YOU CHANGED MY LIFE, I HOPE YOU KNOW.

Couchée en dessous de ma couette, je regarde le plafond. Il n'y a vraiment rien de spécial, c'est toujours le même plafond depuis trois mois, mais c'est ça qui me dérange. J'ai en vie de le peinturer ou d'ajouter un truc, car juste la couleur, je trouve ça fade. Je tourne la tête vers le cadran, dix heures et quarante-trois. Cast' monte sur le lit et ronronne. Je commence tout doucement à le flatter et à lui gratter l'arrière de ses oreilles en souriant. Eli n'est pas à l'appartement sinon, ça ferait un moment que j'aurais entendu un truc tombé du genre une casserole ou pire encore, la télécommande. La journée s'annonce longues mesdames et messieurs, je n'ai que deux rendez-vous et ils sont à cinq heures cet après-midi et je n'ai pas grand chose à faire. Je baille et m'étire lentement en sortant les pieds du lit. Je finis par sortir en me glissant tel un vers de terre à l'extérieur et je me mets à marcher vers la salle de bain. En y entrant, je ne prends pas le temps de fermer la porte, je me déshabille et j'entre dans la douche. Je produis un son de contentement en sentant l'eau froide contre ma peau. Oui, moi et l'eau chaude, nous ne sommes pas très copines et qu'aujourd'hui, il fait chaud, je le sais même si je ne suis pas encore sortie dehors? Oui. En me lavant les cheveux, j'entends rentrer quelqu'un dans l'appartement. Je pense sur le coup que c'est peut-être Eli qui a oublié un truc ou qui a décidé de revenir à la maison ou c'est peut-être Grayson ? "ELI ?" "Oui c'est moi, je suis désolé si je t'ai fait peur, j'ai oublié mon portable sur la table de la cuisine." Dit-il en entrant dans la salle de bain. Ne pas s'inquiéter, il y a un rideau qui cache tout. Je sors la tête de la douche et le regarde. Il me sourit en se brossant les dents. Je lève les yeux en l'aire avant de retourner sous l'eau. "Bye soeurette, on se voit sûrement ce soir, passe une belle journée. Je t'aime." " Toi aussi, je t'aime Eli." Et puis je n'entends que le son de la porte d'entrée qui se referme. Je continue mon occupation et finit par sortir de la douche. En m'essuyant, je pense à ce que je vais faire. Il y a mes albums de photos dans mon placard qui regorgent de souvenirs et j'aimerais bien pouvoir tous les voir. Je pars dans ma chambre, m'habille rapidement de vêtements larges et je sors les albums en les déposant sur mon lit. Cast' me regarde en voulant me demander ce que je peux bien faire et se tourne pour dormir. Je souris. Je sors une paire de ciseaux et du papier collant. Et puis tout doucement, je commence à feuilleter tous les albums les uns après les autres en prenant des photos ici par là et les découpant pour les recoller au plafond. Du plus vieux au plus récent, même un qui date de la semaine dernière. Vous allez me dire que maintenant, il y a Internet, pas besoin de tout faire développer, je ne crois pas à ça. J'ai besoin de le voir, d'avoir ces souvenirs entre mes mains et passer des heures à les regarder à me dire que ça, ça ne vient de personne à part de moi, c'est mon histoire, mes souvenirs. Je ris, je suis triste, nostalgique, je passe par une panoplie de sentiments en regardant tout ça. Pourquoi je fais ça ? Je ne sais pas, pour passer le temps, pour me rappeler tous les moments que j'ai passé, pour faire de mon plafond, un plafond qui est rempli de sentiments, qui est vivant. Puis, je tombe sur des photos de River, River et moi, River et sa famille, amis, sa passion. Les larmes me montent aux yeux. Le temps où tout était simple, le temps où lui et moi, on était amoureux et heureux, le temps où ... je l'ai pas abandonné. Je pousse les photos et je me lève. Les larmes me coulent sur les joues que je laisse faire. Je me dirige vers le salon et je prends place sur le canapé. Je passe ma main sur mon petit ventre qui devient de plus en plus gros. Dans pas bien longtemps je vais pouvoir savoir si c'est un petit gars ou une petite fille. Je n'ai pas de préférence, je me demande simplement si l'enfant va lui ressembler, à River, je me demande si je vais revenir avant que je l'enfante, avant qu'il soit trop tard. Dire que Grayson n'est pas au courant. Je tombe dans la lune, je pense, je me sens coupable et avec raison. Tout d’un coup, j’entends quelqu’un cogné, comme avec hésitation. Je regarde l’heure, il n’est pas encore cinq heures, je me demande si je n’ai pas oublié quelque chose. Je me lève en essuyant mes yeux et je me dirige vers la porte. C’est peut-être Eli, mais la porte est débarrée, pourquoi il n’aurait pas entré tout simplement ? Je dépose ma main sur la poignée et j’ouvre tout d’un coup en souriant pour ne pas que ça paraisse que j’ai un peu pleuré. J’ai perdu mon sourire en le voyant et j’ai reculé d’un pas. "Ri … River ?" Les larmes sont revenues. "Que … je … tu ? Toi … Paris." Je peux pas, je me précipite dans ses bras, je m’en fou s’il me repousse, faut que je le sente contre moi. Je passe mes bras au tour de lui et je le sers du plus fort que je peux, même si ça me fait mal au ventre. Je ne m’en suis pas rendue compte, mais je lui ai parlé en français. Je recule et j’ai les larmes qui coulent sur mes joues. "Je m’excuse, vraiment, je … voulais pas … je suis désolée … tu …"

"- Je... euh.. cherche... euh... rue Caumartin !". Pitoyable. Complètement absurde. Si on avait raconté à River, ne serait-ce que cinq ou six mois plus tôt, qu'il se retrouverait en plein Paris, à demander à un passant son chemin, dans un français plus que médiocre, il vous aurait ri à la figure. Et pourtant, c'était bien ce qu'il était en train de faire. Complètement paumé, il avait finalement réussi à trouver le bon arrondissement et presque la bonne rue. Seulement, lorsque vous êtes perdus et que vous ne parlez pas un mot de français, c'est difficile de vous y retrouver.
Ce matin là, il avait pris son courage à deux mains et avait décidé de voir Alaska. S'il était sur le sol français depuis de longues semaines, il n'avait jusqu'alors pas encore trouvé le courage d'aller voir la belle anglaise pour qui son cœur battait encore. Il l'aimait, oh ça oui, mais il était comme déçu de son attitude. Elle l'avait abandonné. Elle était partie sans un mot, ni un au revoir. Si il avait tout de même l'infime espoir qu'elle l'aime encore, il n'était pas vraiment là pour cela. Disons qu'il avait besoin de savoir ce qui avait poussé la demoiselle à s'en aller, ce qui l'avait poussé à l'abandonner ainsi. Il avait ce besoin de savoir, de connaissance qui le dévorait un peu plus jours après jours. Il en avait besoin, simplement pour tourner la page. Il savait que ça n'allait pas être facile, outre les problèmes de compréhension.
C'était en début d'après midi qu'il avait quitté le petit immeuble que son très cher père avait loué, afin de se rendre au lieu où semblait vivre la belle Alaska. Bien sûr, il avait prévu son périple à l'avance, s'achetant une carte et demandant de l'aide à la concierge. Mais Paris c'est grand et c'est après être descendu d'un taxis qu'il s'était rendu compte de la supercherie. Le chauffeur, ayant aisément perçu le fait que River ne soit pas français du tout, en avait profité pour lui faire faire trois fois le tours de Paris, rajoutant des kilométrages à son compteur afin de faire payer encore plus cher le pauvre River. Le concerné avait fini par comprendre et bien que l'envie lui démangeait les poings, il s'était retenu de frapper le chauffeur, l'avait simplement engueulé et payé un minimum avant de descendre de son taxis et prendre le métro. Une grande aventure que le jeune américain n'oubliera probablement jamais.
Tout cela pour dire que notre jeune River arriva dans le neuvième arrondissement vers les cinq heures de l'après midi. Bien décidé à voir Alaska, il n'avait pas abandonné et même si l'aide de Reagan aurait été la bienvenue, il avait refusé de la lui demander. Par fierté ? Fort probablement. Et puis il imaginait aisément le refus catégorique de la demoiselle, s'il lui avait demandé un service. En effet, Reagan parlait parfaitement français et si River et elle ne se supportaient pas, le meilleur ami de River, David, avait insisté pour que sa sœur les accompagne. Et puis il était vrai que depuis qu'ils étaient à Paris, ils avaient eu de la chance de l'avoir avec eux, sinon, les deux meilleurs amis se seraient perdus depuis bien longtemps.
"- C'est juste là mon p'tit gars !". River regarda l'homme sans rien dire un court instant, ne comprenant pas vraiment ce que venait de lui dire le vieillard. Pourtant, lorsque se dernier lui fit des signes assez ridicules, un sourire entendu prit place sur son visage angélique et il le remercia d'un "- Mew'ci" typiquement anglophone. L'adresse inscrite sur un petit bout de papier qu'il tenait fermement dans ses mains, River s'élança vers l'immeuble en question et entra dans le hall, jetant un coup d’œil attentif aux boites aux lettres. B. Alaska Wolff. Il était au bon endroit. Il dévala les escaliers quatre par quatre, son rythme cardiaque s'accélérant au fur et à mesure des marches. Le voila alors devant la porte, le cœur tapant, le souffle court. Quoi dire ? Quoi faire ? Ses pensées étaient tellement mélangées et il n'avait qu'une seule envie, celle de fuir. Pourtant, il n'en fit rien et se contenta de cogner trois coups secs sur la porte de bois, s'assurant d'être entendu. A ce moment là, des milliers de pensées traversèrent son esprit. Des pensées réalistes, cauchemardesques, ou même carrément absurdes. Tout cela prit fin dès lors que la porte s'ouvrit laissant pleine vue au jeune homme sur la silhouette de sa... petite amie ? Il était certain qu'elle ne l'était plus vraiment. Qu'était-elle alors ? Il n'en savait rien. Son cerveau ne fonctionnait plus vraiment, il avait les yeux grands ouverts, ne la lâchant pas une seule seconde du regard, comme obnubilé par cette image qu'il avait d'elle. Elle n'avait pas vraiment changé... ses yeux étaient rouges, il la connaissait assez pour le remarquer sans l'ombre d'un doute. Pourtant, il ne dit rien, il ne fit rien. "Ri … River ?". Cette voix... elle lui avait tant manqué ! Elle semblait bien surprise et au fond, c'était légitime, même si le fait qu'il la recherche paraissait tout de même logique. "Que … je … tu ? Toi … Paris.". Elle avait les larmes aux yeux. Et pourtant, il ne bougea pas d'un poil. Il ne pouvait pas. Il n'avait jamais aimé la voir au bord des larmes, il avait toujours veillé sur elle pour qu'elle pleure le moins possible et pourtant, ce jour-ci, il ne fit rien pour l'empêcher de pleurer. Et c'est alors qu'elle se jeta dans ses bras, se serrant fort contre son torse bien sculpté. River ne savait quoi dire, quoi faire, s'il devait lui rendre son étreinte ou non. Il était complètement paumé et pourtant, d'un côté, il ne pouvait s'empêcher d'apprécier cette marque d'affection. Au moins, cela lui prouvait qu'il avait encore une place dans le cœur de la belle anglaise. Elle finît par se reculer, laissant alors le jeune homme voir les larmes sur ses joues. "Je m’excuse, vraiment, je … voulais pas … je suis désolée … tu …". Il se pinça les lèvres, s'empêchant de déverser un trop plein d'émotion, ignorant totalement la nature même de ces émotions. Il était complètement ailleurs, comme si plus rien ne comptait à part elle et... son ventre rebondi... Il ne pouvait quitter ce même ventre des yeux, le fixant. Certes, il était légèrement bombé, mais il la connaissait depuis assez longtemps pour connaitre son corps sur le bout des doigts. Il secoua alors sa frimousse blonde, reprenant pied dans la réalité, quittant ce ventre des yeux. "- euh... je... euh... okay.". Il se sentait stupide, complètement bête. S'excusait-elle pour l'avoir pris sauvagement dans ses bras ou pour l'avoir abandonné sans un mot, sans un signe de vie ? Il avait été tellement malheureux de son départ et la voir, comme ça, en face de lui, semblant en pleine santé, lui donna comme un gout amère au fond de la bouche. "- Alors euh... c'est ici que tu vis ?". Question stupide, pour ne pas changer. Mais toujours debout sur ce perron, il ne savait vraiment où se mettre, incroyablement gêné de la situation.

J'ai l'impression que nous sommes dans l'un de ces films ou livres dramatiques ou les deux amoureux se retrouvent après tant d'années et où il y a toujours un truc qui vient gâcher tout. Dans notre cas, les années se transforment en trois mois et le truc qui vient gâcher tout, c'est moi. Je ne sais pas si je dois être heureuse de le voir à ma porte ou plutôt le contraire, triste. Je suis surprise, estomaquée, nerveuse, mal, bien, contente. Je passe par tous les sentiments qui peuvent exister sur la terre. Après l'avoir pris dans mes bras, je me suis reculée pour le regarder à nouveau. Il ne m'avait pas serré, n'avait même pas bouger d'un poil. Je sais qu'il m'en veux et peut-être même en colère contre moi, pas peut-être, il est en colère contre moi et je le comprends, je l'ai cherché. Je ne sais pas quoi faire je dois l'avouer, le fait de le voir là en face de moi, me bloque, car je ne m'attendais pas à ce qu'il débarque en sol français, qu'il vienne me voir à l'appartement. Oui, je croyais qu'il allait plutôt attendre de l'autre côté de la mer à se demander pourquoi je l'ai quitté aussi soudainement. Dit de cette manière c'est horrible, je le sais. Pourtant, pour moi, je ne voyais que ça pour m'échapper de la nouvelle pour la grossesse. Je reste postée un peu à l'écart laissant mes larmes continuer de couler. Je le regarde et il est sans mot. Ses yeux sont concentrés sur mon ventre. Je deviens alors rouge et essuie quelques larmes avant de déposer ma main sur mon ventre. Et si River, t'as bien remarqué que mon ventre n'était pas comme avant, c'est le résultat de toi et moi qui jouent au docteur, c'est notre "nous" et dans quelques temps, un petit être qui va t'appeler papa. Juste à cette pensée, je sens une boule qui monte en moi, elle monte jusqu'à ma gorge et mes yeux et mes larmes coulent beaucoup plus sur mes joues. Sur le coup, j'ai juste en vie de me coller contre lui et de le serrer tellement fort qu'il va manquer d’oxygène, qu'on prenne place sur le canapé et qu'on écoute de la musique. Je sais très bien que ce n'est pas de cette manière que tout va se passer. Je regarde mes pieds puis déposa mon regard sur lui. Je ne sais pas à quoi il pense en ce moment, je ne sais pas ce qu'il pense de moi et ça me stresse énormément. Il m'a simplement répondu un okay, à mes excuses, des excuses à cause du câlin, car c'était précipité et je ne crois pas que c'était approprié comme mouvement ou idée. Un silence s'installe entre lui et moi, je n'ose pas parler, je sais que tout va sortir par morceau et que ça sera confus. Je joue avec un bout de mon tee-shirt. River me demande si c'est ici que je vis. Je regarde au tour de moi, c'est un peu à l'envers, mais présentable. "Oui, c'est ici, c'est grand, douillet et confortable, en tout cas ça doit être bien parce qu'Eli n'a encore rien trouver à dire de mal alors ..." Ouais, c'est notre chez soi. C'est un peu plus grand que l'appartement que nous partagions à Londres, mais il n'en reste plus que l'appart à Londres était mieux, c'était notre taverne à moi et River. Les larmes ont cessés légèrement de couler et je m'avance. "Euh ... rentre, reste pas là, je ne vais pas te manger ou te faire encore plus de mal tu sais." Je m'avance vers la porte, j'attends qu'il rentre avant de fermer lentement la porte derrière lui. Je me replace en face de lui et je croise les bras. Je ne sais pas quoi dire ou quoi faire, je panique littéralement. Je sais qu'on a des trucs à se dire, je le sais très bien même. "Je ... suppose que ... c'est ma mère qui t'as dit où j'étais ?" Il n'y avait pas de doute, c'était elle, la seule capable d'ouvrir sa bouche pour ça, la seule à toujours s'inquiéter de tout, à vouloir que tout se règle à l'avance et pourtant je ne lui en veut pas, j'aurais fait pareil à sa place. La seule chose que ça changeait, c'est que la discussion que nous allions avoir, allait être avancée de plusieurs semaines, voir plusieurs mois. Je m'attends à ce que ça soit mouvementé, loin d'être de tout repos. Je sais que le temps d'avant ne reviendra pas, c'était évident dans ma tête quand je me suis envolée vers Paris. "Si je suis partie ... ce n'était pas pour te faire du mal, c'était la dernière chose que voulais, c'est juste que j'ai pris peur et la raison de mon départ c'est que .. je suis tombée enceinte River ... j'avais peur de te le dire je ... suis désolée..." Et puis voilà, je me suis mise à pleurer. Je n'aurait jamais cru que nous en serions rendu-là lui et moi. Quand que nous étions ensemble à construire notre vie, le nombre de fois que je me suis imaginée avec un gros ventre, River flattant ce dernier en chantant des chansons au bébé, peinturant la chambre de l'enfant toute heureuse et bien. Et puis la réalité m'a fait une mauvaise surprise. Je ne croyais pas que j'aurais autant peur, je ne pensais pas que l'abandon de mon père aurait pris un certain contrôle sur ma décision. J'ai fini par me passer la main dans mes cheveux. Je me demande si ma mère a eu autant de difficulté lorsqu'elle est tombée enceinte de mon frère, si elle a fait autant de choix que moi, si elle a eu peur, si elle a rencontré un autre homme dont elle est tombée amoureuse. Je pense à Grayson, petit coeur tatoué. C'est bien la personne qui m'a permis de me sentir mieux, de moins regretter ma décision, de me rendre heureuse. Je me sens encore plus mal, j'ai l'impression de l'avoir remplacé. Pourtant ce n'est pas le cas, River va toujours rester celui qui m'a ouvert les yeux, avec qui j'ai réalisé tant de chose, la personne que j'ai le plus aimé, avec qui j'ai autant aimé la vie. J'espère vraiment de tout mon coeur qu'il va continuer à faire partie de ma vie, à être dans la vie du bébé, qu'on va continuer à tout faire comme dans le temps où nous étions meilleurs amis. Je rêve peut-être en couleur.