clair resta stupidement figé au même endroit pendant une dizaine de minutes, mais j’avais trop mal, il fallait que je boive un thé ou quelque chose de sain pour atténuer le mal de ventre, alors je me suis finalement levé en récupérant le saladier posé sur le sol dans lequel j’avais vomis cette nuit. Today, je rendais visite aux Langlois avec Bonnie, il fallait donc que je sois présentable, et à jeun. Je ne pensais pas que ces événements allaient m’affecter autant, mais là je me rendais vraiment compte que j’étais suffisamment faible mentalement pour sombrer dans l’alcoolisme lorsque quelque chose me touchait au coeur. Il fallait que je remédie à ça, mais c’était difficile de le faire quand plus personne ne croyait en moi dans ma famille et que ouais, dans le fond, je me sentais comme une merde qui n’arriverait à rien. Même pas à rentrer à l’appart pour éviter à son pote de se jeter en bas de l’immeuble.

Après un passage à la salle de bain pour vider le contenu du récipient dégueulasse, je me suis lavé, puis rasé en me coupant parce que je voyais plus rien. Dans mon état, les lentilles de contact me faisaient trop mal, il fallait que je mette mes lunettes. Mais je savais pas où elle étaient, je les chercherais après. Bref, on ne va pas raconter tout ce qui s’est passé avant que je retrouve Bonnie pour prendre le bus, mais j’me suis vraiment senti comme le dernier des déchets de la ville, et je voulais retrouver Yannie et Gray pour parler de nouveau avec eux. Le whisky m’avait d’ailleurs fait mélanger 3 langues ces derniers jours, j’étais devenu incompréhensible pour la fille qui vivait avec nous tout comme pour les gens dans la rue, mais je m’en foutais. Heureusement que Bonnie n’avait pas cherché à engager la conversation, parce qu’on aurait eu du mal à communiquer. Durant le trajet, j’ai néanmoins gardé les yeux posés sur elle avec attention. Elle avait les traits du visage tirés, je n’aimais pas la voir comme ça. Alors tout ce que j’ai pu faire pour la réconforter un peu, c’est lui offrir mon épaule et passer un bras derrière les siennes.

Une fois dans la chambre où dormaient les deux frères, on a attendu patiemment qu’il se passe quelque chose, ou qu’il se passe rien, mais on a attendu quand même. J’avais mal à la tête. Encore. Et puis Yannie a ouvert les paupières. En voyant ça, juste ça, une immense chaleur prit place dans ma poitrine et je m’approchais de son lit à la suite de la jeune femme en ma compagnie. Ouf, il était vivant… il avait pas l’air content et appelait son frangin, mais il était vivant. Grayson était dans un sale état, c’était un miracle qu’ils aient réussi à stabiliser son état, et quand j’avais quelques instants de lucidité entre deux beuveries, je remerciais Dieu, n’importe lequel que ce soit, d’avoir sauvé ce mec. Un sourire s’afficha sur mon visage.

He’s gonna wake up soon. No worries, bro‘

Je me suis un peu reculé pour laisser la possibilité à Yannie de voir son frère dans un lit entouré de moniteurs. Et non, mon cerveau n’avait pas remit la langue par défaut sous « français ». Je pouvais bien faire semblant d’être en état de gérer la situation, mais c’est le genre de détails qui me trahissaient à chaque fois que je déconnais avec la boisson.

Les choses deviennent de plus en plus claires. J'ai l'impression d'être un légume, de ne rien comprendre, mais tout s'éclaircit si rapidement. Bonnie s'était approchée de moi, posant sa main contre la mienne en répondant à la question à laquelle je ne voulais peut-être pas de réponse, finalement. J'aurais préféré rester légume que de comprendre peu à peu ce qui était arrivé à mon frère. Ce n'était pas encore tout à fait clair, mais lorsque ma cousine m'avait pointé le mec qui était dans le lit tout juste à côté de moi .. « Grayson... il dort. » Il dort? Je tourna lentement la tête vers le deuxième lit. Ça avait prit une éternité, faut pas croire que j'allais me mettre à bouger comme les filles dans les publicités de fitness à la télé. J'étais si idiot et si.. Endormi.. Que j'ai réellement cru pendant au moins une longue minute que mon frère dormait vraiment. Cependant, je savais bien que mon frère n'avait pas besoin de dormir avec dix million cent cinquante mille fils branchés à lui, et c'est probablement ce qui m'avait fait réalisé qu'au fond, Grayson était dans le même état que moi, si ce n'était pas pire, à en voir son visage. Et comment avait-il pu se mettre dans un état pareil au même moment que moi? C'était comme si le hamster habitant mon cerveau refusait de courir, le lâcheeee. Je refusais de croire que mon frère avait pu faire une telle chose. Je refusais de croire que mon frère avait tenté de s'enlever la chose à laquelle j'aurais payé n'importe quel prix pour l'avoir plus longtemps. Mais .. « Il .. » Je n'avais pas la force de continuer, car au fond, je savais ce qui s'était passé. Il fallait que je sois innocent sur tous les aspects de ma vie, mais on sait bien, il fallait absolument que je devine tout de suite ce qui s'était passé avec mon frère. Sarcasme. J'aurais aimé ne jamais savoir. Par ma faute, il allait peut-être perdre la vie. « Il a tenté de .. » J'arrivais toujours pas à le croire. Je croyais que notre relation était déjà plus que forte, mais là, je n'avais même pas les mots pour décrire ce que c'était. J'avais toujours les larmes aux yeux. J'étais Chuck Norris, j'étais bien capable de ne pas laisser tomber ne serait-ce qu'une seule larme de cet œil. Mon regard se détourna de celui de ma presque-soeur pour se diriger vers mon colocataire. Il souriait. « He’s gonna wake up soon. No worries, bro'. » J'avais toujours eu tendance à trouver ce mec idiot pour aucune raison. Simplement parce que je ne m'étais jamais fait à l'idée qu'il habite soudainement avec nous, comme Emily-Ann, bien qu'au fond, j'adorais ces deux personnes. Je ne m'étais jamais montré super ultra sympa avec lui. Eh pourtant. Il était là, accompagnant Bonnie, avec le sourire au visage et ça me remontait vraiment le moral, ça me rassurait. Je crois que les choses allaient changer, maintenant. Il avait tellement fait de truc pour nous deux.. Je soupçonnais d'ailleurs qu'il y était pour quelque chose si mon frère était encore vivant à mes côtés. J'allais lui être redevable jusqu'à la fin de mes jours, pour ça. Et puis.. Sans savoir pourquoi .. « Merci. » Merci, l'enculé. Merci. Je regardais de nouveau ma cousine, tentant de faire mon premier semblant de sourire depuis mon réveil.