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| Sujet: Re: Le remède au mal consiste parfois à oublier le mal - Reason K. Donovan Mer 24 Aoû - 21:50 | |
| « Il était une fois... Moi »
Cabinet du psychologue. Montréal. Octobre 2006. J’ai seize ans.
« Reason ? Reason !! »
La voix du psychologue résonnait soudainement à mes oreilles. Non, je ne l’avais pas oublié. Comment aurais-je pût d’ailleurs ? Je venais ici tous les jours, à la même heure. Ils avaient cet espoir fou qu’en instaurant une telle habitude, je finisse par me rappeler. Ils espéraient que je finisse par parler. Mais comment parler alors que je n’avais aucuns souvenirs ? Comment parler de quelque chose qui me semblait inconnu et que je ne comprenais pas ? C’était impossible. Je le savais. Ils semblaient l’ignorer. C’était toujours le même manège qui recommençait jours après jours depuis ce fameux soir. La routine était instaurée depuis quelques mois déjà. Quelques mois que le même visage me faisait face chaque jour avec les mêmes questions. Sauf aujourd’hui. Aujourd’hui c’était un nouveau visage qui m’accueillait. Je ne connaissais pas la femme qui venait de m’ouvrir la porte. Je ne l’avais jamais vu. Que faisait-elle là ? Que savait-elle sur moi ? Pourquoi était-ce elle ? La peur me prenait aux entrailles et un haut le cœur me traversa alors que je la fixais. Les derniers mois défilaient à nouveau dans ma tête. Non, je n’avais jamais vu son visage. Savait-elle que je semblais régresser ou stagner parfois mais que je ne m’en sortais jamais ? Connaissait-elle réellement mon cas ? Où était l’homme froid auquel j’avais prit l’habitude ? Je sentais son regard sur moi. Elle me dévisageait, comme les autres, comme tout le monde. On me dévisageait dans la rue. On me dévisageait au lycée. On me dévisageait ici. Ici où l’on n’aurait pas dût me juger. Je ne me sentais en sécurité que dans le noir, seule, repliée sur moi. Personne n’était là pour me voir dans ces moments. Durant ces longues heures où je tentais vainement de forcer la mémoire de ma tête. J’aurais tellement aimé comprendre ce que tout cela signifiait. Un raclement de gorge attira mon attention. La psychologue. J’avais oublié sa présence un instant. Irréelle situation. Elle avait sa main tendue devant elle. Ignorait-elle tout de moi ? Cela semblait être le cas vu la façon dont elle se comportait. Je fuyais son contact. Je le refusais simplement. Mes bras se repliaient contre ma poitrine. Je serrais les dents. Je fuyais son regard, encore. Elle me rappelait à l’ordre rapidement d’une voix sèche, froide et dure. Elle me faisait frémir. J’avais envie de courir et de m’éloigner de sa présence. Pourtant je cédais simplement. Je n’avais pas la force de résister. Je n’en avais pas l’envie non plus. Mon regard croisait le sien et je hochais simplement la tête en signe de salut. Il était hors de question que je la touche. J’allais m’installer sur ce divan que je connaissais par cœur à présent. Elle s’installait en face de moi. Prenant son crayon, elle m’observait encore cherchant à lire dans mon âme. Ignorait-elle que je n’avais déjà plus d’âme ? Ignorait-elle que j’étais une simple inconnue ? Je n’étais rien. Je n’étais personne. Lire dans mon âme était impossible. Elle ne savait rien et ses yeux continuaient de brûler chaque partie de mon corps comme l’aurait fait ceux des paparazzis sur les célébrités. Je serrais les dents comme pour oublier ce regard que je détestais, comme pour oublier cette douleur qui m’enveloppait. Mes points se serraient, ultime geste de ma haine masquée, involontaire. Mes ongles rentraient dans ma peau. Je sentais la douleur me parcourir, faible, trop faible alors qu’elle aurait dût me faire stopper cet acte. Le sang pouvait venir, je m’en fichais. Je ne me rendais même pas compte du mal que je me faisais. Je pensais en silence à ce que j’imposais aux personnes autour de moi. Mes parents semblaient souffrir le martyre. Ils semblaient être les seuls touchés par ce qui m’arrivait. Au fond, qui se serait inquiété de mon sort, hormis eux ? Je n’avais ni frère, ni sœurs. Je n’avais aucuns amis. Et l’amour n’était pas un mot qui faisait partit de mon vocabulaire. Il y avait eu lui une fois, un temps. River Curtis. Un peu avant, un peu après. Il était une sorte d’ami mais c’était avant, c’était longtemps avant. Quand j’étais encore quelqu’un. Quand je portais encore un nom. Maintenant, seuls mes parents souffraient autant, plus, que moi. Du moins, c’était surtout ma mère. Elle pleurait dans son coin. Elle ne parlait pas si ce n’était pour me donner des ordres ou me faire des reproches comme si son amour s’était dissipé au fil des années, au fil de mon plongeon. Mon père se faisait discret. Il semblait me fuir comme si j’étais la peste incarnée. Je le considérais tout de même comme le rempart de ma mère. Il la protégeait et il la soutenait. Si seulement je me rappelais. Si seulement je comprenais. La voix de la psychologue résonna à nouveau. Dure et froide. L’heure commençait. Un enfer véritable. Elle me demandait des nouvelles de mes parents. Elle me demandait comment se passait les cours, comment ça allait avec les autres au lycée, si je m’étais bien intégrée, si j’avais des amis. Je restais vague. Les mots restaient calmes et naturels. J’avais appris à regarder les autres. Je savais comment me comporter pour faire croire au mensonge. Il fallait simplement que j’y croie un peu et le tour était joué d’autant plus si ma voix demeurait habituelle. De toute façon, je ne voulais pas en parler. Je n’arrivais pas à en parler. Après tout, comment oser lui dire que je me sentais comme une bête de foire ? Comment lui dire qu’au lycée c’était ainsi qu’on me voyait ? Comment lui expliquer ce que je ressentais ? Ce sentiment de n’être personne. Cette sensation d’être vide, de n’être plus rien hormis un cadavre en décomposition. Cette peur me rongeant. Ces contacts que je fuyais pour éviter l’image qui me collait à la peau. Ce compte à rebours incessant. J’attendais ce jour où la mort me soulagerait. Comment lui faire comprendre avec des mots ? Elle ne comprendrait pas. Je ne comprenais pas. Pourquoi étais-je comme cela maintenant ? Que c’était-il passé ? Les questions me rongeaient chaque jour, intensifiant la profondeur de mon enfer. Je restais silencieuse, vague. Je demeurais une menteuse, une ombre. Et, la séance changeait, soudaine. C’était une des pratiques habituelles de ces personnes. Je m’y étais faite. En changeant si violement de sujet, elle espérait me faire déraper. Elle espérait que les souvenirs reviendraient m’assaillir. Ça ne marchait jamais. Ça aurait pût marcher au début mais plus maintenant. Pas maintenant que j’en avais prit l’habitude.
« Reason, que vous rappelez-vous de cette nuit ? »
Je frissonnais. C’était plus un automatisme qu’autre chose. C’était donc ça. Je sentais la curiosité frémissante dans la voix de la femme en face de moi. Elle était ici simplement parce que j’étais devenue la bête de foire de cet endroit aussi. Elle désirait savoir avec cette avidité sans pareille. Elle me demandait et attendait une réponse, quelque chose de passionnant voir d’irréel. J’aurais pût jouer, j’aurais pût lui mentir et inventer une quelconque histoire incongrue simplement pour la punir de cette curiosité malsaine qu’elle semblait développer à mon égard. Pourtant, non, je ne lui ferais pas ce plaisir. Je ne lui permettrais pas de repartir avec cette impression qu’ils avaient tous. Je jouais la comédie. Je faisais semblant et il n’y avait rien. J’étais folle. J’étais amusante. Je ne pouvais pas juste être folle comme ils avaient eut tendance à le penser à mon arrivée. Ils se trompaient. Je désespérais de leur comportement. Cette nuit. Elle ne lançait même plus la date. Ça n’avait pas d’importance. Je savais que c’était à cause de ce jour que j’étais là. Le 4 juillet 2006. Ce jour m’avait conduite ici et je n’avais aucuns souvenirs. Lentement, j’avalais ma salive pour reculer encore le moment où la phrase franchirait mes lèvres. Je ne me rappelais rien de cette nuit. Je ne me rappelais rien du tout. Ça me tuait. L’ignorance était plus douloureuse. L’ignorance m’enfonçait chaque jour dans un tourbillon. Il s’était passé quelque chose cette nuit. Il devait s’être passé quelque chose pour que maintenant je sois comme ça. C’était ce qu’ils disaient. Moi je ne disais rien. Je n’étais même pas sûre qu’il se soit réellement passé quelque chose ce soir là. Je ne savais pas, je ne savais plus. Peut-être n’avais-je jamais sût ? Comme à mon habitude, les mêmes mots franchirent mes lèvres. Ma voix était trop calme, trop posée comme si la discussion était normale et douce, comme s’il n’y avait aucun problème, comme si j’étais avec une amie en parlant d’un souvenir.
« Juste cette ruelle sombre, froide et humide. Il y avait de la lumière aussi au fond… »
La description était vague. C’était la même que je relançais tous les jours. La même phrase exactement avec la même composition. Tout le temps. Ils ne pouvaient rien faire avec cela. Ils ne pouvaient pas m’aider plus. Des millions de rue pouvaient correspondre à celle-là. Je fermais les yeux dans l’espoir de la visualiser, dans l’espoir de mettre une adresse stable sur mes mots. Je demandais simplement un départ, je cherchais un déclic. Je cherchais ce qui aurait pût m’aider à comprendre. Je me fichais de ce qui m’était arrivé. Je me fichais de tout. Je voulais juste comprendre pourquoi j’étais cette fille maintenant ? Les yeux fermés, je me concentrais sur ma description. L’image était vague, flou. C’était comme un simple dessin que j’aurais moi-même tracé. D’ailleurs, j’en avais tracé des millions. Ce n’était rien. La psychologue soupirait. Elle bougeait. J’ouvrais les yeux. Le liquide rougeâtre coulait le long de ma paume. Mes ongles s’étaient enfoncés dans ma chair si fort que je m’en étais ouverte. Pourtant, il n’y avait pas de douleur. J’essuyais rapidement ma main sur mon pantalon cachant ainsi ce que je venais de commettre. Je m’asseyais soudainement fixant le visage de la femme. Elle était déçue. Sa curiosité était intacte mais elle savait qu’elle n’obtiendrait rien. Elle reprit la parole m’immobilisant sur place.
« Votre cas est très intéressant Miss Donovan mais plus le temps passe, plus votre chemin reste au même point. Nous ne savons plus quoi faire. Il va falloir parler maintenant ou sinon autant vous faire interner dans un hôpital psychiatrique qui serait peut-être plus apte à vous aider. »
Je secouais la tête violemment. Non, non et non. J’avais envie de crier, j’avais envie de fuir. Je désirais lui faire du mal, lui faire comprendre que je ne feintais pas cet oubli, lui faire comprendre que je ne feintais pas tout ce qui se passait lorsque quelqu’un osait me toucher. Je frissonnais. Je me levais soudainement, violement. Mes yeux lançaient des éclairs. J’aurais dût rester calme, j’aurais dût me taire et jouer la carte de la désespérée. Cela m’aurait permis, au moins, de ne pas paraître aussi dingue. Pourtant, je ne pouvais pas retenir mon comportement. Je ne pouvais pas retenir cette haine face à ces yeux vitreux et curieux qui se posaient sur moi. Je prenais mon souffle et je laissais tout échapper en même temps que les larmes devenaient violentes sur mon visage.
« JE NE SUIS PAS DINGUE, JE NE FEINS RIEN DE CE QUI M’ARRIVE. JE NE ME SOUVIENS DE RIEN DE CETTE NUIT. CE NE SONT QUE DES FLASHS, INUTILES ET INCOMPREHENSIBLES. J’AIMERAIS COMPRENDRE. ÇA ME TUE DE NE PAS SAVOIR POURQUOI JE SUIS CELLE QUE JE SUIS. MAIS NON ! JE NE SUIS PAS DINGUE, JE NE SUIS PAS NON PLUS UNE BETE DE FOIRE ICI POUR SATISFAIRE VOTRE CURIOSITE. VOUS NE ME CROYEZ PAS, VOUS NE M’AIDEZ PAS. VOUS PREFERAIS ETALER MON CAS DANS LES JOURNAUX POUR ATTIRER PLUS DE MONDE ICI MAIS AU FOND VOUS NE FAITES RIEN POUR MOI !!! JE NE SUIS PAS FOLLE !!! »
Mon discours était emmêlé. Il n’était pas très clair, je le savais mais je ne parvenais pas à dire quelque chose de cohérent lorsque cette haine collait à mon corps. Les frissons courraient sur ma peau. J’avais froid. J’avais mal. Ma gorge me brûlait. Les larmes me tuaient. L’ignorance m’achevait. Je lançais un ultime regard sur cette femme qui avait peur maintenant, hésitant à appeler la sécurité pour m’infliger une douleur quelconque afin de me calmer. Elle n’avait rien fait. Ma respiration était haletante et je me précipitais vers la sortie. Je voulais fuir. Je voulais comprendre. Le froid m’assaillit en même temps que la pluie. Pourtant, rien ne m’arrêtait. Je courrais dans les rues, laissant l’eau me tremper. Je m’arrêtais, à bout de souffle. J’aimais la pluie. C’était ridicule. Tout le monde détestait la pluie. Tout le monde la fuyait. Je me laissais tomber sur le sol. Une ombre sous la pluie. Je savourais cette paix et cette solitude. Aucuns regards. J’étais seule. Je n’étais pas bien. Je ne l’étais jamais. J’aurais tellement aimé savoir. J’aurais tellement aimé comprendre. Qui étais-je ? Quel était mon nom ? Je semblais n’être personne hier, aujourd’hui, demain. Je serais toujours personne. Je serais toujours ce « rien ».
Rouyn-Noranda, Montréal. Juin 1990 –Juillet 2006. De ma naissance à cette nuit.
Mon nom est Reason Kaylee Kaitlyn Kitty Donovan. Oui autant de prénoms pour désigner une seule personne. C’était assez inutile et pourtant ma mère disait qu’il s’agissait d’une tradition importante dans ma famille alors elle l’avait respecté pour faire honneur à ce qu’elle était. Une gosse de riche, une gosse fière d’être riche et supérieure. Elle n’était pas aussi vaniteuse que l’était mon père et, pourtant, je la haïssais autant de cette indifférence qu’elle plaçait sur les autres personnes qui n’étaient pas comme elle, qui n’avaient pas eut sa chance. Oui ce n’était qu’un hasard, qu’un coup de chance. Pour moi, il s’agissait plus de malchance. Mes prénoms et mon nom permettaient de me classifier rapidement. C’est pourquoi les gens ne me connaissaient généralement que sous un de mes prénoms, je n’aimais pas étaler mon identité. Je n’aimais pas me présenter avec tous ces prénoms comme l’aurait fait n’importe quelle fille de riche, vantant son sang, son appartenance et sa qualité. Avoir plus de prénoms qu’autrui, avoir des parents riche ne faisait pourtant pas de moi quelqu’un de supérieur aux autres personnes. Non, je ne comprenais pas les gens de mon monde qui haïssait les pauvres, ceux qui n’avaient pas eu autant de chance qu’eux. J’étais qui j’étais. Je ne choisissais ni ma famille ni mes origines mais je pouvais toujours les renier. Cela commençait par ma présentation. Je ne me présentais jamais totalement et rares étaient les personnes connaissant l’ensemble de mon identité. Le choix avait été rapide. Reason avait une signification française et je ne l’utilisais donc jamais. Kitty me faisait trop penser au dessin animé. Kaitlyn sonnait bizarre à mes oreilles. Je me présentais donc sous le nom de Kaylee Donovan. Kaylee Donovan, une simple fille comme n’importe laquelle. J’avais une identité, une vie, des espoirs. J’étais quelqu’un. J’allais quelque part. J’ignorais que ça ne durerait que quelques années avant que l’enfer ne s’empare de moi. Si seulement j’avais sut. J’aurais peut-être eut le pouvoir de tout arrêter avant de vivre comme cela. Si seulement je n’avais pas bougé cette nuit-là. Mais avec des « si », on pourrait refaire le monde. Ils ne changeront rien à la vérité de mon histoire. Ils ne modifieront rien à ce qui c’était passé ce soir là où ma vie avait basculé.
Ma mère et mon père étaient tous les deux dans la trentaine. Ils s’étaient rencontrés au lycée, étaient tombés amoureux, s’étaient mariés et j’étais le fruit de cet amour. Une histoire comme celle de n’importe qui en vérité, une histoire banale, certainement un peu trop. Je ne vois même pas l’utilité de m’étendre plus sur eux, sur cet avenir qu’ils avaient eut car il n’a jamais eu une réelle importance dans ma vie. Malgré une passe difficile, mon père était devenu le PDG d’une grande agence de mannequinat dans laquelle travaillait ma mère en tant que mannequin et secrétaire. Durant sa passe difficile, mon père avait passé quelques années sous les barreaux pour le viol d’une adolescente. Avait-il était accusé à tort ? C’était ce que beaucoup avait tendance à penser lorsqu’il l’avait vu avec moi. Ils étaient tous près à lui lécher les bottes pour obtenir une meilleure place même si cela revenait de se rendre contre les preuves accablantes. Au fond, j’étais comme tous ces moins que rien. C’était ce que j’étais venue à penser moi aussi. A tort. A raison. Ça n’avait plus de réelle importance maintenant, ce n’était qu’un souvenir, ce n’était qu’une partie de ma vie que l’enfer avait fini par balayer comme si elle était inexistante. Je me fichais de savoir cette vérité, elle ne me concernait pas. Si seulement j’avais sut.
J’étais née à Rouyn-Noranda au Canada. Mes parents y possédaient une sublime maison, comme tous ces riches que nous voyons à la télévision. Ces riches qui nous font baver d’envie et d’admiration. C’était ridicule. Ma vie n’était pas à envier. J’étais une petite fille comme n’importe qui. J’avais un nom, une vie, des rêves et une éducation. Les poupées Barbie, les jeux dangereux, les balançoires, les parcs. Non, ce n’était pas pour moi. C’était soit disant trop éloigné de notre mode de vie. Je jouais à prendre le thé avec des poupées sublimes que je finissais souvent par casser. Je me rappelais encore des gifles de ma mère sur mes joues. Les cris de mon père résonnaient encore dans mes oreilles. Ils semblaient me haïr dans ces moments alors qu’au fond je n’étais qu’une enfant. Savait-il que j’étais juste normale ? Ils espéraient que je développe un talent quelconque qui me pousserait à être supérieure. J’étais jolie, encore plus que ma mère et mes parents me traçaient déjà une carrière dans le mannequinat. Ça ne semblait pas m’intéresser, je fuyais la foule, je fuyais les flashs. J’aimais me retrouver seule à dessiner, c’était ce qui me plaisait. Mes dessins n’étaient pas réellement réussis, ce n’étaient que des gribouillages mais ça me plaisait et j’étais certaine que ça finirait par être ma vie. J’apprenais à manger correctement, de façon élégante mais trop ridicule. On ne mange pas pour être beau. J’apprenais comment marcher, comment parler, comment me comporter face aux autres. J’apprenais le piano. J’apprenais des langues qui ne me serviraient sans doute à rien. Je parlais français, anglais, espagnol, russe et même chinois. J’avais toujours cet accent qui demeurait. J’étais une enfant simple qui ne demandait rien. J’aurais voulu un peu d’amour, parfois, souvent à la place de cette chambre et de tout ce qui se trouvait dedans. L’argent semblait faire le bonheur de certains. Il ne faisait pas le mien. C’était toujours utile mais ça ne remplaçait pas ce dont j’aurais eut besoin, ce dont j’ai toujours aujourd’hui même si je l’ignore. Une enfant de riche. Oui, j’étais la gamine de telle et telle personnes connus dans le monde. Je m’en fichais. J’aurais tellement aimé être une inconnue, sans visage et sans nom. J’allais le devenir et je le regretterais rapidement. Cette vie n’était peut-être pas un conte de fée mais je ne souffrais pas continuellement et c’était toujours ça de gagné.
Nous avions déménagé à Montréal lorsque j’avais dix ans. Mon père disait que son entreprise marchait mieux là-bas et qu’il désirait vivre à cet endroit. Ma mère, telle une épouse dévouée, avait accepté sans hésiter. Elle se rangeait toujours du côté de son mari dont elle vantait les qualités. On ne m’avait pas demandé mon avis et je m’étais retrouvé là-bas. Une nouvelle vie et pourtant mon identité me devançait. J’étais rentrée au collège. Les gens ne s’intéressaient à moi que pour mon argent et ma réputation. En trainant avec moi, ils espéraient gagner ce qu’ils n’avaient pas dans leur vie. Je les détestais, je les repoussais de cette façon involontaire que j’avais d’haïr mes origines. Je n’avais pas d’amis véritables. J’étais une jolie fille, j’étais une miss joie de vivre. Je passais mon temps à rire, à lancer des blagues ou à me mettre dans les plus fous des délires. J’attirais les rebelles et je me glissais dans leur cercle. J’étais comme eux au fond. Malgré mon statut, ils m’acceptaient plus vite. Cependant, leur fréquentation devenait vite un danger. Mes parents s’en rendaient compte. Mes notes baissaient. Je fumais. La police m’arrêtait. Mon père ne supportait plus cette mauvaise image que je donnais comme si mes parents étaient indignes ou même inexistants. Il en était venu à se venger sur moi, sur ma peau. Ma joie de vivre disparaissait lentement. L’étincelle devenait triste dans mes yeux. Mon visage parsemait de ces marques mal cachées que mon père m’infligeait. Il me faisait peur dans ces moments où la haine semblait prendre le contrôle. Je me rappelais encore de l’odeur nauséabonde de l’alcool qui collait à sa peau. Je m’éloignais de ce qui aurait pût être des amis. Je me faisais plus discrète mais je demeurais à jouer le rôle de la fille rigolote que tout le monde appréciait. C’était comme si je dégageais quelque chose qui attirait tout le monde vers moi. J’étais quelqu’un.
Il était apparu à ce moment. River Curtis. Je me souviens de sa voix. Il ne parlait pas souvent mais il était toujours là dans l’ombre, comme un frère, comme un amoureux. Il semblait fragile. Il était différent. Ma mère voulait le rejeter parce qu’il n’appartenait pas à notre classe. Cependant, il avait cet effet bienfaisant sur moi qui avait poussé mes parents à le compter parmi eux. Je ne savais même plus ce que j’avais ressenti à son égard. Il parlait peu, il restait là comme mon rempart. Je n’osais pas le questionner pour en savoir plus sur son histoire. Moi qui n’avait que rarement ma langue dans ma poche. Je l’observais en silence. Je le remerciais silencieusement. Je l’aimais sans le savoir. Il était là, jours et nuits. A chacun de mes pas. Je ne pouvais pas trébucher, il me rattrapait toujours. Quand d’autres m’embêtait, il me défendait tel un prince charmant en bien plus triste et courageux. Mon cœur battait toujours plus vite lorsque je le voyais. Je sentais toujours ce bien être m’envahir lorsqu’il était là. Je ne fumais plus. Je restais des heures, la tête déposée sur ses jambes à écouter la musique ou à apprécier le silence qui nous entourait. Il était mon tout, il était ma vie, il était mon ange. Une part de mon paradis. Je n’aurais jamais pensé pouvoir le haïr un jour. Je n’aurais jamais pensé lui en vouloir. Pourtant, c’était bien à cause de lui que j’étais devenue celle que j’étais. Où peut-être cherchais-je simplement un coupable pour avoir quelqu’un sur qui m’acharnait ? Il n’y était pour rien et pourtant son absence avait causé sans doute plus que ce que je n’aurais pensé. 4 juillet 2006. Rue. J’ai seize ans.
Il m’avait demandé de venir à un de ses concerts. C’était son tout premier. J’étais honorée et j’avais hâte. Mes parents avaient accepté de me laisser sortir si tard si en échange j’acceptais quelques corvées de plus. Je n’avais pas hésité. Il s’agissait du premier concert de River tout de même et il était hors de question que je loupe cela. Je lui avais bien fait comprendre d’ailleurs et il savait que pour rien au monde je n’aurais loupé ce jour si important. Il aurait dût comprendre. Il avait dût comprendre. Il savait. J’ignorais.
Un sourire se dessinait sur mon visage alors que je me trouvais devant le miroir. Mon visage portait moins de traces. Les crises de mon père s’étaient effacées. Il était redevenu comme avant. L’argent remplaçait l’amour. J’enfilais ma robe noire, cette sublime robe que j’avais achetée pour lui, pour ce soir spécial. Mes cheveux étaient détachés et tombaient sur mes épaules. Mon maquillage discret soulignait mieux mon visage et attirait le regard plus fortement que les marques demeurant sur ma peau. Je descendais les marches. Mes parents se disputaient encore. Ça devenait plus fréquent, plus violent, plus réel. Je les entendais jours après jours, nuits après nuits. Ils se fuyaient, ils s’aimaient, ils se détestaient. Je prenais peur, je frissonnais. Je m’arrêtais devant la porte et j’attendais silencieuse qu’ils remarquent ma présence. Mon père la remarqua en premier. Il s’approcha de moi. L’odeur de l’alcool me força à reculer et je jetais un regard désespéré à ma mère. Les doigts de mon père passèrent sur ma peau. Ça brûlait. Ça me piquait. Il me proposait de me conduire. Je refusais. Je fuyais cet endroit. La pluie m’accueillit à l’extérieur. J’avais froid et je pressais le pas. J’avais horreur de la pluie. Elle me décoiffait. Je tournais dans une ruelle sombre et j’entendis des voix, des rires. Une voix, un rire. Je le reconnaissais. Je savais qui c’était. Mon cœur battait plus fort, douloureusement, agréablement. J’étais bien, j’étais heureuse. J’avais peur, j’avais mal. L'odeur nauséabonde d'alcool m'enveloppait, soudaine, violente. Habituelle.
Le trou noir était total. Les souvenirs m’avaient désertée.
Je me retrouvais chez moi, tout habillée sous la douche. Je n’étais pas allé au concert ou peut-être que si finalement ? Je ne savais plus. Non. J’avais fini par faire demi-tour après ça. Mais quel était ce « ça » ? Je ne savais plus. Je ne voulais pas savoir. Mes parents dormaient. Du moins ma mère dormait. Mon père semblait absent, sans doute à cause de cette dispute. Je sortais de la douche. Je me séchais. Je me déshabillais en silence, enfilant autre chose. Mes gestes étaient lents, calculés. J’étais silencieuse et tout bonheur semblait m’avoir déserté. Je ressemblais à un cadavre. Mes cheveux collaient à mes joues. Les larmes coulaient incompréhensibles sur mon visage. La lumière s’alluma. Je sursautais. Je criais aussitôt. Le cri aigu déchira ma gorge la laissant douloureuse. Ma mère semblait ne pas comprendre. Je ne comprenais pas. Mon poing donna un coup dans le miroir et je continuais incessamment. Le sang coulait et je ne sentais rien. Pourquoi ne ressentais-je pas la douleur ? Pourquoi ? Pourquoi ? Les larmes redoublaient. Ma mère s’était approchée. Elle m’avait attrapé les poignets et j’avais crié plus fort encore avant de m’échouer au dessus des toilettes vomissant mes tripes. Elle me tenait les cheveux. Elle ne disait rien. Mon père était apparu alors. Il n’avait rien compris. Il n’avait pas cherché à le faire rejoignant son lit rapidement. La crise passait. Ma mère tendait la main et je la fuyais. Je m’éloignais d’elle me plaquant au mur en silence. Mon cœur était douloureux. J’aurais aimé que tout s’arrête ce soir. J’avais peur. J’étais mal. Mais qui étais-je ? Je ne savais même plus. L’enfer commençait dès maintenant. J’étais condamné sans comprendre, sans choisir et j’avais mal, si mal.
Cabinet du psychologue. Montréal. Novembre 2006. J’ai seize ans.
« Cela fait plus d’un mois que tu n’es pas revenue ici Reason. Des explications ou un silence ? »
Je ne répondais pas. Je ne voulais pas revenir ici, pas après ce qui c’était passé la dernière fois. Ils avaient cette curiosité malsaine à mon égard. Il y avait ces articles parlant de moi, ces articles que je ne lisais pas. Ces articles que je connaissais, par le regard des autres, par les murmures sur mon passage. Je n’achetais plus de journaux, je ne voulais pas prendre le risque de tomber sur une page parlant de moi. Je fuyais. Je fuyais ma tête. Je fuyais ma vie. Je me fuyais alors que j’aurais dût me chercher. J’avais fuis cet endroit où je remettais soudainement les pieds. Durant un mois, mes parents m’y déposaient et je me contentais de flâner dans les rues, seule et abandonnée. Ils n’en savaient rien du moins ils semblaient n’en savoir rien, ils jouaient le jeu. Pourtant, aujourd’hui, après un mois de fuite, je me retrouvais à nouveau face à eux. Ils avaient gagné. Je me retrouvais face à tous ces psychologues, monstres avides désireux d’argent, de succès et d’irréalité. Face à leur jugement, je n’étais plus qu’une bête de foire, un moyen d’attirer. Face à leurs griffes, je n’étais qu’une proie déchiquetée en mille. Face à leur curiosité, j’étais nue, j’étais mal. Ma mère se tenait derrière la porte, elle attendait que je sorte. Elle ne voulait plus se contenter d’être mon chauffeur, pas en sachant que je suivais plus ces séances. Elle était devenue la gouvernante de mes moindres gestes. Nous étions à la limite du « je vais même te suivre dans tes salles de cours ». Elle était devenue dingue ou peut-être était-ce moi qui l’avais rendue dingue ? Je ne savais plus. Je ne voulais pas savoir. Plus maintenant. Pas maintenant.
Assise sur le sofa, je fixais silencieusement le psychologue. Je ne dirais rien. Je n’expliquerais pas mon absence. Je ne dirais pas ce que je pensais. Je me tairais et jusqu’à la fin. Je croisais les bras. Mes ongles s’enfonçaient dans ma peau. Je n’avais pas mal, je ne ressentais plus cette douleur que j’aurais dût ressentir. Je frissonnais. Je n’aimais pas cet homme. Je n’aimais pas cet endroit. Je n’aimais plus rien hormis le noir. Je n’étais plus qu’une ombre et ma place était dans ce noir certain où personne ne pouvait m’atteindre. Il se raclait la gorge. Je relevais les yeux avec dédain. Je devais renvoyer l’image d’une gosse de riche complètement vexée. J’aurais pût renvoyer cette image si je n’étais pas ici. Il ne disait rien. Il me fixait, me défiant du regard. Je demeurais silencieuse. Il n’en avait rien à faire de parler ou non, il toucherait comme même son salaire à la fin du mois. J’étais sa bête de foire, j’étais son gagne pain mais je n’étais rien d’autre. Comment me considérer humaine alors qu’il ne me considérait même pas comme telle ? Je frissonnais. Etais-je réellement humaine dans le fond ? Oui mon cœur battait. Oui je ressentais des choses. Oui je respirais. Cependant, cela ne faisait pas de moi quelqu’un de vivant à proprement parler. Je ne savais rien, je ne connaissais plus rien. J’ignorais même ma propre identité. Quel était mon nom ? Je frissonnais. Mon front se plissait sous l’effort. J’avais mal, si mal au point de m’en rouler au sol. J’avais mal au point de crier jusqu’à ce que ma voix n’existe plus. J’avais mal au point de ne plus ressentir aucunes douleurs physiques. Rien. Le vide était total. Je n’étais plus rien, je n’étais plus personne. Pourquoi m’imposer une telle torture ? Qu’avais-je fais ?
Le psychologue m’arracha soudainement à mes pensées macabres. Il s’excusait du comportement de sa collègue. Je frissonnais, je m’éloignais. Mes doigts s’enfonçaient plus profondément dans ma chair. Il me regardait, hésitais. Il se levait. Je l’imitais. Il approchait. Je reculais. Il leva les mains en l’air en signe de paix, me faisant signe de me rasseoir tandis qu’il faisait de même. J’hésitais. J’avais peur. Pourtant je m’asseyais en silence. Il continuait de parler, mais déjà je n’entendais plus rien. Comme si mes oreilles étaient bouchées, comme si j’étais soudainement devenue sourde. J’aurais put paniquer mais je ne le faisais pas. Je savais que c’était normal. Je savais que, parfois, je m’isolais tellement que j’en oubliais le monde réelle. Parfois, je parvenais à ne plus vivre. Soudainement, il posa la question et tout revint. Je fus prise de vertiges, de nausées, de froid et de peur. Néanmoins, je ne disais rien du tout. Je ne laissais rien voir. Je ne me rappelais rien, encore et toujours. Lentement je lançais la phrase habituelle.
« Juste cette ruelle sombre, froide et humide. Il y avait de la lumière aussi au fond… »
Il soupirait. Je baissais les yeux. J’étais ridicule. J’étais insignifiante. J’ouvrais la bouche, je la refermais. Non, je ne pouvais rien dire. Pourtant les mots franchirent mes lèvres, nouveaux et inédits.
« Je me souviens de la pluie sur mon visage, sur mes bras nus… »
Un sourire s’était dessiné sur mon visage au souvenir de la pluie. J’aimais tellement la pluie maintenant. C’était comme un réconfort. Le psychologue gribouilla quelque chose et me fit signe de continuer. Je secouais la tête. Il n’y avait rien d’autre, rien à ajouter. Rien. C’était le néant, c’était le vide. J’avais peur, j’avais mal. Je n’avais aucunes armes contre moi, je n’avais plus rien. Je n’étais déjà plus rien. J’aurais tellement aimé que tout cela prenne fin, maintenant. Alors j’enfonçais plus profondément mes ongles dans ma chair et je ne ressentais rien. Rien hormis ce malaise à l’intérieur de moi, ce malaise qui ne me quittais jamais. Ce malaise qui me constituait.
Hôpital psychiatrique. Ici, là-bas, quelque part. Janvier 2007- Janvier 2010. J’ai dix-sept, dix-huit et dix-neuf ans.
Les murs sont blancs partout autour du moi. Il n’y a que du blanc, immaculé, réel. Cela fait un an que je suis enfermée ici, entre ces quatre murs. Un an que je n’ai plus sentie le soleil sur ma peau, le vent sur mes bras, la pluie que j’aime tant. Un an et j’ai l’impression d’avoir tout oublié. Les souvenirs m’ont déserté. Je ne suis personne, je ne suis rien et je viens de nulle part. Tous contacts avec la réalité a prit fin, petit à petit. Je ne vois plus personne. Mon père ne me donne plus de nouvelles. Depuis cette nuit, il s’est toujours tenu à l’écart comme s’il avait quelque chose à cacher, quelque chose à craindre. Comme si je n’étais plus sa fille. Ma mère est venue me voir au début, quelques mois, quelques temps. Je la sentais plus faible sans cesse puis elle a disparu elle aussi. Comme tout. Comme moi. Les psychologues ont finis par m’envoyée ici, désespérés, déprimés. Mais ça ne change rien. Je ne suis pas folle, je le sais. Tout est blanc ici. Tout est trop blanc, trop impersonnel. Tout pue la mort, le désespoir et les médicaments. Les cris sont devenus les seules choses que je suis encore en mesure d’entendre comme si rien d’autre n’existait hormis cette douleur conjuguée que l’on ressent tous ici. L’oubli me tue. L’angoisse m’achève me poussant à vomir des heures durant, même lorsque mon estomac est vide. Ils m’obligent des séances avec des psychologues et à chaque fois c’est si brutale que j’en pleure. Si brusque que je regrette ces autres qui me jugeaient et qui se servaient de moi. Ils me lancent au visage ce même diagnostic. Ils font tout violemment pour m’obliger à me rappeler. Ils me touchent. Ils provoquent ces crises dont je suis victime, dont je suis responsable. Je ne fais que sombrer. Je deviens une loque encore et toujours. Lorsqu’ils pensent que je deviens trop folle, ils me donnent des médicaments. Ça efface la douleur physique mais pas la douleur qui me bouffe de l’intérieur. La douleur dans ma tête fait ressortir celle de mon corps violement, malgré la morphine. J’étouffe mes cris, je pleure, je recrache le peu que j’ai avalé, j’ai froid, j’ai mal. Je suis inexistante, insignifiante. Ma tête est la seule responsable et les médecins en viennent à me considérer comme une bête sauvage. J’ai si peur, j’ai si mal. Comment survivre ici ? Comment vivre quand on s’est perdu soi-même ? Qui suis-je si ce « je » a encore une raison d’exister ?
Les premiers mois ont été les plus durs. Je me faisais du mal à moi-même. Sans armes. Mes ongles seuls servaient à pénétrait dans ma peau. Je ne sentais rien. Ils me suivaient partout, ils m’attachaient avec ces lianes autour de mes poignets. Ces lianes usées qui puaient la douleur. J’avais mal, si mal. Je savais que me faire du mal physiquement était inutile. M’enfermer dans cette spirale digne de l’enfer ne me permettrait pas de sortir d’ici. Mais pourtant c’était inconscient et je continuais. Je ne mangeais plus dès que je le pouvais au moins. Lorsque mes doigts s’abandonnaient sur mon ventre, je sentais mes os, je sentais mes côtes. Je me décomposais sans même m’en rendre compte. Il n’y avait jamais eu d’améliorations, il n’y en aurait jamais. Ce n’était qu’un pressentiment. Je n’avais pas compris comment, après un an, j’étais toujours debout, entière et vivante. Les docteurs avaient fait des diagnostics, ces mêmes mots imprimés sur ces feuilles blanches. Ces mêmes mots que je lisais incessamment, tous les jours dans l’espoir de pouvoir surmonter ce qui m’arrivait. Ils l’ont dit. Je ne suis pas folle. J’ai simplement somatisé mon problème et je continue de le faire, incessamment. Savoir ne me rend pas plus vivante. Je me sens morte de l’intérieur, il n’y ni saveurs ni couleurs. Tout est finit. J’attendais en silence que la mort s’empare de mon corps déjà vide. Je n’étais plus qu’un squelette. Je n’étais déjà plus rien. Ce « je » n’avais plus aucun sens, aucunes raisons d’être.
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Elle entrait dans le commissariat. Ses traits étaient tirés. Son visage était pâle. On devinait qu’elle passait ses journées, ses nuits à pleurer. Elle avait pris du poids, trop de poids. Elle, la belle mannequin d’autrefois, ressemblait désormais à une fille horrible. Pourtant, elle gardait cette grâce et cette domination qui la maintenait reine, encore et toujours. Depuis que sa fille était enfermée, elle avait engagé des détectives avec tout son argent. Elle ne supportait plus cet enfer. Elle ne supportait plus de vivre de cette façon. Son mari était mort, il s’était suicidé. Elle n’avait rien dit à Reason, ce n’était pas le moment de lui infliger ça encore. Il avait laissé une lettre expliquant qu’il ne supportait plus la situation, qu’il ne se supportait plus. Il était parti. Il l’avait laissée seule et elle héritait de tout. Argent, boîte, problèmes, pouvoir, Reason. Tout. Le but principal de l’enquête était de faire sortir Reason de cet asile grâce au pouvoir qu’elle possédait maintenant. Sa fille mourrait à petit feu là-bas. Elle ne supportait même plus d’aller la voir. Alors elle agissait dans l’ombre.
Le détective l’avait appelé une heure plus tôt avouant avoir tout découvert. Il la saluait avec cette peur qu’elle provoquait en entrant quelque part. Elle avait prit du poids mais elle avait prit le pouvoir et personne ne pouvait plus lui résister. Elle aurait jouit de cela si elle n’avait pas sa fille sur les bras. En obligeant l’enquête à avancer, elle pouvait se débarrasser de Reason facilement, très facilement. Elle avait besoin de réponses avant de pouvoir tirer un trait sur toute cette histoire. Le détective annonçait qu’il avait retrouvé l’itinéraire qu’avait emprunté sa fille. Il annonçait avoir mit la main sur toutes les casettes de vidéosurveillance et qu’une contenait la réponse à tout cet enfer. Il hésitait lui demandait si elle était certaine de vouloir affronter ces images. Elle rouspétait et l’obligeait à mettre en place cela. L’image prenait place. Sa fille entrait dans la ruelle sombre. Il pleuvait et une unique lumière éclairait la rue, au fond. Un homme s’approchait de sa fille. Cet homme la frappait, lui tenait les poignets. Il était violent mais faisait tout pour ne laissait aucunes marques sur le visage de Reason. Et, là, contre le mur, il la violait. La femme porta une main à ses lèvres, baissa les yeux. Le détective avançait la scène, trop insupportable, trop réelle. Et soudainement il faisait un arrêt sur l’image montrant le visage de l’homme. Elle portait la main à ses lèvres en lançant soudainement, la voix tremblante.
« C’est impossible… »
L’homme qui se tenait face à la caméra n’était autre que celui qui avait partagé sa vie depuis des années. L’homme présent était celui en qui elle avait confiance. Il avait était son rempart, son soutient. Cet homme qui avait enfouie sa fille dans l’enfer n’était autre que le père de Reason lui-même.
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Des jours s’étaient écoulés. Peut-être des semaines. Des mois. Des années. Je ne sais plus. Tout était sans cesse monotones, identiques. Je répétais les mêmes gestes, les mêmes actes comme si je n’étais plus qu’un robot. C’était devenu mécanique. Mon corps agissait par réflexes, ma tête était déconnectée. Cela faisait trois ans que j’étais enfermée. Trois ans et il n’y avait pas un seul progrès. Je voulais sortir et être libre à nouveau, je voulais ne plus avoir de contraintes. Je voulais juste sortir et réapprendre. Ils ne voulaient pas. Je n’avais plus de volonté pour me battre. J’étais devenu un légume. La réalité n’existait plus. J’étais insensible à tout autour de mois. J’avais cette impression de mourir. J’avais toujours pensé que la mort serait ma libération, en douceur. Ça serait une transition, un passage dans mon meilleure. Mais, là, je me contentais de crever. J’avais si mal. Plus rien ne me donnait de plaisir. Plus rien ne me donnait envie de m’en sortir. J’étais partagée entre un instinct de survie et une envie de tout abandonné sans rien demander à personne.
On m’annonçait une visite. Qui pouvait venir me voir ce jour-là ? Qui pouvait se déplacer pour venir voir mon cadavre alors que je ne recevais plus aucune visite depuis des mois ?
C’était ma mère qui se tenait dans l’entrée. Elle m’avait dit de ne pas m’asseoir. On m’avait amené mes affaires. Elle avait payé, elle les avait remerciés et je sortais d’ici. Ça paraissait simple, trop simple. Que c’était-il passé ? Ma mère restait muette à toutes mes questions. Elle m’annonçait le suicide de mon père comme si elle aurait parlé des plantes qu’elle venait de faire pousser dans son jardin. Je ne comprenais pas, j’étais encore plus embrouillée. Mon état empirait au fur et à mesure que je m’éloignais de cet endroit où j’avais été cloîtrée aussi longtemps.
Ma mère disait simplement qu’elle voulait se reconstruire une vie, qu’elle avait usé de son influence pour me faire sortir prétextant que je serais mieux à l’extérieur. En vérité, elle n’était qu’un monstre. Elle agissait pour elle, pour se débarrasser de moi. Elle connaissait la vérité et elle se taisait. J’avais peur. J’avais mal. Je n’étais plus rien. Comment pourrais-je me promener dans la rue ou reprendre une existence normale ? Je ne savais pas. Elle ne semblait pas savoir. Elle s’accrochait simplement à cet espoir fou qu’elle allait enfin vivre mieux. Il aurait alors fallu l’enfermer elle maintenant. Elle n’était plus saine d’esprit. Je le sentais et j’en frissonnais.
Quelque part dans la rue. Montréal. Novembre 2010. J’ai vingt ans.
Cela faisais dix mois que j’étais sortie de l’hôpital psychiatrique. J’avais trouvé une sorte d’équilibre mais je ne me sentais pas mieux pour autant. Ma mère ne pouvait toujours pas me toucher, personne ne le pouvait d’ailleurs sinon mes crises reprenaient, plus ou moins violente en fonction de la personne. Ma mère en connaissait la raison, elle savait pourquoi. Elle avait la clé de ma guérison et elle n’avait rien dit. Jamais. J’avais repris les cours plus ou moins. Je suivais quelques cours de dessins les soirs. J’aimais bien dessiner. J’aimais sentir mes pensées devenir réelles. Mes dessins étaient sombres, noirs mais on me disait que j’avais du talent. Je passais le reste du temps fermée chez moi. J’avais tenté de contacter River, j’avais tenté de le retrouver. J’avais tant besoin de lui. Mais rien n’y avait fait. J’étais toujours seule et cette sensation s’accentuait chaque jour. J’avais repris un peu de poids, je sentais encore mes os sous mes doigts, parfois. J’avais cessé d’enfoncer mes ongles dans ma chair. Me faire du mal ne servait à rien lorsque les autres avaient le pouvoir de m’en faire autant Pourtant, je me sentais toujours aussi mal, aussi vide. Je me sentais toujours aussi morte. Mon cas avait fait le tour de Montréal. On me regardait dans la rue, on murmurait sur mon passage. J’avais peur. Ils avaient peur. Je voulais m’exiler et pourtant je ne parvenais pas à prendre la décision de quitter cette ville. Je ne me sentais pas en mesure de tout recommencer alors que j’avais construit un équilibre ici.
Je rentrais de mon cour de dessin. Il faisait froid mais ça ne me gênait pas. Je me sentais bien, enfin autant que je pouvais me sentir bien. Continuer comme cela me convenait parfaitement. J’évitais les passants sur le même trottoir que moi. Soudain, on prononçait mon prénom. Je me retournais. La collision était alors soudaine.
Il m’attrapait le poignet pour ne pas tomber. Erreur. Je retirais violement mon bras alors que le cri franchissait mes lèvres. Mon hurlement devint gémissement. Je reculais, chancelante et déséquilibrée. Je gelais de partout au point d’en claquer des dents. Je tremblais. Les larmes coulaient sur mes joues, s’échappant de mes yeux qui me brûlaient tant. Il déposa sa main sur la mienne pour me demander si ça allait. Je reculais sauvagement, serrant les dents pour retenir le nouveau cri naissant dans ma gorge. J’avais l’impression que ces doigts s’imprimaient dans ma chair, y laissant une brûlure qui n’allait jamais disparaître. Les larmes redoublaient, incontrôlable. Ça tirait. Ça se tordait. Ça faisait mal. Je me sentais étouffée, oppressée. C’était comme si mes organes étaient faits de glace qui soudainement explosait au moindre contact. Des éclats tranchants se trouvaient partout. Ça coupait, ça saignait, ça me tailladait de l’intérieur mais il n’y avait jamais de cicatrices. Je paniquais. Je voulais partir. Alors je me mettais à courir sans savoir où j’allais. J’avais mal au ventre, j’avais froid. Ma tête tournait. Ma gorge me brûlait autant que mon poignet. Ça brûlait, ça faisais mal et je crevais de froid. Je tombais dans l’herbe et tentais vainement de me calmer. Un homme déposait sa main sur mon poignet et me demandait si ça allait.
Un corps écrase le mien. Je me débats. Pas de visage. J’étouffe. Ça pue l’alcool. C’est froid. Ça fait mal. Un mur. Une lumière. Un homme.
Je reculais violement. Ça brûlait, ça piquait, ça donnait froid comme si un étau se refermait autour de mon poignait. Comme si ces griffes avaient lacéré ma peau y laissant une brûlure. Ça me glaçait le sang. Ça me donnait la nausée. Je n’arrivais plus à respirer. J’avais mal. Ma tempe était à vif, mon cœur y cognait violement. C’était un danger dont je devais m’éloigner. Je tremblais. J’avais froid. J’avais mal au ventre. Je pleurais. Il tentait de s’approcher, je reculais. Il était un danger. Il s’en allait. Je vomissais mes tripes. Mes larmes redoublaient et je sombrais lentement.
A la maison. Montréal. Décembre 2010. J’ai vingt ans.
Cela faisait un mois que cet accident était survenu. Je croyais avoir trouvé un équilibre, tout avait été renversé par deux inconnus, par deux contacts. J’avais l’impression de me retrouver bien en dessous de la case départ. Je ne pouvais pas rester dans cette ville. Les passants ne cessaient de me regarder comme une bête de foire, je n’aimais pas ça, j’avais mal, trop mal. Je ne voulais plus vivre, je ne pouvais plus vivre ici.
Mes valises étaient à mes pieds. Ma mère rentrait. Je lui expliquais la situation. Elle se contentait d’acquiescer. Elle me faisait un chèque. Je la sentais jubiler à l’intérieur comme si elle avait attendu ce moment depuis ma sortie de l’asile. Comme si je n’étais plus sa fille mais une simple emmerde de plus dans sa nouvelle carrière de femme d’affaire. Elle était à nouveau maigre et jolie, prisé par tous les magasines. Je savais qu’elle se droguait, qu’elle prenait des médicaments et qu’elle pratiquait des opérations pour rester dans sa beauté éternelle. Je la trouvais ridicule et je ne regrettais pas de la fuir. Elle n’avait jamais rien fait pour moi.
Je prenais mes valises. Je lui faisais un simple signe d’au revoir et me dirigeais vers la sortie. La porte refermée, je l’entendais alors hurler de joie. Et je partais, je quittais Montréal sans identité, sans vie, sans espoir. Je n’étais personne. Je n’étais plus rien. Je cherchais simplement à redevenir une inconnue dans une ville quelconque.
Mon appartement. Paris. Août 2011. J’ai vingt et un ans.
Cela faisait neuf mois que j’avais quitté Montréal. J’habitais dans la capitale française, Paris. Ça avait été un hasard. J’avais pris mon billet au hasard. J’habitais un petit appartement seule. J’étais discrète. Je n’avais pas d’amis, pas d’amour. J’évitais tout contact. Je m’étais inscrite aux beaux arts pour continuer dans la voie du dessin. J’arrivais la dernière à chaque cour pour m’installer au fond, loin de tout le monde. Je partais la dernière pour ne pas affronter la foule. Certains avaient tenté de s’approcher de moi mais, avec mon comportement, ils abandonnaient très vite, trop vite. Alors j’étais là. J’avais tout repris et rien n’avais changé.
Je me sentais toujours aussi mal, aussi vide, aussi morte. Les crises continuaient dès lors qu’on me frôlait. Je n’avais plus rien. Ni famille, ni amour, ni amis, ni identité. J’étais simplement une fille de l’ombre et ce rôle me convenait très bien malgré la solitude qui pesait sans cesse sur mes épaules. Je me présentais sous le nom de Reason Donovan, j’avais cet accent québécois qui demeurait dans ma voix, qui faisait sourire. Mais je ne parlais pas souvent. J’étais comme un ermite, je vivais dans mon monde, dans mon égout loin de tous. Je ne prenais jamais les transports en commun même sous la plus forte des tempêtes. Je fuyais tout et tout le monde mais je vivais d’une certaine façon. J’avais trouvé mon équilibre seule.
Ma mère était morte quelques semaines plus tôt. Je l’avais appris en entendant des personnes en parler dans les couloirs de l’école. A croire qu’ici aussi, elle était connue. L’étais-je également ? C’était possible mais ce n’était pas visible en tout cas. Quelques jours après la mort de ma mère, j’avais reçu une lettre. On m’envoyait cette lettre que ma mère avait laissée à mon égard. On m’annonçait qu’elle contenait toutes les réponses à mes questions, qu’elle contenait toute la vérité. Cette lettre m’offrait la guérison certaine. Cette lettre que j’avais brûlée sans même l’ouvrir. Je ne savais pas pourquoi, je l’avais fait simplement. J’avais trop peur de savoir, j’avais trop peur de comprendre maintenant que j’avais pris ce train-train.
J’étais condamnée et il était trop tard pour que je m’en sorte. Je m’y étais fait et je vivais avec chaque jour quand bien même cela ne cessait de me tuer violement.
J’étais Reason Donovan, étudiante aux beaux arts, ermite, seule à jamais. C’était mon souhait, c’était ma réalité. J’attendais que la mort vienne me prendre et me libérer. Ma guérison n’était qu’une illusion. J’aurais pût retourner dans un hôpital psychiatrique. J’aurais pût retourner à Montréal pour réellement tout savoir. J’aurais pût agir. Pourtant je laissais cette ignorance avoir le pouvoir sur moi, je la laissais me consumer à petit feu vivant ma vie sans être vivante.
Mon nom est Reason Donovan. J’ai hérité d’une grande quantité d’argent et je ne le dépense pas. J’étudie en silence, loin de tous comme si je n’étais qu’une simple ombre. Mon nom est Reason Donovan et je suis maudite. Reason Donovan, j’ignore comment vous pouvez me voir. Moi, je ne me vois pas. Je suis inexistante, irréelle. Je suis mon propre cauchemar, ma propre haine, ma propre douleur. Si vous saviez comme j’ai mal.
Partout. Tout le temps.
« Elle a été ma fille un tant puis elle est devenue dingue à cause de mon … Non, elle est juste devenue dingue seule avant de fuir notre ville. Elle aura simplement ce qu’elle mérite, elle n’est qu’une inconnue sans visage. » Sa mère
« Je suis conscient d’avoir changé ma fille à jamais et c’est pour cela que j’ai préféré mettre fin à mes jours plutôt que d’assister en direct à sa mort. » Son père dans sa lettre d’adieu avant son suicide
« Elle nous a offert une immense clientèle, les articles qu’on a fait paraître sur son cas ont passionnés si bien que les gens ont afflués pour avoir le droit à nos compétences. On ne l’a pas aidé mais elle nous a aidés. » Responsable du cabinet de psychologue de Montréal
« Reason… Elle était unique en son genre. Si torturée à cause de quelque chose qu’elle ne pouvait pas affronter. Nous n’avons jamais sut, nous n’avons jamais compris. J’espère juste qu’un jour elle sera libéré de ses tourments et qu’elle pourra vivre. » Homme de l’hôpital psychiatrique
« Être violée et battue par son père en pleine rue avant de tout somatiser pour ne pas avoir à affronter ce désespoir c’est déjà un acte suicidaire. J’espère qu’elle s’en sortira simplement et que ses démons s’effaceront, si jamais sa mère a eu le courage de lui dire. » Détective chargé de l’enquête
« Reason ?? Kaylee ?? Non désolé, je ne connais pas. » Elève de son ancien lycée
« Kaylee (rire), elle était dingue celle-là. Je paris qu’elle est toujours vierge et enfermée ou bien elle est déjà morte. Elle ne supportait pas qu’on la touche, elle se mettait à faire des crises de dingue dès qu’on la frôlait. D’un seul coup en plus. Un jour, elle était la miss joie de vivre du lycée, appréciée et aimée par tous au point de me voler ma popularité. Et le lendemain, elle n’était plus rien. On n’a que ce qu’on mérite chérie. » Fille de son ancien lycée
« Reason Donovan ? Non désolée je ne vois pas qui c’est. » Elève aux Beaux Arts
« Elle travaille étonnant bien mais elle a l’air bizarre, renfermée et exclue. C’est comme si elle n’existait pas. » Professeur aux Beaux Arts
« Excellente serveuse, jolie fille mais il ne faut surtout pas la toucher sinon on dirait qu’elle est possédée. Je la garde parce qu’elle fait du bon boulot mais elle finit par intriguer et faire peur si bien que je ne sais plus comment faire avec elle. » Son patron au bar
Dernière édition par Reason K. Donovan le Sam 27 Aoû - 15:59, édité 22 fois |
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