/ Sinon tu penseras à me virer ta bouteille et à t'occuper un peu de moi ? / Là, c'est le moment où j'émerge d'un sommeil semi-comateux et me demande qu'est ce que cette salope fait encore dans ma piaule. J'émets un grognement, signe que je ne suis que peu disposé à répondre. La jeune femme ne semble pas comprendre et, à califourchon sur mon bas-ventre, lève la main sur ma belle gueule. Elle me tapote la joue avec douceur. Moi, j'ai l'impression qu'on m'explose le crâne avec une batte de baseball. /baseball... Joli mot, faut bien l'avouer/ Nouveau grognement - de douleur cette fois - et c'est sans la moindre délicatesse que je vire l'inconnue, confortablement installée sur mes hanches. Elle m'observe alors avec une colère mêlée d'incompréhension. J'enfile un jean, m'empare de celui de la jeune femme, y déniche un billet de cinquante euros et lui jette finalement en pleine gueule.

/ Dégage. / Je ne prends même pas la peine de la regarder et préfère fouiller dans mes poches à la recherche d'un briquet. Une cigarette, sagement coincée entre mes lèvres, attends que je l'allume. Toutes les mêmes ces demoiselles. / T'as vraiment cru que j'allais partir ? / Là, je lève les yeux dans sa direction. Regard embrumé. Je me rends compte que le prénom de cette jeune femme a déserté le répertoire de mes pensées. Je l'ignore de nouveau. / J'en suis sûr même. Dégage de ma piaule. / Le ton est mauvais. Fort heureusement, demoiselle Nicotine est là pour apaiser mes nerfs. / Rends-moi mes tunes, t'étais loin d'être à la hauteur. / Ben bien sûr ! Et tu ne veux pas non plus que je finisse ce que j'ai commencé non plus ? T'avais juste assez pour les prélo ma belle, pour le reste, va falloir allonger la monnaie. / C'est ça. Grouille, tu vas être en retard à ton cours de lettres. / Hypocrite ? Moi ? Pas le moins du monde ! Je me soucis simplement de l'avenir de mes élèves. / Toi aussi. / Mais putain, elle était en mode chiante ce matin la belle blonde ? La pression commence à monter gentiment et, conscient de pouvoir exploser d'un moment à l'autre, je la presse vers la sortie. / Sauf que moi, j'en ai tout à fait le droit. Allez dégage. /J'ouvre la porte avec un sourire sarcastique. / Pfff, pute va ! / Elle a pas tort cette petite. Je suis prof, je me tape mes élèves et en plus, je les fais payer. Z'ont pas l'air de comprendre qu'une gueule comme la mienne, c'est pas gratis. Quant au reste, encore moins.

Une fois débarrassé de la joli blonde qui a - essayé - de combler ma solitude, je porte le goulot de ma bouteille de rhum à mes lèvres pour constater qu'elle n'a pas fait plus long feu que ses paires. J'abandonne la bouteille vide par terre et cherche de quoi me désaltérer. Rêve pas Jaz, t'as passé la nuit la tête dans les vapeurs d'alcool, peu de chance qu'il te reste de quoi combler ton manque. Finalement, j'enfile une chemise et sors de chez moi, essayant difficilement de ne pas oublier un bouton.

Et c'est à cet instant précis qu'on se demande comment un homme comme Jaz - intelligent, charismatique et plein aux as - est devenu ce qu'il est, c'est à dire accro au rhum, à l'héro et à la baise. Là est le problème... C'est justement à cause du rhum, de l'héro et de la baise qu'il est devenu ce qu'il est et non pas un professeur de renom que les plus grandes universités du continent s'arracheraient. Jaz on se l'arrache, mais pas tout à fait pour les mêmes raisons, si vous voyez ce que je veux dire... Oui, si cet homme - pour le moins détestable, il faut bien l'avouer - n'est pas devenu quelqu'un de respectable, c'est certainement parce qu'il est un peu trop porté sur le vice. Et avec ça, sa personnalité - déjà dérangée - possède une légère tendance à se dédoubler, ce qui n'arrange en rien la situation. A l'origine de sa vie, il avait pourtant tout pour plaire.

Né à Glasgow en Écosse, il y a de ça vingt-neuf ans - bientôt trente, mais ça faut pas le lui dire, ça le rend malade ! - les origines de cet homme sont quelque peu démembrées. Français par-ci, amérindien et anglais par-là et même canadien, il serait plutôt long et compliqué de retracer les origines de la famille Riqqueti. Sans compter qu'on s'en fou profondément, l'acteur principal de cette histoire étant bien plus intéressant que tout le reste (ouais ouais, ça va les chevilles, merci). Son père, chirurgien de profession, tenta d'inculquer à ses deux garçons, vertu et principes. Pour l'un d'eux, ça a bien foiré. Inutile de préciser lequel. De là, que pourrions-nous bien ajouter de plus ? Voilà ce qu'est cet homme. Il n'est rien d'autre qu'un prof tant ennuyé qu'ennuyeux ; prof sarcastique souvent sensible au charme de ses élèves ; prof drogué dont l'histoire ne se limite qu'au présent. Oh oui, Jaz est peut être un individu psychologiquement intéressant, mais pour le reste, il est inutile de s'attarder sur les mots. Cet homme est un pourri. Un pourri attachant, mais un pourri quand même. Le pire ? Absolument rien dans son passé ne peux expliquer le comportement qu'il adopte désormais chaque jour qui lui est offert.