Un samedi soir, 19h30. J'étais en retard. Un bar du sixième m'offrait un concert chaque dernier samedi du mois, et je lui avais été éternellement reconnaissante. Tous les autres à qui j'avais demandé m'avaient refusé soit parce que j'étais trop jeune, soit parce que ma musique ne leur plaisait pas. On m'a même refusée à cause de ma couleur de cheveux, une fois. Je me suis rapidement préparée, un coup d'eyeliner pour donner un effet cat eye à mon regard. Niveau vestimentaire, je portais un jean slim noir muni d'une ligne de clous à l'extérieur, qui descendait des hanches jusqu'aux chevilles, une veste en cuir ouverte sur un T-shirt d'un groupe qui me tenait à coeur, et des vans imprimées léopard. Je posais un bonnet long sur ma chevelure orange, puis j'ai saisi l'étui avec ma guitare à l'intérieur posée dans l'entrée et je me suis dépêchée d'accéder à la station de métro, direction le sixième. Arrivée dans le bar, après un bref salut adressé au proprio, je m'empresse de monter sur scène. C'est un endroit où je me sens bien, j'ai l'impression que rien ne peut m'atteindre, et même le regard des gens ne me fait plus peur. Je sors délicatement la guitare de son étui, j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux, et ça se voit. Je règle les micros et les branchages, puis m'assied sur un tabouret, derrière mon micro. « Bonsoir, je me présente, je m'appelle Aerin, les gens sont pas toujours sympas avec moi à cause de mes cheveux mais j'espère qu'on trouvera quand même un moyen de s'entendre ce soir. » Je vois certaines personnes esquisser un sourire. En effleurant pour la première fois de la soirée les cordes de mon instrument, j'observe les gens qui sont présents dans le bar. Ils semblent heureux de venir ici, ils discutent, rient, autour d'un verre. Et je peux contribuer à leur bonheur, c'est en partie pour ça que j'aime la musique. Elle rapproche les gens. Ce soir là je joue beaucoup de reprises, mais aussi quelques unes de mes propres compositions. J’espère qu'Ali sera là, je pourrais jouer sa chanson. Parce que j'ai décidé que ce serait sa chanson. Finalement au bout d'une heure il arrive et s'installe au comptoir. Je termine le morceau que je suis en train de jouer, et m'arrête pour boire un verre d'eau. J'approche ma bouche du micro, et décide d'annoncer la chanson suivante par un petit speech. « La chanson que je vais vous jouer a une valeur toute particulière pour moi, et pour quelqu'un d'autre qui se reconnaîtra. J'espère qu'elle vous plaira, mais de toutes façons, c'est un classique, et je sais que tout le monde aime les classiques. » Je joue les premiers accords du morceau et me laisse porter par la musique. Je mets de l'émotion dans ma voix, si bien que certaines personnes s'arrêtent de parler un instant. Je cherche des yeux celui à qui cette chanson est dédiée, comme à chaque fois, et essaye de jauger sa réaction. Je sais qu'elle sera froide, de marbre, mais j'espère toujours, et je n'abandonnerais pas de si tôt. La chanson se termine, il y a quelques applaudissement. Je souris, salue le petit public, range ma guitare et vais m'asseoir au bar, à côté du grand tatoué. Je commande un coca, car je ne bois pas d'alcool.