Je somnolais devant ma télé, allongée sur le canapé telle une baleine échouée sur un banc de sable quand un sms me sortit de mon pseudo coma. C'était Slim. Ce n'était pas surprenant. Enfin ça, c'était après le deuxième SMS.

Mon sang n'a pas fait un seul tour que je m'étais déjà redressée brutalement et que je composais le numéro de cet abruti fini. Il allait m'entendre le con !

" J'espère pour toi que c'est une blague, Slimane ! "

Le ton était plus qu'agréssif, et le fait que je l'appelle Slimane montrait bien à quel point j'étais sur le cul.

J'ai peut-être un peu exagéré sur la coke ce soir, ouais, y a des chances, j'en sais rien. Ce doit être pour ça que j'en suis réduis à envoyer des sms à tout le monde. A demander à Ina si elle désire être témoin de mon mariage. J'aurai du lui dire, mais pas de cette façon, peut-être en face face, une connerie dans le genre. Avec un bouquet de fleurs et un joli regard. Mais non, un simple sms, et puis c'est tout ce qu'elle aura. D'ailleurs, le téléphone portable sonne déjà. Un sourire prend place sur mes lèvres. Presque moqueur. Elle gueule, et je ris.

"Putain, tu pourrais être content pour moi." je marque une pause, le temps de reprendre ma respiration dans un ultime rire. "C'pas une blague."

Une blague, mon mariage avec Vadim. N'importe quoi, j'ai presque envie de lui gueuler dessus à penser de telles choses mais pour une fois, je retiens mes nerfs. Je me la ferme pour attendre sagement sa réaction.

J'étais dans un tel état de nerfs que griller ma clope était indispensable. Déjà, je trouvais ça scandaleux de m'annoncer une telle nouvelle par sms à une heure du main. Pire encore était de songer à se marier alors que, techniquement, il était lié à une autre personne. Et puis je ne le comprenais pas là. Lui qui gardait constamment son alliance comptait tourner la page en refaisant la même connerie ? C'était quoi son délire à la fin ?

" Ta coke t'a grillé définitivement grillé les neurones ou t'es con par nature ? Non parce que là, je comprends pas quel est ton putain de problème, Slim. Mais alors pas du tout."

Je pouvais pas me réjouir de ça ! C'était une hérésie doublé d'une stupidité quasiment compulsive chez Slim. Puis en plus, je n'avais pas eu vent d'une ou d'un copain dans sa vie. Ce mariage tombait vraiment du ciel.

" Et puis quoi, quand tu seras lassé de ta future moitié, tu vas te barrer de Paris ? C'est ça que tu comptes faire ? Recommencer inlassablement à merder ? Mais réveille-toi, mec ! C'est pas ça la vie. Et TA vie n'est pas censée être un enchainement infini de conneries en tout genre."

Elle est énervée. Ina a les nerfs. On peut l'entendre au son de sa voix, à sa façon de parler plus vite que d'habitude. J'me prends des baignes comme ça. J'attends d'abord, sans broncher. Peut-être qu'elle va finir par s'excuser, par s'dire qu'elle est trop dure avec moi. Mais non. Elle continue, dans la même optique de me descendre froidement. A coup de pioches.

"C'est bon ? t'as terminé ta leçon de morale merdique ?" Ma voix est acide, un peu trop, ça me fout la gerbe tout ça. "C'est pas parce que t'es pas foutue de te trouver quelqu'un que tout le monde doit avoir le même sort. que toi"

Non, ferme ta gueule Slim. J'vais finir par lui balancer encore mes saloperies à la gueule. Comme pour Nausi, comme pour Sid. Comme avec tout le monde. J'suis irrécupérable pourtant je tente de me calmer. Pour elle. Pour nous.

"J'espérais juste que tu sois là pour moi. Pas qu'tu me dises toutes tes merdes, que tu approuves juste que ... Qu'tu sois là même si c'est peut-être une connerie. Mais pas m'en foutre plein la gueule." Je marque une pause, la gorge nouée. "Mais si tu veux pas de ça, dis le de suite et j'raccroche."

Ouais, j'ai au moins la gentillesse de la prévenir.

Et voilà. Slim venait de passer en mode Calimero - comprendre qu'évidemment, dans ces moments-là, tout le monde entier est contre lui. Forcément, lui c'est l'ange et le monde sur lequel nous vivons, c'est l'enfer. Il était telllement borné qu'il était incapable de voir que je tentais de l'aider. Je sais, je ne suis pas pédagogue pour un sous, mais comment pouvais-je réagir normalement dans une situation qui est tout, sauf normale ?

" Désolée mais fallait pas t'attendre à ce que je te félicite. Quand on voit comment s'est terminé ton dernier mariage... Enfin non, il n'est même pas terminé... Je ne peux que me faire du soucis pour toi. Mais toi, comme d'habitude, tu te sens agressé. "

Tout ça me gonflait au plus haut point. Je venais de hurler dans mon appart à une heure tardive pour rien puisqu'en définitive, je parlais à un mur. Certes, je connaissais la bestiole, mais j'espérais toujours qu'un jour viendrait où il accepterait la vérité. Mais bon, à la place de ça, il préférait me balancer des merdes à la figure.

" Et tu sais quoi, je t'emmerde, Slim. J'ai peut-être personne mais au moins, je suis pas la pute de Paname comme toi. "

Méchant, ça l'était clairement. J'allai m'en prendre plein la gueule, quoi qu'il raccrocherait très certainement. Puis il me ferait la gueule. Puis je me ferai pardonner d'une manière ou d'une autre. Ou peut-être pas. Je m'en foutais à l'heure actuelle. J'étais juste amère et pleine de question.

" Et puis qui est la personne suffisamment folle pour vouloir de toi ? Elle doit bien sucer, je parie. Ou mieux, elle doit croire qu'elle peut voler dans les airs, ou une connerie du genre. "

On est juste deux putains de murs incapables de quitter leurs idées. Ina est persuadée d'avoir raison. Je suis sûr d'être sur la bonne voie, aussi. Çà ne peut que faire des étincelles, un truc énorme, dégueulasse qui viendrait même à mettre notre amitié en danger. C'est certainement ce qui me fout le plus en rage à l'heure actuelle. Encore plus lorsqu'elle me balance à la gueule que je ne suis qu'une pute.

"Arrête de te servir de mon premier mariage comme attaque. ça en devient lassant et presque malsain." La pute de Paname. La pute de Paname. C'est donc ce que je suis, à ses yeux, la pute de paname ? merde, qu'elle aille se faire foutre, elle et sid. Et toute la planète. "La pute de Paname ? ça s'rait presque poétique dit comme ça."

Oui, j'ai bien entendu mais ça me fout tellement sur le cul que j'suis à deux doigts de jeter mon téléphone par terre. L'exploser et retourner dormir. Mais Ina continue, encore et toujours. Et c'est là qu'elle se fout à parler de Vadim, comme ça, d'une manière totalement dégueulasse. Elle m'exaspère, putain. J'en reviens à me demander pourquoi cette meuf peut-être mon amie. Non mais, franchement. Le cerveau en compote c'est à peine si j'parviens à lui répondre. A comprendre tout ce qu'elle peut me dire.

"Laisse le en dehors de tout ça. S'tu veux pas être mon témoin ok, j'lâche l'idée. Suffit de le dire."

Tu sais absolument rien de lui, Ina. De ce qu'il peut m'apporter. De lui.
Vadim.
Connasse.

Je tirai fortement sur ma cigarette. Tellement fort que j'en eus la tête qui tourne. L'envie de vomir aussi. Mais je crois pas que ce soit du à la cigarette ça. Ma colère. Je crois qu'il n'y avait que ça en cause. Tout ça était ridicule et ça commençait à partir en sucette. Je partais en sucette. Mes mots dépassaient ma colère. Je ne voulais pas être insultante mais c'était mes seules armes pour tenter de le secouer un peu. Enfin ça n'a pas eu d'effets. Sans grande surprise. Tout ce que je pouvais dire ou faire passer au dessus de Slim. Lui, lui et re-lui. Pour le reste, il se bouchait les oreilles. Putain d'autruche qu'il était.

Ce que je trouvais vachement bizarre, c'est qu'il ne la ramène pas, ou qu'il ne raccroche pas. Il devait être sacrément défoncé. Ce qui ne me calma pas vraiment. Je vois pas comment il pouvait me reprocher d'être en colère. Ok, j'allai trop loin dans mes propos, mais ce n'était que la pure vérité. Je n'ai rien inventé, si ce n'est la pute de Paname - et encore. Je ne sais pas comment une personne normalement constituée supporterait le fait qu'une personne qui lui est proche lui annonce du jour au lendemain, en plein nuit, par sms qu'elle va se marier avec une personne inconnue au bataillon. Bon, si. Maintenant, je connaissais le sexe de la personne. Un mâle. A croire que ça peur de faire mettre une bite dans le cul ne l'effrayait plus tellement. Bref, ce n'était même pas le propos. Cette histoire était folle. Voilà. Pas forcément vouée à l'échec mais complètement folle. J'étais même à deux doigts de croire qu'il s'agissait d'être mariage blanc, mais Slim ne fait pas dans le social - ce serait un comble vu sa situation en plus...

J'ai essayé de me calmer quand même. Cela ne servait à rien de me mettre dans tous mes états. Ca ne me concernait pas finalement. Je n'avais qu'à le laisser croupir dans sa merde. Peut-être que c'est tout ce qu'il méritait dans le fond.

" J'y serai à ton mariage bidon. "

Son silence creuse les minutes. Je peux entendre sa respiration à l'autre bout du fil. Elle résonne à mes tympans comme un bruit désagréable. C'est pendant ce laps que je me laisse tomber sur le canapé. De toute façon, mes jambes ne me tiennent plus. Mon coeur bat trop vite, à cause de ça, de la pression, du divorce, de Sid. De toutes ces choses qui me tombent à la gueule. On a beau me lancer toutes les merdes à la gueule, pour rien au monde je ne foutrais Vadim de côté. C'est presque égoïste dit comme ça mais merde, j'ai envie de le tenter. Et puis c'est tout. Libre à moi de le regretter par le futur. Tout le monde sait que je ne suis rien de plus qu'un putain de gosse et tout le monde se fout en rage sur moi. Qu'ils me foutent la paix putain ... Qu'ils me lâchent si je ne corresponds pas à leur caractère. A leur vie posée et merdique. J'ai pas besoin d'eux, j'ai besoin de personne. Les gens arrivent, ils partent ensuite. C'est comme ça, une boucle de la vie qui s'ouvre et se referme. J'retiens personne, jamais.

Un simple "Bien." quitte mes lèvres.

C'est pas que j'm'en fous, c'est pas que j'sois soulagé. Je suis juste ailleurs, plus loin. Et pour le coup, je n'ai plus aucunement envie d'avoir la moindre conversation avec elle. C'est de cette façon que ma voix brise une énième fois le silence, tremblante et brûlante. "Bonne nuit."
Bonne nuit, rien que ça. C'est d'un geste las que je raccroche et laisse ma tête s'échouer sur l'oreiller. Incapable seulement de me déshabiller. Incapable de songer. C'est à peine si je respire. Mais au moins, je plane. Et c'est beau. ça ressemble pas à Ina.
A tous ces soit disant amis.

Il m'a fallu une petite demi-heure pour faire redescendre la pression. Une demi-heure à frapper un sac de sable de toutes mes forces. une demi-heure à me répéter que j'étais bien conne de trop m'attarder sur Slim. Un demi-heure à me dire que je ferais mieux de lâcher l'affaire. La femme de sa vie, mon cul ouais ! J'étais juste la bonne poire du moment. Fallait que j'arrête de croire que tout le monde était comme moi : fidèle. C'était faux. Les gens sont juste égoïstes et il était temps que j'en fasse de même. Slim voulait se marier ? Très bien. Avec un éléphant ? Pas de problème. Je m'en foutais, voilà.

J'ai hésité le temps d'une douche glacée à l'appeler. Je devais peut-être privilégier le sms. Sait-on jamais. Je fixai un court instant le téléphone posé sur la table basse de mon salon et je me résignai à l'appeler.

" Je suis qu'une conne. J'ai merdé. Désolée. Crachai-je de but en blanc. "

J'allais pas non plus faire dans le pathétique. J'avais déjà donné.

La sonnerie du téléphone m'arrache à ma léthargie. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis couché sur ce canapé. Dix minutes ? vingt ? peut-être plus. Qui sait. C'est donc d'un geste vif que j'attrape le téléphone portable avant d'y voir le prénom d'Ina. Je reste quelques secondes à hésiter. J'pourrais l'ignorer, après tout, elle a que ce qu'elle mérite. Mais non, mon foutu doigt se décide à décrocher. Crevé, au bout du rouleau, je ne prends même pas la peine d'ajouter la moindre remarque cynique. Non, décidément, j'ai juste envie de me pendre, là. Ou finir d'une overdose, quoi que je dois pas en être loin.

"C'est pas grave." ma voix est basse, trop basse. Je me racle la gorge, pour tenter de me donner un semblant de vie. "Fallait pas que j'te l'annonce comme ça, on est quitte."

Quitte, ou presque. J'ajoute rien de plus. Seul le silence quitte mes lèvres gercées. Le genre de silence signifiant 'on fait quoi ?' parce que pour le coup, j'en sais rien.
C'est à Ina de prendre les choses en main, cette fois. J'ai pas le courage de me battre éternellement.

De piètre excuses. Deux petits drapeaux blancs qui flottent au-dessus de nos tête et, dans les cas habituels, tout revenait dans l'ordre. C'était oublié et on se tombait dans les bras. Mais là, c'était différent. Peut-être parce que le sujet était plus grave. J'en savais trop rien et je m'en foutais. Je me foutais de tout à présent, alors le silence pesant qui s'imposa avec force dans la conversation ne me dérangeait absolument pas. Ouais, ça ne me dérangeait plus d'avoir un tel moment où les tensions se ressentaient encore. Même avec Slim. Je crois que je venais d'atteindre le bout. Le bout de ma patience. Le bout de ma connerie. Maintenant, j'allai agir comme Slim : pour ma gueule et seulement pour ma gueule.

" Tu sais quoi, Slim ? C'est fini tout ça. Je ne me ferais plus de mauvais sang pour toi ni rien. T'es un grand garçon et tu sais mieux que quiconque ce qui est bon ou non pour toi. Alors je vais arrêter mes conneries. Je ne dirais plus rien. Plus jamais. "

Stupide. Voilà ce que j'étais. Une gamine stupide mais qui ne voulait plus l'être. Fini l'inquiétude oppressante. Fini la peur de retrouver Slim mort, rongé par la poudreuse. Fini les petites confidences. Fini. Maintenant, je reprenais mes bonnes vieilles habitudes. De la distance et encore de la distance entre le monde et moi. Personne ne vaut la peine de quoi que ce soit.

" Je te retiens pas plus longtemps, va. Bonne nuit. "

Je crois, qu'au final, les mots d'Ina parviennent à me soulager. Sans trop savoir pourquoi ni comment. Je me dis qu'au fond, peut-être, c'est beaucoup mieux pour nous. Je ne suis pas l'ami idéal. Encore moins le prince charmant. Je détruis autour de moi. Je me fais du mal, à moi aussi, un peu. Mais sans plus. Je m'attache à chaque parcelle de bonheur comme je le peux. Parce que la mort de mon frère me trotte encore dans la tête, sa souffrance aussi. Je n'en ai jamais parlé à personne, même pas à Siham. Tout le monde a ses propres tuiles, de toute façon. Même si j'pense qu'au fond, la vie familiale dans laquelle j'ai évoluée, la rue, m'ont donné pas mal de plomb dans l'aile. Si Ina n'en a rien à faire de moi, c'est tant mieux. J'ai pas envie qu'elle perde son temps avec moi. Ou que sais-je encore. Alors, un soupir traverse le combiné. Pas agacé, juste encore un peu paumé.

"Fais comme tu veux." De toute façon, elle ne changera pas d'avis. Alors je me plie à ses idées. "Bonne nuit."

J'ajoute ça, sur un ton légèrement déçu. A partir de ce soir, mon amitié avec Ina est moche : pleine de rancoeurs et d'incompréhensions. C'est terminé le temps des rires idiots et des blagues déplacées. Il ne reste qu'Ina et son mépris. Ina ou Slim. Plus Ina et Slim. Ce fut éphémère. D'un ultime geste, je raccroche alors le téléphone avant de retourner à mon sommeil.