Cassandre & Justin

Deux semaines. J'étais paralysé, me tenant devant la porte de l'appartement de Cassandre. Tout au long du chemin, une boule au ventre s'était accrue de plus en plus jusqu'à me dominer violemment. Et pourtant, j'étais en quelque sorte un homme de parole et fuir de la sorte sans rien dire ... m'avait troué. La raison exacte qui m'avait poussée à fuir il y a deux semaines était encore inconnue à mes yeux. Je ne savais pas trop. Pourquoi exactement j'avais fui ? La peur sans doute. La peur de Cassandre. La peur de moi-même. C'est tellement compliqué. Nous avions fait l'amour durant une nuit parfaitement torride et ainsi, j'avais perdu ma virginité. Et tellement choqué par ce que j'avais accompli, je m'étais levé le lendemain, laissant un bref message à Cassandre avant de quitter la maison, pour ce qui me semblait, pour toujours. Je m'étais décidé à squatter alors chez Derp. Brave Derp, et misérable manipulateur que j'étais. S’il n’avait pas perdu la mémoire, je me serai retrouvé dans la rue pour deux semaines. Avant qu'il perde la mémoire, Derp était méprisant envers moi. Quelques broutilles entre familles et on s'était mis à dos. Et dans l'optique de réparer tout cela, je lui avais fait croire que nous étions amis tout simplement. Ce n'était pas comme si je le manipulais. Mais à lui aussi, je lui mentais.

Ces deux semaines m’avaient servies de support de retentissement. Je m’étais fixé un objectif et c’était me sortir de cette merde dans laquelle je m’étais fourré depuis deux ans et aussi de réfléchir à ma condition présente et pourquoi pas ainsi future. En quelques jours, j’avais eu ce miracle de trouver un petit job. Livreur de pizza dans une pizzeria récemment ouverte près de la treizième avenue. Mi-temps, payé pas cher mais on ne refuse jamais un salaire. Derp m’avait fait don d’un scooter et ainsi je pouvais me déplacer plus aisément pour livrer les commandes. Et j’avais réfléchi. A qui j’étais, à qui je pourrai être. Et ce qu’il s’était passé avec Cassandre. Aimais-je les filles et avais-je seulement dérapé une nuit ? Ou c’était le contraire ? M’étais-je fais l’illusion d’aimer les filles et en réalité, j’aimais les hommes ? Cassandre ne m’avait guère laissé indifférent. Il avait actionné quelque chose en moi que personne d’autre avant n’avait fait. Et c’était pourquoi j’étais là aujourd’hui, pour m’expliquer.

Ma paralysée s’était estompée et je me décidai enfin à frapper à la porte. Je priais intérieurement pour qu’il ne soit pas là mais je savais simplement qu’à cet horaire du soir, il avait débauché depuis moins d’une heure du travail. Sans doute, devait-il se trouver devant la télévision, à contempler une émission télévision. Ne voulant pas le voir apparaitre, ouvrant la porte, je me pressai alors à actionner la poignée pour entrer. Il fallait bien que je l’admette ; tout cet univers m’avait manqué, que ce soit l’appartement, Cassandre ou Pepsi et sous le coup du stress, je venais de commettre une énorme connerie.

it's too late to apologize

Deux semaines et mon quotidien avait repris le pas sur le soudain changement qui avait été opéré dans cet appartement. Deux semaines est tout était redevenu comme avant. Il n'aura fallu que deux semaines pour me rétablir d'une colocation éclaire et ce soir, je retrouvais la paix datant et la solitude d'autrefois. Je me retrouvais sur mon canapé, allongé devant une émission télévisée que je ne regardais même pas. J'étais sur le net avec mon ordinateur portable. La télévision ne servait que de fond sonore pour divertir mes tympans. Un peu plus de deux semaines s'était écoulé. Aucunes nouvelles. Aucuns mots, lettres, sms ou appels. Rien pour signaler une quelconque existence. Était-il mort ? Était-il vivant ? Je ne pouvais répondre à ces questions. Était-il à la rue ? Vivait-il sous un pont ? Je n'étais doué d'une certaine médiumnité pour communiquer avec les morts et avoir ces réponses que j'attendais. Ces pensées m'envahissaient par moment et pour me résoudre à accepter ce fait, je jetais un œil au message de Justin que j'avais laissé à la place où il l'avait déposé le jour de son départ de l'appartement. Les yeux dans le vide, dirigés vers la baie vitrée donnant sur la ville éclairée, je perdais le fil de mon activité et j'observais. J'observais les lumières de Paris, le ciel assombri et ses étoiles que je pouvais percevoir.

On frappa à la porte. Réagissant après quelques secondes d'absence, j'allumais une lampe du salon pour ainsi me diriger vers l'entrée. Assis sur mon canapé, déposant mon ordinateur sur la table basse, je commençais à me lever lorsqu'une apparition m'obligea à me rasseoir presque immédiatement. Bouche entre-ouverte, je fixais cet homme sans défaillir. J'avais ce sentiment de colère en moi qui était à la limite de l'explosion mais j'avais aussi ce soulagement incontestable de le savoir ici, devant moi et pleine forme. J'hésitais alors entre me lever et lui balancer ma chaussure ou me lever et venir le prendre dans mes bras. Sans dire un mot, je me redressais, marchant dans sa direction pour m'arrêter face à lui. Je le dévisageais, l'observais, humant son odeur et ses vêtements. Et finalement, je le pris dans mes bras, serrant fortement mon emprise sur lui jusqu'à le soulever. « Si tu croyais t'en sortir aussi facilement... » Je le reposais à terre et me reculais de cet étreinte en lui donnant une tape sur la tête. « T'es vraiment con d'avoir fait ça. » Continuais-je en montrant du doigt son mot qui était toujours à sa place depuis deux semaines. « Qu'est-ce qui t'as pris, putain ? Pourquoi t'es parti comme un lâche ? »

it's too late to apologize

La paralysie m'avait enchainé de nouvelle. Elle semblait beaucoup plus brutale et puissante. Et mes pieds se collèrent au sol, immobilisant instantanément tout mon corps. J'avais seulement l'impression que seul mon regard pouvait bouger, se déplacer et observer avec impuissance ce qui allait se passer. Et qu'est ce qui allait se passer ? Je vis mon ancien colocataire s'extirper du canapé dans lequel il avait pris place. Et immédiatement un flash-back m'avait frappé. Je me souvins de cette soirée-là, où je m'étais douché, pendant que la pizza chauffait dans le four. Et tout les deux, avec nos bières, on avait mangé cette pizza, partageant alors un moment parfait, agréable entre deux colocataires. Et il m'avait révélé son homosexualité. Avec un joli jeu de mot. Mais on s'était senti bien. Et j'avais tout gâché. Impulsivement, je m'étais enfui de l'appartement. Tout ça à cause d'une nuit. D'une seule nuit. Où moi et Cassandre, nous avions fait l’amour, où il m'avait par la même occasion dépucelé. Qui étais-je réellement ? C'était cette question que je m'étais posé au réveil. Et en seule réponse, inadaptée, j'avais pris la fuite. Je le fixai, lui, s'avançant vers moi, d'un regard impassible. J'avais ce mauvais pressentiment, celui où il me pète la gueule, où il me jette au dehors, déclarant que je n'étais qu'un vulgaire connard parce qu'il m'avait pris au final pour un sans domicile fixe qui profitait de tout ce qu'on lui offrait. Cette fausse image se placardant sur mon visage.

Et pourtant, sa réaction fut tout autre. Il me prit dans ses bras fortement, réussissant même à me décoller du sol. Et par cet agréable contact, je ressentis à nouveau ce même effet que j'avais senti il y a deux semaines dans ce lit, où ma poitrine s'entrechoquait avec la sienne. Ses muscles, son torse parfait. J'avais fermé mes paupières, n'étant alors qu'avec mon sens du toucher. « Si tu croyais t'en sortir aussi facilement... T'es vraiment con d'avoir fait ça. Qu'est-ce qui t'as pris, putain ? Pourquoi t'es parti comme un lâche ? » Cassandre m'avait reposé, fronçant les sourcils. L'heure des explications semblait alors être arrivée et je devais la subir. Je devais me comporter en adulte. J'avais commis une erreur et maintenant, je me devais de la réparer. Baissant la tête pour ne pas à avoir à affronter son regard, je reposai ma vue sur le sol. Et inspirant profondément, je prononçai d'un ton timide : « Je ... j'suis désolé ... j'étais ... j'étais paumé. » Euphémisme, j'étais complètement déboussolé après cette nuit que nous avions passé tous les deux. Reprenant mon souffle, j'enchainai alors : « Après la merveilleuse nuit que ... que nous avions passé ensemble ... j'étais ... chamboulé. Et ... et ... j'savais pas si j'avais fait une ... connerie ou pas. Si j'étais ... Justin l'hétéro qui ... avait dérapé. Ou Justin l'homo qui avait fait sa première fois. » C'était dur. Dur à dire, dur à confesser. Mais si je ne pouvais le dire à Cassandre, je pouvais le dire à personne. Cassandre était devenue la personne la plus intime en quelques semaines. « J'ai ... squatté chez un pote. J'ai ... trouvé un p'tit job. Et ... j'ai réfléchi ... à moi ... à toi ... à nous. » Finalement, je me décidai à lever la tête pour lui faire face, ricanant quelque peu. Ce n'était pas de la moquerie. Mais plutôt de la gêne, de la honte que j'éprouvai. [color:2757=#steelblue]« Merci ... de m'avoir aidé. A ... à me trouver. » Les larmes reprirent. Et instinctivement, je m'avançai vers Cassandre pour le prendre à mon tour dans les bras, le serrant aussi fort que je le pouvais. « Pardonne-moi ... On peut .. tout ... recommencer ... si tu le veux. Je veux vivre avec toi. Tu m'as manqué ... Et Pepsy aussi ... Et la vie qu'on avait ... aussi. » Et j'avais cette soudaine impression qu'un énorme poids s'était soulevé au dessus de la tête, me libérant de mes chaines de paralysie et de honte.

Le revoir était une véritable surprise. Contempler son entrée, assis sur mon canapé, m'avait presque stupéfait. Son retour était inimaginable, surtout après une lettre incompréhensible et deux semaines de silence. Mais il était là, devant moi, avec ce regard suppliant presque mon pardon pour sa connerie. Je m'étais levé, en colère de sa réaction puérile face à ce que nous avions partagé, et je m'étais approché de lui pour le serrer fortement entre mes bras quitte à lui faire mal. Une tape sur la tête et j'attendais des explications, lui montrant par la même occasion sa maudite lettre que j'avais laissé à sa place. Mon regard azuré ne pouvait cesser de le fixer, sourcils froncés. Il ne me regardait pas. Il baissait la tête. Et il avait bien raison. « Je...j'suis désolé...j'étais...j'étais paumé. » Il pouvait l'être. Je m'étais quand même inquiété pour lui malgré tout, malgré sa putain de lettre. J'étais même parti à sa recherche, espérant le trouver pour lui faire reprendre raison. Malheureusement, mon parcours du combattant en pleine nuit dans Paris avait été vain et j'étais rentré bredouille après presque trois heures de recherche intempestive dans la capitale. Biensur, Justin n'était pas au courant. Comment l'aurait-il été d'ailleurs ? « Après la merveilleuse nuit que...que nous avions passé ensemble...j'étais...chamboulé. Et...et...j'savais pas si j'avais fait une ... connerie ou pas. Si j'étais... Justin l'hétéro qui...avait dérapé. Ou Justin l'homo qui avait fait sa première fois. » D'une certaine manière, je le comprenais. Je comprenais ces doutes, ces peurs, ces espérances mais aucune de ces excuses ne peuvent lui pardonner sa lâcheté d'il y a deux semaines. Au lieu de m'en parler, il s'était défilé et avait quitté l'appartement en mon absence. C'était là, la chose impardonnable de cette histoire. « J'ai...squatté chez un pote. J'ai...trouvé un p'tit job. Et...j'ai réfléchi...à moi...à toi ..à nous. » Il ricanait, levant sa tête en même temps. Nous pouvions enfin nous regarder les yeux dans les yeux et je savais que malgré ce sentiment furieux que je ressentais, mon visage s'était adouci. Je ne pouvais lui en vouloir plus longtemps. Être perdu quant à sa sexualité pouvait être atroce. Je connaissais cette situation pour l'avoir vécu autour de mes 17 ans. « Merci...de m'avoir aidé. A...à me trouver. » Je lui souris.

Je le récupérais alors dans mes bras, larmes aux yeux. Il s'en voulait et sa tristesse me faisait mal. Ce n'était qu'un gamin après tout. Il n'avait que 21 ans. Je passais alors mes bras autour de lui après que les siens aient trouvé leur place. Je le serrais contre moi, le réconfortant dans sa peine et son chagrin. « Pardonne-moi... On peut...tout...recommencer...si tu le veux. Je veux vivre avec toi. Tu m'as manqué... Et Pepsy aussi... Et la vie qu'on avait...aussi. » Je déposais un simple baiser sur son front. « Tu m'as manqué aussi... » Lui répondis-je par la suite. Nous avions tous les deux une relation unique. Je le considérais comme mon petit frère et, en même temps, je couchais avec lui. C'était unique, atypique ou autre. Nous partagions une relation pseudo-fraterno-sexuelle. Et le pire restait sans doute que j'appréciais ce que nous avions construit au fil de ces semaines de colocation. Je tenais à lui. C'était indéniable. Et je comptais bien le protéger du monde comme un grand frère pourrait le faire, comme je le faisais avec Charline, ma sœur cadette. Je me détachais de son étreinte, déposant mes deux mains sur ses joues. « Tu sais que je t'ai cherché pendant des heures dans Paris ? Que j'ai parcouru des dizaines de rue pour te retrouver ? » J'accentuais mes propos. Je voulais qu'il se sente mal, qu'il comprenne sa connerie afin de lui éviter une rechute dans la stupidité. « Et te revoilà... Après deux semaines d'absence. J'aurais fini par pense que tu n'étais qu'un profiteur parmi tant d'autres et que tu ne désirais qu'un toit sur la tête au chaud et une bonne baise avant de retourner dans ton monde. » Je lui tournais le dos, me dirigeant vers la cuisine. « Mais t'es là. Donc... » J'attrapais sa lettre et la lui montrais. « Donc je peux la jeter maintenant, n'est-ce pas ? »