La journée se terminait. Heath revenait des pâtures, une longe dans chaque mains. Un Connemara bai brun d’un côté et un selle français alezan de l’autre. C’était les deux derniers à remettre en box pour la nuit. Il était 19h. Tout le monde avait déjà quitté les lieux et tout était silencieux. Le vent qui passait dans les écuries faisait grincer les portes ouvertes des box laissé vide. En fait, le cadre était assez inquiétant bien que la nuit ne soit pas encore tombée. Mais Heath n’y prêtait pas attention. Il y était habitué. Amenant les deux équidés dans leur box respectif. Il pris une petite demie heure supplémentaire pour distribuer les rations avant de se diriger vers le bureau des palefreniers pour récupérer ses affaires. Actionnant la poignée, il se rendit compte que cette dernière ne répondait pas. Quelqu’un avait fermé la porte à clef. « Ne me dit pas que… ». L’actionnant de nouveau avec insistance, il soupira. « Damieeeeeeeen ». Pesta t-il exténué.

Damien, c’était le nouveau. Il avait finit de le former il y a de cela quelque mois. Et en fait, ce n’était pas la première fois qu’il lui faisait le coup. Le truc, c’est que sa propre clef se trouvait dans son bureau, avec tout son matériel pour rentrer chez lui : clef de moto, blouson, casque, clef de maison, porte feuille et téléphone portable. Génial. Soupirant à nouveau, il regarda sa montre. 19h30. Il commençait à avoir faim en plus. Et la salle de repos était à l’arrière du bureau. Évidemment, sinon ce n’est pas drôle. Il était bon pour dormir ici. Cela ne l’enchantait pas plus que ça. Il était crevé, et dormir dans la paille n’était pas ce qu’il a de plus réparateur. En plus de ça, une petite douche aurait été clairement bienvenue. Et à part la douche pour les équidés, il n’avait accès à celle qui se trouvait dans la salle de bain de la salle de repos. Il avait la poisse.

Il avait un peu de temps à tuer. Il était encore un peu tôt pour se coucher. Mais bon, de toute façon il n’avait rien d’autre à faire. Fermant la grande porte coulissante des écuries, il se dirigea vers la grange, retirant son t-shirt d’un geste, prévoyant de s’en servir comme oreiller. Mais alors qu’il ouvrait la porte de la grange après avoir éteint les écuries, il perçu des bruits de pas dans l’écurie. Fronçant les sourcils, il fit volte face et ralluma la lumière. « Il y a quelqu’un ? ». Questionna t-il suspicieux.

Valentine avait eu une dure journée, dans le sens où elle n'avait pas su quoi faire d'elle, voilà ce que c'était d'avoir tout servi sur un plateau et de ne rien avoir à faire d'impératif ! Du coup, la jeune femme avait fait un peu de shopping, sans nécessité et sans grande envie, c'était simplement histoire de tuer le temps. Au début de l'après-midi, elle était allée faire un petit tour avec son chien dans les jardins de Versailles, mais, là non plus, elle n'était pas véritablement passionnée par ce qu'elle faisait, c'était d'ailleurs plus pour sa boule de poils que pour elle.
Finalement, après avoir réfléchi, Valentine avait décidé d'aller voir son cheval. Non pas pour prendre soin de lui mais simplement histoire de, comme tout ce qu'elle faisait depuis le début de la journée. Par un certain hasard, Monsieur Jacques était présent et n'était pas occupé. En croisant la jeune femme dans une allée, il a cru qu'elle avait un cours avec lui et qu'il était en retard. Finalement, après quelques minutes de discussion, ils ont convenu de faire un cours à l'improviste. C'est de cette manière que la jeune femme s'est retrouvée en selle.
19H passées, Valentine était retournée au box mais elle n'avait trouvé personne pour s'occuper de son cheval à sa place, du coup, elle a du le faire elle-même.
La selle sur le bras et le reste du matériel dans l'autre main, la demoiselle marchait dans l'écurie en direction de la sellerie pour ranger les affaires, faisant claquer ses talons sur le sol. A un moment, alors qu'elle ne s'y attendait pas, elle entendit une voix masculine qui la fit sursauter. Se retournant, elle se rendit compte que le bruit venait de la grange. Elle hésitait à bouger et pensa qu'il s'agissait d'une personne du centre, elle se lança alors.

-Oui, c'est moi, mademoiselle Chatelain. Qui êtes-vous ?

Heath n’avait pas d’autre choix à présent que de se résigner. Ce n’était pas la première fois qu’un palefrenier peu attentionné lui faisait le coup. Mais après tout, une erreur arrive, il était inutile de se mettre en rogne pour ça. Même si présentement, Heath n’était pas forcément très gai. Dormir dans la paille n’avait rien de génial, même pour un palefrenier. Et une bonne douche n’aurait franchement pas été du luxe. Ceci dit, il était forcé de penser à autre chose à présent. Il n’était pas seul ici. Avec un peu de chance, Damien se serait rendu compte de son erreur et était revenu. Mais la voix qu’il entendit en réponse à sa question n’était pas celle du palefrenier responsable de son malheur. Qui plus est, ce n’était même pas un employé de l’écurie. Que faisait-elle encore ici ? Le club fermait les portes à 19h.

Faisant volte face, il attrapa son t-shirt pour l’enfiler à la hâte. Il n’était pas pudique, mais savait se tenir. Quoi que la jeune femme en pense ; Avançant pour aller à sa rencontre, il esquissa un sourire amusé. Même s’il était crevé et que franchement, ce n’était pas contre elle, mais il aurait préféré être seul. Elle allait sûrement lui rire au nez qui plus est. « C’est moi, Heath…Vous vous souvenez, le palefrenier incapable ? ». Lança t-il un peu mesquin. Ceci dit, la malice de son regard prouvait qu’il ne lui en voulait plus et qu’il ne faisait que la taquiner. « Que faites vous encore ici ? Je viens de fermer les portes, tout le monde est parti vous savez ? ». Lança t-il alors un peu intrigué.

Il était certain qu’elle, contrairement à lui, n’avait pas prévu de passer la nuit ici, alors que pouvait-elle bien faire au milieu des écurie à cette heure ci. D’autant plus qu’elle ne semblait pas vouer un culte à son monture. Il était donc peu probable qu’elle soit venue prendre soin de lui, muée par une pulsion subite.

Le cours de Valentine s'était fini à 18h45 mais Monsieur Jacques avait tenu à parler avec elle après le cours afin de voir véritablement ce qu'elle attendait de l'équitation, en effet, elle ne lui semblait pas très motivée et cela l'inquiétait. Il craignait qu'elle ne prenne pas les choses à cœur, qu'elle néglige son cheval et que ce dernier ne soit pas considéré à sa juste valeur. Le risque avec cela était que la monture ait des troubles du caractère et ne soit plus digne d'être monté convenablement par qui que ce soit.
La jeune femme avait rassuré le moniteur en lui assurant qu'elle n'avait pas encore la fibre équine mais que cela viendrait sûrement rapidement avec le contact avec son cheval. Rassuré, le vieil homme n'avait pas insisté. La jeune femme en était rassurée. En effet, elle ne prêtait aucune attention à son cheval, elle le considérait comme un simple animal dépourvu d'intelligence et pour cela exploité par l'homme, c'était là une belle erreur de sa part que de sous-estimer « la plus belle conquête de l'homme ».
Les affaires de Safir sur les bras, Valentine avait sursauté en entendant cette voix masculine. Apparemment, cette personne était aussi étonnée qu'elle de sa présence. La frayeur ne dura cependant pas trop longtemps puisqu'elle vit le visage de ce maudit palefrenier se dessiner peu à peu. Et il se présenta lui-même. Heath ? C'était bon à savoir pour faire des remarques à la direction puisqu'elle n'avait pas eu l'occasion de connaître son identité lors de leur première journée, maintenant, elle pourrait volontiers le dénoncer pour la moindre faute.

-Je me serais bien passée de vous voir !

Elle le regarda alors venir face à elle et soupira d'agacement, il fallait toujours qu'il se trouve sur son chemin celui-là !

-Ce que je fais ? Ca ne se voit pas ? Je sors de reprise et il n'y avait personne pour s'occuper de Safir. Plutôt que de fermer bêtement les portes, vous ne pouviez pas vérifier qu'il ne se trouvait personne dans les locaux ? Et vous n'auriez pas pu venir m'aider ! C'est votre travail, après tout !

Sur ces mots peu aimable, la jeune femme posa les affaires sur un banc de bois qui se trouvait là et fit depuis tour sans prendre la peine de le saluer. Elle comptait bien qu'il range les affaires du cheval, elle oubliait qu'un palefrenier n'était pas un esclave...

Il n’était déjà pas forcément de très bonne humeur, mais en plus de ça, il était clair que la jeune femme n’était pas encore disposée à le traiter comme il se doit. C'est-à-dire : comme un être humain à part entière. Il esquissa un sourire à sa remarque qui sous entendait une négligence évidente. Son regard se tourna vers l’horloge qui se trouvait juste derrière lui. « Voyez vous…A cette heure ci, mon travail est terminé. Je ne suis donc plus palefrenier, mais un simple passant. Donc si vous voulez éviter que votre matériel ne prenne l’humidité, ou que je roule dessus accidentellement avec le manitou demain, ou pire encore, qu’un cheval n’ose poser son nez baveux dessus je vous conseille vivement de le ranger à sa place dans la sellerie ». Tout sourire, sans perdre son calme, il marqua une pause avant de reprendre. « …Vous-même, cela va de soit, je ne suis pas votre chien ». Acheva t-il simplement.

Il n’avait pas haussé le ton. En fait il s’était exprimé de la manière la plus aimable qui soit. Ses paroles n’en restaient pas moins sèches. Et si elle n’avait pas comprit le message, alors il ne pouvait plus rien faire pour elle. Des cas il en avait croisé ici, et il semblerait bien qu’elle s’ajoute à son palmarès de rencontre de bourgeois gâté. Se rendait-elle compte qu’elle n’était pas la seule à avoir ses soucis ? En fait, ses caprices n’avaient aucune valeur. Elle ne faisait que faire ce qu’elle voulait toute la journée. Alors que pendant ce temps, des gens comme Heath se démenaient pour faire tourner les structures qu’elle visitait. Mais il semblerait que sa vanité l’aveugle au point de lui faire oublier qu’elle aussi, un jour, comme toutes Hommes sur cette terre, elle allait passer l’arme à gauche. Il le lui aurait bien fait remarquer pour lui signifier qu’elle n’était rien de plus que lui, mais elle risquerait de mal le prendre.

« Maintenant si vous voulez bien m’excuser, j’ai du travail demain et je suis crevé. Merci de vous dépêcher de quitter les lieux, ils sont fermé au public à cette heure ». Ajouta t-il avant de tourner les talons. Il comptait bien retourner se coucher à présent. Ce qu’elle pensait de lui lui importait peu. Il avait été patient, mais là, s’en était trop. Et elle n’avait vraiment pas choisis son moment en plus de ça.

Vue l'humeur générale de la demoiselle, la politesse et la gentillesse envers le jeune palefrenier ne seraient très certainement pas pour ce jour-là, il lui faudrait patienter et endurer les réflexions de la petite Valentine. Par contre, le fair-play d'Heath avait tendance à fortement l'énerver, elle avait, en effet, l'impression d'avoir un homme faible de caractère face à elle, face à qui elle n'aurait aucun mal à s'imposer. Mais pourtant, elle savait bien que les mots du jeune homme étaient remplis de sens, que l'énervement n'était pas son ressort immédiat mais qu'il n'en demeurait pas pour autant dépourvu de caractère, bien au contraire.
Appuyée sur une jambe, ne voulant certainement pas reprendre le matériel, elle le regarda avec défi, bien décidée à ne pas se laisser faire cette fois-ci.

-Alors, dans ce cas, j'en référerai à la direction, le prix de mon matériel sera déduit de votre salaire et je ferai en sorte de ne plus vous avoir dans les pattes, de vous faire licencier purement et simplement de ce centre équestre.

Puisqu'il lui avait répondu et que cela avait eu le don de fortement déplaire à Valentine, celle-ci, alors qu'elle s'apprêtait à quitter les écuries, se retourna et revint sur ses pas, le regard sombre, prête à rugir et à cracher son venin.

-Je me moque sur ce soit fermé ou non ! Mon cheval est ici, je paye pour qu'il soit gardé, j'estime avoir le droit de venir le voir quand bon me semble pour les raisons de mon choix ! Vous n'avez pas à me parler de la sorte !

En se comportant de la sorte avec les gens qu'elle estimait en dessous d'elle, Valentine passait à côté de beaucoup de bonnes choses et surtout de bonnes personnes. Elle ne pensait pas que l'argent et la naissance ne faisait pas le cœur et la véritable valeur humaine. Il aurait fallu qu'il arrive quelque chose de grave à une de ces personnes, qu'elle soit la seule avec, qu'elle doive sans rapprocher, et là, peut-être, son cœur se serait-il réveillé et ouvert aux sentiments purs et sincères, dignes d'être ressentis. Il aurait fallu que cela se passe avec Heath, parce qu'elle se mettait à dos un jeune homme bien comme il en existe peu, il aurait pu lui apporter beaucoup et inversement, en dépit du fait qu'ill ne soit que palefrenier.

Heath était crevé, et d’humeur plutôt maussade. Il n’était pas simple de le mettre hors de lui, en fait, il n’haussait que très rarement le ton. Même en ce jour alors qu’il se permettait de répondre plus froidement, il ne criait pas. A quoi cela aurait servit ? Le message ne passe pas mieux s’il est hurlé de façon primitive. C’était du moins son avis. Ce n’était pas comme si cette femme avait le pouvoir de régir sa vie, contrairement à ce qu’elle semblait penser. « Ecoutez, je me fiche purement et simplement de votre rang, ce que je vois, ce n’est que votre personne. Voyez-vous, me faire licencier sera difficile compte tenu du fait que le directeur de ce centre est mon ami et que contrairement à vous, sa priorité ne va pas à l’argent. Il se fera un plaisir de vous mettre dehors vous et votre cheval. Car voyez vous, il y a bien meilleur cavalier et bien meilleur cheval ici, si je résonne en votre sens. Il n’a pas grand intérêt à vous garder au final, comprenez le bien ». Assura Heath toujours aussi calme malgré l’aspect blessant de ses paroles. Elle entrait sur un terrain qu’elle ne connaissait pas : le milieu équestre. Hors Heath le savait, ce qui faisait la valeur des pensionnaires, ce n’était pas leur porte monnaie, car qui qu’elle soit, elle ne payait pas plus cher que les autres. En revanche, si elle avait été une cavalière exceptionnelle, concourant au nom du club, les choses auraient été différentes. Mais voilà, ce n’était pas le cas. Pour le directeur plus que pour quiconque ici, Valentine était une personne lambda. Sans doute n’y était-elle pas habituée.

« Et même en admettant que vous parveniez à me faire perdre mon emploi, je me débrouillerais. Parce que voyez-vous, moi je sais me débrouiller. Tel n’est pas votre cas visiblement ». Ajouta t-il histoire de lui faire comprendre une bonne fois pour toute qu’elle n’aurait pas le dernier mot et que palefrenier ou non il n’était pas disposer à se laisser insulter par une gamine de 21 ans. Riche, ou pas riche. « Et oui vous payez pour qu’il soit gardé, pas pour que quelqu’un maintienne les structures ouvertes pour vous à toutes heures du jour et de la nuit. Si je suis resté ici, ce n’est pas par habitude. Aussi surprenant soit-il pour vous, je n’habite pas ici, j’ai un logement et si je n’ai pas pu rentrer ce soir c’est tout simplement parce qu’un de mes collègue à enfermé mes affaires dans le bureau. Demain matin, je serais là comme tout les matins, et je bosserais comme tous les jours. Et vous, vous serez où ? Entrain de vous prélasser dans votre lit ? Ou à compter l’héritage familial histoire de vous rassuré sur votre subsistance à venir ? Ouvrez les yeux, comme moi vous mourrez un jour, et ce n’est pas votre argent qui vous sauvera. Il sera trop tard pour lister tout ce que vous avez raté ». Acheva t-il froidement avant de tourner les talons à nouveau. Tout était dit. Le lendemain, si elle revenait, il ne lui parlerait pas de la sorte, il serait de nouveau employé et lui devrait le respect. Mais au moins, le message était passé.

Si ça avait été dans ses mœurs, si elle avait eu le temps de réagir ou bien le réflexe de le faire, Valentine aurait gifler Heath. Jamais on ne s'était permis de lui dire de telles choses, de quel droit ? Elle était née dans la haute société, elle croyait que cela lui accordait des privilèges, elle se croyait encore sous l'Ancien Régime, elle n'avait pas conscience que tout cela n'était que pures bêtises et qu'elle était au même rang que les autres, peut-être même plus bas vu qu'elle n'avait aucun mérite personnel.
Plantée au beau milieu de l'écurie, abasourdie, la jeune femme n'avait plus aucun réflexe. Elle voulait répondre à Heath mais elle ne savait pas du tout quoi dire pour lui faire fermer son caquet à ce misérable palefrenier ! Elle avait beau essayer de sortir des phrases, rien ne venait, pas même des mots, ni des sons d'ailleurs. Comment avait-il osé ? Qui lui avait donné ce droit ? Elle voulait lui faire payer, mais comment ? Quels seraient ses arguments ? Elle y réfléchissait mais ne trouvait rien, le choc, sûrement !
Tandis qu'elle regardait Heath partir, béate, Valentine se décida à bouger, elle ne comptait pas passer la soirée dans cette écurie puante ! Résignée mais enragée, elle reprit les affaires de son cheval et alla les poser sans la moindre précaution dans la sellerie. Elle reprit ensuite la direction de la sortie et se dirigea vers le parking. Le ciel était gris, il allait très certainement pleuvoir, de quoi finir de la mettre de mauvaise humeur ! Elle aurait dû appeler un taxi, au moins, elle n'aurait pas eu à se fatiguer.
Assise au volant, Valentine fut incapable de démarrer pendant de longues minutes. Son regard restait fixé sur les bâtiments du centre équestre, les paroles d'Heath résonnait dans sa tête, elle ne trouvait rien à répondre. Et puis d'un coup, elle eut comme un choc, « tu es une imbécile, Valentine, tu as pris les âneries que l'on t'a enseignées pour vraies mais tu fais fausse route. ». Elle sortit alors de sa voiture, la referma et partit en trottinant sous la pluie fine qui commençait à tomber, en direction du centre.
Cherchant au hasard, elle appela Heath. Elle finit alors par le découvrir dans une réserve de paille, elle s'afficha dans l'encadrement de la porte et ne bougea pas.