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 à côté de chopin - natasha

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MessageSujet: à côté de chopin - natasha   à côté de chopin - natasha EmptyDim 21 Juil - 13:54




A COTE DE CHOPIN
ft. natasha



Juillet. J'aimais bien le mois de juillet. Juillet. Ça sonnait bien. J'avais de bons pressentiments pour juillet.

C'était pour cette raison que je me retrouvais au Père Lachaise, je présume.

Nan, traîner dans les cimetières pour le plaisir de traîner dans les cimetières, c'était pas mon grand plaisir dans la vie. Je n'étais pas de ces gens qui se complaisent dans la tristesse des allées de gravats, je n'étais pas comme ces adolescents qui pensaient s'épanouir en se donnant l'imagine du dépressif qui écrit des poèmes profonds et spirituels sur la mort, thème original et innovant dans un cimetière par ailleurs.
Non, moi, je rendais visite.

A vrai dire, je ne me sentais jamais trop bien dans les cimetières. En plus de n'être particulièrement pas pressé de mourir, et, entre nous, de craindre un peu la mort, me retrouver dans un cimetière me faisait toujours réfléchir sur le sens de ma vie, tous ces concepts aussi abstraits qu'absurdes, ça ne me ressemblait pas, je n'étais pas le genre à penser à toutes ces conneries. Carpe diem, voilà tout. Alors, je partais des cimetières mal-à-l'aise, nauséeux, parfois, mélancolique, voire un peu déprimé. Et ça, ça n'était pas Marty. Marty, lui, il s'en foutait de tout ça. Je m'en foutais de tout ça.
Les cimetières avaient réellement une mauvaise influence sur moi.

Et le pire, dans tout ça, c'est que ça ne me dérangeait pas, d'y aller, au Père Lachaise.
En fait, j'allais voir mon grand père.
Décédé, oui.

Je ne crois pas avoir été un jour très proche de lui. Mon grand père côté paternel, dont je connais à peine le prénom, guère beaucoup plus. Eugène. Ouais, Eugène. Pas terrible comme nom, mais j'imagine que c'était assez en vogue de son temps. Il était mort il y a déjà une petite dizaine d'années. Et, tous les ans, à cette date précisément, date de son décès, j'allais au cimetière, voir un peu sa tombe. En quelque sorte, je fêtais l'anniversaire de sa mort. Mais est-ce que ça se fêtait, un anniversaire de mort ? Et puis, je me plantais comme un con devant sa tombe, et je lui racontais ma vie. Je lui donnais des nouvelles, chose tout à fait stupide. J'avais un peu de mal à croire en une vie après la mort. Alors pourquoi m'entendrait-il ? Plus que ça, si je savais qu'il ne m'entendrait probablement pas, pourquoi je lui parlais ? Je crois qu'on fait tous des choses stupides.

Mais ça, c'était en quelque sorte... Un rituel. J'avais assisté à son enterrement, et depuis, pas une seule fois je n'avais manqué à l'appel, tous les ans, comme un fidèle soldat, j'étais devant son cadavre. Il faut dire qu'il était un peu comme moi, feu Eugène, il n'avait personne. Lui, sa femme était morte bien avant lui, et son fils, mon père, habitait un peu loin pour faire le déplacement jusqu'au Père Lachaise pour poser un bouquet de fleurs. Je parlais au nom de ma famille, je crois, finalement. Enfin non, mais disons que j'étais le seul de sa famille à lui accorder une importance, ne fut-elle qu'annuelle. Et moi, ça allait être pareil. J'étais pas très bien entouré. Quelle famille me restait-il ? Mes parents. Dont je n'étais pas tellement proche depuis qu'ils avaient appris que j'avais, en quelque sorte, changé de nom, et changé de moi tout ce qu'ils avaient connu. Ils m'en voulaient. Je les comprenais. Alors on s'appelait pour Noël, les anniversaires, et basta. Ils me laissaient en paix à Paris, je les laissais en paix en Alsace.

Ouais, pas très joyeux en somme. Comme Eugène. Nous étions seuls tous les deux. Et c'était dans les seuls moments où j'allais le voir, papi Eugène, que je me rendais compte que ça me faisait du mal. Que j'arrivais à l'admettre.

Alors, dès le matin, j'allais chez le fleuriste, et j'achetais des fleurs. Pas les plus belles fleurs, mais un bouquet correct. Pour le vieux solitaire, de la part du petit-fils solitaire. Pour égayer un peu la petite tombe. Et puis, je montais au cimetière.
Il était enterré pas loin de Chopin, alors des fois, j'écoutais du Chopin, pour le petit vieux enterré pas trop loin de lui. Chopin, lui, il avait un grand caveau. Une tombe impressionnante, qui avait de la gueule. Alors forcément, toutes les autres à côté avaient l'air misérables. On ne les regardait pas, on n'avait d'yeux que pour Chopin. La tombe d'Eugène, personne ne la voyait. Elle était pas grande, il n'y avait pas des ornements partout, juste une petite pierre tombale avec le nom de Eugène Lacarte gravé dessus, accompagné de la mention Au regretté. Mensonges. Personne ne le regrettait, personne ne pensait encore à lui. Sauf moi, une fois par an.

Non, bien sûr que non, je ne faisais pas concurrence à Chopin. Mais j'essayais d'égayer un peu sa tombe. Je ramenais des fleurs. Parce que ça se faisait. Et même avec un bouquet, quel qu'il fut, Chopin avait le monopole. Eugène, on le laissait dépérir.
La plupart des gens s'imaginent que le Père Lachaise, c'est uniquement pour les célébrités. Bien sûr, tout le monde veut voir Jim Morrison, Balzac, Apollinaire et j'en passe. Mais 'est faux. Même si ça coûte assez cher, on peut enterrer un proche là bas. Surtout si c'est ses dernières volontés. Que peux-t-on refuser à un mourant ? Et qui s'occupe des autres ? Les touristes passent devant les autres sans les voir. Parce que pépé Eugène, à côté du leader des Doors, tout le monde s'en fout. Sauf moi.
Il y a ça d'horrible avec les touristes qu'ils visitent le cimetière comme un parc d'attraction. Et hop, je pose avec le caveau d'un tel ou d'un tel. Aucun respect pour les morts. Le pire, c'était encore les groupes de touristes, qui se perdaient sur le plan, ignorant la plupart des défunts pour aller voir les plus importants. Parce que les autres, importants, ils ne le sont pas.

Alors, j'avais fait comme tous les ans. Je m'étais pointé pas loin de Chopin et son grand caveau, juste devant la tombe d'Eugène. Et j'avais déposé les fleurs. « Salut pépé. J'espère que tu vas bien... » J'avais levé les yeux au ciel et fait une tête plutôt sceptique. « ...où que tu sois. Même si, entre nous, je doute que tu sois dans un endroit bien meilleur qu'ici. » Soupir. « Enfin... Peu importe, j'imagine que plus grand chose ne t'importe. J'écris toujours. Ça avance bien en ce moment, je profite de juillet, j'aime bien ce mois, juillet. Même si... T'as jamais lu quoi que ce soit que j'ai fait. Je t'en veux pas. T'es comme moi, après tout. Si ce n'est... Enfin, je peux encore respirer, quoi. » J'étais nul, particulièrement nul. Alors, quand je sentais que je devenais trop nul, je m'enfonçais dans mes pensées, me contentant de rester debout, les mains croisées devant moi.

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MessageSujet: Re: à côté de chopin - natasha   à côté de chopin - natasha EmptyMer 24 Juil - 0:08

Je me demande ce que je fais ici. Ce lieu ... Ce lieu pue. J'en ai décidé ainsi. Assise sur un banc, je regarde les dalles de pierre autour de moi. Les tombes, les sépultures ultimes de ces illustres personnes. Un lieu qui m'est accessible dans la vie, mais pas dans la mort, en somme. Comme eux. L'idée résonne dans ma tête comme étant une notion à la fois ridicule, et pourtant, terriblement douloureuse. Je ne serais jamais comme eux. De ça, je peux d'ores et déjà en être sure. Je n'ai rien à voir avec eux. Je n'ai aucun talent caché, aucune raison de briller ... Aucune fierté, aucune opportunité. Je ne suis que la trainée qui se retrouve balancée, de maison en maison, du seizième au onzième, en passant par le quatorzième ; la catin de luxe perdue aux désirs les plus fous et érotiques de puissants hommes d'affaires. Natasha est mon nom, mais il ne me définit plus. Je n'ai pas d'âme. Du moins, je ne crois pas en avoir. Une ombre de moi même. Voilà ce que je suis. Un vulgaire fantôme ; un simple écho de mon passé. Peut être que je la mérite, ma place ici. Je me sens en tous les cas plus à l'abri qu'ailleurs. Isolée du monde, entourée de cadavres, la sensation de sécurité m'est bien supérieure que lorsque je me promène, dans la cohue des Champs Élysées, un après-midi ensoleillé. C'est une notion étrange à saisir, je vous l'accorde ... Et pourtant, j'ai l'impression d'empester la mort. Mes parents ne sont plus de ce monde, et si mon corps se plait à y errer, n'ayant trouvé aucune autre alternative à la notion du vagabondage perpétuel des allées et des plaines, mon âme ne semble plus entièrement ici. Brisée, je suis une coquille vide. Toute l'essence en moi semble s'être dissipée ailleurs ; elle a coulé hors de son réceptacle, et je me retrouve dépourvue de passion et de bonheur. Les seules sensations fortes dont je peux me souvenir sont la tristesse et la douleur. La honte, aussi. Et plus le temps passe, plus ces émotions sont réprimées ; moins je peux les sentir me ronger de l'intérieur, comme si elles avaient presque réussi à me dévorer vive.

Autour de moi, des noms inscrits dans des dalles de pierre plus âgées que moi de décennies, voire, même, de siècles. Je ne suis pas sûr desquels ils s'agit. Je crois que les personnes qui reposent en paix dans ce sol sont importantes ... Comme une terre sacrée pour les morts. Une lande d'Eden accessible uniquement aux illustres membres de l'aristocratie possédant notoriété, ou argent, ou amis possédant l'un et / ou l'autre. Je me sens ridicule, ici. Je ne suis pas vêtue pour les cimetières, avec mon petit short blanc défiant nature et mon tee-shirt délavé de couleur bleu fade, autrefois, bleu turquoise. J'ai la sensation d'être ridicule, face à ces monuments aux morts, grands et imposants. Je ne suis pas à ma place ici ... Je ne suis jamais à ma place, en même temps. C'est le lot des filles comme moi. Trop tôt, on découvre la cruauté des hommes. Trop tôt, l'espoir nous abandonne, sans nous prévenir, sans nous donner le moindre signe de vie ni la moindre date de retour. Trop tôt, nous mourons intérieurement. Et après, que nous reste-t-il ? Une chanson à l'air brisé, aux paroles qu'on peine à se souvenir et au rythme disproportionné, malgré tous nos efforts pour ne pas l'oublier. Une poupée de chiffons, vestige d'une enfance qui n'a plus lieu d'être, et qui s'est terminée, bien trop longtemps, alors qu'à l'époque, la sensation qu'elle s'éternisait était ancrée en nous, comme une notion nous appartenant à tel point qu'elle devenait une part de nous. Le nom inscrit sur le caveau à côté de moi n'a pas grande signification à mes oreilles. Je sais lire, oh oui. J'ai dû apprendre, avec beaucoup de difficulté ; ça n'avait pas été chose aisée, et il m'avait fallu beaucoup de courage et de persévérance pour y parvenir ... Et ça, ça avait été en Russie.

Et puis, j'étais arrivée en France, et il avait fallu tout recommencer, à zéro, et je l'avais fait, sans broncher. Une nouvelle langue, des nouveaux mots. Cela fait quelques mois que je suis ici, maintenant. Pas encore un an, mais ma maitrise de la langue des poètes et des amoureux s'améliore de jour en jour, je crois. Je n'ai pas la prétention de parler sans accent. Je suis une Russe, et la façon particulière que j'ai de prononcer certains mots trahissent si facilement mes origines que ce serait ridicule de prétendre à venir d'ici de par ma façon de parler. Je ne suis pas d'ici. C'est flagrant dans mon apparence, dans ma façon de traiter chaque chose comme un objet extra-terrestre ainsi que dans mon élocution. Autant dire que, bien que je n'ai pas mérité ma place dans ce cimetière, je m'y sens à ma place, quelque part. Personne ne me pose de questions, et rares sont les hommes qui osent souiller ce lieu sacré en me lançant leurs regards désobligeants. Ça me fait un peu de vacances, ça tombe bien. L'air sent bon la verdure. Il y a des arbres, non loin d'ici. Ça change un peu de ces bâtiments, partout, imposants comme ils sont ... J'aime la verdure. Je me sens plus proche de la nature, comme ça ... Tant et si bien que j'en viens presque - je dis bien presque - à en oublier l'existence des hommes. Je regarde ma montre. J'avais réussi à mériter une montre, après des mois de services fidèles "afin de pouvoir me présenter à mes rendez-vous à l'heure". Cela me permettait également de disparaitre de la carte tout en sachant pertinemment quelle heure choisir pour rentrer afin que mes absences ne soient pas plus remarquées que cela. Là, je me rends compte qu'il vaudrait mieux que je parte bientôt. Il me reste encore une dizaine de minutes, mais bon ... Un imprévu est si vite arrivé. J'attrape rapidement mon sac, je me lève, mes ballerines s'appuyant contre le sol de pas hésitants. Sur le chemin vers la sortie, j'aperçois un homme, debout. Il parle, je crois. À qui ? Je tourne un peu de la tête pour voir si je ne parviendrais pas à démasquer son interlocuteur ... Mais non, il n'y a personne, et face à son regard, il n'y a rien d'autre qu'une tombe. Je l'observe donc, curieusement, sachant que c'est fort impoli sans pour autant m'en retenir. Quelque chose m'intéresse, ici. Je suis trop curieuse pour mon propre bien, et d'ailleurs, le sort me le rappelle lorsque mon pied glisse un peu pour écraser la branche située juste devant lui, qui ne trouve rien de mieux à faire que de craquer. Zut. Il lève alors la tête vers moi, et j'émets un léger sourire, gênée.

- B ... Bonsoir ?

Je devrais partir d'ici, je crois.
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