Quatre ans que je me balade dans Paris. Je suis arrivé vers mes vingt-deux ans dans le but ultime de changer d'air, d'environnement, de pays. Aimant par-dessus tout l'Europe, j'ai simplement quitté mon pays d'origine l'Allemagne, pour atteindre le tout autant sublime territoire de la France. J'ai choisi comme destination Paris, car étant adolescent, je regardais et m'informais souvent dans des livres sur des villes d'Europe, et j'avais noté les principales, exigeant qu'un jour, j'irais toutes les visiter. Heureusement pour moi, j'avais déjà vu à quoi pouvait bien ressembler Paris, sans pourtant y connaître les moindres recoins, mais je savais au moins de quoi ça avait l'air. D'un côté, je ne me serais certainement pas aventuré dans Paris si je ne m'y étais pas intéressé un minimum. Le Destin m'ayant arraché les yeux, à quoi bon venir à Paris si nous ne pouvons profiter de ses sublimes bâtiments de notre vision ? Néanmoins, quand un proche m'emmène dans un lieu historique, je connais déjà son existence et vois comment ça apparaît aux yeux des autres, alors c'est différent. C'est comme si j'avais un scanner dans ma tête et que j'avais tout imprimé. Parfois, je m'y crois réellement, j'ai l'impression d'avoir retrouvé la vue. Néanmoins, les passants me remettent souvent dans la triste réalité de la vie : je suis aveugle et je ne peux rien y faire. Si vous voulez tout savoir, j'étais un délinquant encore jeune adulte. Les soirées, la cigarette, c'était mon univers. Je sortais souvent, il m'arrivait même de consommer quelques joints. J'avais un gang en Allemagne, un gang frappant tout ceux qui méritaient d'être buttés, selon nous. Souvent, nous nous battions contre des skinheads et il fallait avouer, qu'ils avaient tout pour être puissants. C'est un d'eux qui m'a rendu atrocement aveugle. Il a fallu deux coups de couteau, du sang, beaucoup de sang. Une ambulance, direction hôpital. Ce connard m'avait crevé les yeux. Pourtant, même si mon insulte pourrait certifier le contraire, je n'éprouvais aucune rancune. Il avait ses idées, j'avais les miennes, nous luttions contre. Il avait montré qu'il était le plus fort, très bien. Selon moi, ce n'est ni notre bagarre qui a provoqué mon aveuglement, mais plutôt le Destin qui a souhaité que je me batte contre quelque chose, que je lutte même avec cette dure épreuve infligée par la vie. Parfois, il m'arrive de dire que c'est injuste, néanmoins cela m'a permis de me transformer entièrement, et je me dis que ce n'est pas plus mal que ce soit moi qui ait enduré cette souffrance plutôt qu'un autre. J'en avais besoin, je crois. Alors je me dis toujours que la vie a voulu ça, afin que je me change ou prenne conscience que je n'étais qu'un con. Qu'il était temps. C'est pour cela qu'après cette annonce que je ne pourrais retrouver la vue, j'ai déménagé directement à Paris. Comme dit précédemment, pour changer d'air. Je ne me voyais plus rester à Berlin, cela me paraissait impossible. Bien que j'adore totalement cette ville et y ait vécu de nombreux souvenirs aussi joyeux les uns que les autres, je devais aller autre part. De plus, j'en avais envie, car ça signifiait la concrétisation d'un rêve encore inachevé. Faire le tour du monde, plus particulièrement l'Europe. Je n'en avais déjà traversé des pays et villes, mais Paris, ne voulant y rester qu'au début un an, m'a réellement plu, raison pour laquelle j'y suis encore depuis quatre ans. Peut-être qu'un jour, mon rêve reviendra et que je voudrais à nouveau l'exaucer, certainement.

Avant d'arriver à Paris, j'étais cet étudiant artiste. Peintre non-reconnu, je m'amusais à assembler les couleurs, en faisant de mon œuvre, quelque chose d'abstrait. Je suivais également des études afin de devenir architecte d'intérieur. J'étais aussi ce garçon qui se préoccupait plus du nombre de filles qu'il avait sauté dans une seule soirée, émettant d'ailleurs quelques paris entre amis, plutôt qu'aux filles elles-même. J'avais de bons goûts et je n'avais aucune difficulté à me faire les plus belles, les plus sexys ; celles que je souhaitais d'un regard désireux. Leur adressant une simple phrase, elle craquait déjà devant mon physique m'ayant bel et bien avantagé à l'époque. Maintenant, j'avais beau être toujours beau, un type beau et aveugle, ça n'intéressait évidemment personne. C'est ça qui me manque, de ne pas pouvoir observer leur forme, que ce soit de loin ou de près. Je ne pouvais apercevoir personne. Je n'avais plus qu'en ma possession, afin de pouvoir me satisfaire moi-même, des images troubles de filles sexys. C'était loin d'être suffisant, avant. Puis, je me suis finalement habitué de ne plus coucher avec ces femmes tous les soirs. J'étais le bad boy du siècle, celui qui les faisait craquer, flancher à mes pieds. Et ça a bien changé. Je suis désormais un bon, d'après les filles. Le gars parfait. L'homme un tant soit peu romantique, très attentionné, pas râleur et horriblement courageux même après tout ce qui a pu lui arriver. Elles m'aiment toutes parce que je suis un gentil garçon, un petit ange, ne connaissant pas mon passé ni ma précédente réputation, je suis le bon copain, l'homme parfait inaccessible. D'une façon, j'arrive encore à les faire baver. Pourtant, j'ai changé. Je suis clairement ce qu'elles disent ou pensent de moi. Certainement pas l'homme parfait, mais le gentil garçon s'était bien calmé depuis cet accident. Je tiens à ma vie, tout de même. Une fois les yeux, la prochaine sera atteindre mon cœur. Je profite de la vie, tout simplement. Certes pas comme je le voudrais, car l'absence de mes yeux m'empêchent d'être à tout jamais heureux, le sourire aux lèvres. Mais j'ai appris à m'y habituer, j'ai appris à vivre avec et c'est l'essentiel. Aussi, je crois que si je suis resté en vie, c'est grâce en partie à la musique. Les touches de piano et les cordes de ma guitare m'ont permis de sortir de ce gouffre paraissant pourtant sans sorties. J'avais appris à jouer de ces deux instruments lors de mon adolescence, vers mes quinze ans et heureusement que je m'intéressais à beaucoup de choses à cet âge-là, heureusement. Je savais donc, où se trouvaient l'endroit cherché pour jouer telle ou telle note. Je suis désormais un pianiste pas trop mauvais, quelques fois guitariste, jouant pour gagner de l'argent dans des bars peu fréquentés. La musique est loin d'être une passion, c'est simplement considéré à mes yeux -ahaha- comme une bénédiction, la sortie de mon emprisonnement d'une tristesse m'étant paru comme continuelle, immortelle. J'étais triste, au début, d'être aveugle. Et petit à petit, je suis devenu pianiste, j'ai changé, transformé. Qu'importe les rêves que je pouvais bien avoir, tout est désormais différent. Je suis encore un peu nostalgique de l'époque de mon entrée dans le monde adulte, quand je pouvais encore peindre des filles nues, des paysages, des choses aussi sublimes que les autres. J'aimais bien mon pinceau et il m'arrive quelque fois de le presser contre ma poitrine et de me dire "Merde, Ainsworth, tu es Peter Pan, mec. Peter Pan. Rêve, croit et vit. Fais pas chier, ta vie est belle, quand même". Et alors, je tente de peindre encore, ne sachant quel résultat obtenu sur la toile. Un jour, je les montrerais à quelqu'un, car ils sont encore cachés dans ma demeure. Un jour, peut-être me dira t-on "Vos toiles sont magnifiques, Peter. Vous êtes aveugles et pourtant, c'est comme si vous voyez encore." Et là, oui là, c'est comme si l'espoir encore dans mon petit coeur avait fonctionné. Comme si le réel Peter Pan avait envoyé sa petite fée clochette pour me permettre d'avoir cette force. Comme si, j'avais encore mes yeux.