Autant je n’ai aucun souvenir de la date ni de l’endroit où j’ai rencontré Slim, autant je me rappellerais toujours de notre première discussion. Ce n’était franchement pas intéressant sur le fond, mais la forme en disait long sur notre future relation – si on peut appeler ça ainsi. Si je me souviens bien, j’avais lancé les hostilités et Slim ne s’était pas fait prier pour m’assassiner de noms d’oiseaux dont je ne prendrais pas la peine d’énoncer, non pas parce que ces mots m’ont touché d’une quelconque manière mais parce que je n’ai même pas pris la peine de relever – à vrai dire, ces mots ont roulé sur les rails de mon indifférence pour tomber dans le puis de l’oubli.

C’est comme ça entre Slim et moi, un flot de gentils mots dépourvus de haine – si, si c’est possible je vous assure – et une relation vraiment très particulière. La décrire serait impossible mais je crois bien m’être attaché à ce semblant de bonhomme réfugié dans ses espoirs inatteignables de petit garçon. C’était vraiment bizarre mais ce drogué arrivait à me faire ressentir certaines choses, indescriptibles malgré lui, peut-être de la compassion ou de la pitié... Ce super zéro ne soupçonnait pas les pouvoirs qu’il avait sur moi, et c’était tant mieux.

Je crois que c’est pour cette raison que je restais auprès de lui. Il arrivait à déterrer l’humain en moi, mais au-delà de ça, j’avais quand même un espoir secret qu’il s’en sorte. Je voulais être là, sans savoir quoi faire et en étant pleinement conscience que ce qui l’aiderait le plus était un abonnement chez un psychologue. Je ne me comprenais pas sur ce coup-là. C’était irrationnel de rester avec quelqu’un qui n’éprouvait rien à votre égard. Enfin je ne savais pas s’il éprouvait quelque chose pour moi, et non pas que ça m’intéresse… Bon si, ma curiosité est tout de même piquée au vif à ce sujet… Il faut dire que le personnage était plus qu’intéressant. C’était quand même cool de rester avec lui. Ouais, ça m’arrache la gueule de le dire mais Slim avait une cool attitude plutôt très appréciable. Le souci, c’est qu’elle était cachée derrière une épaisse couche de connerie et une aptitude naturelle à tout détruire. Ouais, Slim pouvait être agréable des fois…
Note à moi-même, ne jamais avouer ce constat à quiconque.

La conclusion de tout ça est que Slim et moi trainions ensemble, sans réellement se connaitre et ça nous allait très bien comme ça. Seulement un jour, il m’a proposé de boire un verre chez lui et, je ne vais pas mentir, mais j’ai cru halluciner. C’était bizarre qu’il m’offre un pot alors qu’il était sur la paille 365 jours par an mais ce qui m’a vraiment tué était l’invitation. Déjà, j’étais étonnée qu’une personne sainte d’esprit daigne louer son bien à Slim – ça peut paraitre vache mais quand on a les mains aussi pourries que celles de Slim, on évite de lui prêter quoi que ce soit - et puis je me demandais à quoi pouvait ressembler son appartement. Etant donné que ça tournait pas rond dans sa tête, je n’osais pas imaginer l’endroit dans lequel il pouvait vivre… En plus il m’a dit qu’il avait un animal de compagnie. C’était franchement le comble pour quelqu’un qui avait déjà de grandes difficultés à s’occuper de lui-même…

C’était donc avec une valise pleine d’interrogations que je me dirigeais chez Slim. L’endroit était calme, chic. On était bien loin du squat hyper dégueulasse que je m’étais imaginée. Peut-être qu’il n’était pas totalement bon à jeter à la poubelle ce mec.

Postée devant sa porte, je tapais énergiquement, une légère angoisse agrippant mon estomac. Pourquoi avais-je un mauvais pressentiment ?

La télé beaucoup trop forte fait trembler les murs du minuscule appartement dans lequel je me confine depuis des jours. Couché dans mon canapé, la plupart des scorpions se sont fait la malle. Ils sa baladent sous les meubles, font parfois leur apparition sur la table du salon. On peut définir que ce qui se trouve entre ces murs est l'un des plus beaux bordels. Aussi désordonné que mes pensées, d'ailleurs. La pluie tombe dehors mais je ne l'entends pas. Le rire de Cyril Hanouna transperce mes tympans. Trois jours que je suis ici, comme une loque, incapable de mettre un pied dehors je me passe les épisodes de TPMP toute la journée pour tenter de faire passer le temps plus vite. La tête défoncée aux cachets, il m'arrive pourtant encore de rire. Tel un gamin complètement paumé, mes mains se perdent dans le vide. Une masse glaciale s'approche de moi. Effleure mes doigts. La respiration de Fauve parvient à décrocher mon attention tandis que j'attrape la télécommande pour arrêter l'appareil. « Hey grosse. » A ces mots, je me laisse tomber sur le sol. Le contact du carrelage sur mon torse nu me décroche un effroyable frisson. Mes doigts se perdent sur la peau rugueuse de l'alligator alors que je me rapproche un peu plus de celle-ci. Juste pour sentir son corps contre le mien. Elle pourrait très bien me foutre un coup de mâchoire et me tuer mais j'parviens à trouver de la sécurité uniquement contre elle. Ce doit être sa force ou bien sa froideur impénétrable qui me donne cette sensation agréable. A croire que je puise mon énergie dans ses muscles tendus. Mes yeux se ferment, pour mieux profiter de ce moment, capter chaque seconde qui s'écoule à ses côtés. L'odeur nauséabonde de cigarette me décroche un désagréable hoquet. Impétueux, je ravale ce goût acide qui me brûle la gorge et resserre un peu plus mon étreinte sur l'animal. Comme un gosse trouverait du réconfort auprès de sa mère, je me recroqueville contre Fauve. « Demain soir, à la nuit tombée, on sortira. T'es d'accord ? » Ouais, il m'arrive de la sortir, comme ça, avec une simple laisse en cuir autour acheté dans un sex shop. Elle pourrait très bien se barrer sans que je ne puisse rien faire. Elle pourrait finir dans le jardin du voisin et dévorer son chihuahua. J'pourrais tout aussi bien me faire arrêter par les flics mais j'en ai rien à foutre. L'immaturité de laquelle je fais preuve est plus forte que tout. Cet animal, aussi dangereux peut-il être n'est qu'à mes yeux une source de bonheur. Vous savez, comme une vieille affectionne son bichon. C'est comme ça, un putain de sentiment aveuglant. J'ai jamais su différencier le bien du mal. Ma mère me le reprochait souvent mais que voulez-vous, s'inquiéter reviendrait à ne plus vivre. J'ai pas le temps pour de telles futilités. J'suis invincible, de toute façon. Ça, personne ne pourra jamais me l'enlever. Même pas un alligator albinos.

Un bruit de poing résonne contre ma porte en bois tandis que je me relève vivement. Merde. Mes sourcils se froncent pendant que mes yeux se ferment. Non, j'ai pas oublié. J'sais très bien qu'Ina devait passer ce soir. J'me suis juste laissé emporté par le temps qui passe plus vite qu'il n'y paraît. Non, pourquoi j'oublierais sa venue ? Ça fait si longtemps que j'ai plus invité qui que ce soit à boire un verre. Surtout chez moi. Faut dire que c'est pas le meilleur endroit pour accueillir qui que ce soit. Pourtant, un pressentiment m'avait poussé à faire venir cette fille ici. Impossible à décrire. Elle dégage une force que j'ai rarement vu chez qui que ce soit. Un truc carrément bestial qui a toujours eu tendance à me rendre hystérique. Et même si je la traite souvent comme une merde, il m'est impossible de rester trop longtemps sans nouvelles. Ina c'est comme un espèce d'aimant. Elle attire en même temps qu'elle repousse. « J'arrive. » Ma voix est faible, tremblante, victime de mes jours passés ici, seul. C'est d'un geste vif que j'attrape un t shirt pour l'enfiler et me diriger vers la porte d'entrée que j'ouvre toujours avec autant d'enthousiasme. « Oh, Ina. » Un air faussement surpris se dessine sur mon visage. J'ferais presque un bon comédien. Fin, j'ai plutôt le niveau plus belle la vie mais vu le nombre de fans, j'ai pas vraiment à me plaindre. « J'pensais pas que tu viendrais te perdre chez le pauvre rêveur que je suis. Me dis que t'as envie de venir sauver le monde avec moi ? Parce que j'te le dis de suite, t'as pas le charisme pour ça. » Le ton est donné. Comme d'habitude, moqueur et pourtant toujours aussi sympathique. Je me décale de l'encadrement de la porte pour la laisser pénétrer dans l'appartement. La vérité c'est que j'suis totalement heureux de la voir ce soir. « Installe toi au salon, par contre j'ai pas eu le temps de ranger mais vu l'état animal dans lequel t'es restée, je présume que ça te dérange pas quelques fringues qui traînent par terre. » A ces mots, je tends mon bras en direction du salon. Un sourire prend place sur mes lèvres, presque accueillant. « J'vais chercher les bouteilles. Fais gaffe à pas marcher sur la queue de Fauve elle aime pas vraiment ça. » Dire que je parle d'un alligator comme s'il s'agissait d'un chaton. Accroche toi, Ina, la soirée s'annonce plus mouvementée que tu ne le penses. Comme souvent. Tu savais à quoi t'attendre en venant ici, tu savais.

En décidant de tirer un trait sur mon passé, à renier mon identité et mes origines, je m'étais jurée de ne pas foirer ma seconde chance. Tout cela m'avait tellement coûté que je me devais de ne pas faire n'importe quoi. Pourtant, c'était la sensation que j'avais en traînant avec Slim. Il pensait pouvoir devenir un super héros en s'injectant je-ne-sais quelle substance dans l'organisme, il était d'une immaturité sans commune mesure, se foutait des conventions. Il vivait dans son monde et ça lui convenait très bien ainsi. C'était un mec normal qui s'évertuait à rester en marge du monde tandis que moi, je m'étais tuée pour faire partie de ce monde-là.

Je fus rapidement tirée de mes pensées lorsque j'entendis le bruit du verrou de la porte. Je repris mon expression impassible – ma marque de fabrique – et vis mon hôte, comment dire.... Dans un piteux état ? Non, le mot n'est pas assez fort pour décrire ce que je vis. Ce n'était pas Slim qui se présenta à moi, c'était son fantôme tout au plus. Il avait le teint blafard à faire peur, des valises sous les yeux, un regard encore brumeux et sa dégaine... On aurait dit qu'il n'était pas sorti depuis des jours. Et l'odeur de renfermé qui s'incrusta dans mes narines vint confirmer mes dires.

En définitive, mon anxiété fit place à de l'inquiétude. J'étais pas contente de le voir comme ça, et je n'étais plus certaine de vouloir en voir d'avantage. Tout le monde sait que le lieu de vie d'une personne est la représentation même de ce qu'elle est, et peut-être que je ne voulais pas être confrontée à ça. J'adorais Slim mais peut-être que je n'étais pas prête à voir son intimité. Bon, ma curiosité a très rapidement fait surface, ce qui fit me retrouver le cul entre deux chaises ; d'un côté, je voulais m'en aller et de l'autre j'étais à la limite de le pousser pour découvrir son antre. Évidemment, ce serait très mal poli de repartir maintenant, d'autant plus que j'avais de quoi manger pour deux personnes et que je n'avais pas un estomac suffisamment gros pour tout engloutir, puis ça faisait un petit moment que je n'avais pas vu Slim et je dois bien avouer qu'il me manquait.

Trop plongée dans ce choix cornélien, je n'écoutais que très distraitement les banalités qu'il déblatérait. Une petite vanne et il se décala de la porte pour me laisser entrer.

J'y vais ou j'y vais ?
J'y vais ?
J'y vais pas ?
J'y vais.

J'entrai donc dans l'appartement avec une folle envie d'ouvrir une fenêtre parce qu'il était hors de question que je fasse de l'apnée et, tandis que Slim me pria d'aller au salon, s'excusant pour le bazar et sous- entendant que de toute façon, étant moi-même un primate, cela ne me dérangerait pas le moins du monde de traîner dans la merde. C'était un peu l'insulte ultime pour la maniaque que j'étais...

« Je suis peut-être « bestiale » comme tu dis, mais je ne suis pas un porc quand même !  Lâchai-je, amère et presque vexée qu'il ose me traiter d'animal. »

Je me dirigeai docilement vers le salon, prenant en compte l'avertissement de mon hôte vis à vis de son animal et lorsque j'arrivai dans la pièce, je fus désagréablement surprise. Je crois qu'une personne saine d'esprit aurait hurlé à en perdre la voix avant de partir très loin et très rapidement de cet endroit, mais je restai raide comme un piquet. A vrai dire, je crus avoir une grosse hallucination. J'eus le stupide réflexe de me gratter les yeux dans l'espoir de ne plus voir ce que je voyais. Seulement ce fut vint. Se dressait toujours devant mes yeux un alligator albinos très imposant, installé tout naturellement sur le canapé. J'étais tellement terrifiée que je préférais me diriger dans la cuisine avec Slim. Je tenais quand même à ma vie et puis, mourir en étant le repas d'une telle bête, c'était pas génial. Je n'étais pas du genre à avoir peur – je ne compte pas le nombre de fois où j'ai frôlé la mort – mais les animaux étaient beaucoup trop imprévisibles comparés aux hommes. Si cette bête ne m'appréciait pas, j'étais finie.
Le fait de me dire que cette soirée serait très certainement la dernière de ma vie me glaça le sang, surtout que j'allai la passer avec Slim... Chouette !

Je partis d'un pas rapide en direction de la cuisine, et avant de passer le pas de la pièce un scorpion, assez gros, me coupa la route. Je fus tétanisée quelques secondes et manquai de hurler avant de courir dans la cuisine. Et là, je fis un truc très étrange qui ne m'était jamais arrivé auparavant : je me jetais sur Slim et je le serrai très fort contre moi. Je ne pourrais jamais expliquer mon comportement. Jamais. Ce n'était pas mon genre de me cacher dans derrière quelqu'un. J'étais beaucoup trop fière pour ça. Mais je dois bien avouer que ce contact avec Slim me calma un petit peu. Cela dit, je me suis très rapidement détachée de lui, honteuse d'un tel geste. Très très honteuse.

« T'es un connard de première, Slim. Je te savais vicieux mais là.... C'est au-delà de ça. C'est dégueulasse de ta part. »

C'était peut-être pas le bon moment de faire venir Ina, au final. Je suis dégueulasse, je pue, j'ai la gueule d'un vieil alcoolique. Non, ce n'est décidément pas la meilleure idée de la laisser entrer dans ma tanière. Pourtant, au fond, sa venue ne peut être que bénéfique. Sans elle, je serais très certainement resté des jours encore sur ce canapé à me droguer sans mettre un pied dehors. Ce doit être pour ça d'ailleurs que je n'ai jamais eu de vrais boulots. J'suis pas du genre à me laver tous les matins pour prendre mes fonctions dans une quelconque entreprise. J'sais très bien qu'au bout d'une semaine, je finirais par me lasser. Je tiens pas sur la longueur, que ce soit professionnellement ou autre. Le simple fait d'avoir appris que j'allais devenir père m'a fait prendre la route. Comme si j'allais pouvoir tenir des années derrière un morveux. Comme si. Je l'imagine déjà ado venir me voir pour ses problèmes. C'est pas avec mon QI d'un gosse de cinq ans que je risque d'aller loin. Ouais, Slim, tu es décidément trop con. Tellement que je laisse Ina entrer dans le salon sans même l'accompagner. On sait tous comment peut réagir un animal face à la peur ou l'inconnu. Fauve pourrait se sentir agressée et attaquer. D'ailleurs, je peux déjà voir la jeune femme arriver vers moi en courant. Elle se jette dans mes bras et sur le coup, instinctivement, mes bras l'enlacent fermement. Un sourire malicieux se dessine sur mes lèvres à la vue de sa réaction. « J'savais que je te plaisais mais pas à ce point. Si la France acceptait la polygamie je pourrais te demander en mariage. » Ina et moi, mariés. Le simple fait d'y penser me décroche un rire. Ouais, ce serait l'une des unions les plus inattendues. Faut dire qu'on prend tellement d'applications à s'envoyer toutes les crasses possibles et inimaginables par la gueule. Non pas que je la supporte pas mais ça me paraît juste … impossible. Impensable. Au delà du réel, le genre de trucs que l'on ne peut croiser que dans les films Américains. « Arrête de faire la gueule. J'pensais pas qu'un petit alligator allait t'effrayer. Tu penses à ce qu'elle peut ressentir elle ? Voir que tu la fuis sauvagement, ça aussi, c'est dégueulasse. » Un clin d'oeil accompagne mes paroles tandis que j'attrape du bout des doigts son menton pour déposer un baiser sur sa joue. « Tu m'en veux plus, hein ? » En guise de demande de pardon, je lui offre mon plus beau regard de chat poté. Si cela peut marcher pour un gros matou roux en bottes, j'ai mes chances.

« J'te propose qu'on aille en terrain sûr. Y aura pas de croco ou de scorpions, promis. Suis donc le roi de la savane. » C'est comme ça que d'un geste de la main je lui ordonne de me suivre avant d'attraper les bouteilles d'alcool et m'aventurer dans le couloir. Mes yeux se posent sur les scorpions en liberté sans lâcher un seul mot. Pour une fois ce soir, je vais m'abstenir de lui dévoiler la raison de leur présence ici. J'me vois tellement mal lui dire que je réalise des expériences sur eux dans le but de m'injecter des supers pouvoirs dans le sang. Ina me prend suffisamment pour un dingue comme ça. C'est à se demander ce qu'elle fait encore près de moi après tout ce temps. Il en a fallu bien moins à certains pour me laisser seul. De toute façon, quand ce n'est pas les autres qui m'abandonnent, je prends soin à le faire, pour rendre les choses moins difficiles. Mettre un point un final à des relations qui ne vont nulle part. Et pour le coup, mon amitié -si on peut appeler ça comme ça- avec Ina est aussi incertaine que le reste de ma vie. Elle n'a pas l'air d'être l'une de ces lâches que l'on croise à tous les coins de rue mais nos caractères différents peuvent créer une explosion à tout moment. Ouais, c'est ça, nous deux réunis, de la putain de dynamite. « Installe toi sur mon lit, il est fait, les draps sont propres blabla … » J'ai jamais vraiment eu le courage de m'endormir dans ce lit bien trop grand pour moi. « Et je ne viole que les femmes. » Nouvelle provocation de ma part tandis que j'ouvre la porte de la chambre afin de laisser entrer Ina et la refermer rapidement derrière nous pour ne laisser pénétrer aucun intrus. Une fois les bouteilles posées sur le sol, mon regard plonge dans le sien, pétillant, sympathique. Tout simplement Slim. « T'as le choix entre whisky et vodka, j'ai pas eu le temps de faire les courses mais c'est mieux que rien non ? » Je lui offre un nouveau sourire tout en me laissant tomber dans le lit. D'un tapotement de la main je l'invite aussi à me rejoindre. Allez, Ina, j'te promets d'être tenable, pour ce soir.

En toute franchise, c’est à moi que j’en voulais le plus. C’était logique qu’en allant me jeter dans la gueule du loup, j’allai être confrontée à des trucs slimesques, c’est-à-dire des trucs qui ne peut arriver qu’en présence de Slim. C’est mon comportement qui me mit sur les nerfs. Cela ne me ressemblait pas de jouer la femme en détresse se jetant dans les bras d’un homme fort – bon, ici il s’agit plus d’un petit garçon enfermé dans le corps d’un homme. J’étais plutôt du genre à me contrôler, à analyser le danger et l’éliminer. La panique n’était pas mon crédo en temps normal.

Je ne pouvais pas lui en vouloir, même s’il avait clairement merdé. Quel être humain normalement constitué abrite un alligator dans un appartement ? Quel genre de personne laisse ses scorpions se balader en liberté chez elle ? Slim, assurément. En fait, je crois que son plus gros souci est de tester en permanence les personnes qu’il est susceptible d’apprécier et, plus la personne monte dans son estime, plus elle en prend pour son grade. Ou peut-être qu’il n’y a que moi qui en prenait plein la tête. Inconsciemment je devais aimer ça puisque j’étais encore là. Je pense avoir un gout très prononcé pour les connards en puissance à tendances sadiques.

Trop effrayée de prononcer des mots dépassant ma pensée et n’ayant pas forcément l’énergie de me prendre la tête avec lui, je me terrai dans le silence, la tête boudeuse et le regard assassin. Je ne pris même pas la peine de répliquer au sujet du mariage – et pourtant j’en avais sous le pied des saloperies à lui balancer. Non, je me contentais de le regarder méchamment… Avant qu’il me sorte que dans l’histoire, c’était moi la fille dégueulasse d’avoir fui un alligator. Ma volonté de garder le silence s’est joliment envolée.

« Je fais pas la gueule ! Je n’ai pas peur de ton alligator mais je m’attendais à un chat à moi ! Puis Fauve, c’est pas un nom pour un alligator ! Et je n’ai pas envie de me faire bouffer par cet animal, c’est tout. »

Je commençais à en avoir marre qu’il me fasse toujours passer pour la méchante. Ma sauvagerie avait ses limites. Vivre dans une jungle urbaine, très peu pour moi. Mais bon, comme d’habitude, ma rancœur s’envola lorsque Slim me fit un bisou sur la joue en me sortant le regard du pardon. Je le détestais quand il faisait ça parce qu’il arrivait toujours à ses fins sans même s’excuser.

« Tu sais très bien que je ne peux pas t’en vouloir… Lâchai-je après un soupir de capitulation. »

L’idée de ne pas trainer à proximité de ces diverses bêtes me plaisait, même si je savais pertinemment que Fauve pouvait détruire toutes les portes qu’elle voulait. Mais disons que mon attention sera moins portée sur les dangers environnants et, c’était quand même plus agréable de parler à quelqu’un qui vous écoute. J’ai donc suivi Slim, aka le « roi de la savane », qui me dirigea jusqu’à sa chambre, bouteilles d’alcool sous le bras.

Je n’avais pas lâché l’affaire. Je comptais bien le saouler de questions, notamment sur les scorpions et l’alligator. Les gens un peu simplets se limiteraient à dire que ce mec est fou. Mais je n’étais pas tellement de cet avis. Slim était tout à fait normal même s’il avait un penchant trop prononcé pour les substances illicites et qu’il pensait devenir un super héros. Plus je le côtoyais, plus je sentais que son comportement n’était pas quelque chose de fou. Je ne dis pas qu’il ne pourrait pas agir de manière plus réfléchie ou qu’il avait raison d’être comme il est, seulement le cercle vicieux dans lequel il vivait n’était que le résultat d’une chose brisée en lui. Je n’arrivais pas à y mettre le doigt dessus parce qu’on ne se parlait pas tellement de nos vies mais je comptais bien trouver le truc qui faisait que.

Arrivés devant la porte, j’eus droit à un discours de bienvenue ponctué de « blabla » et d’une vanne bien placée et de très bon gout, comme toujours, à laquelle je répondis par un coup de poing sur son épaule. Nul ne peut remettre ma féminité en cause, parce qu’à défaut d’être une adepte de la micro jupe et le décolleté plongeant jusqu’au nombril, j’avais des atouts dont je savais très bien me servir.

Slim ouvrit la porte et la chose qui me frappa le plus est que sa chambre était l’unique pièce rangée. En d’autres termes, Slim vivait dans toutes les pièces de son appartement, sauf dans sa chambre. Soit. Je restai plantée là où j’étais tandis qu’il s’installa sur son lit. Je me dis à cet instant que la situation devenait un peu étrange. Je finis tout de même à céder à son appel en m’asseyant à côté de lui. Je me tournais légèrement vers lui, sourcils froncés, le regard accroché au sien.

« Répond-moi franchement Slim, t’en fais quoi de ces scorpions ? »

A la tête d'Ina, je peux de suite comprendre qu'elle me prend encore plus pour un taré. Que ce soit au niveau des scorpions, de Fauve ou même de mon attitude. Je suis le seul responsable de cette image que je donne de moi. Fin non, c'est même pas une image, elle est réelle. J'aime cette façon de vivre, je suis comblé au milieu de la drogue et de la saleté. Des mes rêves morts nés et cette connerie de super héros. Alors oui, je pense sincèrement que je n'en ai plus rien à foutre que cette fille me prenne pour un attardé. Tout le monde le fait de toute façon, ouvertement ou non. J'ai déjà reçu en pleine gueule des tas d'insultes pour tenter de me faire redescendre mais rien ne m'enlèvera à ma psychose. Même pas un psy, même pas des cachets. Rien. Je suis né comme ça et je compte en mourir intacte. « Bien sûr qu'on appelle un alligator Fauve. Tu l'as vu ? Elle est si blanche. Si elle était née humaine, elle serait rousse. » Mon regard se pose sur Ina. Elle est hésitante, fixe les moindres anomalies de ses pupilles sombres. Un sourire se dessine sur mes lèvres. Je la laisse faire, sans un bruit. Dans un foutu silence de mort. Je l'autorise à découvrir toutes ces choses qui font constamment parti de ma vie et forgent mon caractère. L'inconnu peut parfois effrayer, dégoûter. Je me relève légèrement, toujours dans ce même mutisme et attrape une bouteille d'alcool pour la porter vulgairement à mes lèvres. C'est tellement plus facile de boire pour parler. Plus simple de se défoncer pour mieux se dévoiler. Ou se renfermer. J'suis pas capable de tout lui déballer comme ça. J'en serais jamais capable auprès de personne. C'est mon jardin secret, il m'appartient. Peu de monde se sent capable de le partager réellement. Sauf John peut-être. Mais c'est terminé, je l'ai abandonné, dans la misère de la grosse pomme. Je l'ai laissé tomber sur ce bout de trottoir, mon propre frère. Le simple fait de penser à lui me serre anormalement le cœur. Une putain de connerie qui vient me hanter. Ce soir il ne pleut pas dans la ville, il pleut dans mon cœur. Une tempête qui emporte et saccage tout. Elle ne laisse personne intact, même pas ceux qui se sont réfugiés sous terre. C'est une pute. D'un geste vif, du bout des doigts, je masque la photo de lui et moi sur ma table de chevet et me concentre sur l'alcool. C'est pas le moment pour chialer John. C'est trop tard, c'est terminé. J'ai été baisé par ma propre connerie. Alors y a plus qu'à se concentrer sur le présent. Sur le regard d'Ina qui parvient à me donner la force de continuer sans me tirer une balle dans le crâne. Elle est belle. Belle comme aucune femme ne l'a jamais été. Une bouteille d'oxygène à elle seule. Un oasis de vie dans un désert d'agonie. Ina. Mon souffle se coupe à sa question.

La réalité reprend ses droits. Elle s'acharne sur mes illusions. Incapable de lâcher l'affaire. Je lui tends la bouteille de whisky entamée en souriant. Parce que j'ai toujours eu le sourire de toute façon, dans tous les cas. Même à l'enterrement de ce toxico. Indestructible comme certains se prennent à dire, la voix pleine d'admiration. La vérité, c'est qu'il n'y aucune fierté à savoir dissimuler ses remords par la folie. Aucune. Même pas celle de survivre parce qu'on meurt intérieurement. Enfin, et malgré la situation, ma voix s'élève, tremblante. « J'fais rien. Ils se sont juste échappés. Ina, te fait pas d'soucis, je gère. » Rien du tout. Si ce n'est pour m'envoyer de la merde dans les veines et finir à l'hosto une fois sur deux. « T'as jamais eu d'insectes quand t'étais gosse ? On a tous déjà élevés des criquets ou des conneries dans le genre. » Je lui souris, tente d'éloigner ce fâcheux sujet sur lequel je ne veux pas me dévoiler. Ils sont responsables de ces blessures habillant mes bras, de leur manteau d'agonie. L'un de mes plus grands espoirs. « Bon, sinon, t'as passé une bonne journée ? » Comme si j'étais du genre à avoir des conversations aussi conventionnelles, encore plus avec Ina, comme si. Mais c'est toujours bien d'essayer. Pour marquer un peu plus ma joie de vivre et mon envie d'évasion je me relève sur mon lit et saute sur le matelas comme un véritable gamin dans le but de faire rebondir Ina. « Allez souris ! J't'ai pas invité pour que tu tires une gueule d'enterrement ! » A ces mots je me baisse légèrement pour allumer la musique et lui tends ma main. « Tu m'accordes cette danse ? Par contre, enlève tes chaussures, j'veux pas que mon lit devienne une porcherie. » C'est presque le comble, en y pensant, sachant que mon appartement est de loin l'un des plus crades de Paname.

Avant même qu’il eut prononcé ne serait-ce qu’une syllabe, je savais déjà que Slim comptait me mentir. C’était flagrant. Ses pupilles s’étaient dilatées, il était hésitant. Il puait le mensonge. Et sa voix tremblante n’était qu’une preuve de plus étayant ma théorie.

Ma réaction face à ça fut sans appel. J’étais déçue et je ne m’en cachais pas. Tête baissée, mon regard se porta sur le goulot de la bouteille que Slim m’avait donné quelques secondes auparavant. Tout ça était très loin d’être clair et limpide à mes yeux. La pluie tapant sur la fenêtre sonnait comme une triste mélodie et l’ambiance m’oppressait. Cela venait de moi assurément mais je détestais le mensonge et, quand bien même je ne pouvais poser un nom sur ma relation avec Slim, je savais que c’était bien plus qu’une vague relation. Et le fait qu’il me mente ainsi, ça m’a foutu un sacré coup et je n’arrivais pas à le cacher. Non, en réalité je ne voulais pas le faire. J’en avais assez de jouer au robot dépourvu de sentiments. Je me rendais compte que plus je coulais de béton autour de mon cœur et plus mes sentiments jaillissaient, dévastant tout sur leur passage. Et à chaque fois, j’en souffrais. Alors je ne voulais plus de ça. Pas avec les personnes qui avaient de l’importance à mes yeux. Pas avec Slim.

Mais j’étais dégoutée d’être là. Au final, cette relation était aussi artificielle que toutes les autres. Rien n’était établi, rien n’était dit. Nous restions ensemble sans même savoir pourquoi. Aucun point commun ne liait nos deux mondes alors pourquoi je m’efforçais à rester ici ? Parce que je tenais à lui malgré tout ? Parce que c’était le seul endroit où j’avais l’impression d’avoir intérêt à y être ? Ou peut-être parce que même avec toutes ces bestioles qui rodaient derrière cette porte et toute la crasse qui tapissait cet appartement je me sentais étrangement bien ? Tout ça n’en valait pas franchement la peine. Ce n’était que du vide. Si je m’écoutais, je m’en irais pour ne plus jamais revenir.

Comme pour palier à mon mutisme soudain, Slim n’arrêta pas de combler le silence avec des questions et un comportement aussi vide que tout le reste. Je ne pris ni la peine de répondre, ni même la peine d’écouter. Je devais arrêter de vouloir à tout prix le comprendre. Il était comme il était et ça lui plaisait. Il me jettera comme il jettait tout le monde. Fallait que je ma fasse à cette idée. Non pas que ce soit difficile en soi mais je redoutais dès à présent le moment où cela arrivera. Ce moment où je serai encore seule. Ce foutu moment où l’on m’abandonnera. Encore. Je devais m’y faire et songer à un plan B, voire un éventuel plan C (on n’est jamais trop prudent).

Je bus au goulot, comme une vieille alcoolique, au moment même où Slim me tendit sa main pour danser sur son lit. Je n’avais même pas vu qu’il s’était levé, ni même entendu la radio. Je devais vraiment rentrer chez moi. Je fixai longuement sa main avant de le fixer lui.

« Je n’ai pas pour habitude de danser avec des menteurs. Fous-toi ta main où je pense. Finissais-je par lâcher d’un ton beaucoup trop calme. »

Elle fait la tête, elle est déçue. Ça se voit dans son changement soudain d'attitude. Ina m'en veut de lui cacher la vérité. J'ai envie de lui dire que c'est plus simple comme ça, que ça vaut mieux pour nous deux. Mais il semblerait que notre vision de l'honnêteté soit différente. Deux sortes d'opposés qui se repoussent sans vouloir se faire réellement de mal et qui pourtant, se tirent dans les pattes. Ma main se referme dans le vide, fébrilement. Je reste quelques minutes plantés sur ce lit à fixer mes doigts abandonnés à leur solitude. La musique défile, c'est à peine si je l'entends aussi, témoin de notre mal être commun. Je formule dans ma tête des paroles qui mourront au contact de mes lèvres. Pas suffisamment viables pour que je les dise réellement à Ina. Ce n'est pas une danse qui va faire disparaître la déception de son visage. Pas non plus l'un de mes sourires enfantins. D'ailleurs sa voix brise le silence, je peux entendre ses mots ricocher sous ma boîte crânienne. Ils m'enfoncent un peu plus bas. Me remettent à ma place si facilement que je laisse mon corps s'échouer sur le lit dans un soupir d'agacement. Les sourcils froncés, je fixe le plafond en silence, à la recherche d'échappatoire. L'envie de renchérir par une connerie me traverse l'esprit sans pour autant me quitter. Au fond, j'crois que bien que j'apprécie trop Ina pour prendre le risque de la laisser s'échapper. Nos caractères sont juste trop différents pour être toujours sur la même longueur d'ondes. Jusqu'ici ça c'est toujours plus ou moins passé. Y a pas de raisons que ça change ce soir. Non, aucunes. Alors, décidé à mettre fin à toute cette connerie dans laquelle nous baignons, je relève mon torse. Mes yeux se perdent dans ses cheveux, comme si ce simple regard planté en sa direction allait faire arranger les choses. Comme si.

J'ai l'impression d'avoir de la boue dans la tête. Non pas seulement en cet instant, mais depuis toujours. Un espèce de gros tas de merde empêchant mes pensées de respirer comme elles le désirent. Ce doit être pour ça d'ailleurs que je fuis la réalité, pour oublier cette masse douloureuse sous mon crâne. Pourtant, ce soir, j'fais face à tout ça. Pas pour Ina, mais pour moi. Histoire d'être en paix avec moi même. Mes doigts s'approchent d'elle et attrapent sa main pour la serrer doucement et l'inciter à se retourner vers moi. « Promis, tu juges pas ? » J'ai l'air d'un gamin, putain. Fin non, j'en suis un, enfermé dans ce corps de merde. Un peu trop vaste et mature pour mon cerveau bloqué au stade d'ado. « Ces scorpions, j'suis persuadé qu'ils m'aideront à devenir ce que je veux réellement être. » Mes yeux brillent déjà. Mes rêves dévorent mon âme. « Alors ouais, ils m'arrivent de faire quelques petites expériences mais rien de grave. T'as pas à t'en faire pour ça, j't'assure. Ça fait même pas mal. » Un sourire foutrement sincère se dessine sur mes lèvres tandis que je me rapproche d'elle pour l'enlacer tendrement. Mes lèvres se posent dans son cou et mon menton termine par se poser sur son épaule. « Tu vas pas m'abandonner comme un pauvre clébard, non ? » J'suis pourtant à l’abri de rien après ce moment de tension.

Ouais, j’étais une putain de rabat-joie. J’en étais pleinement consciente et, j’avoue que parfois, ça me tapait sur le système. Seulement là, dans ce cas précis, j’avais plus qu’une bonne raison de l’être. Je ne me sentais pas stupide de vouloir autre chose qu’une pseudo amitié creuse. Je ne me sentais pas stupide d’en avoir plus qu’assez de faire comme si tout allait bien alors que la réalité en était tout l’opposé non plus. Je ne connaissais presque rien de Slim et je venais d’atteindre le point culminant de la frustration. Mon existence était une boucle dépourvue de sens. J’avais espéré qu’en tournant une page de ma vie, j’allai pouvoir trouver une place dans ce monde mais en définitive, je n’en étais pas capable. J’’étais là pour être là. Et puis c’était tout. Il n’y avait aucun relief à tout ça. Aucun intérêt. J’avais pas pour fin de devenir indispensable à qui que ce soit, mais je voulais quand même servir à quelque chose et ce n’était absolument pas le cas. Et pourtant, Slim était une âme en peine. Bon, je savais que ce n’était pas de mon aide dont il avait besoin, mais je n’étais même pas fichue de le pousser à aller de l’avant. La seule chose que je faisais était de le voir sombrer de jour en jour. Quelle misérable je faisais.

Je n’avais décidément rien à faire ici. Rien du tout. J’aurais dû rester chez moi pour ruminer tout et n’importe quoi puisque je n’étais capable de rien. Une simple broutille prenait trop d’ampleur à mes yeux. Ouais, c’était tout moi ça. Je prenais tout trop à cœur. C’était très con. J’étais très conne. Je devrais me contenter de rien. Je devrais mais je n’y arrivais pas. Peut-être que j’avais trop d’attentes, peut-être que j’étais un peu trop perchée pour voir les choses telles qu’elles étaient. Peut-être. Peut-être pas. Mais en tous les cas, la situation me gonflait et j’étais à présent décidée à rentrer chez moi.

Je me reconnectais à la réalité lorsqu’une grosse secousse me fit rebondir sur le lit. Si je n’avais pas été de si mauvaise humeur, j’en aurais redemandé parce que je trouvais ça vraiment marrant. Mais le dégout de tout primait sur le reste. Dommage. Je m’apprêtais à me lever lorsque je sentis la main de Slim m’incitant à lui faire face. Lorsque je me retournais, je vis un Slim beaucoup moins sûr de lui que d’habitude. Ca me faisait bizarre de le voir comme ça. Lui qui passait son temps à me prouver qu’il était aussi fort qu’un super héros, à extérioriser sa virilité dès qu’il le pouvait se retrouvait à être tout petit. Il me faisait penser à un petit garçon qui allait se dénoncer d’avoir fait une bêtise. Il était vraiment attendrissant et tout mignon à ce moment-là. Evidemment, ma sale humeur commençait à s’atténuer. Je détestais Slim quand il arrivait à me prendre par les sentiments.

Lorsqu’il m’avoua ce qu’il faisait avec les scorpions – enfin avouer de manière très floue cela dit – je n’eus pas la force de m’énerver. C’était mal venu et puis ce ne serait pas productif. Je n’étais personne pour lui dire quoi faire de sa vie. Je n’étais personne pour lui dire que ce qu’il faisait était mal, dangereux et complètement stupide. Je n’étais personne même si j’étais très inquiète pour lui. Oui parce qu’il avait beau me dire qu’il gérait la situation, je savais pertinemment que c’était complètement faux. Mais je ne pouvais faire autre chose que garder le silence. Comme toujours.  Mais bon, je ne pouvais ignorer l’effort qu’il avait fait pour me dire la vérité. Cela signifiait beaucoup pour moi ce petit pas en ma direction.

Ce qui se passa ensuite était un peu déconcertant pour moi. Slim s’approcha de moi pour m’enlacer. Je n’avais pas du tout l’habitude de ça, d’autant plus que je ne m’étais toujours pas remise de ma réaction dans la cuisine. C’était étrange mais agréable. Il n’y avait qu’un homme qui était arrivé à entrer dans mon espace proche sans perdre un bras jusqu’à présent. Ouais, je ne laissais personne s’approcher trop près de moi. C’était trop dangereux. Du moins, mon cerveau l’a toujours interpréter de cette façon-là. Mais ce soir, c’était différent. Il s’agissait de Slim. Alors comme par réflexion je refermai mes bras autour de lui, comme pour le protéger du monde extérieur, pour le rassurer.
Je ne pouvais pas rester de marbre lorsque Slim osa me demander si j’allai le balancer comme une vieille chaussette. Cette question me blessa vraiment. J’avais l’air d’être une de ces personnes qui utilisent les gens comme de vulgaires pions ? Non mais franchement, si je voulais le lâcher comme une merde, j’avais plus d’une occasion de le faire ! Je vois pourquoi il me posa cette question. Je n’allai pas m’énerver, mais quand même… C’était ça l’image que je véhiculais ?

Je préférai ne pas répondre de suite à sa question. Je ne voulais pas ranimer les tensions qui venaient à peine de s’apaiser.  Je gardai longuement le silence, caressant le dos de Slim comme pour le bercer. J’avais peur de tout gâcher, comme je savais si bien faire. Alors je réfléchis à un moyen de répondre sans être blessante et sans montrer que ce qu’il venait de dire m’avait touché. Je formulai ma réponse plusieurs fois dans ma tête pour être certaine de ne pas dire un mot de trop. Une fois certaine de ce que j’allai dire, je fis basculer Slim sur le dos, me retrouvant alors allongée sur lui. Je mis un  certain temps à prononcer quoi que ce soit. Mon souffle fut comme coupé. Je venais de me rendre compte que la position dans laquelle je me trouvais actuellement était très tendancieuse et je venais de me rendre compte que Slim était un bel homme. J’eus à cet instant-là une envie telle de l’embrasser que je sentis une excitation malsaine nouer mon estomac. Ce n’était ni le lieu, ni le moment, ni même la personne pour avoir de telles pensées. Il était vrai que cela faisait maintenant trop longtemps qu’un homme n’avait pas pris soin de moi de la sorte, mais ce n’était tout de même pas la peine de s’exciter pour un rien.

« Ecoute-moi bien Slim. Il y a très peu de chances que je sois amenée à te répéter ce que je vais te dire donc enregistre-le bien. Commençai-je non pas sans difficultés. Tu risques d’être déçu mais saches qu’il en faut bien plus pour se débarrasser de moi ! Tu es comme tu es et, même si je suis inquiète, je t’apprécie. Non, que dis-je ! Je t’adore, Slim. C’est complètement irrationnel parce que nous savons tous les deux que je suis bien trop parfaite pour toi ! Mais non, je ne te lâcherai jamais, parce que t’es pas mon clébard mais… Petit hésitation de ma part. Mon ami. »

Je clôturai mon discours sincère – sauf pour la partie miss perfection évidemment – par un baiser sur son front. Je restai ensuite quelques instants à le fixer avec cette envie prenante de l’embrasser à bien d’autres endroits. La situation était un peu trop délicate, voire tendue. Mon cœur était sur le point d’exploser ma cage thoracique, j’étais en train de dévorer Slim du regard. Il fallait vraiment que je bouge mais mon corps refusait de s’exécuter.

Collé à elle comme un gamin s'accrocherait à sa mère, je resserre légèrement mon étreinte. Mes doigts se crispent sur son t shirt, à la recherche d'un contact plus intense. Comme pour l'empêcher de partir et la convaincre de rester avec moi ce soir. L'obliger à se bourrer la gueule avec moi, parler jusqu'au bout de la nuit et oublier que dehors, le temps continue de passer. Que la vie n'a cesse d'avancer pendant que nous montons un peu plus haut dans le ciel, enfermés dans notre bulle. Et enfin, lorsque les bras d'Ina se referment sur moi, les peurs s'échappent, en même temps que les incertitudes. Je me surprends à penser qu'elle ne m'en veut plus pour mes secrets et mes conneries de super héros. Fin non, c'est même pas des conneries, j'y crois réellement. C'est l'une des seules choses qui me permet de ne pas sombrer un peu plus dans la drogue. Bien que j'y sois déjà énormément. Devenir un super héros est mon but ultime. Mourir d'une overdose ne me rendrait pas plus fort. Et si elle réagit comme ça c'est peut-être une sorte d'inquiétude ou je ne sais quoi. Dans tous les cas, je ne la comprends pas vraiment, tout comme elle ne me comprendra jamais totalement. C'est ce qui rend les choses encore plus compliquées qu'elles ne le sont déjà. Jusqu'ici, on a toujours réussit à garder le cap. Pourtant tout semble encore fragile. J'ai l'impression de devoir prouver des tas de choses pour briser toutes les mauvaises pensées qu'Ina peut avoir à mon égard. J'suis absolument tout sauf un mec parfait mais je pense qu'il y a pire aussi. Comme tous ces hommes qui frappent leur femme une fois la porte de leur grande maison fermée. J'ai des défauts, oui, mais pas les pires. Si on enlève ma toxicomanie. Je lui demande qu'une chose, me faire un minimum confiance et me croire. J'veux pas qu'elle pose tous ces espoirs sur moi, qu'elle pense que je vais changer et devenir un mec respectable. J'ai juste envie qu'on me foute la paix avec mes scorpions et mes expériences. Je sais ce que je fais, je l'ai toujours su, la preuve, aujourd'hui encore je ne suis pas mort d'une de mes conneries. J'ai pas de limites mais une vie à préserver.

Mon dos rencontre l'épais matelas tandis que je me perds dans les mouvements d'Ina. Je me laisse faire sans essayer de l'en empêcher. Je me contente de suivre ses gestes sans jamais quitter son regard des yeux. Comme si le fait de ne plus la fixer allait changer quelque chose. J'veux lui prouver que je l'écoute, sincèrement. Que je suis ici, réellement, et ce malgré toutes les conneries présentes dans mon sang. Les battements de mon cœur se calment lorsque le son de sa voix atteint mes tympans. Mon cerveau enregistre chacune de ses paroles sans jamais la couper. Sans rien laisser se dissoudre, le filtre s'est échappé. J'entrepose les informations. Ina me demande de bien enregistrer ce qu'elle a à me dire. Ce doit être pour ça d'ailleurs que je concentre autant. Comme un gosse écouterait sa mère, je me tais en répondant d'un bref signe de la tête. Je t’adore, Slim. Cette simple phrase suffit à me déstabiliser légèrement. Ca fait si longtemps maintenant que j'ai plus rien entendu de sympa à mon égard. Faut dire qu'en règle générale je suis rien de plus que le gars qui fait sourire. On me désigne de taré et puis ça s'arrête là. Parce qu'au fond c'est ce que je dois être réellement, un pauvre dingue. Sans sentiment, sans état d'âme. Mais c'est faux, totalement, faux, parfois, ça fait du bien d'entendre de telles paroles. D'y croire et se reconstruire à partir de ces paroles positives. Un sourire se dessine sur mes lèvres tandis qu'une nouvelle fois, les paroles d'Ina résonnent sous ma boîte crânienne. J'ai envie de répondre à tout ça mais rien ne quitte mes lèvres. J'ai jamais été vraiment doué pour parler à qui que ce soit. Comme si un barrage bloquait mes sentiments à la barrière de mes lèvres. Pourtant, j'ai pas vraiment eu de déception sentimentale dans ma vie. Non, j'suis plutôt du genre à provoquer les dégoûts relationnels, pas le contraire. La logique n'existe pas, elle déserte mon âme et mes pensées. C'est tout, j'suis comme ça, un peu trop con et silencieux au mauvais moment.

Perdu dans son regard, il me faut quelques minutes pour me reconnecter à la réalité. Me retrouver sur ce grand lit dans une situation nouvelle. Ce doit être la première fois que je me trouve si proche d'Ina. Trop occupé à se lancer des pics pour tenter quoi que ce soit d'autre. A l'aise, mes doigts s'approchent délicatement du visage de la jeune femme pour y enlever une mèche de cheveux rebelle barrant son visage. « C'est enregistré. » Un sourire franc se dessine sur mes lèvres pendant que ma main caresse légèrement l'épiderme de sa joue. « Mais moi aussi je t'aime, tu le sais. » Bien sûr qu'elle le sait, enfin je crois, j'en sais trop rien. J'ai jamais été doué pour montrer mon affection à qui que ce soit. Je suis un gars vachement collant, que ce soit avec elle ou le moindre inconnu. J'crois même que j'aime tout le monde. D'ailleurs, c'est naturellement que ma main se pose sur sa nuque pour approcher son visage du mien. Mes lèvres se posent aussi sur les siennes pour y déposer un bref baiser. Le contact de sa peau contre la mienne suffit à faire monter la fièvre. C'est peut-être pas la meilleure façon de lui montrer que je suis sincère avec elle mais c'est le seul moyen que j'ai trouvé. Ce n'est pas un agréable baiser entre amis qui parviendra à foutre le bordel entre nous, non ? Mes doigts se perdent aussi dans sa longue chevelure. L'espace d'un instant son parfum m’enivre jusqu'à ce que je coupe le contact de nos deux corps. « Alors on les termine, ces bouteilles ? » Un nouveau sourire prend place sur ma bouche tandis que je recule mon visage du sien pour relever légèrement mon torse. « Compte pas sur moi pour te tenir les cheveux demain matin quand t'auras la tête au dessus de la cuvette. » Autant la prévenir de suite que je ne suis pas un bon partenaire de gueule de bois.

Durant tout le temps de ma petite tirade, je ne cessais de me demander s’il m’écoutait vraiment ou s’il faisait semblant. Je sais que ça peut paraitre stupide mais je ne compte pas le nombre de fois où il faisait semblant de m’écouter pour finalement rebondir sur ce qui pouvait bien l’arranger, quitte à comprendre à l’envers les choses. Donc pour tenter de me convaincre que mes mots ne disparaissaient pas dans l’air dès lors que je les prononçais, j’essayai de décrypter le regarde de Slim. Si au passage je pouvais avoir une vue sur son esprit, ça m’aurait arrangé mais bien évidemment, je ne trouvais aucune réponse. Ça aurait été bien trop facile sinon. Rien ne se passait jusqu’au moment où j’arrivai à l’essentiel de mon discours, ce pour quoi je m’évertuais à jacasser bien plus que je ne le faisais en une journée (j’exagère à peine). Je vis un sourire se dessiner sur le minois de mon interlocuteur et, étrangement, ça m’avait soulagé d’un poids. C’est vrai qu’un sourire ne voulait plus dire grand-chose puisqu’on s’en servait à tout bout de champs pour les mauvaises rasions mais j’espérais que ce sourire était bien une réaction à ce que je disais et non pas l’annonce d’une moquerie. En gros, j’étais toujours entre deux eaux à me demander ce qui me tombera dessus dans la seconde à venir.
 
Après ça il y eut un long moment de silence qui me parut durer une éternité. Aussi fou que cela puisse paraitre, ce n’était pas de ces silences pesants durant lesquels la gêne prenait possession du temps. Loin de là ! Il s’agissait plutôt d’un temps mort plus qu’indispensable. Pour lui. Pour moi.  C’était une sorte de pause pour tout mettre à plat, pour digérer les infos. Je n’étais pas quelqu’un de très démonstratif parce qu’on a cessé de me dire tout au long de ma vie que laisser transparaitre quoi que ce soit de moi s’accompagnerait forcément d’une mauvaise surprise, que c’était donner l’opportunité à quelqu’un de pouvoir me détruire. Les sentiments étaient quelque chose de mal qu’il fallait cacher à n’importe quel prix. Alors avouer à Slim qu’il était important pour moi n’avait pas été facile, même si étrangement, cela m’a paru naturel et important de le dire. Mais je n’étais pas à l’aise quand même. J’appréhendais sa réaction, sa réponse et j’étais beaucoup, beaucoup trop proche de lui. Ma température corporelle venait de monter d’un cran, à cause de ma gêne sans nul doute. C’était un étrange comportement de ma part. Mener un combat au corps à corps, quitte à mettre ma vie en danger, ne me dérangeait absolument pas, mais dès que quelqu’un envahissait mon espace, je n’étais pas bien. C’est vrai que j’étais quelqu’un d’assez pudique et que sentir une présence trop proche me dérangeait. D’ailleurs, dans ces cas-là je faisais tout pour remettre de la distance avec la personne. Pourtant, je ressentais autre de chose en ce moment. Il y avait à côté de mon malaise un bien être inexplicable. Etait-ce signe que ma relation avec Slim évoluait dans la bonne voie ? Je n’en savais trop rien et je m’en fichais bien dans le fond. N’y connaissant rien en matière de relations humaines, je préférais me laisser aller au gré des choses, quitte à me ramasser les dents à la fin. Mais c’était bien quand même.
 
En dépit de cette chaleur rassurante qui naissait au creux de mon ventre, je n’en étais pas moins anxieuse. Pendue à ses lèvres espérant ne pas devoir faire face à une pique ou autre chose de tout aussi désagréable, je fus soulagée d’entendre que monsieur m’avait bel et bien écouté. Au moins, je n’avais pas bousculé mes habitudes pour rien. Quand bien même je n’avais pas de réponse de sa part, il savait que l’appréciais énormément et c’était le plus important pour moi. Je n’attendais pas particulièrement de retour. J’y ai quand même eu droit et j’aurais pu me contenter d’avaler son « Mais moi aussi je t'aime, tu le sais » mais je n’y suis pas arrivée. J’aurais vraiment voulu en être capable en plus parce que j’avais besoin d’entendre des gentillesses comme celle-là mais quand ça sort de la bouche de Slim, j’ai toujours eu tendance à le prendre avec des pincettes. C’était vraiment déloyal de ma part de réfléchir comme ça, de prendre en compte son passé alors que j’étais la première à savoir que les choses pouvaient radicalement changer du jour au lendemain. Mais voilà, Slim était capable de disparaitre du jour au lendemain alors je ne voyais pas pourquoi je ferais exception à la règle. Même si j’évitais d’y penser constamment, j’étais consciente que le jour où Slim trouvera quelqu’un plus en phase avec sa vie et ses délires, ou qu’il sera tout simplement lasser de ma compagnie, il m’oubliera aussi vite qu’il m’a connu. C’était comme ça et quand cela arrivera, je n’aurai que mes yeux pour pleurer. Alors oui, c’était mignon et ça me touchait dans une certaine mesure, mais je n’étais pas assez stupide pour y croire. C’était d’ailleurs pour cela que je n’avais pas vraiment réagis. Peut-être aurais-je du feindre un sourire... J’y aurais bien réfléchi plus longtemps si je n’avais pas sentie une main m’attirer vers l’avant. Une fraction de seconde plus tard, je sentis les lèvres de Slim sur les miennes. Ça ne me gênait pas outre mesure puisqu’il n’y avait pas mis la langue. Je me suis laissé faire, sans dire mot. Ce n’était rien de plus qu’un petit baiser sans conséquence. Mais c’était un peu déconcertant. C’était du Slim tout craché quoi : imprévisible.
 
Bien décidé à passer à autre chose, il s’écarta de moi – alors que j’aurais bien passé toute la soirée dans la position où nous étions – et, sans grande surprise, il me proposa de boire comme un trou. Pourquoi pas. Ca faisait bien longtemps que je ne m’étais pas noyée dans l’ivresse et n’étant pas au meilleur niveau moralement, cela ne pouvait pas me faire trop de mal… Non. Là je me mentais carrément. C’était clairement une très mauvaise idée car qui dit ivresse dit levée des inhibitions… Mais je pris sa dernière phrase comme un challenge. Et je ne refusais jamais les challenges…
 
«  Tsss, pour qui tu me prends ? J’ai été élevée à la vodka, Cher Monsieur ! Lançai-je d’un air puéril. »
 
Je me relevais et me hâtais à enlever mes chaussures et attraper les bouteilles pour m’installer définitivement sur le lit.
 
« Honneur aux dames ! Dis-je tout en lui tendant les bouteilles pour qu’il en choisisse une. Par contre je te préviens, me voir bourrée est aussi dangereux que d’ouvrir la boite de Pandore. Je m’excuse donc d’avance de ce qui se passera durant cette soirée. »
 
J’espérai tout de même ne pas trop déraper…

Ina, c'est ce petit bout de femme au caractère fort. Parfois incompréhensible. L'opposé même de ce que je suis. C'est d'ailleurs très certainement pour ça que je m'accroche autant à notre amitié. Elle est ce repère indispensable à tout rêveur. Un peu comme le phare projetant sa lumière aux bateaux pour les empêcher de s'échouer. Et s'il nous arrive de faire des étincelles, j'pense qu'au fond, notre relation est bien plus forte qu'elle n'y paraît. Au début, je lui donnais pas vraiment d'espoirs, ouais, j'la voyais déjà dépérir au milieu de nos pics. Pourtant aujourd'hui, en me voyant si proche d'Ina je comprends petit à petit qu'il ne s'agit pas d'une simple amitié. Non, y a plus que ça. C'est sincère, c'est léger, comme la fumée d'une cigarette. Ça finit par s'évaporer dans l'air mais on la sent toujours, à son odeur et aux traces jaunes qu'elle laisse sur les murs. Un sourire se dessine sur mon visage à cette pensée tandis que le regard de la jeune femme me transperce littéralement. Elle n'a pas besoin de me le dire mais je sais déjà qu'elle ne croit pas à mes paroles. Au fond, Ina doit avoir raison. J'ai été incapable de tenir sur la longueur par le passé. Pourquoi ça changerait maintenant ? Pourquoi tout irait mieux avec elle ? Peut-être parce que je tiens à elle. Fin non, ça tient même pas la route. J'aimais Siham. J'aimais mon frère. J'aimais Sid. D'un battement de cils, je tente de canaliser mon énergie et ne lâche pas son regard. L'envie de l'embrasser à nouveau me traverse l'esprit. J'ai envie de lui prouver que cet attachement n'est pas superficiel. Que tout ce que j'ai pu lui dire, je le pense, sincèrement. Ok, y a des chances que je me barre du jour au lendemain pour une raison quelconque. Elle a juste pas le droit de remettre en question mes dires. Pas aujourd'hui, du moins. Non parce que j'ai pris mon courage à deux mains pour lui avouer mon attachement. C'est peut-être rien de bien incroyable pour elle mais c'est beaucoup pour moi. Pour mon cœur. Pour mon âme et mon cerveau. Tout simplement énorme pour le type que je suis. Généralement toujours à côté de la plaque, j'essaie en vain de me reprendre. A croire que mon cas est désespéré. Ina ne se débarrassera pas de l'image qu'elle a de moi aussi rapidement. Une simple phrase ne changera pas la donne. Au fond je croyais quoi ? Que mon regard de pauvre gars allait me sauver la mise ? Ouais, c'est ça. Pourtant j'l'ai toujours su, qu'avec Ina, ça prendrait pas. Un peu maso sur les bords j'ai quand même voulu user de mon charme. Comme un vieux réflexe dont on ne peut se défaire. Une sorte de bouclier infranchissable et destructeur.

Finalement, et à mon plus grand soulagement, ses chaussures tombent au sol pour me confirmer qu'Ina ne partira pas. Du moins pas tout de suite. Elle est bien décidée à passer un petit bout de temps avec moi. À passer ou plutôt à perdre. On peut pas vraiment dire que je sois le type le plus intéressant que la terre ai eu l'occasion de porter. J'apporte des artifices mais rien de plus. La coquille que je suis semble vide. Elle résonne. A chaque parole. J'ai jamais vraiment eu l'occasion de passer trop de temps avec Ina. Jusqu'ici la situation ne s'était jamais présentée. Qui sait, peut-être qu'en quittant l'appartement, elle se dira que, finalement, je suis un mec inintéressant. J'sais même pas pourquoi cette pensée me traverse l'esprit. Fin si, j'ai pas envie de la perdre pour une connerie. Cette fille, c'est de loin l'une des seules à qui je parviens à donner mon respect. Elle est pas de celles que je baise avant de jeter au petit matin en les traitant de salopes. Et quand je la traite de frigide, c'est juste une fausse insulte. Non, c'est ce qui la rend respectable et attirante. C'est ce qui rend ce moment plus important que d'habitude. L'idée de tout gâcher à tendance à m'effrayer. Surtout lorsqu'on est le roi des conneries et des échecs en tout genre. Alors, légèrement crispé, je m'assois en tailleur en face d'elle. Mon regard descend jusqu'aux bouteilles, le temps de les analyser. La seconde d'après mes doigts en attrapent une. « Rien ne quittera les murs de cette chambre. J'te le promets. » Je lui souris, levant ma bouteille en sa direction pour trinquer. « A notre première soirée.» Je marque une légère pause, lui accorde un clin d'oeil, et, finalement porte le goulot contre mes lèvres.

« Oh, je te propose un jeu. » Nouvelle pause, le temps de me rapprocher légèrement d'elle et prendre un air plus sérieux. Je me racle la gorge, prends une longue inspiration et plante mon regard dans le sien. « A partir de maintenant, avant chaque gorgée d'alcool, tu devras me dévoiler l'un de tes secrets. Et j'fais de même. » Le genre de jeu que je faisais lorsque j'étais ado. On en était accro ; ça faisait rire les uns, ça énervait les autres. Mais c'était drôle, c'est tout ce que j'en retiens. Surtout qu'au petit matin, il était rare de se souvenir des secrets des autres. Les révélations s'évacuaient en même temps que nos tripes, au fond des toilettes publiques. « J'veux bien commencer pour te montrer. » Lui montrer. C'est pas vraiment le mot approprié mais c'est pas grave. L'important pour moi est d'ouvrir le bal. Alors, souriant, je lâche son regard pour fixer un instant le mur en face de moi. Juste le temps de réfléchir. Y a des tas de trucs inavouables sur mon existence que je fais le tri. Encore assez lucide pour éjecter certains secrets je retourne finalement mon attention en sa direction. « J'ai déjà songé à coucher avec un homme mais j'me suis finalement barré avant l'acte. J'avais trop peur qu'il se retrouvé bloqué en moi parce que j'étais trop tendu. Imagine un peu la gueule des pompiers ! » Le ton de ma voix est détaché, même pas une once de honte traverse mes mots. J'lui raconte ça comme on raconterait sa dernière visite chez le coiffeur. Un rire accompagne tout de même mes paroles tandis que je bois une gorgée d'alcool. « A toi et un truc bien croustillant hein. » Ouais, j'compte sur toi pour m'étonner.

Il y a des choses qu’on ne peut pas comprendre d’un seul coup d’œil. Il faut parfois du temps pour connaître le pourquoi du comment. Et c’est vrai que moi, il y a encore quelques minutes, alors que j’attendais, anxieuse, devant la porte d’entrée, je ne comprenais pas ma relation avec Slim. Non, je ne comprenais pas la longévité d’une relation que je pensais complément factice. Mais maintenant, assise sur ce lit avec lui, je venais de trouver la pièce manquante du puzzle. L’inconnue de l’équation. La solution de l’énigme. Nous étions complètement opposés lui et moi – il est bordélique alors que je suis limite maniaque, il prend les choses comme elles viennent alors que j’essaie d’avoir un maximum de contrôle sur ma propre vie, il sourit tout le temps alors que moi rarement. C’était donc ça qui faisait que notre relation était stable. Elle était une sorte d’équilibre fragile. Je crois que lui comme moi cherchions à compenser nos failles avec les forces de l’autre. On avait très certainement des points communs tout de même, sinon je ne vois pas comment on aurait pu se supporter si longtemps. J’ai toujours vu Slim comme une personne blessée, ou au moins triste, malgré son air enjoué. Mais je crois que je faisais une projection de mon image sur la sienne… Cette idée de lui me réconfortait. J’avais l’impression – vraie ou fausse – d’avoir trouvé un pair et c’était tout ce qui comptait. Je me sentais juste bien quand j’étais avec lui, voilà tout. Mes secrets me rongent de l’intérieur, sans répit, tous les jours et je crois que sans Slim et sa douce folie, j’aurais très mal fini. Là, à cet instant, je suis tranquille, apaisée – et ce, même avec un alligator et une colonie de scorpions se baladant derrière la porte. Je crois que c’est ce qu’il fallait retenir de tout ça : j’étais bien avec Slim.

Je lui ai quand même demandé de faire de cette soirée quelque chose de confidentiel et j’ai été un peu soulagée quand il m’a promis que rien ne sortirait d’ici. Je ne vais pas cacher que j’ai de suite pensé à ce qu’il ne cessait de me répéter au sujet des promesses, comme quoi elles ne sont valables que pour les personnes qui les écoutent. Ça m’a foutu un petit coup au moral, parce que j’étais prête à lui faire confiance et je risquais de tomber de haut parce que Slim s’en foutait de ces choses-là. Mais j’ai quand même couru le risque et je trinquai avec lui à notre première soirée en tête à tête.

J’étais tout de même en train de douter de mon choix. Quand bien même je m’imaginais mal passer une pseudo pyjama party à se raconter nos vies avec Slim, je n’étais pas sereine à l’idée de finir bourrée. En réalité, j’étais inquiète de perdre le contrôle de moi-même. Je n’étais pas une personne normale dans le sens où j’ai un passé presque irréel. Et si je me mettais dans une colère telle et que je venais à en devenir violente ? Je n’étais pas d’une nature violente mais qui sait ce que l’alcool me ferait faire. Pire encore si je parlais trop à Slim et qu’il s’en souvienne demain, après-demain et les jours suivants. Ça lui donnerait une bonne raison pour couper les ponts et je ne voulais pas que ça arrive. Il ne fallait pas que ça arrive. Pas maintenant. Seulement en même temps, j’en avais assez d’être toujours dans le contrôle de tout, tout le temps. C’était épuisant. J’avais fini par en oublier de vivre mais c’était ça le prix du secret.  Ce poids lourd  sur la conscience qu’il faut sans cesse repousser afin de ne pas finir écrasé.  Alors ce soir, j’allai me faire le petit plaisir de me baigner dans une ivresse qui, le temps d’un soir, me fera me sentir normal. Je devrais pouvoir éviter de trop parler des choses trop effrayantes de ma vie tant que Slim ne me posait pas de questions. Et, fort heureusement, ce n’était pas son genre.

Mon soulagement fut rapidement écourté lorsqu’il proposa un jeu qui nous obligeait de balancer une vérité sur nous-même avant de boire. Je n’étais pas contre le jeu mais cacher des choses allait être plus difficile que prévu. Mais impossible ne fait pas parti de mon vocabulaire. J’allais me lancer mais, à ma grande surprise, Slim se lança le premier pour « donner l’exemple » - fallait bien que ça lui arrive un jour. Et lorsqu’il finit de m’avouer qu’il était parti avant de s’envoyer en l’air avec un mec parce qu’il avait eu peur, je ne pus m’empêcher d’imaginer la scène. Et là, je me suis mise à rire de bon cœur parce que c’était vraiment drôle.

« Y a vraiment que toi pour faire ça ! Arrivai-je à prononcer entre deux éclats de rire. »

Bon, après l’euphorie, fallait bien que je m’y colle. Je réfléchis un court instant, levant les yeux au ciel pour feindre une réflexion intense.

« Je n’ai pas une vie des plus palpitantes, tu sais ? Mais puisqu’on en ait dans les confidences du genre, je dois avouer que je n’ai eu qu’un seul partenaire sexuel. Je bus ma gorgée d’alcool avant d’enchainer. Mais j’ai fait ça souvent, enfin non… J’ai perdu ma virginité tôt donc j’ai l’impression d'avoir souvent fait ça. Quoi que ça fait quand même trois ans que j’ai pas vu le loup… »  

Là, je pris vraiment conscience qu’il me fallait quelqu’un et vite. Non, parce que j’aurais très bien pu ajouter que j’étais complètement frustrée de ce côté-là. Mais je faisais quand même face à Slim, il aurait pu prendre ça pour une avance.

«  Dis, puisqu’on est sur le ton de la confidence, il faut vraiment que je te demande un service. »

Je m’approchai doucement de lui après avoir callé la bouteille entre mes jambes croisées en tailleur, puis je lui pris son bras libre et mes doigts commencèrent à glisser sur sa peau, retraçant les contours des nombreux tatouages qui y était peint.

« Tu veux bien me montrer tous tes tatouages ? »

Le temps passe soudainement plus vite qu'il ne le devrait. Dans cette minuscule pièce, tout semble dévaler à vive allure. Le rire d'Ina parvient à me faire sourire d'avantage. Elle paraît heureuse. Bien plus que les dernières fois où j'ai pu la rencontrer. Bien plus que d'habitude. Et machinalement, ça me rend heureux à mon tour, de la savoir bien en ma présence. À moins que ce ne soit qu'un leurre. Je suis le premier à simuler, après tout. Donc, oui, rien n'est à écarter. Surtout pas avec cette fille. Elle est capable de quitter cette pièce et ne plus jamais y remettre les pieds. C'est pas un gigolo attachant qui risque de la retenir. Oui, définitivement, Ina n'est pas comme les autres. Ce doit être pour ça que je la mets sur un piédestal. Je sais très bien qu'elle ne parviendra pas à changer ma vie mais elle m'apporte un certain équilibre. Un peu comme Siham et Soan qui sont là pour me rappeler que j'existe ailleurs que dans la drogue. Ailleurs que dans la drogue. C'est tellement difficile à y croire. Fin non, j'ai juste pas envie d'y croire, à cause de toute la douleur dont le monde peut faire preuve. J'suis pas à la hauteur de la normalité. La normalité de fonder un foyer, d'obtenir un boulot, le garder, aimer la même personne jusqu'à la fin de sa vie, partir en vacances l'été, organiser des repas de famille pour les fêtes de fin d'années. Tout ça, c'est tellement loin que je me demande parfois ce que je fous ici, sur terre. J'ai juste l'impression d'être un martien dont les cellules ne sont pas les mêmes où quelque chose comme ça. Vous voyez ? Un truc étrange, dérangeant, presque détestable. Et là, avoir Ina à mes côtés m'aide à oublier cette pensée venue de nulle part. Détruire cette sensation de ne pas être en phase avec le monde terrien.
Éclater cette bulle d'incompréhensions dans laquelle je vis depuis trop longtemps déjà.

Le bout de mes doigts se posent instinctivement sur la main de la jeune femme pour l'inciter à me dévoiler une partie infime de sa vie. Cela aurait très bien pu être la plus grosse connerie du monde. N'importe quoi, pourvu qu'elle se dévoile, à moi, Slim, son ami. Pas le simple toxico. J'ai envie de franchir ce pas ridicule et de laisser un minimum de confiance entre nous. Même pas grand chose, pourvu qu'elle naisse. Et enfin, alors que je n'y croyais pas, Ina se laisse aller. Les mots quittent ses lèvres, sincères, réels. Un sourire se dessine sur mon visage. « Trois ans ? » Je marque une pause, caresse du bout des doigts la parcelle de peau de sa main. « Vaut mieux ça que choper des maladies. » C'est certainement pas la phrase la plus appropriée mais j'ai rien vu d'autre venir. Alors, dans un élan de sincérité naturelle, j'ai laissé les mots quitter ma bouche sans réfléchir au reste. Ça paraît presque déplacé venant d'un mec qui baise n'importe quoi. C'est juste, qu'au fond, je prends finalement conscience de mon mode de vie plus que malsain. Tellement dégueulasse que les médecins ne me laisseraient pas dépasser la barre des trente ans. Trente cinq, soyons généreux. On m'a toujours dit que l'important dans la vie était de profiter. À croire que cette pensée était l'une des seules à me marquer réellement.

Enfin, Ina s'approche de moi tout en me demandant un service. Je ne bouge pas, reste figé dans la même position sans lâcher son regard. Le contact de ses doigts contre ma peau suffit à me faire frissonner. Avant même qu'elle ne dévoile sa pensée, je sais déjà où elle veut en venir. Ce doit être pour ça que je me mets à sourire tout en reculant légèrement. « Tous ? » Ma voix est faible, presque détachée de la discussion. Sans attendre, mes bras se perdent sur mon torse pour y enlever mon t shirt, puis mon jean et finir en boxer. « Je suis pas de ces gars qui ont une histoire mystique pour leurs tatouages. Mais ça, t'as du le comprendre, sinon j'en aurais vécu sacrément des choses. » Un rire accompagne mes paroles tandis que mon index se pose contre mon torse pour y dévoiler un minuscule tatouage. Une date, perdue au milieu des autres dessins. « ça, tu vois, c'est la date de notre rencontre avec Siham, ma femme. » Je marque une pose et caresse à présent le vingt et un sur ma joue. Vingt et un douloureux. « Vingt et un, le poids de l'âme. En hommage à mon grand-frère, mort quand j'étais encore gamin. Vingt et un, le poids de son âme. Mais aussi en rapport avec un ami. Fin, c'est une longue histoire. Sinon pour le reste, j'étais pas tous nets au moment où je les ai fait. Puis ce serait trop long de dire pourquoi ça et pas autre chose. » Tout ce qui toucheSid ne doit pas être dévoilé, c'est comme ça. Ça m'appartient, enterré au plus profond de mon jardin secret. C'est encore trop frais pour en parler sereinement, même à Ina.

C'est d'un mouvement lent que je me rapproche une nouvelle fois d'elle en souriant. « T'es prête à en voir plus où tes yeux chastes ne le supporteront pas ? » Et voilà que je lui offre l'un des sourires les plus pervers. Le bout de mes doigts se posent sur l'élastique de mon boxer que je fais claquer contre ma chair tout en léchant sensuellement ma lèvre inférieure. Sur le moment, j'ai tout simplement l'air d'une véritable traînée. Le genre à qui on donnerait sans hésiter quelques billets pour la baiser. J'ai presque l'air sérieux lorsque je soulève une fois de plus l'élastique, m'apprêtant à baisser mon boxer avant de pouffer comme un gamin. « Non j'déconne, j'en ai pas encore sur la bite mais ça ne saurait tarder. Faut juste trouver le bon motif. » A ces mots, je ravale une gorgée d'alcool, rapportant une nouvelle fois mon regard vers Ina. « Et toi ? » La seconde d'après, mon corps presque nu se retrouve au dessus d'elle. Mes doigts se referment délicatement autour de ses poignets pour l'empêcher de se débattre de mon emprise. « Tu me caches un tatouage quelconque ou ta peau est encore vierge d'encre ? » Assit à califourchon au dessus d'elle, l'idée de pouvoir empiéter sur les limites me traverse l'esprit de façon éphémère. Parce que toutes pensées ne sont pas viables au creux de mon cerveau endommagé.

La soirée se passait bien. Très bien même. C'était étonnant nous connaissant. Je m'étais attendue à ce qu'elle soit ponctuée de petits moments d'accrochage, de ces petites explosions dont nous seuls avions le secret. Mais finalement, une fois l'intimité installée, notre envie de s'affronter l'un l'autre s'était définitivement évanouie. Nous étions plus dans l'optique de mieux se connaître, ou au d'instaurer un climat de confiance entre nous. Je n'en étais pas mécontente, bien au contraire. J'en avais vraiment besoin. Slim est quelqu'un de versatile, en plus d'être hyper indépendant. Je savais qu'il me lâcherait du jour au lendemain sans raison apparente mais je voulais lui faire confiance. Ce n'était pas parce que je n'avais pas la même vision que lui de l'amitié, que je n'étais pas du tout indépendante et que je lui en voudrais du plus profond de mon être le jour où il se fera la malle, que ça m'empêchait de vivre à fond ce que je pouvais vivre avec lui. Il avait une place particulière dans ma vie, et il l'aura toujours, parce qu'il est magique à mes yeux, parce qu'il est adorable avec moi. Parce que c'était comme ça. Et ça ne m'empêchait pas d'accepter la réalité : c'était un drogué égoïste qui se servait de moi comme du reste du monde et peut-être qu'il ne jouait qu'un rôle avec moi. Je ne vais pas dire que cette dernière hypothèse ne me faisait pas mal, mais si tel était le cas, je l'accepterais. Mal, mais je l'accepterais quand même, parce que je n'aurais pas d'autres choix que de le faire de toute façon. Puis surtout, j’étais prévenue.
Alors oui, tout était bien. Tout était beau dans cette petite pièce retirée du monde. Il n’y avait plus de problèmes, plus d’inquiétudes. On se parlait, on se disait des choses pas forcément essentielles, mais on se parlait. On prenait le temps. Le temps de se connaitre. Le temps d’être ensemble. Et c’était pour moi l’unique chose à retenir.

Après coup, je me suis rendue compte que ma demande pouvait paraitre un peu… Opportuniste – et pas dans le bon sens du terme. Mais s’il y avait bien une chose qui me fascinait chez Slim, c’était bien ses tatouages. Je n’avais jamais vu plus loin que ses bras et je me suis toujours promis de lui demander me raconter leur histoire – tout en sachant qu’il m’en parlerait certainement jamais. D’ailleurs, j’aimais beaucoup celui qu’il avait sur son bras gauche, ce vol de chauves-souris au-dessus d’un château. En plus d’être extrêmement bien fait, il me faisait penser à un film d’horreur. Bref, je m’égare un petit peu.

C’était donc avec une joie que je ne prie même pas la peine de cacher que j’observai Slim me dévoilant ses dessins encrés dans sa peau. La première chose qui m’interpela, c’est qu’il en avait vraiment partout. La seconde, c’est que le tout restait étonnement cohérant. C’était comme une fresque. C’était vraiment beau. Je crois que j’avais un air de gosse en plein fascination avec des étoiles plein les yeux à ce moment-là mais je m’en fichais. Mon attention ne décrochait pas de mon ami. De ses mains qui se baladait sur son torse et qui me donnaient l’envie farouche de toucher moi-aussi. De ses mots qui sortaient de sa bouche. J’écoutais sagement l’histoire qu’il me contait. Puis il y a eu ce vingt et un. Ce vingt et un imprimé sur son visage. Et là, il y a eu une porte qui s’est entrouverte. Un pan de l’histoire de Slim qu’il osa lâcher, comme ça, sans prévenir. Un deuil. J’étais surprise qu’il lâche ça de la sorte. OK, je ne m’attendais pas à un truc trop solennel – je me rendais bien compte que c’était un exploit que Slim daigne me parler – mais la façon dont il annonça la chose… Ça me fit clairement comprendre qu’il s’agissait là d’un sujet trop sensible. Et puis il est passé à autre chose. Parce qu’il n’avait pas envie. J’étais un peu déçue quand même. Ma curiosité était déçue.

Slim était un gamin. Je savais que Slim était un gamin. Alors quand il commença à faire claquer une première fois son sous-vêtement tout en me regardant d’un air lubrique – et le mot est faible – je savais qu’il allait sortir une connerie. Enfin, je dois bien avouer avoir eu un léger doute quand je l’ai vu s’apprêter à descendre l’unique bout de tissu qui l’habillait. J’étais prête à me cacher les yeux pour ne pas voir sa chose, sait-on jamais. Après tout, je n’étais pas censée la voir son intimité. Mais fort heureusement, ce n’était qu’une blague de mauvais gout.

« T’es vraiment un crétin ! Dis-je sur le ton de la rigolade, lui balançant un coussin dessus en guise de réponse à sa bêtise. »

Puis, je n’ai pas trop compris pourquoi, Slim osa me demander si moi – moi, la fille la moins drôle qu’il devait connaitre – j’avais un tatouage. J’allai me mettre à rire, mais je me suis sentie poussée vers l’arrière pour me retrouver allongée, avec Slim installée à califourchon sur moi, me tenant maintenant les poignets. Une demi-seconde après, je sentis un liquide me couler sur l’entrejambe – liquide qui embauma la pièce de son odeur.

« Enlève mon pantalon. Ordonnais-je calmement. »

Ce n’est après coup que je me suis rendue compte que la situation était très tendancieuse. Je venais d’avouer que je n’avais pas fait l’amour depuis trois ans et, deux minutes plus tard, je me retrouvais maintenue avec un homme en boxer sur moi. Et, cerise sur le gâteau, je venais de demander à ce même homme de m’enlever le pantalon. J’ai commencé à avoir très chaud, très honte. Je sentis le rouge me monter aux joues. Pour quoi j’étais en train de passer ?

« Oui, je mouille… Enfin non, je suis mouillée. La vodka, entre mes jambes et du coup… Enfin voilà. Ta gueule Ina, tu t’enfonces. »

J’aurais dû me défaire de l’emprise de Slim pour m’assoir et nettoyer mon jean. Mais j’en étais incapable, tétanisée par la honte. Je n’avais qu’une seule envie, disparaitre. Quoi que…