Sylvain avait décidé de se remettre au sport. Il y avait de cela cinq ans, il pratiquait encore du roller acrobatique, ou du moins quelque chose qui s’y apparentait, même si ce n’était pas du grand niveau. Il le pratiquait dans un skate-park non loin de chez lui avec quelques bons copains qui l’avaient certainement oublié depuis le temps qu’ils ne s’étaient pas vus. Il n’avait même plus leur numéro. Depuis, il ne sortait ses rollers du placard que pour faire quelques courses, lorsqu’il avait la flemme de marcher ou qu’il voulait aller plus vite. Mais il n’avait rien perdu de sa dextérité sur rollers. Alors pourquoi ne pas recommencer à faire un peu le casse-cou ? Après tout, que risquait-il de pire que tout ce qui se produisait déjà ?
Ce jour, il avait enfilé ses rollers afin de se rendre dans un terrain vague, en banlieue parisienne, un endroit où personne ne le dérangerait dans son petit délire. Mais il n’y irait certainement pas seul, oh non, il avait une grande amie qui désirait partager ce moment avec lui. Elle se nommait Amanda et n’était à Paris que depuis un mois. Cependant, notre jeune homme la connaissait parfaitement depuis une bonne année. Ils s’étaient connus par internet, par l’intermédiaire d’un forum sur Paris, où le jeune chauffeur de bus aimait donner des informations sur notre si belle capitale française. Depuis, ils avaient passés des heures à discuter, à s’amuser, jusqu’à échanger leur numéro de téléphone. Sylvain était devenu l’attache d’Amandine à Paris, son interlocuteur, son ami, son grand-frère. Peut-être même un deuxième papa. Dans tous les cas, dès lors que la jeune femme arriva à Paris, Sylvain, malgré sa maladie n’avait pas hésité à venir l’accueillir chaleureusement, comme il se devait.
Sortant de chez lui, roller aux pieds, il décida d’oublier tout ce qui lui saccageait l’esprit ces derniers temps : le retour d’Amandine, qu’il aimait, le peur de perdre sa fille, Marie. La veille, Amanda et lui s’étaient rendus dans un magasin vendant des articles sportifs pour lui acheter une excellente paire de rollers. En effet, les deux jeunes gens avaient décidé d’entamer une discipline peu connue ensemble : la danse sur roller. Un bon sport pour s’amuser un peu car Sylvain ne savait pas bien danser et Amanda, qui avait fait de la danse classique, ne savait pas rouler très bien sur des rollers. Ainsi, chacun apprendrait quelque chose à l’autre avant qu’ils ne parviennent à faire quelque chose de potable. Ce serait aujourd’hui leur première séance. Certainement tournerait-elle plutôt à un entraînement de comment bien tomber sur les fesses plutôt qu’à de la danse, mais c’en serait d’autant plus drôle.
Il emprunta le métro, et en sortit toujours en rollers, jusqu’à arriver à l’arrêt de RER C le plus proche de l’endroit où vivait la jeune demoiselle, Avenue Foch. En effet, elle connaissait mal APris et ses alentours et préférait qu’ils s’y rendent tous deux ensemble plutôt que chacun dans son coin. Il ne prit pas beaucoup de temps avant de ne se rendre à l’adresse de la demeure de son amie. Sonnant à la porte ce fut avec une joie immense qu’il l’aperçut lui ouvrir la porte. Il lui sauta littéralement dans les bras, l’embrassant tendrement sur la joue. Un geste qu’il avait autrefois pour Marie en rentrant du boulot…
« Comment vas-tu, ma petite Madeleine ? Alors, t’as déjà testé tes roulettes hier soir ? » s’exclama-t-il sur un ton des plus joviaux avant de l’enlacer de nouveau.

Paris. Ah Paris.
Voilà que j'y étais depuis un peu plus d'un mois et l'Angleterre ne me manquait absolument pas. Enfin si, à un détail près ... ma langue maternelle. Bien que mes parents m'avaient offert une éducation digne de ce nom et que le Français m'était familier, l'Anglais me manquait lui. On m'avait toujours dit que la langue de Molière était plus noble, mais je restais une disciple de Shakespeare. Bref. Je me faisais plutôt bien à ma nouvelle vie Parisienne. Mon appartement était splendide, bien situé, les cours au conservatoire me passionnaient ... J'étais bien. Et puis bien avant que j'y pose le pied -ou devrais-je dire mes sublimes escarpins hors de prix- la capitale française m'offrait une belle promesse. Une promesse qui répondait au nom de Sylvain. Cela devait faire un an que nous avions échangé nos premiers mots, ou plutôt, nos premiers mails. Avant de parler de mon projet à mes parents, j'avais effectué pas mal de recherche sur Paname. Je m'étais notamment inscrite sur un forum d'information sur la ville, c'est donc là-bas que Sylvain répondit à mes questions, balaya mes doutes ... De fil en aiguille nous avions donc sympathisé. D'ailleurs quand je lui en parlais, ma meilleure amie le qualifiait de mon "cyber-flirt", le truc totalement puérile. Car déjà de un, Sylvain était bien plus vieux que moi et que de deux, je le voyais plus comme un grand frère, une épaule sur laquelle je pouvais me reposer. Et avoir quelqu'un comme ça dans une ville étrangère, c'était plus que bienvenue.

Depuis mon arrivée, j'avais déjà vu Sylvain plusieurs fois. Le fait d'avoir cassé la magie d'internet n'avait rien changé. J'avais cette impression de le connaitre depuis toujours. Il me fit visiter la ville, enfin du moins, les choses incontournables, j'avais encore toute une année pour découvrir les moindres recoins que refermait Paris. J'étais émerveillée telle une petite fille le jour de Noël, je comprenais à présent, pourquoi on qualifiait Paris la plus belle ville du monde. Je veux dire la Tour Eiffel, le Louvre, l'Opéra Garnier, l'Arc de Triomphe et compagnie, c'était magique. J'en prenais plein les yeux chaque jour. Bon, les visites ça allaient bien cinq minutes et histoire de casser notre petite routine, Sylvain eut une idée de génie. Lier nos deux passions respectives. Lui était un as du roller, moi un petit rat de l'opéra. Il ne lui en fallut pas moins pour me tirer dans un magasin de sport afin de m'acheter des patins. Bien que j'étais réticente à cette idée, je ne pu lui tenir tête bien longtemps. Non de Dieu, j'allais me ridiculiser. Je n'avais jamais fait de roller de ma vie, jamais. Mes parents avaient opté pour des sports beaucoup plus classiques et dignes de la haute société britannique. Là, ça allait être une première et je pariai sur une première laborieuse.

J'étais donc rentrée hier en compagnie de mes nouveaux patins à roulettes, ceux qui remplaceraient mes jolies ballerines accrochées dans ma penderie. J'avais passé ma soirée à les contempler d'une manière assez pitoyable je dois avouer. Je m'étais même surprise à les menacer du genre "si jamais vous me faites tomber demain, je vous jette pas la fenêtre !". Ha, comme si ça allait marché. Pitoyable, je vous avais prévenu. Cette histoire de roller m'avait tracassé toute la nuit me laissant gouter la joie d'une bonne insomnie. Pourquoi j'avais accepté Bordel ? On aurait pas plutôt faire ... Je sais pas moi ... du vélo ? Oui, c'était bien le vélo, au moins je savais en faire depuis mes cinq ans. M'enfin, je ne pouvais pas refuser ça à Sylvain, il avait déjà fait tellement pour moi ! Cela m'aurait fait de la peine de lui en faire. Bref. Le jour J était arrivé. J'avais passé ma matinée au conservatoire à perfectionner un de mes morceaux préférés au violon, là au moins je me sentais dans mon élément. J'étais rentrée en taxis, le métro m'effrayait un peu. En faite, j'avais surtout peur que quelqu'un de mal attentionné me vole l'un de mes biens les plus précieux : mon instrument, l'ancien violon de ma mère qu'elle m'avait offert pour mes 18 ans. J'avais ensuite passé mon après-midi à rédiger une dissertation sur l'évolution de la musique au 19ème siècle que l'un de mes professeurs nous avait réclamé. Je trouvais le sujet tellement simple que je fini mon devoir en moins de trois heures. C'est au moment où je le rangeai soigneusement dans mon sac que mon interphone sonna. C'était Sylvain, j'en étais persuadée. J'empoignai mes rollers et mon sac à main, enfilai une petite veste et descendis les escaliers de mon immeuble aussi vite que possible. A peine avais-je ouvert la porte que mon amie me sauta dans les bras. Je l’étreignis fort en guise de bonjour, j'étais ravie de le voir. Il me demanda si j'avais testé ces engins de malheur la veille, je fus prise d'un fou rire.

Disons plutôt que nous avons eu une petite discussion tous les trois ! Un sourire s'étala sur mon visage. A vrai dire, j’angoisse un peu ... Beaucoup en fait ! Je sens que je vais finir les quatre fers en l'air ! Et toi alors ?

Il me prit à nouveau dans ses bras. Ca me fit un bien fou. Je ne m'étais pas fait énormément d'amis depuis mon arrivée à Paname. Sylvain était littéralement la seule personne sur laquelle je pouvais compter en ce moment. Lui rendant sa liberté, je jetai un coup d'oeil à ses pieds et m'exclamai :

Oh non, ne me dis pas que tu es venu comme ça ? je lui jetai un regard implorant. Dis moi que tu as une paire de chaussure, s'il te plait, s'il te plait, s'il te plait ! Ou alors que je peu te suivre à pied pour le trajet ! Je peu, hein, dis ? Honnêtement, j'espérai secrètement qu'il ait un don pour la magie et qu'il sorte une bonne paire de chaussures de nul part ... Parce que si je devais faire le trajet en patins, j'étais dans de sales draps. J'étais même prête à parier que je n'allais pas faire trois mètres sur ses engins de malheur !