Sujet: regarder les filles pleurer. (natasha) Dim 2 Juin - 16:11
Mais faut pas croire tu sais Moi j’suis pas méchant J’ai juste l’air maladroit Je sais juste pas comment, faut leur parler aux filles.
Paris commence à se réveiller ou s’apprête à rejoindre les bras de Morphée, tout dépend de votre point de vue. C’est d’autant plus beau que Paris qui s’alcoolise une fois le soleil disparu, même si les jeunes rient d’ivresse sur les pavés. Il n’y a pas foule dans la rue : pas de touristes, pas d’employés impatients dans leur voiture la main non loin du klaxon. Il n’y a que quelques fêtards sur le chemin du retour, quelques livreurs et toi. Toi, tu as arpenté les rues de la capitale toute la nuit, attendant de croiser quelque chose ou quelqu’un qui attire ton regard. Ton intérêt. Tu n’as pas vraiment trouvé ton bonheur cette nuit. Alors tu as continué d’errer comme une âme en peine, en attendant que les premiers métros circulent pour rentrer dans ta banlieue. Paris est uniquement ton terrain de jeu préféré.
Alors que tu es sur le point de traverser pour rejoindre la bouche de métro la plus proche, tu croises la route de cette brune, du moins c’est ton regard qui tombe sur elle, par pure inadvertance. Une fille qui semble triste au petit matin, habillée de cette façon. Quand bien même il faut éviter de faire des conclusions hâtives, tu as une vague idée de la raison de sa présence. Tu n’as jamais compris pourquoi des hommes trouvaient bon de payer pour de la compagnie, que ce soit dans un lit ou dans une soirée. Tu ne comprends pas le plaisir qu’il y dans ce chantage, cette bonne et simple manipulation. T’es bien trop loin de ce monde, naïf, enfantin sur les bords. Depuis que tu es parti de chez tes parents, tu n’as pas cessé de t’auto-préserver de ces conneries. En attendant, tu la fixes de bonnes minutes. Assez pour ne pas avoir remarqué que le feu était vert pour que tu traverses enfin. Elle non plus, elle n’a pas bougé. Tu ne saurais dire si elle est jolie. Mais il y a quelque chose chez elle. Dans son regard. Dans les traits de son visage. Du vécu, certainement. Des émotions. Qui sait... Toi et tous ces mots, c’est loin de ne faire qu’un.
Ton visage est dorénavant caché derrière ton appareil et son objectif. Pas question que tu la laisses s’en aller ainsi, telle une fugitive. Photo volée, peu importe : elle est ta muse de ce petit matin. Mais il faut croire que la jeune femme en a décidé autrement.
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Sujet: Re: regarder les filles pleurer. (natasha) Sam 8 Juin - 9:46
And I don't want to see what I've seen To undo what has been done Turn off all the lights Let the morning come, come
L'aube ne s'est pas encore levée, sur l'horizon, mais je m'en fiche. Tout ce que je veux, moi, c'est partir, vite. Je pleure, j'ai mal. C'était une brute, ce soir, un véritable vieux porc repoussant et abject au discours pervers et aux tendances cruelles. Il empestait l'alcool et le fromage, et chaque fois que ses mains grasses s'étaient posées sur moi, je n'avais qu'une envie : fuir. Mais je n'ai pas le droit de fuir, et les hommes ne peuvent pas, eux, tous être comme Schmitt. Schmitt, au moins, il est doux ... Il essaie d'être agréable. Ceux là n'essaient même pas. Ils sont là pour sauter sur tout ce qui bouge, et lorsque ce qui bouge n'est pas à leur portée - ce qui est souvent le cas, je vous laisse deviner pourquoi - ils se rabattent sur celles qui n'ont pas le choix. Celles qui sont payées pour ça, et ne peuvent pas refuser. Moi, en tous les cas, je ne peux pas refuser. Ce n'est pas mon avis, qu'on me demande : c'est des ordres qu'on me donne. Et contrainte de m'y plier, j'y étais allée, chez García, et rien que sur les marches menant à sa porte d'entrée, un sentiment de malaise appréhensif s'était emparé de moi, et à juste titre. Ce que je vis derrière la porte aurait pu m'effrayer de terreur si je n'avais pas été habituée à de tels visages avec le temps.
J'étais sienne, la durée d'une nuit. Parfois, je m'endormais, après, tentant de me reposer, un peu ... Mais pas cette nuit. Je ne pouvais, et ne voulais pas me reposer. J'étais encore horrifiée par ce que je venais de vivre. J'avais tellement mal que je savais que marcher à heure pareille serait du suicide ; mais je suis folle, donc je suis partie. J'ai le droit de partir, dès que c'est fini. Parfois, je reste, parce que je suis trop fatiguée et que je n'ai pas peur. Là, j'étais terrorisée par cet homme. Il m'avait fait des choses que je détestais qu'on me fasse, et rester avec lui, inconsciente, aurait pu l'inciter à m'en faire davantage, cette fois-ci sans mon accord ... Pas que j'avais accepté en premier lieu, hein, mais vous me comprenez.
Je marche donc dans la rue, mais ça fait mal, vraiment. Plus que d'habitude. J'aurais presque l'impression d'avoir été mutilée, pour tout vous avouer. Lacérée à coups de dague. Je continue, pourtant, de marcher. Je dois vraiment être folle, et je parie que je serais en sang, tant j'ai mal, quand j'arriverais chez le patron ... Si j'arrive à marcher jusque là bas. Le métro. Il me faut un métro, il faut que je rentre, que je m'allonge ... Il faut que j'oublie. Que je me décrispes, et que la douleur meure. Mais là, c'est impossible, en ce moment. Donc je marche plus vite, cette seule idée me soulageant assez pour me permettre d'aligner un pied devant l'autre.
Je suis à moitié nue, moi. Un décolleté, pas de manches. Un pantalon assez moulant pour me faire davantage mal et en laisser tout de même peu à l'imagination. J'étais contente, cependant, que le patron ne me mettait pas de rouge à lèvres dit "pute" et ne me force pas à porter de minijupes. Il avait compris, lui ... Il avait compris qu'une dame qui avait l'air d'une personne à peu près respectable aurait davantage de succès. Donc mes jambes, elles sont couvertes. Ce n'est que lorsque des clients ont leurs réclamations spécifiques qu'il me met, à contre coeur, une fourrure en guise de manteau. Il sait ce qu'il peut arriver aux filles habillées de manière ostentatoire, dans les rues de Paris ... Et je lui ai fait gagner assez d'argent dans sa vie pour qu'il n'ait pas envie que je m'ajoute à leur nombre.
Il y a un feu, et je traverse. De l'autre côté, il y a un garçon, et il me regarde, je crois. Je sais pas, je commence à voir flou, les larmes se mettant en plein dans mon champ de vision et la douleur m'aveuglant à moitié. Je marche, aveuglement dans la nuit, perdue, sans vraiment savoir comment j'allais faire, pour rentrer ... Ah non, ce n'est plus la nuit. L'aube avait déjà commencé, suis-je bête. Toujours est-il que je parviens à traverser une moitié des clous ... Il me prend en photo, je crois, et je n'ai pas la force de dissimuler mon visage derrière mes mains. Puis, je me sens traînée vers le sol, mes jambes lâchent, et je sens mon poids tomber vers le sol à accélération gravitationnelle. Je perds connaissance. Noir.
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Sujet: Re: regarder les filles pleurer. (natasha) Ven 21 Juin - 18:54
Mais faut pas croire tu sais Moi j’suis pas méchant J’ai juste l’air maladroit Je sais juste pas comment, faut leur parler aux filles.
Quand les gens tournent la tête et s’aperçoivent que tu es sur le point de voler une photo d’eux, il y a deux options : ils prennent la fuite ou ils prennent la pause. Enfin pause… C’est un bien grand mot. C’est laid, superficiel, artificiel : « kikoo » très souvent. Tu détestes cette catégorie de personne. C’est certainement pour cela que tu prends les portraits par surprise : pour la beauté du côté naturel. Ou que tu évites d’en prendre. Raison pour laquelle, également, tu ne travailles que très rarement pour des magazines. Il faudrait vraiment que tu sois à deux doigts de te retrouver à la rue pour accepter un tel contrat. En attendant, les gens ne tournent pas souvent la tête comme cette fille. Sa façon de se mouvoir n’a pas de détails particuliers. Justement, elle ne fait rien de particulier. Elle se tourne. Et puis… Et puis, il te faut du temps pour comprendre que ça ne va pas, qu’elle ne va pas bien. Toujours du retard au compteur, pauvre Winston.
La brunette flanche et les gens continuent de se rendre au travail ou de rentrer chez eux. Comme si de rien n’était. Tête haute. Yeux et esprit embrumés. C’est beau la mentalité franco-parisienne. Toi, t’es toujours de l’autre côté du trottoir. Abasourdi. Stoïque. Amorphe. Une seconde. Deux secondes. Trois secondes. […] Dix secondes. Tu traverses le passage, sans vraiment prendre le temps de jeter un coup d’œil de part et d’autre de la rue, alors qu’une voiture est sur le point de griller le feu rouge. Tu accélères le pas pour éviter l’accident. Il ne manquerait plus que cela : tu vas t’assurer qu’elle ne soit pas trop mal, à défaut de vérifier qu’elle est toujours vivante, et tu finis renversé sur l’asphalte frais du matin.
Le pas est léger, félin. Une fois à ses côtés, tu poses délicatement ton appareil au dessus de sa tête. Tu clignes des yeux. Malheureusement, on ne t’a jamais appris quoi faire dans une telle situation. Tu poses sa main sur son front, sait-on jamais, mais pas de fièvre à priori. « Mademoiselle ? » Un murmure, mais pas de réponse, ni même de réaction, de sa part. Elle reste inerte, blanche comme neige. Contraste flagrant avec le sol. Il ne faut tout de même pas donner une petite tape sur sa joue, si ? C’est bien quelque chose dont tu serais incapable, sauf si tu es certain qu’il s’agit du geste qu’il lui sauvera la vie ou quelque chose du genre. Alors tu te contentes de lui caresser doucement son visage et de continuer à lui parler. « Vous allez bien mademoiselle ? » Rien. Merde. Tu te mords la lèvre et passe tes doigts sur ta barbe naissante. Et toujours personne pour vous aider. Ni une, ni deux, tu la prends dans tes bras et récupères ton appareil photo. C’est ainsi que tu te balades dans le jardin des Tuileries, de bon matin, avec une jeune femme de joie, inconsciente et à peine plus lourde qu’une plume. Mission : trouver un banc.