Ça avait commencé comme une journée banale pour Jo. Elle avait traîné sur le canapé en rentrant de cours, bien décidée à ne pas bosser sa grammaire anglaise et à se gaver de chips devant un dîner presque parfait ou une connerie à la télé du genre. Elle faisait ça depuis son retour d'Afrique. Elle ne s'était pas vraiment fait d'amis depuis, à vrai dire, elle passait plutôt pour un fantôme à la fac, n'allant jamais aborder les gens ; se contentant d'arriver, d'assister au cours et de repartir. Et ses amis d'avant... la plupart ne savaient même pas qu'elle était rentrée, en fait. Elle n'avait envie de voir personne. D'être tranquille, de repartir à zéro... Ou presque.
Son petit train train fut bousculé par son frère. A peine rentré à l'appartement, il décida de lui bouger le cul. Il fallait qu'elle sorte de ce canapé, ce ne serait que bénéfique pour elle. Il lui annonça donc tout naturellement qu'il la traînait au théâtre Hébertot, dans le 17e arrondissement. Elle n'avait pas le choix, elle devait l'accompagner sans râler voir la pièce qui passait ce soir là, point. Il ne savait même pas quelle était la représentation, mais il s'en moquait. Il préférait d'ailleurs la traîner là bas que dans un pub, où elle aurait tout le loisir de s'éclipser par la porte arrière du bâtiment. Au théâtre, elle n'avait pas le choix. Elle devait rester le cul vissé sur sa chaise, sans piper mot.
Jo' se prépara, comme promis. Sans râler, elle prit une douche rapide, enfila une petite robe noire, ses collants et ses bottines, se noua une tresse rapide sur le côté et eut juste le temps de mettre son cuir sur les épaules avant que son frère ne la presse pour partir. Elle ne disait rien, mais ça ne l'empêcha pourtant pas de bougonner intérieurement. Et sa bière de 19h, alors ? Enfin bon, elle suivit à contre coeur son frère dans le métro, puis jusqu'au théâtre. Il y avait un peu de monde, pour un soir de semaine. Elle haussa les épaules et sortit une clope. Elle n'avait même pas plus envie que ça de s'intéresser à la pièce qui était jouée ce soir là. Aucun des deux n'ouvrit la bouche, jusqu'à ce qu'il acheta deux places, qu'ils passèrent le hall d'entrée et qu'elle lui lança qu'elle avait soif, qu'elle le rejoindrait directement dans la salle. Et plutôt que de se faire chier à acheter une petite bouteille d'eau hors de prix à la caisse, elle se dirigea naturellement vers les toilettes. Et alors qu'elle allait passer la porte, elle n'aurait jamais parié tomber sur lui. Elle fut à la fois surprise et terrorisée de le voir surgir devant elle. Tétanisée, son cœur ratant un battement, elle eut pourtant la présence d'esprit de rapidement baisser la tête et de tenter de le contourner rapidement, en priant le ciel qu'il n'ait pas fait attention et qu'il passe son chemin plutôt que de... La voix du jeune homme vint lui parcourir les tympans. Et merde.

« José … phine ? » Et merde, merde, et re-merde. Elle n'avait donc pas été aussi discrète qu'elle l'avait pensé. Sa stratégie de baisser la tête, se planquer derrière une mèche de cheveux et le contourner comme si ne rien n'était avait donc totalement foiré. En même temps, même si ça faisait six mois qu'ils ne s'étaient pas vus, ils avaient passé le plus clair de leur vie à se côtoyer. Comment ne l'aurait-il pas reconnue ? Ce qu'elle pouvait être conne. Mais, dans les moments désespérés, on croise juste les doigts très fort en priant le bon Dieu d'avoir pitié. Elle se stoppa net, terrorisée. Son envie de boire était partie. Elle ne pensait même plus à son frère qui devait l'attendre, confortablement installé au troisième rang. Elle se sentait idiote, à lui tourner le dos, sans bouger. Elle craignait par dessus tout de croiser son regard. Il devait tellement la haïr... Elle ravala difficilement sa salive.
La vérité, c'était que Joséphine l'avait déjà vu, elle. Il y a quelques jours, sortant d'un café, bras dessus-bras dessous avec une jolie jeune fille. Elle s'était immédiatement planquée, de peur que, par hasard, il pose le regard au bout de la rue et ne la voit. Un mélange de sentiments contradictoires l'avait prise, tout comme ce soir. En le voyant avec cette fille, Jo' était à la fois heureuse et jalouse. Contente de le revoir, de voir qu'il semblait heureux... Mais tellement jalouse de cette nana qui lui tenait compagnie. Qui le rendait heureux. Tout comme elle avait eu la chance de pouvoir le faire quelques mois plus tôt. Elle ne regrettait pas d'être partie, elle regrettait simplement de l'avoir fait comme ça. Ces six mois loin d'ici lui avaient fait un bien fou, elle en avait besoin. Mais de l'avoir quitté comme une voleuse, elle s'en mordrait sûrement les doigts toute sa vie. Elle se décida enfin à se retourner vers lui, et à plonger son regard dans le sien. Elle était penaude, se mordant la lèvre inférieure. Dans les yeux profonds du jeune homme, où elle se perdait malgré la colère qu'elle pouvait y lire, elle retrouvait Elise. Sa meilleure amie, la cousine de Stefane. C'était horrible. Elle ferma les yeux un instant, comme pour se donner du courage. « Salut Stefane... » Elle avait articulé difficilement, penaude. « Je.. Je suis contente de te voir... » Elle se sentait minuscule. Elle était sincère, avec un léger sourire confus sur le coin des lèvres. Elle savait aussi que ce sentiment serait loin d'être partagé. Elle aurait tant voulu pouvoir se cacher dans un trou de souris... Et puis merde ! Depuis quand il venait au théâtre lui aussi, hein ?