Personne ne m'avait prévenu que ce serait si dur. Parfois, j'ai juste envie d'abandonner, de tout plaquer, de lâchement baisser les bras face aux durs épreuves de la vie. Je ne suis pas assez forte, pas aussi persévérante que mes sœurs. Le physiquement a beau faire, on se ressemble certes comme trois gouttes d'eau, mais je suis loin de valoir ce qu'elles vaut. Harmonia et Bamby. Nous sommes nées toutes trois en même temps, cependant j'ai depuis toujours l'impression d'être celle qui joue le rôle de la cadette. J'ai toujours été celle qui avait besoin d'être soutenue, d'être encouragée pour pouvoir avancée, celle qui avait besoin qu'on l'a maintienne pour tenir debout face à la réalité du vrai monde. Momo est si forte de caractère, rien ne peut l'atteindre. Elle parvient à surmonter chaque problème qu'elle rencontre en un claquement de doigt, et se relève aussi vite. Manoush quant à elle, ne laisse rien paraître. Elle ne parle jamais de ses problèmes, et préfère les régler seule, sans inquiéter les autres pour son cas. Et puis il y a moi, celle qui ressent ce besoin de crier sa douleur au monde, celle qui pleure dans n'importe quelle situation, croyant que les larmes sont la solution à tout. Celle qui se découvre si faible. Celle qui a besoin de prendre quelqu'un en exemple pour se sentir exister.
Dans les premières années de ma vie, c'est notre tendre mère que je m'amusais à prendre en modèle. Il m'arrivait parfois d'aller lui chiper son maquillage durant ses absences, et de me vêtir de ses plus belles robes, flottant comme une bulle à l'intérieur. Au final, elle me retrouvait le visage barbouillait de rouge à lèvre, quand je ne le mangeais pas, au milieu de toute sa garde robe étendu au sol. Mon plus beau souvenir, dans cette affaire, c'est qu'au final je ne me faisais même pas disputée. Ma mère craquait toujours pour mon regard pétillant, que je garde encore aujourd'hui, et au final elle prenait de son temps pour me montrer comment bien me maquiller. Avec papa, c'était différent. Je n'ai jamais pu le prendre en modèle, car au fond il m'échappait. Oh, il était loin d'être méchant ! C'était un papa adorable, du moins à mes yeux, car certaines de mes sœurs vous diront le contraire. Pas souvent présent à la maison certes, et le peu de fois qu'il restait avec nous c'était pour s'énerver pour des broutilles. Mais c'est mon papa quoi, comment ne pouvons-nous ne pas aimer notre père dites moi ? Il reste pour moi cette formidable figure paternel qui cependant continue de m'intriguer, de m'effrayer parfois même. Comme je l'ai dis, papa n'a jamais été un homme de nature profondément mauvaise, mais petite, j'avais l'impression qu'il désirait que je mûrisse enfin, moi qui était, et est, bloquée dans mon monde enfantin. Mes jeux d'enfant l'énervé, et il ne supportait pas ma passion pour les licornes, alors que je venais d'avoir dix-huit ans. Il ne cessait de me dire de grandir un peu, d'ouvrir les yeux et de cesser mes gamineries. Comme ses paroles me faisaient parfois terriblement mal... J'ai toujours l'impression qu'il ne sera jamais fier de moi, qu'importe ce que je fais. Pour lui, je reste cette enfant légèrement attardée qui ne réussira à rien dans sa petite vie et qui tôt ou tard va se fracasser la gueule en découvrant la réalité, le vrai monde. Le pire, dans tout ça, c'est qu'il a raison.

Grandissant alors convenablement, chouchoutée par l'amour que me portaient mes deux sœurs triplets, il existait tout de même ce certain vide en moi. J'ai longtemps pensé que c'était à cause de l'absence de notre aînée à tous, Anya. En effet, elle n'était pour ainsi dire jamais présente au domicile familiale, sans cesse logant chez notre cousin. Je n'ai jamais compris la raison de sa fuite, d'ailleurs. Depuis notre naissance, pour ainsi dire, elle se faisait de moins en moins présente, et même si les rares moments que j'avais partagé avec elle restaient gravés dans mon cœur, Nyanya étant elle aussi formidable avec moi, j'avais cette horrible impression qu'elle se sentait... en trop ? Cependant, je n'ai jamais osé le lui demander, malgré mon immense curiosité. J'ai tellement peur d'avoir raison sur ce point. Bref, en grandissant, je m'aperçus que ça n'était pas ma chère sœur qui troublait tant mon esprit d'enfant. J'avais juste envie d'avoir à mes côtés une personne capable de me comprendre, de voir les choses comme je les voyais. Mes sœurs n'en étant pas capables, je m'inventa dans un premier temps un ami imaginaire. Sans surprise, ce fut une licorne que je m'imaginais chaque soir, venir au bord de mon lit pour m'écouter raconter ma journée et mes petites pensées les plus intimes. Elle me comprenait tant, je le sais, et je savais surtout qu'elle, jamais elle ne m'abandonnerait, moi qui ai tant peur d'un jour me retrouver seule, sans le soutien ni la présence de mes précieuses sœurs. Ma licorne, elle, ne partirait jamais. Après tout, j'étais la seule qu'elle avait. Et inversement.
Mon monde imaginaire commençant à s'effacer au fil des années, j'arrêtais l'école définitivement, en sortant sans même un diplôme en mains. Pour cette raison, mon père trouva une nouvelle excuse pour me disputer sans cesse et me rappeler mon incapacité à ouvrir les yeux et à faire quelque chose de ma vie. Mais bizarrement, le fait d'arrêter les cours et de ce fait de ne sûrement trouver un boulot, du moins convenable, ne m'effrayait pas. Car je ne mesurais pas encore les conséquences de mes actes, aujourd'hui encore. Ma licorne disparut, elle aussi par la même occasion, mais non pas parce que j'entrais enfin dans la monde humain, loin de là. Juste parce que je venais de l'a remplacer par quelqu'un d'autre. Ralph, c'est ainsi qu'il se nommait, et non il n'était pas encore le fruit de mon imagination. C'était un humain, en chair et en os, de mon âge et que j'avais rencontré dans les derniers jours au lycée. Nous avions allons gardé contact, et ne nous étions plus jamais lâchés depuis. S'il avait su remplacer ma licorne, c'était justement parce qu'il était capable de me comprendre, lui aussi. Capable de voir le monde de mes yeux, et incapable de me juger. Contrairement aux autres, il ne me traitait pas de gamine et ne pensait pas que j'étais bonne à rien. Au contraire, il ne cessait de me dire que c'était les gens comme moi qui réussissait le plus leur vie, et qui au final sortaient gagnants de ce petit jeu qu'est la vie. Jour et nuit, nous étions alors constamment ensemble, et mes sœurs s'amusaient à me taquiner en me disant que j'étais amoureuse de Ralph. Et même si cela me gênait plus que tout, c'était entièrement faux. Entre Ralph et moi, c'était beaucoup plus que de l'amour. C'était une forte amitié, la plus belle amitié que j'eus connu. Nous nous disions tout, nos plus profondes peurs, nos plus horribles secrets, nos plus belles envies. J'étais incapable de lui cacher quoique ce soit, ou même de lui mentir : il le découvrait immédiatement. En bref, Ralph était beaucoup pour moi, et comptait autant que mes sœurs. Pour vous dire ! Il venait d'ailleurs souvent nous rendre visite, ayant parfois des problèmes chez lui, avec sa mère... Mes parents l'accueillaient à bras ouverts, étant au courant de ce qu'il pouvait subir, et comme toujours mes sœurs nous enquiquinaient durant tout le repas. Des vrais pestes, je vous assure !

On avait 21 ans, et avions encore toute la vie devant nous. Ralph souhaitait partir faire ses études en Amérique, ambitieux comme il était. J'avoue que j'étais assez jalouse de lui, qui avait la chance d'avoir une tête bien remplie ! J'avais aussi considérablement peur qu'il m'abandonne, et qu'une fois là bas, il m'oublie. Nous oublie. Il était après tout le seul ami que j'avais, et je ne me sentais pas prête à continuer ma route sans sa précieuse présence à mes côtés. C'était mon ami de toujours, c'était mon Ralph quoi... Et puis, comme papa l'avait prédit, il fallait bien qu'un jour je reçoive une claque de la part de la vie.
C'était une petite semaine après mon anniversaire, Ralph n'ayant pas pu participer à la fête le jour même avait décidé de venir me chercher pour une soirée rien qu'à deux, je ne sais où lui qui voulait garder le lieu secret. Il était censé venir me chercher chez moi aux alentours de dix-neuf heures. Toute habillée et pomponnée par les soins de mes sœurs, toujours derrière mon dos bien entendu, je l'ai alors attendu toute la soirée. Encore, et encore. C'est alors aux alentours de vingt et une heures qu'on vint sonner à la porte. Ne laissant pas le temps à mes parents d'aller ouvrir, je sautais sur la porte et l'ouvris précipitamment, prête à sauter au cou de Ralph par joie. Cependant, dans l'encadrement de la porte, l'homme qui se présenta à moi était loin d'être mon ami. En costume de policier, l'homme se présenta à moi rapidement, me demandant par la suite si j'étais bien mademoiselle Kollender. Bien entendue, dans mon stress le plus total, je réussis tout de même à lui demander laquelle, puisque nous étions plusieurs. Mais c'était bien de moi qu'il s'agissait. C'était bien à moi qu'il voulait s'adresser. Le regard qu'il me portait, je crois que c'est cela qui m'a de suite faite paniquer. Un regard si triste, désolé pour moi presque. Lorsqu'il retira sa casquette de policier, signe de mauvaise nouvelle, je sentis mon cœur faire un terrible bond dans ma poitrine. Et la claque tomba : Ralph avait eu un accident de voiture, à quelques minutes de la maison. Il en était mort sur le coup, ayant percuté un arbre. Mort. Mort... Le monde s'abattit sur mes frêles épaules, et mon équilibre s'envola, si bien que je m'effondra au sol, le regard totalement perdu. Mes sœurs accoururent, et lorsqu'elles comprirent la situation, m'enlacèrent aussi fort qu'elles le purent. Mes parents nous rejoignirent, se joignant aux pleurs de mes sœurs, Ralph étant apprécié dans notre famille. Oui, tous pleuraient sa disparition. Tous, sauf moi. Moi qui ne voulait l'admettre, qui ne pouvait décidément pas l'accepter. Aucune larme, non aucune, ne désira couler, et je restais juste les bras ballants, entre mes sœurs. Le regard au loin, le cœur serré. Le plus fur fut l'enterrement. J'avais tant hésité à m'y rendre, mais finalement je me dis que je lui devais bien cela. Que c'était un minimum. Sa mère ne vint même pas rendre un dernier hommage à son fils... Alors accompagnée par mes sœurs, comme toujours, et à jamais, je n'arrivais toujours pas à verser une larme pour mon ami partit trop tôt. Le choc avait été trop fort, je pense, pour que je puisse maintenant voir la réalité en face. J'étais juste... ailleurs. Mais aucune émotion, du moins aucune tristesse, n'arrivait à s'extérioriser.

Vingt-quatre ans. Déjà. Vingt-quatre ans et toujours sans emploi. Vingt-quatre ans et toujours incapable de se passer de ses deux sœurs triplets. Vingt-quatre ans et toujours incapable de faire mon deuil. Vingt-quatre ans et toujours dans son monde de rêves. Vingt-quatre ans et aussi naïve qu'à ses cinq ans. Vingt-quatre ans et bien décidée à croquer la vie à pleine dent.