C’est bien parce qu’il y a un déluge et que j’ai besoin de me concentrer que je suis en voiture. La musique au maximum – ou presque – me permet également de ne pas me fixer sur la raison de ma visite à l’hôpital le plus vieux de la capitale. En réalité, il s’agit de la seconde visite. C’est vraiment étrange de se retrouver dans cette situation. Je ne me suis pas blessée. Je ne suis pas malade. Je ne m’y rends pas pour un contrôle post première visite d’un désastre humain. Non, pour une fois, je ne suis pas la patiente. En outre, je ne sais même pas dans quel service je vais me retrouver. Je n’aurai jamais cru qu’une telle situation soit compatible d’ailleurs. C’est surement pour cette raison que je n’ai parlé du motif de cette visite à personne. Cela n’existe que dans les films et encore, je n’en suis pas certaine. Pas même à Idalie, « ma personne ». Et dire qu’elle est sur ma fiche de personne à contacter en cas d’urgence. Ils ont intérêt à ne pas me faire la moindre égratignure, sinon elle me passe à la poelle. Je stationne ma voiture et rejoins l’accueil des admissions, et non des consultations, comme on me l’avait demandé par téléphone. « Sephora d’Abzac, j’ai rendez-vous. » Je tapote nerveusement sur le comptoir pendant que la secrétaire jette un coup d’œil à son clavier. Elle griffonne un numéro sur une petite carte et me la tend. « Ils vous attendant, madame. » Madame ? Je lève les yeux au ciel. Puis, ma curiosité me rattrape. C’est un numéro de chambre, pas le bureau d’un médecin. Je déglutis. Il y a souci ? Je frappe à la porte et y entre après avoir été invitée par une voix en provenance de l’intérieure. Un médecin et une patiente qui ne m’est pas si inconnue que cela.

J'aime pas les hôpitaux, parce que depuis que j'ai découvert ma leucémie, j'y suis tout le temps. C'est vrai, lorsqu'elle est là, j'y passe un temps considérable et lorsqu'elle est partie – au moins provisoirement, j'y vais au moins une fois par mois. Et là, c'est une de ces fois, un contrôle afin de voir si elle n'est pas revenue. Je fais une prise de sang et comme à chaque fois, j'ai l'impression que je vais m'évanouir une fois qu'on m'a pompé au moins 12 tubes. A croire qu'ils cherchent encore ce que je pourrai avoir. C'est bon, je sais que j'ai une leucémie, pas la peine de chercher plus loin. Heureusement que je suis dans mon lit d'hôpital – pour une raison que j'ignore d'ailleurs, j'ai jamais compris pourquoi ils faisaient ça dans une chambre – parce que j'aurai certainement tourné de l’œil une fois debout. C'est à dire que je ne suis pas épaisse du tout et qu'ils me prennent des quantités de sang que je qualifierai de monstrueuses... Alors forcément. Saad, toujours fidèle au poste à côté de moi, s'empresse d'aller chercher quelque chose à manger dans les distributeurs, parce que je suis vraiment dans l'incapacité de bouger là. Et à peine est-il sortit de la chambre qu'on frappe à la porte et que le médecin, fraîchement débarqué après la prise de sang, invite la personne à rentrer. Une rousse entre, que je connais de nom et parce que je l'ai déjà rencontré quelques fois et que nous avons vaguement discuté, entre dans la pièce tout en ayant l'air un peu déboussolée. « Bonjour. » dis-je simplement à l'adresse de la jeune fille, sans vraiment comprendre le pourquoi du comment. Je pose mon regard sur le médecin, qui la salue avant de lui proposer un siège près du lit. Il se place devant mon lit, tout en plaçant ses mains sur les poignées et commence à parler. Sauf que je suis vraiment pas en état d'écouter.

Je reste bloquée devant la jeune fille, les yeux rivés sur elle, scrutant chacun de ses traits. La discrétion, ça me connaît. Ironie. Elle fait littéralement peur à voir. C'est dommage qu'elle paraisse aussi affaiblie, parce qu'elle doit bien avoir cette capacité de faire tourner toutes les têtes de la gente masculine. Du moins, ce sont les souvenirs que je garde d'elle. Cela fait un moment que je ne l'ai pas vue. Je me mords la lèvre, marquée par le portrait exposé sous mes yeux. « Bonjour. » Je revient à la réalité en clignant des yeux et pique un fard. C'est dingue ce que les situations inhabituelles peuvent me rendre malpolie. C'est tout sauf moi en temps normal. Qui plus est, les lieux me mettent mal à l'aise. Les murs blancs, l'odeur aseptisée. J'en frissonne encore. « Bonjour. » Je finis par répondre tout simplement, sur un ton neutre. Au vu de la situation, je suis incapable de me montrer joviale. J'arrive à contrôler mes automatismes et ne pas lui demander comment elle va. Ce serait mal placé... Le médecin attire enfin mon attention. Il dépeint rapidement la situation, sans trop en dire afin de protéger sa patiente et de ne pas me rendre plus nerveuse que je le suis, certainement. Quelle personne en pleine forme n'angoisserait pas si elle se retrouvait dans ma situation sans trop de détails ? « Mesdemoiselles, c'est quelque chose qui arrive assez rarement. En ce qui me concerne, c'est la première fois que je me retrouve dans une telle situation : aucun lien de famille et vous semblez compatible quand on compare vos dossiers. » Bref, le genre de choses que l'on doit voir dans le film le plus optimiste au monde sur fond de maladie, comme la leucémie de la brune. Anaëlle Chamblas, selon le médecin et mes bribes de souvenirs. Je suis... choquée, perdue, confuse. Le médecin en a peu dit, pourtant j'ai la sensation de digérer trop d'informations en même temps. Je tâtonne l’accoudoir d'une chaise et me pose dessus. Bien que je ne sois pas invitée à le faire, cette annonce m'a prise au dépourvue. « Vous êtes certain de ce que vous avancez ? » Je dois rêver. Un ricanement de nervosité s'extirpe de mes entrailles. Non, en réalité, je suis certaine que tout ceci n'est pas possible. L'entendre cette fois ci de vive voix ne me convainc d'avantage. Déjà que ces histoires de compatibilité entre personne d'une même famille ne sont pas évidentes, alors entre deux étrangères... Cela n'a pas de sens. Un petit rictus raisonne dans la pièce. Il est temps que je me reprenne. « Comment cela est-il possible ? Comment avez vous pu savoir ? » Des dizaines de questions me traversent l'esprit désormais. Comment ? Pourquoi ? Quand ? Avec qui ? Pourquoi ? Comment ? Comment ? Comment ? Je déglutis, tremble, j'ai des frissons et j'ai mal au ventre. Saleté d'angoisses, cela faisait un bon moment que je ne m'étais pas retrouvée dans cette position. Il ne manquerait vraiment plus que je tourne de l’œil.