Cela devait faire trois jours maintenant que je n’avais plus mis les pieds chez Sylvain. Peut-être plus, peut-être moins. J’en savais rien. J’avais perdu la notion du temps. Ce dernier avait accepté de m’héberger de bon cœur mais il n’y avait rien à faire. J’avais beau l’adorer, je ne me sentais pas chez moi dans son appartement. J’avais cette impression permanente de ne pas être à ma place. En fait, je me sentais de trop. J’avais longtemps ruminé sur ce que m’avait dit mon père avant de me foutre à la porte : « T'es plus la bienvenue ici. Tu l'as jamais été. » Depuis que ces paroles avaient fusé hors de sa bouche, j’avais peur que cette situation ne se répète, que Sylvain m’envoie un jour chier et que je me retrouve à la rue. Si j’avais eu un peu d’argent, j’aurais probablement suivi le conseil de mon paternel, c’est-à-dire, me rendre dans l’agence de voyages la plus proche et acheter un billet pour la Grèce. Là au moins, j’avais des points d’attache – à part mon père, plus rien ne me retenait à Paris – . Je pourrais aisément me remettre à dealer histoire d’avoir un peu d’argent pour louer un appartement et mener une vie de débauche. Seulement, j’étais sans le sou. Inutile de préciser que mon père ne m’avait pas glissé un billet de dix euros dans la poche avant de me jeter publiquement à la rue. De plus, je n’avais pas envie d’emmerder Sylvain avec mes problèmes d’argent. Le problème était donc réglé : j’étais condamné à zoner dans les rues de Paris.
Le fric n’était pas seulement un problème pour le voyage en Grèce. En effet, comment une toxico peut-elle se payer sa dose alors qu’elle est fauchée comme le blé ? Je souffrais d’un putain de manque. Toutes les cellules de mon corps réclamaient leur rail de cocaïne. Là, maintenant, tout de suite, j’étais prête à tout pour pouvoir m’offrir le luxe de sniffer un peu de poudre blanche. Les jours précédents, je m’étais arrangée pour obtenir ce que je voulais en payant en nature. Mon comportement me dégoûtait mais le manque était plus fort que tout. J’allais devoir répéter mon manège. Mon stock était à vide. Je n’avais juste qu’à trouver un dealer tolérant qui acceptait de se faire payer autrement que par des liasses de billets. Je m’étais alors rappelée d’un dealer que mon père avait dans son répertoire téléphonique. Un type prénommé Vitali, si mes souvenirs sont bons. Et si ma mémoire ne me faisait pas défaut, il dealait dans le coin. Etant donné qu’il procurait mon père en drogue, je m’étais dit que je pourrais même l’arnaquer. Sauf que j’avais oublié un petit détail : la plupart des dealers sont immunisés contre l’arnaque. Leur vie est faite d’entourloupe. Ils flairent l’escroquerie à des kilomètres à la ronde. Impossible de les rouler dans la farine et ce, même en utilisant ma persuasion féminine. Bref, je n’eus pas à chercher longtemps pour tomber sur le quartier où opérait notre cher Vitali. Une ruelle sombre et malfamée où ne s’aventuraient que les plus téméraires. Ca ne m’enchantait pas trop de m’exposer au danger d’agression qui accompagnait ce genre d’endroit mais j’avais besoin de ma drogue. Je me laissais même faire lorsque ce dernier me relooka des pieds à la tête alors que je ne me serais pas gênée pour lui foutre mon poing dans sa gueule en temps normal. S’il se contentait de regarder la marchandise, ça m’allait. Après m’avoir dévisagée en silence, il finit par me demander ce que je lui voulais. Ca me semblait plutôt évident mais bon, ce n’était pas de sa faute s’il était né avec le QI d’une poule morte.
« Vous connaissez mon père, je crois. Cerbère Kyros. Vous pouvez mettre cette dose sur son compte. Il vous payera la prochaine fois que vous ferez affaire ensemble, ce qui ne devrait pas tarder à arriver, je crois. »
Apparemment, la manie de me foutre dans de beaux draps me collait à la peau. Vu le regard moitié sadique moitié pervers que me lança Vitali suite à cet aveu, je compris que j’aurais mieux fait de me taire. Il ne me laissa pas le temps de filer à l’anglaise. Il aurait pu me laisser partir sans ma dose mais apparemment, le nom de mon père avait suscité chez lui une colère noire. Visiblement, ils avaient des affaires à régler, tous les deux. Le dealer me frappa alors au visage et ne s’arrêta que lorsqu’il fut assuré que j’étais méconnaissable. Ma figure était barbouillée de sang. Celui-ci provenait en partie de mon arcade sourcilière dont s’échappait beaucoup de sang. A part ça, je pense que j’avais écopé de deux yeux au beurre noir. Quant à mes joues, elles étaient si gonflées que je devais avoir l’air d’un hamster. J’avais retenu la leçon. Lorsque Vitali me lâcha, je m’empressai de m’éloigner de lui. Ce dernier me rattrapa par le bras. Visiblement, il ne comptait pas en rester là. Il avait d’autres projets pour moi que celui de me laisser partir. Je compris ce qui allait m’arriver lorsqu’il déboutonna son jeans. Je me mis alors à hurler en espérant qu’une âme charitable m’entende. Le dealer me réduit au silence en plaquant sa main sur ma bouche. D’un geste violent, il m’arracha mes vêtements. Je suppose qu’il n’y a pas besoin d’expliquer la suite.
Après avoir assouvi ses pulsions sexuelles sur moi, il me jeta contre un mur avant de s’approcher de moi et de me glisser ces quelques mots à l’oreille, d’une voix mielleuse :
« Tu diras à ton père que s’il ne rembourse pas ses dettes avant la fin de la semaine, il ne reverra plus sa fille. Considère que ce que je t’ai fait n’est qu’une caresse à côté de ce qui t’attend si ton padre ne coopère pas. » A ces paroles, je n’eus pu m’empêcher d’éclater de rire, ce qui parut ne pas plaire à Vitali qui me balança son poing dans sa gueule avant de me demander ce qui me faisait rire. « Si tu penses atteindre mon père en t’en prenant à moi, tu te trompes sur toute la ligne, mon vieux. » Cette appellation familière me valut quelques coups supplémentaires. « Me prends pas pour un con. Je sais que tu dis ça pour que je te laisse la vie sauve, j’suis pas né de la dernière guerre. Allez maintenant, dégage de ma vue, petite pute. »
Je ne lui fis pas répéter deux fois. Après avoir récupéré ce qu’il restait de mes vêtements, je pris la direction du Boulevard Barbès. Je ne sais pas pourquoi j’avais décidé d’aller voir mon père alors que je savais pertinemment qu’il s’en foutait de ce qu’il pouvait bien m’arriver. Après tout il m’avait prévenu. Les rues de Paris sont dangereuses et ce, même en plein jour. Probablement que je tenais à la vie. Parce que oui, c’était ma vie qui était mise en jeu, tout ça à cause de mes conneries. Je ne m’attendais pas trop à ce que mon père bouge le petit doigt pour m’épargner après la trahison que je lui avais faite endurer. Bref, le trajet séparant le 15ème arrondissement du 18ème ne m’avait jamais paru aussi court. Il faut dire que je m’étais mise à courir lorsque j’avais enfin accepté de réaliser ce qui m’était arrivé. Les larmes coulaient à flot le long de mes joues. Je me sentais sale, souillée et le fait de me promener en plein centre de Paris avec des lambeaux de t shirt qui dénudait ma peau par endroit n’arrangeait rien à mon problème. Surtout, SURTOUT dans le 18ème arrondissement qui était réputé pour le Moulin Rouge et ses fréquentations un peu libertines. Je finis par atteindre l’appartement 37, non sans avoir attirer les regards sur moi. Lorsque mon poing tremblant s’abattit sur la porte, mon cœur se serra. Je n’avais pas envie d’être confrontée à mon père. Je n’avais pas le courage d’encaisser la flopée d’insultes qu’il me balancerait à la gueule avant de me claquer la porte au nez. Lorsque cette dernière s’ouvrit, avant même qu’il ne puisse la refermer, je tendis le bras en avant pour l’en empêcher. Je ne pris pas la peine de le saluer, jugeant cela inutile :
« T’inquiète pas, je suis pas venue pour t’emmerder avec des excuses dont tu ne voudrais de toute façon pas ni te supplier à genoux de m’accorder une deuxième chance. » Maintenant que c’était dit, passons aux choses sérieuses. « J’estimais juste qu’il était important que tu saches qu’un dealer qui n’a pas l’air de te porter dans son cœur s’en est pris à moi aujourd’hui. Il a menacé de me tuer si tu ne lui rendais pas l’argent que tu lui dois, mais ça, j’imagine que t’en as rien à foutre. Je sais même pas pourquoi je te le dis. Enfin soit, c’est pas grave. C’est pas comme si je ne m’y attendais pas. » Bon bah, c’est pas comme si je n’avais plus rien à lui dire mais c’était tout comme. Puis je ne tenais pas vraiment à lui laisser le temps de me jeter tout ce qui lui tomberait sous la main à la gueule, vous comprenez ? « Et comme une gentille fifille, je me barre sans que tu n’aies à me le demander, c’est pas génial ça ? »
Sur ces mots, j’eus un rire nerveux. Je tournai les talons mais je fus incapable de m’en aller dans la direction opposée. Je brûlais d’envie de lui sauter au cou et de lui faire des excuses mais j’étais trop fière pour ça. Putain de fierté à la con.
Encore une journée où je suis couché sur ce putain de lit à ne pas pouvoir me relever. Je n'sais pas depuis combien de temps j'ai cessé de manger. Fin si je mange, j'avale des choses qui ressemblent de près ou de loin a de la nourriture écœurante, comme ma vie. Je ne veux plus quitter ses draps. C'est comme si j'allais crever à l'instant même où je quitterai ce cocon sécurisant. J'ai toujours les larmes aux yeux, comme un gosse perdu en pleine forêt. Vous savez comme dans les films, il se recroqueville dans un petit endroit calme. Endroit sécurisant dans un monde inconnu et effrayant. Mes mains se resserrent sur le drap. J'suis faible, trop faible pour pouvoir me lever sans m'effondrer. J'ai pas touché à la drogue depuis si longtemps que j'ai l'impression d'en crever tant elle me manque. Depuis que j'ai foutu Alecto dehors, je n'ai toujours pas vu Hannibal, Il est peut-être mort de faim quelque part par là. Et s'il lui était arrivé quelque chose de grave ? Je n'sais pas pourquoi mais, mon cerveau se focalise sur cette boule de poils. J'peux pas m'empêcher d'imaginer des tas de choses. Un de mes pieds se posent par terre, le second touche à son tour le plancher. Pendant un instant j'me retiens contre le mur de peur que mes jambes me lâchent. J'me hurle mentalement dessus. T'as rien dans le bide Cerbère ! Une fois les trois premiers pas effectués, mes muscles semblent retrouver de leur force. Je me mets donc à marcher faiblement en direction de la cuisine en sifflant de temps en temps pour tenter d'appeler le chiot. Mais rien. Je soupire, m'approche du frigo en silence. Il est temps pour moi de remplir mon estomac si je ne veux pas finir comme un squelette bien que ce soit déjà le cas. J'en sors une part de gâteau au chocolat que je m'empresse d'avaler comme un lion affamé. Ouais bon on sait pourtant tous que le truc à pas faire c'est bien de ne pas s'empiffrer quand on a un estomac presque vide depuis plusieurs jours. J'ai encore une fois oublié un de ces putains de détails. J'le regrette déjà lorsque je me mets à courir comme un dingue en direction des toilettes. Un hoquet me fait accélérer le pas. J'suis tremblant et pâle lorsque j'arrive dans la salle de bains. Pris de vertiges, j'me laisse tomber sur le sol. Enfin, je sens un goût acide remonter le long de ma gorge. Sensation dérangeante. Un liquide marron dégueulasse quitte ma bouche pour aller se mélanger à l'eau des WC. Je vous épargne les bruitages. =') Après avoir vidé à nouveau mon estomac, je me relève faiblement. J'en suis au même point. Toujours le ventre vide.
Comme une larve, j'parviens à me relever. Un frisson traverse mon corps lorsque je le croise dans le reflet du miroir. J'ai l'impression de maigrir de jour en jour. Fin non c'est pas une impression, je suis squelettique, c'est comme ça. Faible, j'entame à nouveau une marche vers le salon. Finalement, Hannibal me rejoint. Je me baisse pour lui faire une caresse, c'est con, il m'a manqué. Il a très certainement fait quelques conneries par là mais j'm'en balance. Plus rien ne compte en fait. Enfin au calme, presque détendu, c'est comme si, je retrouvais une lueur de paix. Paix intérieure qui n'existait plus depuis si longtemps. C'est con, Hannibal parvient à me calmer si facilement que ça en deviendrait presque déconcertant. C'est en passant ma main sur son corps que je me rends compte que lui aussi a perdu poids; Ca m'apprendra à le délaisser comme un pauvre égoïste. Alerté par sa maigreur, je me dirige vers un placard pour en sortir des croquettes que je lui verse dans sa gamelle. « Et s'il te plait, fais pas le con comme moi. Faudrait pas que tu rendes ton repas sur le canapé. » J'me mets à lui parler, certainement un effet secondaire de la solitude. Je soupire avant d'enfiler un t shirt et un pantalon qui trainent sur le canapé. Je n'sais pas s'ils sont propres ou sales mais cela n'a pas d'importance. J'ai pas à être présentable. J'ai plus personne pour qui me faire beau. J'ai plus personne en fait. .Et dans ces moment là, quand il n'y plus aucun espoir, aucune raison de se lever le matin, que faire ?
Complètement paumé, je reste là, à fixer Hannibal avaler ses croquettes. L'appartement est calme, calme et affreusement vide. Ouais, enfin, j'ai encore une fois parlé trop vite. Le silence de la pièce se voit brisé par le bruit de poings qui s'abattent sur la porte. De la visite ? Je suis sûr qu'en me rendant à l'entrée je vais voir le visage d'une personne non désirée. Je veux être seul, c'est pas bien difficile à comprendre, non ? Soupir. Je prends mon courage à deux et ouvre cette maudite porte. Alecto se présente alors, le visage déformé, ensanglanté ainsi que les habits déchirés. Putain mais … il lui est arrivé quoi ? Mon sang ne fait qu'un tour. Bouche bée. J’estimais juste qu’il était important que tu saches qu’un dealer qui n’a pas l’air de te porter dans son cœur s’en est pris à moi aujourd’hui. Il a menacé de me tuer si tu ne lui rendais pas l’argent que tu lui dois, mais ça, j’imagine que t’en as rien à foutre. Vitali. Connard. Enflure. J'savais très bien qu'il en resterait pas là. Mais, de là à s'en prendre à Alecto. J'suis trop con. Il a gagné encore une fois parce que j'me sens coupable. Coupable de l'avoir foutu à la porte. Coupable de pas pouvoir payer mes putains de dettes. J'ai du mal à me souvenir de son visage d'ange tant il est abîmé par les coups. Et comme une gentille fifille, je me barre sans que tu n’aies à me le demander, c’est pas génial ça ? J'reste là, immobile à la regarder se retourner. J'retiens toutes mes émotions au plus profond de mon cœur pour m'empêcher de dérailler, encore une fois. J'inspire longuement pour me puiser une once de courage. J'm'avance d'un pas, manque de me casser la figure. Ces marches étaient là avant ? La lumière du jour m'éblouit. J'suis comme un animal, lors de sa première sortie après une hibernation. Ma main tremblante se pose sur le bras de ma fille, je lui fais faire un demi tour afin de voir son visage. Si tu savais comme j'm'en veux. J'suis vraiment trop con. D'un côté, fallait pas t'attendre à un père parfait. J'regrette tellement de choses. A nouveau, on se retrouve sur le pas de la porte. J'me souviens de notre rencontre. Elle était exactement à cet endroit. Mes yeux plongés dans les siens. Je me souviens de ce moment comme si c'était hier, même si j'étais complètement défoncé tout est encore parfaitement clair dans ma tête. C'est un souvenir gravé en moi, comme taillé dans ma chair. Le genre de truc impossible à oublier. Combien de temps s'est-il écroulé entre nos retrouvailles et ce moment ? Combien de temps s'est-il passé entre mon monde paisible et celui là ?Une éternité ? Et, mon cœur bat, très vite. Entre deux pulsations j'hésite à prendre Alecto dans mes bras. Mais j'y arrive pas, je suis vidé. Lassé. De tout. J'ai l'impression de flotter, même les menaces du dealer ne me font plus rien. Un poids sur le cœur m'empêche de ressentir plus que de la tristesse. Je tiens difficilement debout, encore moins face à ma fille dévisagée par ma faute. La seule chose que je sache encore bien faire est de dormir. Pendant ces quelques heures où mon corps crève de fatigue, je m'évade dans des rêves étranges et dérangeants. Mais au moins, je respire. Allez, il est temps de faire un pas en avant.
« Reste. » Ma voix se brise. « J'suis désolé d'avoir joué au con. Tu vas m'dire que c'est pas nouveau. T'as pas tord. La preuve, tu serais pas dans cet état là. Mais, j'vais aller le voir. J'vais essayer de négocier avec Vitali. » Je m'approche d'Alecto. Faiblement, je l'enlace, fin si on peut appeler ça enlacer. J'suis trop faible pour la tenir dans mes bras. « J'vais régler mes problèmes d'argent, je sais pas comment mais, il te touchera plus. Plus personne posera une de ces putains de main sur toi. »
Les larmes au bord des yeux. Merde. Ça y est je vais craquer, encore une fois. Pourquoi je suis comme ça ? J'suis trop faible pour pouvoir rendre les gens que j'aime heureux pour compenser l'échec de mon bonheur. Quand j'étais gosse, je voulais devenir ce mec bien, qui travaille dur pour sa famille, sérieux et aimant. Celui qui ramène de l'argent, offre des colliers à sa femme. Au final je ne suis qu'un raté, une pétale fanée, une feuille morte que l'on arrache, une bouteille vide que l'on jette à la poubelle. Je n'ai que l'amour. Ma mère me disait souvent que j'étais trop fragile. Elle a tord, je suis faible, je me brise à chaque parole, chaque geste. J'ai la tête qui tourne, les mains qui tremblent d'inquiétude. Je n'sais même pas si je touche encore le sol. Mes doigts se referment sur le t shirt de ma fille -ou du moins ce qu'il en reste. Comme si j'avais peur de la voir mourir entre mes mains, là, maintenant, tout de suite. Une peur à la con. Une peur qui m'étouffe et me rend aveugle.
J’étais là, immobile au pied des marches qui me séparaient de mon père, lui tournant le dos. Je guettais le claquement de la porte qui signifierait que la discussion était close et qu’il ne voulait plus me voir. Mais avant ça, j’étais incapable de faire un pas qui m’éloignerait de lui. J’avais encore l’espoir qu’il puisse me pardonner de l’avoir balancé à Simba. J’espérais de tout cœur qu’un jour il réussirait à oublier cette trahison. Au moment des faits, défoncée, je m’étais dite que mon père réussirait à surmonter cette rupture. Après tout, Simba n’était pas irremplaçable et vu son physique avantageux, il n’aurait probablement aucun mal à trouver quelqu’un d’autre. Sauf qu’après avoir ruminé sur la question lors de mes heures perdues – penser, cogiter et me remettre en question étaient mes occupations principales lorsque j’étais à la rue – , j’avais réalisé que j’avais agi comme une salope. Et encore, salope, c’est un euphémisme. Il n’y avait aucun mot assez fort pour qualifier mon comportement de bitch. Mon père m’avait hébergé, nourrie et tout le saint bazar alors que je n’étais qu’une inconnue à ses yeux et moi, au lieu de faire preuve de reconnaissance, je n’avais fait que l’enfoncer à coups de marteau. Je savais à quel point il tenait à Simba. En même temps, il fallait être aveugle pour ne pas le voir. Quand ce dernier était reparti pour terminer son tournage aux USA, mon père avait eu du mal à supporter la séparation. Il se mettait dans des états pas possibles, se droguait en espérant que le temps le séparant du retour de Simba passerait plus vite comme ça. Puis moi, en connaissance de cause, j’avais brisé leur couple. Putain, qu’est-ce que je m’en voulais d’avoir arraché à mon père la seule touche de bonheur qu’il y avait dans sa vie. C’est vrai, quoi. Tout ce qui le retenait sur Terre, c’était Simba. La preuve, quand je lui avais ouvert les yeux sur ce qu’il avait fait et des répercussions que ça allait avoir sur sa vie de couple, il avait tenté de se jeter par la fenêtre. Il devait sérieusement l’aimer pour préférer la mort à son absence. Fin, j’dis ça mais faut pas oublier qu’on parlait de mon père, là. Ok, il est paumé, ok, il est prêt à tout une fois qu’il est sous l’influence de la drogue mais le matin où il avait tenté de se suicider, il était tout ce qu’il y a de plus clean. Comme quoi son amour pour Simba, c’est pas d’la queue, c’est du réel.
Je laissai quelques minutes s’écouler avant de jeter un regard par-dessus mon épaule. Au même moment la main de mon père se referme sur mon bras. Je tressaillis à ce contact. Je n’ai pas envie que l’on me touche. Pas après ce qu’il s’est passé cet après-midi. Malgré ça, je serrai les dents et ne dis rien. Je n’avais pas envie de foutre ce moment en l’air en me débattant et encore moins que mon père croie que c’est lui que je voulais fuir. Au contraire, tout ce dont je rêvais en ce moment, c’est de revenir vivre avec lui. Parce que Sylvain a beau être très gentil, je préfère franchement le mode de vie que m’impose mon père. C’est vrai quoi, j’ai jamais vu un adulte aussi dévergondé que lui. Il est pire qu’un gosse, toujours partant à faire des conneries – dans les limites de l’acceptable, bien entendu – . Quand on le voit, on a l’impression que quelqu’un a piégé une âme d’enfant dans un corps de vieux. D’ailleurs, c’est bien simple, s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer. D’accord, ce n’était peut-être pas un père parfait, mais je ne l’échangerais pour rien au monde. Puis, c’était toujours mieux que pas de père du tout. « Reste. » Attendez, il était sérieux, là ? Il voulait vraiment que je reste après ce que je lui avais fait ? J’avais du mal à y croire. Les traits de mon visage se tordirent en une expression de surprise. C’est fou comme même grimacer me faisait souffrir. Enfin, soit, il dût comprendre que je ne m’attendais pas à cette réaction de sa part en voyant mes yeux écarquillés. J’étais partagée entre la méfiance et la joie. C’était plus fort que moi. Mon âme de paranoïaque me poussait à croire qu’il me demandait de rester pour mieux se venger par la suite. Je n’arrivais pas à me faire à l’idée qu’il puisse enterrer la hache de guerre si facilement. En venant ici, je m’étais attendu à des menaces, à des reproches, bref, à tout, sauf à ce qu’il me demande de rester. « J'suis désolé d'avoir joué au con. Tu vas m'dire que c'est pas nouveau. T'as pas tord. La preuve, tu serais pas dans cet état là.» Je ne lui laissai pas ajouter un mot de plus. Il n’avait pas à s’en vouloir. Il n’était pour rien à ce qu’il m’était arrivé.
« T’as plus de raison de m’en retourner une plutôt que de t’en vouloir, crois-moi. Si Vitali s’en est pris à moi, c’est ma faute et uniquement de ma faute. J’étais en manque, j’suis allée le trouver et je lui ai dit d’ajouter le montant de ma consommation à tes dettes. Si je n’avais pas fait la conne, si je ne lui avais pas dit ton nom, il ne me serait rien arrivé. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. » Mon père s’est alors avancé vers moi pour m’enlacer. C’était plus que je ne pouvais en supporter. Il était encore trop tôt pour que j’aie un contact physique avec quelqu’un. Je n’étais pas encore prête. Lorsque ses mains se refermèrent sur mon – son – t-shirt, la totalité de mes muscles se raidirent. Les images de la scène qui s’était déroulée plus tôt dans la journée vinrent alors hanter mes pensées. Je me reculai alors violemment, repoussant mon père loin de moi en y mettant toute ma force. Mes yeux étaient rivés au sol. Il devait certainement se demander quelle mouche m’avait piqué, mais qui d’habitude étais fort « tactile ». J’hésitais à lui donner des explications. J’avais peur de sa réaction lorsqu’il apprendrait que Vitali n’avait pas fait que me péter la gueule. J’avais peur qu’il pense que je n’avais pas été assez forte pour me défendre. Je ne voulais pas qu’il me voie comme la faible que j’étais. A vrai dire, tout ce que je voulais, c’était m’enfuir en courant pour ne pas avoir à affronter son regard inquisiteur. « Je … C’est … C’est Vitali. Il m’a … Tu sais … »
C’était trop dur à dire. Je n’arrivais toujours pas à croire que mon intimité avait été souillée par ce connard. Mais encore une fois, mon père n’y était pour rien. Je n’avais pas le droit de lui en faire baver à cause de cet enfoiré de dealer. Après tout, ce n’est pas comme s’il avait su que son fournisseur m’avait violée. Ce n’était pas dans ses intentions de me brusquer. Il fallait que je me rentre ça dans la tête. Puis après tout, qu’est ce que je risquais ? Merde quoi, ce n’était pas parce que ce Vitali était un putain de pédophile que je devais mettre tous les hommes dans le même sac. Surtout mon père. Il était tout ce qu’il y avait de plus inoffensif, sauf bien entendu quand il forçait la main sur la drogue. Mais je m’étais faite à ses sautes d’humeur. On apprend à vivre avec, à la longue.
Luttant contre mes peurs intérieures, je fis un pas dans sa direction avant d’enrouler mes bras autour de son cou. Je n’osais pas aller plus et nicher ma tête au creux de son cou comme j’avais l’habitude de le faire quand j’allais mal. J’avais pas envie de lui foutre du sang partout. Parce que du sang, j’en étais couverte de la tête aux pieds. Et Dieu sait comme les taches de sang sont difficiles à récupérer sur les vêtements. Enfin soit, le fait que le contact soit limité ne m’empêchait pas d’être heureuse et de profiter du moment. Putain qu’il m’avait manquée. Je me demandais comment j’avais pu survivre autant de temps sans lui. Cela ne faisait que quelques jours qu’il m’avait mise à la porte et pourtant, j’avais l’impression que ça faisait une éternité. C’est fou comme le temps passe lentement quand on est loin de ceux qu’on aime. « J'vais régler mes problèmes d'argent, je sais pas comment mais, il te touchera plus. Plus personne posera une de ces putains de main sur toi. » Ses paroles devraient me rassurer mais pourtant, il n’en est rien. Je n’avais pas envie qu’il aille à la rencontre de cet enfoiré. Il risquerait de ne pas s’en sortir. Enfin, je supposais qu’il connaissait mieux les risques que moi. J’étais encore loin d’avoir son expérience dans les milieux de la drogue.
« Je t’interdis d’aller à la rencontre de ce mec sans pouvoir lui régler tes dettes t'entends ? Il est dangereux. J’ai pas envie qu’il t’arrive quelque chose. J’pourrais pas supporter qu’on m’annonce qu’on a retrouvé ton cadavre dans une des poubelles de Paris, tu comprends ? »
Sur ces mots, j’eus un petit rire nerveux. J’étais presque sûre qu’il allait me répondre de ne pas m’en faire pour lui mais je m’en fichais. C’était plus fort que moi, il fallait que je joue ma maman poule puisque Simba n’était pas là pour le faire
Si je n’avais pas fait la conne, si je ne lui avais pas dit ton nom, il ne me serait rien arrivé. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Encore de sa faute ? J'commence à avoir l'habitude. C'est la reine des gaffes et de toutes les conneries dans le genre. En tant normal, je lui aurais gueulé dessus pour lui remettre les idées en place. Mais, face à ce visage je n'peux plus rien. En fait, l'inquiétude reste plus forte que tout le reste. Soudain, Alecto me repousse, je fronce les sourcils, tente de comprendre. Qu'est-ce qu'elle a encore ? Une bombe dans le bide ? Ouais bon j'regarde un peu trop les films ces derniers temps. Un rire nerveux traverse la barrière de mes lèvres. Sans le vouloir, j'essaie de me rassurer pour oublier le fait qu'elle puisse me haïr pour ce que j'ai fait. Je … C’est … C’est Vitali. Il m’a … Tu sais … Un à un, les mots viennent se planter das mon cœur comme des lames tranchantes. Ma mâchoire se serre. Je me recule immédiatement d'un pas. MERDE. QU'UN CONNARD ! Il avait des tas de possibilités de me faire du mal, brûler mon appart, tuer mon chien, me tabasser. Mais non, ce n'était pas assez pour lui. Je baisse les yeux, c'est fou comme j'me rends responsable de cette connerie. Non j'suis responsable point barre. Si j'étais pas un connard de toxico tout irait parfaitement bien, pour le meilleur des mondes. Faut que j'me fasse à l'idée que la drogue n'a pas un seul effet positif sur moi. A nouveau la colère prend possession de mon corps. Différente cette fois. Elle me donne une certaine force. J'avance d'un pas. J'vais aller voir ce dealer, trouver un arrangement parce que j'veux pas finir avec la mort de ma fille sur la conscience. Puis, au pire il me descendra et tout ira bien.
« J'vais le tuer. Tu m'entends ? Il touchera plus un seul de tes cheveux... PUTAIN ! J'vais lui faire bouffer ses couilles ! J'vais pas laisser des types comme lui de détruire d'avantage. Ce petit enculé va regretter ce qu'il a fait. »
Ses bras s'enroulent autour de mon cou, comment fait-elle ? Comment parvient-elle seulement à me regarder encore dans les yeux ? J'mérite juste d'être seul. Souffrir, je ne sais faire que ça. Et, quand je vais mal j'emporte tout le monde avec moi. C'est à croire que je ne supporte pas le bonheur des autres. Ça m'rend malade de savoir ma fille violée par Vitali. Je tremble comme une feuille morte. Dégoût. Le pire la dedans c'est qu'on peut même pas retourner en arrière. La vie est une pute qui ne laisse pas de seconde chance. Si dieu existait il nous laisserait la possibilité de nous rattraper. Mais rien n'est possible, on avance, on avance. On saute dans notre tombe. C'est pourquoi je ne crois pas en un être supérieur ou un bordel du genre. Je t’interdis d’aller à la rencontre de ce mec sans pouvoir lui régler tes dettes t'entends ? Il est dangereux. Oui ça va je sais je suis au courant. C'est pas la première qu'on me dit ça. C'est dangereux je sais mais j'm'en balance. Qui sait, en traversant cette route j'peux mourir, écrasé. La mort nous attend à chaque coins de rue et alors ? On va arrêter de vivre à cause de ça ? Ce sont des risques à prendre. Vitali n'est qu'un danger parmi tant d'autre. Ma main se pose sur la chevelure d'Alecto. J'oublie qu'elle est encore sous le choc. Mais, c'est plus fort que moi. J’ai pas envie qu’il t’arrive quelque chose. J’pourrais pas supporter qu’on m’annonce qu’on a retrouvé ton cadavre dans une des poubelles de Paris, tu comprends ? Non j'arrive pas à comprendre. Ça m'échappe, encore une fois. Alors, je n'essaie pas de trouver un sens aux paroles de ma fille. C'doit être la fatigue et la peur qui lui font dire des conneries.
« Alecto … Il doit payer pour ce qu'il a fait. J'me fous des risques. » Floue. Ma vue est floue. Non les larmes ne vont pas couler. Allez, sois fort, pour elle. « Puis, il cherche pas à me tuer, il veut juste me pourrir la vie. Il a besoin de moi vivant » Rire nerveux. Encore. « T'as déjà vu un mort payer ses dettes ? »
Je rapproche ma main gauche de son visage afin d'enlever la mèche rebelle qui barre celui-ci. Je repousse d'un geste doux et calme les bras d'Alecto. J'attrape au passage sa main, la tenant fermement entre mes doigts. Je tourne les talons pour ensuite pénétrer dans l'appartement, toujours aussi bien rangé. Je me dirige immédiatement en direction de la salle de bain. Cuvette baissée, je fais signe à ma fille de s'asseoir. Non j'peux pas la laisser dans cet état puis, qui sait elle a peut-être besoin de points. Complètement paniqué, j'ouvre la pharmacie afin d'en sortir des cotons et du désinfectant.
« Ça risque de piquer. » Une fois le coton trempé par le désinfectant, je m'aventure d'un geste hésitant vers le visage de ma fille.
J'suis pas passé par la case bobo. Vous savez, les gosses ça se fait une blessure par semaine donc bon en général les parents savent comment s'y prendre. Moi pas. J'ai peur de lui faire mal. Je prends une longue inspiration pour enfin commencer à essuyer le surplus de sang. Je jette alors le premier coton dans la poubelle pour en prendre un autre et cette fois nettoyer les plaies les plus profondes.
« Il t'a pas loupé le connard. » Je me recule un peu, fixe longuement le visage d'Alecto. « Bouge pas. »
Je quitte la salle de bains pour me rendre vers la cuisine. C'est du congélo que je sors des glaçons. Je prends ensuite soin de les mettre dans un torchon propre. J'peux pas m'empêcher de penser à Vitali et mon envie d'aller lui rendre visite. Tendu, j'attrape une boîte de cachets et en avale la moitié. Je ne prends pas la peine de regarder ce que c'est. Ça n'a pas d'importance, c'est psychologique. La preuve je me sens déjà plus apaisé avec ces médocs dans le bide. J'attrape une couverture avant de retourner vers la salle de bains. Je pose celle-ci sur les épaules de la jeune blonde. J'lui passe ensuite le torchon et les glaçons.
« Ça devrait apaiser la douleur des bosses les plus grosses. » Je baisse les yeux, toujours honteux. « Tu devrais te reposer. J'vais aller régler le problème de Vitali. »
Ouais, j'vais prendre mes responsabilités, lui montrer qu'un toxico peut se rebeller. D'ailleurs, j'me mets à chercher sous un gros tas de serviettes et de linge sale, on pouraît croire que je cherche une aiguille dans une botte de foin. Mais après quelques minutes de recherche je sors un flingue. Doux bijou volé à un jeune idiot ne sachant même pas s'en servir. J'me retourne alors vers ma fille. Je m'accroupis, lève les yeux pour les planter dans les siens.
« J'vais pas le tuer j'te rassure. J'veux pas finir derrière les barreaux. J'me dis que je risque d'être plus entendu si j'ai une arme entre les mains. » Je marque une pause, toujours aussi tremblant. Cette simple arme suffit à me rappeler des tas de choses. « Si dans une heure j'suis pas là, ne m'attends plus et surtout tu dégages loin d'ici. Il devrait pas y avoir de soucis. C'est juste qu'on peut pas savoir comme les choses peuvent tourner. » Je ne lâche pas son regard. « Fais moi confiance. Pour une fois. »
Oui bon, qui a dit que j'étais fort pour rassurer ? De toute façon j'suis sûr que ça va mal se terminer.
« J'vais le tuer. Tu m'entends ? » J’avais déjà entendu ça quelque part. Mon père avait proféré les mêmes menaces à l’encontre de Sylvain si je venais à retourner le voir. Pourtant, ce dernier était toujours en vie. Je ne m’inquiétais donc pas trop au sujet de ses pulsions meurtrières. Ce n’est pas que je ne voulais pas voir Vitali mort, au contraire, mais c’est juste que je ne voulais pas que mon paternel se retrouve en taule à cause d’un connard dans son genre. Il ne valait pas la peine que mon géniteur gâche plusieurs années de sa vie pour lui. Comme s’il avait lu dans mes pensées, mon père affirma qu’il était prêt à prendre des risques pour me venger. Ok, ça me touchait qu’il veuille sauver mon honneur mais la dernière chose dont j’avais envie, c’était qu’il risque sa vie pour moi. Parce que Vitali n’était pas du genre à rigoler, je l’avais appris à mes dépens. « Puis, il cherche pas à me tuer, il veut juste me pourrir la vie. Il a besoin de moi vivant » Ouais, ça tenait la route, sauf que mon père oubliait un détail. Le dealer m’avait sommé de lui délivrer un message, celui d’aller payer ses dettes sans quoi j’allais crever dans d’atroces souffrances. Donc, si mon vieux allait trouver ce dégénéré du bulbe, il était supposé avoir l’argent, et non pas être là pour négocier. Vitali serait bien du genre à le tuer d’une balle dans la tête – apparemment, la gueule de mon père ne lui revenait pas – pour dépouiller son cadavre et s’en débarrasser. Ca lui permettrait de faire d’une pierre deux coups. Premièrement, se débarrasser d’un indésirable et deuxièmement, récupérer son fric. Quand il remarquerait que mon père est venu les mains vides, il jurerait probablement un bon coup avant de se dire que la mort de Cerbère suffisait à payer ses dettes. Un genre de lot de consolation, en gros.
Quand la main de mon père s’approcha de mon visage, je tournai légèrement la tête. Réflexe d’animal blessé. Certaines bêtes touchées par un chasseur se laissaient aveugler par la rage et la douleur et chargeaient de plus belle dans le but de se débarrasser de l’ennemi. D’autres prenaient leurs jambes à leur cou pour tenter de sauver leur peau. Je faisais partie de cette deuxième catégorie. Je préférais fuir mes craintes plutôt que de les affronter. Je savais que je ne pourrais pas fuir le contact physique indéfiniment. Surtout que j’étais quelqu’un de très « tactile » avant que ce Vitali ne s’en prenne à moi, c’est-à-dire que je réagissais mieux à une baffe plutôt qu’à une flopée de menaces, tout comme je répondais mieux à un câlin qu’à un « s’il te plait ». Bref je laissai mon père dégager la mèche de cheveux qui était collée à mon visage par du sang séché. Ouais, je sais, c’est loin d’être appétissant mais c’est la réalité. Lorsqu’il repoussa mes bras, je n’insistai pas, me contentant de serrer sa main dans la mienne à mon tour. Tout ce qui m’était arrivé n’était qu’un détail à côté de ce que je ressentais maintenant. J’étais tellement heureuse qu’il ne m’en veuille plus. Ou du moins, temporairement, car je me doutais que le sale coup que je lui avais fait resterait à jamais gravé dans la roche dans sa mémoire. Quand il pénétra à l’intérieur de l’appartement, je lui emboitai le pas, le suivant jusque dans la salle de bain où il me fit signe de m’asseoir. Je m’exécutai en silence, ne perdant aucun de ses gestes du regard. Non mais on sait jamais quoi. Il avait pas l’air de l’être actuellement mais mon père défoncé aurait été capable de me recoudre mes plaies à vif juste pour ne pas payer le médecin. Il était un peu du genre « à la guerre comme à la guerre ». Je fus soulagée de voir qu’il ne comptait pas s’improviser chirurgien et qu’il s’était contenté de sortir une bouteille de désinfectant et du coton. Je le laissai me soigner à sa guise, ne répondant pas à ses commentaires. J’étais trop concentrée pour ça. Je m’efforçais de rester immobile et de ne pas gesticuler dès que le coton touchait mon visage. Je n’avais jamais compris le truc. Pourquoi l’antiseptique faisait mal alors qu’il était censé soigner ? Enfin, c’est vrai quoi, c’est assez bizarre les médicaments qui font plus mal que la blessure à la base. Enfin soit, l’heure n’était pas à ce genre de débat. J’appliquai le torchon que mon père venait de m’amener sur mon œil tuméfié. C’était la partie de mon visage qui avait le plus souffert. J’avais l’impression d’avoir une balle de tennis dans mon orbite à la place d’un globe oculaire. Je le gratifiai alors d’un sourire. Il s’était occupé du plus gros de mes blessures. J’étais également couverte d’hématomes un peu partout sur le corps mais il ne pouvait rien faire pour ça. J’avais juste à attendre qu’ils disparaissent.
Cerbère s’éclipsa alors à nouveau hors de la salle de bain. Je l’entendis fouiller dans je ne sais pas quoi avant de réapparaitre, une arme à la main. Tétanisée, mes yeux se plantèrent dans les yeux. Il était pas sérieux ? Après avoir scruté son visage plus en profondeur, je compris qu’il ne rigolait pas le moins du monde. « J'vais pas le tuer j'te rassure. J'veux pas finir derrière les barreaux. J'me dis que je risque d'être plus entendu si j'ai une arme entre les mains. » Astucieux. Sauf que je commençais à le connaitre. Je savais comment il était. Là, il se contrôlait, il était persuadé qu’il n’aurait pas à se servir de son arme, mais qu’en serait-il lorsqu’il se retrouverait face à mon agresseur ? Il laisserait ses émotions prendre le dessus, comme d’habitude et il y avait beaucoup de chance que la situation dérape. Vitali n’était pas un larbin. Il avait plus d’un tour dans son sac. A mon avis, mon père n’était pas le premier de ses clients à se rebeller et à vrai dire, je ne préférais pas savoir ce qu’il était advenu des autres toxico qui avaient manifesté leur mécontentement. « Si dans une heure j'suis pas là, ne m'attends plus et surtout tu dégages loin d'ici. Il devrait pas y avoir de soucis. C'est juste qu'on peut pas savoir comme les choses peuvent tourner. » Dans le genre rassurant, il aurait pas pu faire mieux. Dégager ? Ouais, je veux bien, mais où ? J’avais nulle part où aller. Je ne voulais pas abuser de l’hospitalité de Sylvain et puis, je m’étais jurée de ne plus remettre les pieds dans le 15ème arrondissement après ce qu’il s’y était déroulé cet après midi. « Fais moi confiance. Pour une fois. » Son regard plongé dans le mien me dissuade de l’en empêcher. J’acquiesce même si en réalité, je suis loin de lui faire confiance sur ce coup là. Il était trop impulsif. Il suffisait d’un geste trop brusque de la part du dealer pour qu’il ouvre le feu. Je le savais. Mais je ne dis rien. Je ne voulais pas le décevoir en lui avouant que je ne me fiais pas à ses paroles.
« Aux dernières nouvelles, il deale dans le 15ème, dans la première ruelle après la rue Vaugirard. C’est là qu’il m’a agressée. J’sais pas s’il y est toujours. »
Je le regarde ensuite quitter l’appartement après avoir dissimulé son arme sous son t-shirt. J’aurais voulu suivre ses conseils et aller me coucher mais c’était plus fort que moi. J’avais peur qu’il ne fasse une connerie qu’il pourrait regretter. Lorsque j’entendis la porte se refermer derrière lui, je balançai le torchon et les glaçons dans l’évier et m’empressai de gagner sa chambre. J’enfilai le premier t-shirt et le premier jeans qui me tombèrent sous la main et sortis en trombe de l’appartement. Pas de trace de mon père. Les quelques minutes que j’avais pris pour m’habiller lui avaient laissé un peu d’avance. Pas de problème, je savais où il se rendait. Je pris donc la direction du 15ème en espérant ne pas arriver trop tard …