DEDICACE
ft. siham

C’était exactement pour cela que je vivais.
Enfin non, techniquement, je vivais parce que mon cœur battait et que mes organes, internes ou externes, fonctionnaient comme ils se devaient. Je vivais parce que mon père avait réussi à féconder ma mère et que j’étais parvenu au terme de neuf mois à avoir ma propre existence, je vivais parce que je subvenais à mes besoins naturels d’homme, je vivais parce que je n’étais pas aux portes du suicide et que j’arrivais toujours à prendre la vie du bon côté, et parce que, franchement, vivre, j’aimais bien ça.
Mais, sur un plan plus spirituel, je vivais pour ce genre de moments. Je veux dire, c’était une sorte de consécration pour moi. Je voyais des heures et des heures de travail récompensées, je voyais que les heures que j’avais passées sur le bureau de mon appartement à dessiner, coloriser, penser, réfléchir, n’étaient pas passées en vain. Je rencontrais des gens qui admiraient mon travail, ou du moins, à défaut de l’admirer, qui s’y intéressaient. Je voyais des gens sourire quand je dessinais quelque chose sous leurs yeux, je voyais quelques fois une file d’attente pour les dédicaces, et, quelques fois, j’attendais le client en faisant mes yeux doux, comme les yeux d’un gosse qui essaye d’attendrir ses parents. De temps en temps, j’avais même l’impression d’acquérir une réputation dans le milieu, ce qui était d’autant plus gratifiant. De plus, ça me permettait de rencontrer d’autres artistes comme moi, car, croyez-le ou non, mais les dessinateurs de science-fiction ne courent pas les rues, alors en un sens, ça me confortait dans l’idée que je n’étais pas le seul à aimer ce genre de choses, mais surtout, que je n’étais pas encore tout à fait bon à interner. Au moins, nous nous ferions interner en comité, c’était déjà une fin en soi.

Bon, en fait, j’avais été invité -oui madame, invité, s’il vous plaît, comme quoi il arrivait à certains êtres humains d’avoir une pensée pour moi- par une fédération de bandes-dessinées, enfin je ne savais pas trop quoi, qui réunissait les auteurs les plus influents -oh oui, dites le encore, je ne m’en lasse vraiment pas- de cette génération dans ce milieu artistique pour une espèce de conférence internationale sur la BD, et après des années et des années à galérer et à me faire entendre dire que je devrais plutôt trouver un vrai métier, voilà, ils l’avaient tous dans les dents, je me faisais connaître et je m’enrichissais. C’était positif pour tout le monde, et quand j’avais reçu l’invitation, je crois bien que je l’avais relue au moins quarante-cinq fois, pour être qu’elle m’ait été bien adressée.
Et j’étais venu comme un prince, le matin-même, avec mes cartons à dessins, mes travaux en cours et ceux achevés -parce que, comme tout un chacun dans ce milieu, je bossais sur un million de choses-, et je m’étais installé dans le coin qui m’était réservé du côté de la science-fiction pour exposer à la vue de tous les badauds qui passaient ce dont j’étais capable. J’avais mon nom sur un présentoir affiché devant ma table, ouh, ce que j’adorais ça, j’avais un badge autour du cou et j’avais même le droit à un accès à la machine à café, ce de façon illimité -autant vous dire que j’en usais et abusais-.

Alors voilà, tous les ingrédients étaient présents pour faire de cette journée non pas une bonne journée, mais une excellente journée comme j’avais rarement l’occasion d’en avoir. J’allais passer tout mon temps aujourd’hui à faire ce que j’aimais avec des gens qui m’aimaient -ou au moins, me respectaient pour ce que je faisais-, et en prime, je ne venais pas gratuitement et j’allais encore vendre certaines de mes planches. Nikel.
Bon, certes, j’avais eu droit à un peu tout. Des clients béats d’admiration devant les dessins que je pondais sous leurs yeux, des clients cosplayés dont on ne voyait pas le visage et qui étaient sans arrêt en train de refixer quelque chose qui s’était cassé la gueule de leur costume, des clients qui n’arrivaient pas à se décider sur ce qu’ils voulaient dans leur dédicace -alors du coup, je les caricaturais parce qu’il fallait bien que je m’amuse quand même-, des clients qui se permettaient de me donner des conseils sur mes dessins -rien ne m’agaçait plus que d’entendre le premier pelé qui venait de finir les beaux-arts me dire que les proportions n’étaient tout à fait exactes-, des clients qui me demandaient des choses impossibles, ou encore des mamans avec leur gosse.
Et tout ça, toute la journée, avec le sourire. Oui, bien sûr, y’en a une paire que j’aurais envoyé valser si je n’avais pas une réputation à tenir, mais dans le fond, même si certains avaient le don de m’exaspérer, je ne mouftais pas, parce qu’à la vérité, ça me faisait quand même plaisir que l’on s’intéresse à mes dessins farfelus. Et puis l’ambiance était bonne, j’aimais, j’adorais ce genre de conférences, on rencontrait des gens merveilleux -n’exagérons rien, on rencontrais des gens corrects, voire sympathiques, voire certains avec qui j’allais garder contact-, on découvrait de nouvelles choses, et puis, je me sentais comme un poisson dans l’eau, tout à fait dans son élément.

Et puis, alors que j’en étais à une période assez calme de la journée -un rush venait de passer, probablement un groupe qui était venu ensemble et qui avait assailli la salle-, j’étais -encore- allé me prendre un café, j’en avais horriblement besoin, elle avait débarqué. Enfin, ils avaient débarqué. J’étais de bonne humeur, c’est pourquoi je me surprenais moi-même à dessiner avec un plaisir certain les demandes des gamins. En règle générale, les gosses, c’était pas trop mon truc. Enfin, j’avais rien contre les mômes, je n’étais pas le genre à dire que je les détestais, ce n’était juste pas mon truc. Je ne savais jamais trop comment réagir face à un enfant, encore plus lorsqu’il était accompagné de ses parents. Bon, oui, des enfants, moi, j’en avais pas, et c’était peut-être pas un mal, je n’aurais sûrement pas été le père idéal. Mais bon. Il faut quand même avouer que ce qu’il y a de génial avec les gamins, c’est leur imagination. C’est pour cette raison que j’aimais bien leur dessiner quelque chose. Des dragons, des poneys qui crachent du feu, des fleurs mutantes qui avalent des châteaux, bref, je m’éclatais bien, parce que ce n’était pas à un ado qu’on dessinait ce genre de choses.
Seul pépin, et j’avais toujours ce problème quand des parents venaient avec leur progéniture, c’était : à qui s’adresser ? Aux parents, aux gamins, j’en savais jamais rien, et je me plantais une fois sur deux. Une fois c’était la mère qui emmenait son gamin pour lui faire plaisir, je m’adressais à elle et elle me redirigeait vers le gosse, et une fois je m’adressais au gosse, mais finalement c’était le papa qui avait juste traîné son gamin ici alors qu’il n’en avait rien à foutre. J’en avais donc déduis ceci, de ce que j’avais pu voir ; quand c’était la mère, fallait parler au gamin, et quand c’était le père, c’était à la figure paternelle qu’il fallait causer. Ah, que de cas conscience.

Souriant -oui, j’étais d’un naturel très souriant, surtout en période de dédicaces-, j’avais donc salué vite fait la maman, et puis je m’étais adressé au gosse. « Alors, c’est toi qui veux un dessin ? Allez, dis-moi ce que tu veux. Tout ce que tu veux, tu sais, je viens juste de finir un zombie poursuivi par un panda. » Histoire vraie.

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