La musique te fait perdre la tête. Tu vois les lèvres de ce client bouger sans que le moindre son ne se rapporte à tes oreilles. Ce soir, tu te sens fatiguée, tes pensées ne sont pas là. Le patron te regarde parce que tu es ailleurs. Or, tu n'as pas le droit d'être ailleurs, surtout quand tes clients détiennent les plus énormes fortunes du monde. Tu te demandes ce que tu fais ici, dans ce bar à des années lumière de toi. Pourtant, c'est ce bar qui a changé ta vie. Tu comprends ce que cet homme veut. Un Manhattan. Tu ne peux t'empêcher de penser à lui. C'est ce qu'il prend constamment pour ouvrir le verre. Tu prends un verre que tu replies de glaçons et pose sur le bar. Ton esprit divague, tu te demandes s'il t'en veut. Ca fait plusieurs jours que tu es sans nouvelles et ce n'est jamais bon présage. Tu te demandes ce qu'il fait, avec qui il le fait. Tu te demandes si tu lui manques autant qu'il te manque, s'il pense à toi autant que tu penses à lui même si, au fond, tu connais certainement la réponse. Ta vue se brouille parce que les larmes montent. Néanmoins, tu te concentres sur ce cocktail pour les faire disparaitre. Bouteille de whisky à la main, tu déverses un jet dans ce verre mais avant que tu ne puisses le retenir, le verre tombe, renversant son contenu sur le pantalon de ce client. Tu es confuse, tu t'excuses, tu bégaies. Avant que tu ne puisses dire un mot, le patron arrive et se fond en excuses devant ce client. Tu n'es pas niaise, c'est son club qu'il défend, pas toi. D'ailleurs, le regard qu'il te lance t'indique qu'il est temps pour toi de disparaitre de la situation. Une clope coincée entre les lèvres, tu te retires dans cette ruelle où vous, les employés, venez vous évader en cas de besoin. Tu t'assois sur ce bord de trottoir, ton portable dans les main, son numéro composé mais tu appréhendes de devoir appuyer sur le bouton vert. Tu veux juste l'entendre, lui dire de venir te chercher. Tu n'entends pas ces pas venir vers toi mais tu sursautes en sentant cette main sur ton épaule. C'est toi.. Tu devrais pas t'approcher de moi, je crois que je suis le paria ce soir. Un petit sourire se dessine sur ton visage. Malgré ce que tu viens de lui dire, tu sais que Noah ne partira pas. Au contraire, tu sais que c'est l'un des seuls qui sera toujours là pour toi.  

Tu n'y connais rien à l'amitié. Depuis que tu es petite, tu as cette manie de faire facilement confiance aux gens. Cette manie, tu la dois au fait que tu es peut-être plus gentille que la majorité des personnes de cette planète. Tu vois toujours le bon chez tout le monde, même chez les pires. Alors, c'est facile de t'avoir, une fois qu'on a fini par comprendre comment tu fonctionnes. C'est peut être pour ça que tu n'as pas vraiment d'amis. Trop bonne trop conne, comme dit le dicton. Tu as eu une amie une fois. Une vraie, pas simplement une camarade de classe ou une copine avec qui déconner. Non, cette fille, Marija, c'était ton amie. Ta soeur un peu, parce que tu es fille unique et qu'à cette personne, tu t'es ouverte comme tu ne l'as jamais fait. Tu lui as donné les clés de ta boite à pensées, lui dévoilant tes complexes les plus profonds, tes sentiments les plus intimes. Parce que c'est censé servir à ça une amie. A se confier et à ne rien cacher, malgré la peur d'être jugée. Avec Marija, tu t'es sentie plus forte, moins seule. Tu as été plus sincère avec elle qu'avec personne d'autre dans toute ta vie. Mais Marija, comme tout le monde, elle s'est jouée de toi et tu t'es retrouvée seule à nouveau. Comme si elle était là, la finalité de l'histoire.

C'est pour ça que ce soir, tu as été surprise quand Noah s'est assis près de toi. Tu ne le connais pas depuis si longtemps que ça mais tu as bien sympathisé avec lui. En général, vos conversations sont joyeuses, agrémentées de rire parce que Noah a un véritable talent pour le divertissement. Cependant, une partie de toi sait que Noah est une personne digne de confiance. Contrairement à tous les autres, tu vois la sincérité dans chacun de ses gestes, chacun de ses regards. Tu te fais souvent avoir parce que tu es naïve et aussi parce que tu espères à chaque fois que l'histoire change. Mais pourtant, tu as ce sentiment que Noah sera toujours pour toi une épaule sur laquelle te reposer. Tu aimes le fait qu'il ait l'air vraiment intéressé par ce qui t'affecte. En général, tout le monde s'en fiche, tu es invisible. Tu aimes le fait qu'il tente de te remonter le moral. Tu as tout à réapprendre de l'amitié et Noah semble être un bon entrainement. Et tu sais ce que je fais moi, quand ça va pas ? Tu lèves la tête vers lui, tes yeux croisant les siens. Ta réponse tu l'as dans ce joint qu'il sort de sa poche et te tend, après l'avoir allumé. Tu hésites au départ puis tu troques ta cigarette contre ce cylindre bien roulé. Ton premier joint, tu l'as fumé avec Hadrien. L'ironie de la situation te fait sourire. Ce soir pour oublier Hadrien, tu dois planer. Ta main dans celle de Noah, tu poses la tête contre son épaule, lui rendant son joint. Merci. Tu regardes vos doigts entrelacés et tu souris. Finalement, il suffisait simplement de sa présence pour que le soleil reprenne sa place magistrale dans ton ciel. Allez, dis-moi tout, qu'est-ce qui va pas? Un soupir et un haussement d'épaules. Tu ne sais pas vraiment si tu as envie d'en parler. Tu ne veux pas passer ta soirée à penser à lui, à ce qu'il fait et avec qui il le fait. Tu veux juste te vider l'esprit et arrêter de penser, ne serait ce que 5 secondes. Les garçons sont idiots, voilà le problème. Tu finis par remettre ton portable dans ta poche. De toutes façons, tu n'auras pas de nouvelles ce soir, tu le sais. En soupirant, tu relèves la tête vers ton ami, prête à rectifier. Tous les garçons sauf toi. Promets moi que tu ne changeras pas, toi. Que tu resteras toujours comme ça. Doucement, tu tends la main pour reprendre le joint. Tu tires dessus fort puis tu lui rends, fermant les yeux. Il avait raison Noah, tu te sens enfin mieux.