Je ne la connaissais même pas, c’était une fille silencieuse qui adorait son bureau et je le sais parce qu’elle le fixait tout le temps de son regard morne et vide. Parfois, elle levait la tête vers moi, comme si elle ne voyait que moi et là franchement ça me faisait mal au cœur parce que j’étais témoin de son mal-être. Parfois aussi, elle ouvrait sa gueule, mais elle ne disait jamais rien d’inutile, ses paroles étaient sensées et teintées du bon sens qui me manquait. C’était une fille rare et vraie. Là tu vas me dire que je n’étais qu’un sale gosse amoureux, mais c’est pas vrai ça ; j’étais un sale gosse mais je n’étais pas amoureux, j’avais d’autre chose à faire que de bander sur une poupée vivante, qu’est-ce que tu crois. Pour tout te dire, cette fille était spéciale parce qu’elle ne parlait pas dès que l’occasion lui en était donnée.

Je ne sais pas comment ni pourquoi l’univers s’est retourné contre moi. Un matin, je me suis réveillé, je suis parti à mes cours la rage au ventre à l’idée de me conformer et puis c’est là que le miracle s’est produit, sur un trottoir blanc. On s’est mis à se raconter nos vies ennuyeuses. On faisait comme si on était devenu les meilleurs amis du monde. Pourtant, dès que les grilles du collège se dressaient devant nous, elle m’ignorait comme une pute pas payée et moi je partais voir mes potes en me la pétant.

Une fille bizarre, je te dis. Pas étrange. Bizarre. Bizarre comme bisexuelle. Les rumeurs se sont ruées sur les rudes écoliers. C’était une fille mutilée, désertée, mais pour ce qui était de ses amours, ah ça c’est un peu le néant tu vois. Elle était mariée aux murs et aux espaces clos, aux prisons dorés et aux câlins imaginaires. Et pourtant même si elle était bizarre, moi je l’aimais. Moi, je l’aimais comme la clope du matin, comme la première jouissance. Je l’aimais même si elle nageait dans le brouillard et la merde, je l’aimais putain.

alors ce matin le cadavre qui va arrêter de pourrir était sa jumelle il n’y a pas de doute possible une jumelle des bas-fonds parisiens qui puait la mort j’ai alors compris que ça ne pouvait pas être elle en matant ses seins pour des raisons professionnelles parce que la fille la vraie fille si tu me suis bien les siens ne ressemblaient pas à une paire de jupiter non ils ressemblaient plutôt à une paire de pluton même si ce con de pluton n’est plus considéré comme une vraie planète je m’en fous c’était une planète dans mon temps et voilà c’est comme ça donc là merde j’ai réalisé que ma future poupée n’est pas la vraie fille c’était un imposteur et j’ai été démoli et j’ai eu envie de pleurer parce que cette fille qui avait envie de baiser son bureau il y a cent ans de cela eh bien elle n’était pas encore morte et elle vivait encore et elle était loin de moi je l’avais perdue de vue j’ai été con de l’avoir laissée partir et j’en ai eu marre de la vie j’ai eu envie de me trancher les veines pour me punir parce que je puais j’étais con je l’ai dit ça oh puis au pire on s’en branle les couilles si vous avez vu la fille appelez-moi à ce numéro quoi attends tu croyais sincèrement que j’allais te le donner non mais tu rêves t’es un putain de rêveur bref passe-moi le couteau qui est à ta droite non imbécile l’autre droite ouais voilà donne-moi le joli instrument qui brille comme un bijou et tu vois je l’approche de mon avant-bras et oh surprise je ne me coupe pas les veines comme j’avais dit parce que j’ai autre chose à faire en ce beau matin merdique que pisser le sang et crever bêtement entre autres rendre ce cadavre présentable pour sa famille et ses amis qui viendront pleurer comme des madeleines dans quelques jours donc je me mets au travail et j’arrête de penser comme un philosophe raté. (longue respiration)

J’ai revu la fille. Malgré moi. Elle était aux funérailles de la guenon d’il y a quelques jours. C’est la sœur aînée de la fille, en fait, tu vois. Quelle coïncidence. Je ne l’ai pas revue depuis des années et voilà qu’elle débarque de nulle part. Elle vient d’atterrir sur ma planète. Le salon funéraire, c’est ma planète, ouais, c’est mon jardin d’Eden. Je m’y sens bien. J’aime les visages endeuillés, les mines tristes. Les visages d’enterrement, comme on dit. Je me complais dans ce désespoir commun, j’y ai ma place. Les obsèques ont duré quelques jours. La fille n’a pas versé une larme. Une tierce personne sauterait immédiatement aux conclusions, affirmerait que c’est une actrice douée, qu’elle est encore sous le choc… Mais ce n’est pas vrai, la fille n’est pas comme ça. Elle encaisse. Elle est forte. Elle est muette, aussi. Encore. Sauf pour exprimer des nécessités de la vie courante. Je l’admire, pour ça. J’ai cru comprendre parmi les rumeurs planant dans la salle que c’est elle qui hérite de la fortune. Les parents sont morts depuis longtemps, la famille proche n’est pas assez proche justement et les amis de la défunte ne sont pas assez importants pour être cités dans le testament. La fille ne sera plus qu’une fille, ce sera une fille riche. Je ne l’envie pas, tout le monde convoitera son porte-monnaie. Je ne crois pas que je reverrai la fille de sitôt. Elle semble n’apparaître que dans les banalités et les tragédies humaines. Elle gravite autour de ces deux pôles. Ma vie n’étant ni banale, ni tragique, il n’y a pas lieu d’espérer. Mais, je ne sais pas. Je suis encore un enfant coincé. Je ne sais rien.  

Et alors, qu'est-ce qui t’arrive ? C'est l'inspiration qui n'est plus au rendez-vous ? C'est mal, vraiment, c'est mal, ça mérite limite une punition N'empêche on est cool, regarde, on vient même te prévenir à l'avance. il te reste donc plus qu'un jour pour finir ta fiche. Si c'est une question de temps, n'hésite surtout pas à nous demander un délai supplémentaire, on t'en accordera un avec plaisir. Si jamais au bout de deux jours nous n'avons pas de réponse, nous serons dans l'obligation d'archiver ta fiche et de supprimer ton compte. C'est triste non ? Alors manifestes toi. Allez courage, on sait que tu peux le faire. N'hésite pas à contacter le staff si tu as d'autres questions.