Le point des arts est un lieu magique. Quand je pense à ma demie-soeur qui tuerait pour être là, cet endroit la faisait rêver étant p'tite et encore maintenant je suis sûr qu'elle désire secrètement et ardemment y venir poser les pieds. Lorsqu'elle viendra me rendre visite à Paris, je l'y emmènerai, elle sera ravie. Peut-être qu'elle en oubliera même d'activer son caractère de merde et qu'elle ne m'cassera pas les pieds. Avec mon oeil de photographe, j'observe le pont et ses cadenas sous différents angles, je regrette de n'avoir pas emmené mon nouveau polaroid, j'aurais pu faire de fabuleux clichés. Je m'avance nonchalamment, les mains plongées dans les poches de mon jean. Le vent frais vient m’ébouriffer les cheveux et apaiser les durs rayons de soleils qui percent à travers les nuages. Je me poste exactement au milieu du pont et j'appuie mes coudes sur la rambarde. L'air frais me fait du bien, il m'aide à réfléchir et m’aère les idées.

Il va falloir que je fasse une exception à mon mode de vie habituel, je dois concocter un plan concernant le Dossier 0628D03C4P. Ma dernière gaffe m'a apprise que je n'peux tout simplement pas y aller à l'improvisation. Il faut que je réfléchisse, que j'analyse, et que je prévois le moindre de mes faits et gestes, la moindre parole. Je ne peux pas me permettre de gaffer encore une fois. Je pousse un soupir de soulagement, j'ai réussi à trouver une raison plus ou moins plausible concernant son prénom qui m'a échappé. J'imagine son air interloqué « comment il sait comment j'm'appelle, c'type ? ». La prochaine fois que nous nous verrons, je n'doute pas qu'elle me posera la question. J'ai prévu que nous nous recroisions 'hasardement' dans environ une semaine. Cela fait bien quatre jours que nous nous sommes parlés dans le petit bistrot avenue Champs Élysées, et je souhaite laisser au temps la tâche d'estomper ma personne dans son esprit.

Parallèlement il serait idéal que je me découvre des supers-dons de détective, j'aimerais bien m'improviser Sherlock Jace pour retrouver la trace de mon géniteur. Qui est-il ? Où est-il ? Français, à Paris. Ça c'est mon point de départ. Un peu vaste tout de même... Je sais également que mon nom de famille vient de lui, Gaultier, un influent homme d'affaire. C'est censé diminuer les pistes, mais pas de beaucoup. Il est peut-être connu sous un autre nom dans son milieu. Et puis quel milieu ? Les affaires. Assez vaste aussi. Je n'ai pas encore assez de pistes à suivre pour le retrouver, j'espère qu'un signe du Ciel ou un coup du destin me mènera jusqu'à lui un beau jour, mais faut pas rêver j'suis pas non plus dans un film. Alors j'me contente de faire ce que je fais si bien depuis si longtemps, j'repousse les choses à plus tard.

Mon regard se pose sur un cadenas vert pomme avec des lettres entrelacées écrites au marqueur noir : deux initiales, et un coeur fait d'une écriture tremblante. Un A. A disons comme... Alicia, le prénom de ma mère. Et un... une lettre bizarre que je ne parviens pas à déchiffrer. Le gars ou la fille qui a écrit ces inscriptions était manchot ou quoi ? Je retourne le cadenas et, intrigué, je vois écrit d'un tracé plutôt féminin et fin, les mots « born from love, c. ». Peut-être que l'initiale que je ne parviens pas à décrypter au recto est un C ? Va savoir.

Tout absorbé que je suis dans la contemplation de centaines de cadenas verrouillés pour sceller le début d'un amour passionné, -je ricane intérieurement, je sursaute légèrement lorsque l'on vient me tapoter sur l'épaule. Je tourne la tête, et là je la vois. Qu'est-ce qu'elle fout ici bordel ? Elle était censée être ailleurs à c'moment là. Elle peut pas suivre son foutu emploi du temps, justement ce jour, à cette heure ? Je garde ma surprise pour moi et mon mécontentement de côté, j'affiche un visage impassible contrairement à la dernière fois que nous nous sommes vus. Et si j'faisais genre je me rappelle pas d'elle ? Toutes ces pensées en moins de trente secondes, eh ouais.

Quatre jours. Quatre jours que je n'avais pas recroisé cet homme, et que mes pensées ne faisaient que se tourner vers lui. Lui, encore lui. Comment avait-il su mon nom ? Mon âge ? J'étais maintenant persuadée qu'il avait bien fait exprès de prendre cette place, ce jour là, et que notre conversation n'avait pas été anodine. Elizabeth, Elizabeth. Je répétais mon nom en tête, avec sa voix et ses intonations. Après son départ, j'avais pris soin de parler au serveur pour savoir s'il était déjà venu dans ce bistrot. « Jamais » me dit-il. Cela ne m'avançait pas. Je n'avais aucun point où commencer pour me renseigner sur cet inconnu et j'en devenais folle. Mon emploi du temps d'habitude si bien respecté devenait un brouillon, et je me permettais d'ajouter des temps pour mes recherches. Il ne m'avait pas dit son nom : j'étais donc dans le flou total. De part son apparence, je crus qu'il était peut-être mannequin mais mes recherches de ce côté là se trouvèrent sans résultat. Je n'abandonnais pas.

J'avais pris mon café au bistrot ce matin, tenant en main le journal et attendant qu'il revienne. J'étais persuadée qu'il allait venir pour m'embêter encore une fois, mais rien. Sans faire attention, je mis du sucre dans mon café et m'étouffais presque à cause du goût horrible que j'eus en bouche. M'étant tâchée involontairement, je fus obligée de revenir jusqu'à mon appartement pour me changer. C'était presque le jour de la lessive : je n'avais plus de robe propre à mettre. Je dus mettre un pantalon droit et noir avec un t-shirt blanc et une mini veste s'arrêtant au dessus de ma taille. Des talons comme à mon habitude, ayant beaucoup de facilité à marcher avec ce genre de chaussures. Finalement, je re-sortais de l'appartement en étant énervée et agacée. J'aimais avoir les réponses à mes questions tout de suite et maintenant, et ce garçon était une totale énigme pour moi. Est-ce que je le recroiserais un jour ? Rien n'était moins sûr.

Comprenez moi, ce n'était pas une fascination par rapport à sa beauté ou à son intelligence. Je méprisais peut-être ces deux aspects de sa personnalité plus que tout. Mais je voulais juste savoir où il tenait ces informations sur moi. Peut-être un stagiaire d'une autre boite de journalisme, jaloux que je lui ais piqué sa place au journal où j'étais à présent ? Il n'avait pas l'air d'avoir un quelconque ressentiment envers moi. Peut-être un de ces fous qui prenaient pour cible une fille en particulier et n'arrêtaient pas de penser à elles jusqu'à ce qu'elle soit découpée en morceaux dans leur cave ? Non, sûrement pas. Cela me donna la chair de poule. Finalement, je sortais pour me balader un peu dans Paris. Le premier arrondissement était charmant et j'adorais toujours marcher sur les ponts.

C'est sur le pont des arts que je décidais de marcher tranquillement. L'air pollué de Paris me chatouillait le nez mais je ne me permettrais jamais d'éternuer en public. Alors, je me retenais. La vue était magnifique, sur l'eau et sur les bâtiments autour. Les cadenas attachés me firent rire intérieurement : ces jeunes obnubilés par l'amour étaient si ridicules. Je ne voyais absolument pas l'intérêt d'être obsédée par une seule personne jusqu'à donner sa vie pour elle, tandis que toute la partie sexuelle était tout à fait obscène. Alors que je me penchais au dessus du pont pour observer l'eau, une silhouette à ma gauche attira mon attention. Était-ce lui ? Était-ce vraiment lui ?

Mes talons claquaient sur le pavé alors que je m'avançais rapidement du jeune homme que je ne voyais que de dos. Arrivée proche de lui, je lui tapotais l'épaule avec insistance pour qu'il se retourne. Oui. C'était bien mon inconnu. Il avait l'air froid cette fois-ci, pas cet air enjoué que je lui avais vu la dernière fois. « Elizabeth, c'est bien mon nom. » me contentais-je de dire en l'observant. « Maintenant je veux savoir le votre. »

Je sens déjà que tout échappe à mon contrôle. Bien que la dernière fois que nous nous sommes vus ça avait été désiré, j'avais tout prévu, ta réaction, mes réponses, tout. Mais cette fois-ci est malheureusement différente. Je ne m'attendais pas à te voir ici, à cet endroit, le Pont des Arts ne m'apparaît pas vraiment comme un lieu qui t'attire. Je n'aime pas ça, ce n'est pas moi le maître du jeu, celui qui mène la partie. Tu m'as pris par surprise. Et je ne t'ai même pas vu ou entendu arriver et me tapoter sur l'épaule. C'est bête, parce que pour une fois dans ma vie où je ne souhaitais pas faire de l'improvisation, j'y suis pourtant obligé à l'instant présent. « Elizabeth, c'est bien mon nom. » Aïe, à tous les coups tu vas me demander comment j'étais au courant. Ou peut-être pas, ou peut-être que si. Tu m'étonnes de plus en plus, l'ais-je déjà dit ? Soit, j'ai trouvé une excuse qui passe plutôt bien. Un sourire se dessine sur mes lèvres. « Maintenant, je veux savoir le votre. » Tu es franchement bornée Elizabeth. Je ne sais pas si c'est le bon moment pour te le donner, alors qu'en dis-tu si nous gardons encore un peu de mystère veux-tu ? « Je m'étonne de vous croiser ici. Vous qui fuyez toute relation humaine, cet endroit, le pont des arts, le pont de l'amour ne devrait pas être un lieu où vous avez l'habitude de vous rendre. » Ça t'énerve d'être aussi prévisible Elizabeth ? Ça t'énerve que je ne réponde pas à tes questions ? Que je change de sujet ainsi ? Je le sais. Tu aimes tout savoir, tout contrôler. Avec moi tu vas être servie ma chère. J'attrape un cadenas rose bonbon entre mes doigts et je joue avec, le faisant tourner. Je me retourne et je repose mes coudes contre la barrière du pont, te tournant le dos délibérément. J'admire le magnifique panorama. Paris. « Quel hasard que nous recroisions. Paris est une si grande ville qu'il y avait pourtant très peu de chances, pour ne pas dire aucune. » Si tu savais... ha ha. Bizarrement je ne suis aucunement nostalgique de mon pays et de ma ville natale. Ma famille ne me manque pas, je n'avais pas réellement d'attaches profondes. Certes j'ai quitté quelques amis avec qui j'étais plus ou moins proches, mais jamais je n'ai douté que je n'aurais pas la possibilité de m'en refaire dans la belle Capitale de la France. Je repense à ta question. A vrai dire, pourquoi ne pas te dévoiler mon nom ? Qu'est-ce que ça changerait ? Absolument rien du tout. Mis à part que ça t'agace de ne pas le connaître, que je ne te réponde pas, ça ne change rien pour moi. Bon eh bien, si tu insistes Elizabeth, je te répondrai.

Il m'intriguait. Je ne savais pas à quoi m'attendre avec cet homme, contrairement aux personnes que je fréquentais habituellement. Il devait y avoir quelque chose d'étrange dans son cerveau, que je ne pouvais m'empêcher de vouloir disséquer. Dit comme ça, ce n'était pas très joyeux, mais il était rare que ma curiosité soit attisée de la sorte. Cet inconnu devait se trouver bien, d'avoir attiré l'attention de la grande Elizabeth Valmont. Enfin grande, grande uniquement parce qu'elle le voulait. Elle n'avait pas de titre, pas d'argent, pas de métier important. Tout ce qu'elle avait, c'était cette cassette vidéo qui valait de l'or, et qu'elle avait déjà copié plusieurs fois pour ne pas la perdre. « Je m'étonne de vous croiser ici. Vous qui fuyez toute relation humaine, cet endroit, le pont des arts, le pont de l'amour ne devrait pas être un lieu où vous avez l'habitude de vous rendre. » Ma tête se pencha légèrement, ma bouche s'entrouvrit également. Mais bien vite je me repris pour revenir exactement au même endroit qu'avant. Droite, et renfermée. Il semblait savoir tout de moi instantanément, mais je savais bien ce qu'il en était. Il avait uniquement de la chance. La chance de pouvoir deviner ces choses sur moi, de parler comme un personnage de film et d’époustoufler toutes les filles avec son discours. Eh bien, cela ne marcherait pas avec moi. Il fallait juste que je lui prouve le contraire de ce qu'il avançait. « Qu'en savez vous ? Peut-être est-ce mon amour d'enfance, que je trouve sur ce pont. Peut-être qu'il est en retard, et que j'ai décidé de venir vous parler mon passer le temps. Peut-être que j'aime les relations humaines. » Je me mordis la lèvre. C'était un gros mensonge et il me décontenançait tellement que je n'étais pas très forte pour me faire croire. Un soupir d'énervement s'échappa de ma bouche et j'enfonçais les mains dans les poches de ma veste, agacée. « Quel hasard que nous recroisions. Paris est une si grande ville qu'il y avait pourtant très peu de chances, pour ne pas dire aucune. » Je m'éclaircis la gorge, tournant la tête pour regarder au loin. Oui. Il n'y avait que très peu de chances pour que nous nous rencontrions ce jour là, à cette heure là, au même endroit. Et pourtant, ce n'était pas comme si je n'avais pas cherché à le rencontrer à nouveau. Comme si le destin jouait de moi. Au moment où j'arrêtais, il était devant moi. « Je suis femme à défier les probabilités. Et vous ? » Un petit sourire s'afficha sur mon visage et s'enleva très vite, peut-être avant que l'inconnu ne puisse le voir. Finalement, je m'appuyais contre la rambarde et regardais en bas. Un courant d'air aurait fait s'envoler mon chapeau, si j'en avais un. « Vous êtes un riche héritier, qui ne pense pas à travailler puisqu'il a déjà tout à disposition .. Je me trompe ? » Sûrement, mais je pouvais essayer.

Je te vois commencer à prendre la mouche, j'avais vu juste tu n'aimes pas être prévisible. Que l'on puisse deviner ta personnalité et tes habitudes, ne te plaît pas. Grâce à moi tu vas apprendre à vivre au jour le jour, tu vas apprendre à ne plus tenir ta vie en laisse et à faire des choses quelques peu imprévisibles. Tu verras, c'est drôle. « Qu'en savez vous ? Peut-être est-ce mon amour d'enfance, que je trouve sur ce pont. Peut-être qu'il est en retard, et que j'ai décidé de venir vous parler mon passer le temps. Peut-être que j'aime les relations humaines. » Tu cherches à te défendre et à prouver que j'ai tord. Pour te faire plaisir je pourrais très bien te montrer que tu as réussi à me convaincre, je pourrais admettre que je me suis trompé. Mais mon naturel gamin revient au galop, j'aime avoir raison même quand j'ai tord alors il ne faut pas m'en demander trop. Ces paroles s'échappent de ma bouche toutes seules. « C'est les "peut-être" qui me font penser que vous mentez. » Aurais-tu eu un amoureux d'enfance du genre à arriver en retard ? Laisse moi rire, j'en doute fort Elizabeth. Bien que je puisse me tromper dans ce cas là, n'ayant lu aucune information dans ton dossier, sur tes fréquentations d'enfance. Pourquoi t'énerves-tu ? Pourquoi pousses-tu un soupir agacé, enfonçant tes mains dans tes poches d'un geste rageur ? Cette conversation prend tout à coup un tour plus divertissent. J'aime assez quand tu es énervée. Au moins tu fais paraître une émotion sur ton joli minois, et l'air neutre que tu affiches constamment disparaît enfin. Il ne manque qu'un minuscule pas avec que tu souries à pleines dents jusqu'aux oreilles. Vivement ce moment où tu te lâcheras enfin. « Je suis femme à défier les probabilités. Et vous ? » Je te réponds sans une hésitation, du tac au tac comme si j'avais réfléchi à cette question et à sa répartie toute ma vie. « J'aime également défier la vie. » Oh ça oui, défier la vie est évidemment mon jeu préféré. L'imprévisibilité, c'est la clef. À quoi ça sert d'avoir une petite vie toute bien ordonnée, réglée à la minute près ? Je devrais te poser la question Elizabeth. Mais tu ne m'en laisses pas le temps. « Vous êtes un riche héritier, qui ne pense pas à travailler puisqu'il a déjà tout à disposition .. Je me trompe ? » Tu parais bien sûre de toi tout à coup. Dommage que tu te trompes même si ça m'aurait fait plaisir d'être le gars en question que tu décris. Riche, m'aurait permit de ne pas faire ce que j'aurais à faire à la fin du mois. « Je ne suis pas riche, je ne suis pas héritier, et je travaille plus que quiconque. Alors oui, vous vous trompez. » Pour atténuer la... franchise et le sécheresse de mes propos je lui adresse un sourire qui se veut amical. « Ah non, pardon. Personne, même pas moi, ne travaille plus que vous. Vous êtes une acharnée de travail qui fait passer sa vie sociale bien après son boulot. » La question « Je me trompe ? » était bien sûr sous-entendu en bout de phrase. Tu trouves que je suis dur avec toi Elizabeth ? Je sais qu'il faut que je me taise, que je n'en dise pas trop sur l'étendu de ce que je sais sur toi, pour que tu ne prennes pas la fuite même si je me doute que je t'intrigue.

Il voulait me voir sourire. Il voulait me voir rager. Et je ne voulais absolument pas lui donner cette satisfaction, non. Jamais. Je voulais qu'il voie comment je pouvais me contrôler, comme j'étais loin de toutes les filles qu'il aimait aborder de cette manière la plupart du temps. Mais plus j'essayais, plus c'était compliqué et plus il semblait comprendre qui j'étais. Mais qui était-il ? D'où tenait-il toutes ces informations sur moi ? Est-ce qu'il pouvait vraiment deviner tout ça à mon allure, à la manière dont je parlais, dont je me comportais ? « C'est les "peut-être" qui me font penser que vous mentez. » Je piquais un fard. Évidemment que je n'étais pas convaincante. Moi qui étais si forte pour pleurer ou faire une crise, un petit mensonge comme ça me semblait si difficile ? C'était absurde. Oui, il n'y avait personne dans ma vie. Pas de petit ami, pas d'amies.. J'étais bien seule. Et à part ma colocataire, je ne parlais à personne. C'était assez déroutant. N'importe quelle autre personne serait devenue folle, mais j'avais mon cher travail pour me tenir compagnie. Mon carnet et ma caméra étaient mes objets fétiches, que je n'avais d'ailleurs pas emporté pour cette petite promenade. Que m'était-il passé par la tête .. Ce garçon changeait toutes mes habitudes. « Bien entendu, je mens. A quoi bon avoir des relations, de toute façon ? » Feindre l'absence d'intérêt était un de mes jeux préférés. Mais était-ce bien ? D'avoir une personne à laquelle on dédie sa vie ? De l'amour ? Des amitiés ? De la famille proche ? Je n'en savais rien. Je n'avais jamais eu tout ça et je ne pouvais donc pas le regretter. Pour moi, ce n'était que quelque chose dont on pouvait parler sans être émotionnellement attaché à la cause. Je pouvais écrire une lettre d'amour passionnée sans avoir connu l'amour. J'aurais pu écrire un roman sur le sujet sans aucune connaissance de cause. J'en étais persuadée. « J'aime également défier la vie. » A ça, je ne savais pas quoi répondre. Défier la vie ? Je ne savais pas ce que ça voulait dire. La vie était déjà tracée, comme si chaque personne avait un but à atteindre avec des petits obstacles entre deux. Je savais ne pas vraiment avoir de libre arbitre. Je deviendrais une grande journaliste, point. Je mourrais seule, point. C'était ce qui m'était destiné et c'était ainsi. Et ma proposition, alors ? « Je ne suis pas riche, je ne suis pas héritier, et je travaille plus que quiconque. Alors oui, vous vous trompez. » Un soupir s'échappa de ma bouche, tandis que j'observais toujours l'eau, en bas. Ainsi, j'avais faux. Je n'étais pas aussi bonne que lui à ce jeu, mais il semblait tellement être un gamin pourri gâté ne cherchant qu'à s'amuser de tout et de quiconque. Qui aurait cru qu'il savait travailler ? Pas moi, en tout cas. « Ah non, pardon. Personne, même pas moi, ne travaille plus que vous. Vous êtes une acharnée de travail qui fait passer sa vie sociale bien après son boulot. » J'ouvris la bouche pour nier tout cela, mais il me prit de court. A quoi bon mentir ? Il le détectait. J'étais nulle pour lui donner des mauvaises pistes, et il semblait tout savoir de moi. « Comment pouvez vous deviner tout ça ? Vous vous êtes documenté ? Vous m'espionnez ? Vous êtes un de ces pervers qui gardez des photos de moi partout dans votre appartement ? »

Je sens mon téléphone portable vibrer dans ma poche, je l'en sors et je vois deux nouveaux messages. Je compose le numéro de ma messagerie, je sais que ce n'est pas très poli de téléphoner à quelqu'un alors que l'on est en conversation mais si cela peut doubler l'agacement d'Elizabeth alors je tente. Je cache un sourire moqueur en lui tournant la tête. J'entends la douce voix mélodieuse pré-enregistrée puis un une voix plus grave et bruitée prend le relais. « Vous êtes observé. » Ce message provient d'un numéro inconnu, et pourtant je n'ai pas l'ombre d'un doute sur l'identité de son expéditeur. Je l'efface et passe au message vocal suivant. « Vous n'êtes pas censé faire ami-ami avec l'ennemi. » Je secoue la tête presque imperceptiblement et efface ce second message. Nulle part dans le contrat il est stipulé que je ne peux pas apprendre à connaître, sur le terrain, l' « ennemie » comme elle est appelée. La seule chose qui est dite consiste à ce que je ne tombe pas amoureux de la Miss Valmont. Et pour ce dernier point, aucun risque bien sûr. « Bien entendu, je mens. A quoi bon avoir des relations, de toute façon ? » Comment pourrais-je être attiré par une associable telle qu'elle ? Moi, le type qui justement aime baiser la vie, faire des rencontres loufoques et déconner toute la nuit. Ha ! Ce serait tellement risible. Le diction « Les opposés s'attirent » me revient en tête, et immédiatement je le chasse avec force, l'opposant à une autre citation « Qui se ressemble s'assemble ». Je t'expliquerai peut-être un jour prochain, Elizabeth, à quoi bon avoir des relations. T'es pas mal dans le genre ermite toi en fait, plus j'apprends à te connaître au delà de ton dossier, plus je me rends compte que tu es plus qu'indépendante, tu es une solitaire dans l'âme. Besoin de personne, ta seule compagnie te suffit, pire, tu ne vois pas l’intérêt de faire des rencontres, comme si tu méprisais toute personne en dehors de toi. Mais ma chère, tu te trompes grandement et je sens le devoir monter en moi, de te le prouver. « Comment pouvez vous deviner tout ça ? Vous vous êtes documenté ? Vous m'espionnez ? Vous êtes un de ces pervers qui gardez des photos de moi partout dans votre appartement ? » Ton imagination va bien loin, et malheureusement il me serait tout à fait possible de te répondre « En quelque sorte, c'est ça. » Enfin non. Je me suis documenté oui, pas vraiment de gré, on m'a juste envoyé les papiers te concernant et pour le bien de mon travail j'ai été obligé de les lire jusqu'au bout et de les retenir. Je t'ai espionné oui, encore une fois pour mon travail, c'est de l'espionnage purement professionnel, ça ne compte pas si ? Et non, je ne fais heureusement pas parti de ces pervers qui garde des photos de toi dans leur appartement. Berk. À quoi ça servirait étant donné que je peux te voir chaque jour à l'endroit que je désire et à l'heure que je souhaite, grâce à ton emploi du temps si réglé à la seconde près ? Je me sens soudainement pris d'un élan de pitié pour toi. J'aimerais savoir ce que tu as bien pu foutre pour te mettre dans une situation pareille, qu'est-ce que tu as foutu pour que quelqu'un t'en veuille jusqu'à la mort ? La question est, quel est ton secret ? Je décide de te répondre avec le plus d’honnêteté dont je suis capable sans pour autant en dévoiler de façon à ce que tu prennes tes jambes à ton cou et fissa. « Je vous rappelle que c'est vous qui m'avez surpris sur ce pont, si j'étais un de ces pervers qui vous espionnent ça aurait été plutôt mon rôle, à moi, de vous surprendre. Pensez-vous avoir une vie suffisamment intéressante pour que quelqu'un ait envie de vous surveiller ? » J'hausse les sourcils de manière dubitative, je me demande ce que tu vas bien pouvoir trouver à me répondre. « De plus, on en apprend beaucoup grâce à cette chose que l'on appelle "observation". Votre démarche, votre regard, votre sourire -du peu que j'l'ai aperçu, toutes ces petites choses sont des indices qui révèlent bien des choses sur la personnalité des gens. » Ce n'est pas pour rien que j'ai été admis avec brio en Psychologie à Paris. Seuls les meilleurs sont pris, encore plus lorsqu'ils viennent de Californie. Mes études sont pour moi un trésor inestimable étant donné que j'aime l'orientation vers laquelle je me dirige. Observer le comportement humain, analyser leur façon de penser... je l'avoue ce n'est pas très logique vu le petit boulot que j'exerce en guise d'à côté pour rapporter des sous. Et au vu aussi de ma façon de penser à moi, carpe diem, carpe noctum. Je ne suis peut-être pas si bien placé pour donner des conseils ? Tout dépend, d'un tas de choses.

Cette rencontre était tout ce dont je n'avais pas besoin. J'étais au point tournant de ma vie : il fallait que je fasse les bons choix pour pouvoir évoluer dans la société. Ou en tout cas, dans ce que j'imaginais de la société : mon travail. Ensuite, je pourrai rencontrer des gens intéressants et pourrais faire semblant de m'intéresser à ce qu'ils font, quand tout ce qui me plaira sera d'être parmi du beau monde. On pouvait m'appeler superficielle mais j'aimais le luxe, et les fréquentations qui allaient avec. Bien entendu, ma seule relation était à présent une escorte girl avec qui je partageais mon appartement. Et ce garçon. A présent, j'étais quasiment sûr que s'il disparaissait à nouveau et que je ne pouvais plus lui parler pendant un bon moment, cela me ferait quelque chose. Bien entendu, je n'avais aucune affection pour lui. Mais .. Comment dire ..Il m'occupait. Il me montrait une autre facette de la vie que je n'avais pas imaginée. Et cela me sortait de ma routine habituelle, même si j'aimais à dire qu'il n'y avait rien de mieux qu'un emploi du temps bien organisé. « Je vous rappelle que c'est vous qui m'avez surpris sur ce pont, si j'étais un de ces pervers qui vous espionnent ça aurait été plutôt mon rôle, à moi, de vous surprendre. Pensez-vous avoir une vie suffisamment intéressante pour que quelqu'un ait envie de vous surveiller ? » J'ouvrais la bouche, mais je n'avais rien à dire. Est-ce que ma vie était intéressante ? Non. Et c'était bien le problème. Je ne faisais pas encore partie de la haute société, je n'avais pas encore un job dont on pouvait parler. Tout ce que j'avais, c'était cette fichue cassette dont je ne savais pas encore quoi faire. C'était mon ticket vers tout ce qui m'attirait. Et je n'avais personne à qui en parler : je n'arrivais pas à l'avouer, mais cela pesait sur ma conscience. « De plus, on en apprend beaucoup grâce à cette chose que l'on appelle "observation". Votre démarche, votre regard, votre sourire -du peu que j'l'ai aperçu, toutes ces petites choses sont des indices qui révèlent bien des choses sur la personnalité des gens. » C'était bien ce que je pensais. Ainsi, il était simplement un très bon observateur et n'avait fait que détecter ces petites choses chez moi. Eh bien, je n'avais pas son talent, je devais l'avouer. Je ne voyais rien de particulier dans sa démarche, dans sa tenue, dans quelques fibres microscopiques attachées à sa manche de t-shirt. Il était totalement normal. « Je trouve cela tout à fait injuste. Que vous sachiez autant sur moi sans que je ne puisse avoir aucune information sur vous, tout simplement parce que je n'ai pas votre talent d'observation. Aidez moi, un peu. » J'ordonnais, d'un ton ferme. Cela me faisait enrager, de ne pas savoir. J'étais fille à chercher tout de suite la réponse à toutes mes questions, de ne jamais être limitée. Et voilà que je me retrouvais confrontée à une personne, en chair et en os, avec un cerveau bien caché et que je ne pouvais ouvrir pour étudier à mon aise. « J'aurais pu vous le dire, tout ça. Si vous me l'aviez simplement demandé. Et je ne suis toujours pas convaincue que vous puissiez deviner mon nom à ma tête. » Un soupir s'échappa de ma bouche, alors que je relevais le regard pour le regarder dans les yeux. Il était tellement .. tellement .. indéfinissable. Et je ne pouvais m'empêcher de vouloir savoir ce qu'il en retournait.[/b]

J'essaie de t'imaginer vêtue différemment. Je te détaille de la tête au pied, et je t'appose sur ce corps fin une robe pourquoi pas rouge ou blanche, virevoltant autour de toi tandis que tu tournes sur toi-même pour que l'on admire tant de beauté et de grâce. Tes cheveux au lieu de ton habituel chignon serré, sont détachés, longs et bouclés. Tu affiches un sourire épanoui comme tu n'en as jamais eu, même tes yeux souris avec bonheur. Je veux bien te laisser tes talons hauts, mais je remplace tes escarpins stricts en sandales ouvertes. Et de ta bouche s'échappe un rire cristallin lorsque tu plaisantes et te lâches enfin. Tu respires la joie de vivre et c'est beau de te voir ainsi. Mais la réalité te rattrape et ton réel toi se transpose sur l'Elizabeth qui me fait face. Bam, claquant, tu es bien loin de l'image que je m'imaginais de toi. Essaie de remonter le coin de tes lèvres tu veux ? Tu aurais un visage plus avenant. « Je trouve cela tout à fait injuste. Que vous sachiez autant sur moi sans que je ne puisse avoir aucune information sur vous, tout simplement parce que je n'ai pas votre talent d'observation. Aidez moi, un peu. » Maais, qui a bien pu dire que la vie est juste ? Ton cas, ton destin, le prouvent bien que la vie n'est pas juste du tout. Je me sens soulagé, tous les moindres doutes que tu as pu avoir sur moi paraissent s'être dissipés. Tu as complètement avalé mes dires sur mes talents d'observation, bien que ce soit à moitié vrai tout de même. Je décide de te faire un cadeau. « Soit, appelez moi Jace. » Je te souris malicieusement. Puis-je ajouter que je n'ai que trois ans de plus que toi ? Non. Cela reviendrait à dire que j'ai également deviné ton âge, et c'est impossible étant donné que tu parais bien plus que tes vingt et un ans. Alors je vais me taire. Je réfléchis à ce que je pourrais te dire d'autre. « Que voulez-vous savoir ? » Te demander ce que tu veux apprendre sur moi ne signifie pas pour autant que je te répondrai explicitement, sache-le. « J'aurais pu vous le dire, tout ça. Si vous me l'aviez simplement demandé. Et je ne suis toujours pas convaincue que vous puissiez deviner mon nom à ma tête. » Parce que tu te confierais comme ça, sans aucune retenue à un inconnu ? Tu lui dirais sans hésitation que tu fais passer ta vie professionnelle bien avant ta vie sociale et sentimentale ? Que tu es une handicapée des amis ? Qu'à l'âge où tu étais censée regarder les représentants du sexe opposés d'une nouvelle façon, toi tu ne pensais qu'à dévorer livres sur livres ? J'en doute mais peut-être que si après tout, tu m'étonnes de plus en plus. Je décide de mettre fin à cette conversation, peut-être nous reverrons nous bientôt, je n'en sais rien. Notre petite entrevue du jour Miss Valmont, a chamboulé tout le peu de plans que j'avais prévu. Je consulte ma montre, merde, j'ai oublié de la mettre à mon poignet ce matin... Je hausse les épaules et j'esquisse un sourire amusé, conscient de ton regard sur l'action. « Mince, c'est l'heure que j'y aille. À bientôt Liza. » Et je file, ailleurs, n'importe où, je ris intérieurement, j'aurais aimé pouvoir voir ta tête à l'évocation de ce surnom « Liza ». Et si je t'appelais Auxanne la prochaine fois ?